Familles Bonin

 

INSPECTRICE À L’AÉROPORT

 

Nouvelle policière

 

-1-

 

—Oui?
—Inspecteur Chari?
—Lui-même?
—Je suis le constable Michel Longpré, je viens de découvrir une jeune femme, baignant dans son sang, et une petite fille qui pleure; j’ai appelé les ambulanciers ainsi que la DPJ. La constable Nicole Gamache essaie de rassurer l’enfant.
—Très bien constable; quelle est l’adresse de la résidence?
—2332 Acadie ouest.
—J’arrive…En attendant les services, ne laissez entrer personne.

Richard reçut l’appel vers 23h et il rejoignit immédiatement le service du médecin légiste et des prélèvements. En dix minutes, il arriva au 2332 Acadie; les ambulanciers, déjà sur place, tentaient la réanimation; les membres de l’équipe des prélèvements arrivèrent à tour de rôle et le médecin légiste constata le décès à 23h30.

—Nicolas, depuis combien de temps est-elle décédée?
—Je dirais à peine deux heures, mais je te confirmerai cela une fois l’autopsie effectuée.
—Constable Longpré, je présume?
—Oui inspecteur.
—C’est vous qui avez reçu l’appel?
—Oui chef; c’est la voisine, madame Martine Pinchaud, qui a contacté le 911, car elle entendait les pleurs de l’enfant et elle a remarqué aussi un peu de sang sur le bord de la porte. Le 911 nous a interpelés et nous sommes rapidement arrivés. J’ai demandé à madame Pinchaud de rester disponible pour qu’elle vous communique ses observations.
—Merci constable, je vais aller la rencontrer bientôt.

Les ambulanciers sont repartis, laissant l’équipe policière faire son boulot. Peu de temps après, Ginette Marcotte fut transportée au centre médico-légal où Nicolas fera l’autopsie demain matin. Vers minuit, arriva une représentante de la Protection de la jeunesse.

—Bonjour inspecteur, je suis intervenante à la DPJ, puis-je voir l’enfant?
—La constable Gamache est avec l’enfant et elle vous attend.
—Bonjour constable, je m’appelle Yvette Cloutier de la DPJ; où est l’enfant?
—Rachel est tombée de fatigue et je l’ai déposée dans son lit.
—Avez-vous réussi à rejoindre un membre de la famille?
—Non, nous vous attendions afin de savoir ce qu’il convenait de faire pour l’instant.
—Si vous ne voyez pas d’objections, je vais reconduire Rachel en famille d’accueil pour la nuit et nous tenterons de rejoindre un des parents, demain matin, pour prendre charge de l’enfant.
—D’accord madame Cloutier.
—Que savez-vous de sa famille ou de l’enfant, constable Gamache?
—Au niveau de la famille, très peu de chose pour l’instant, mais nos spécialistes font actuellement des recherches dans les différentes banques de données de la police et des ministères. Quant à Rachel, elle semble une petite en bonne santé, mais elle a beaucoup pleuré et se demande ce qui est arrivé à sa mère.
—Pouvez-vous réveiller Rachel, afin que je lui parle et que je la conduise en famille d’accueil?
—Madame Cloutier, je crois que l’inspecteur veut voir l’enfant avant de la laisser partir.
—Inspecteur, je vais réveiller l’enfant; voulez-vous lui parler avant que madame Cloutier la prenne en charge?
—J’arrive.

La constable Gamache réveilla Rachel et lui présenta l’intervenante Cloutier, qui lui fit un beau sourire. Elle lui présenta aussi l’inspecteur Chari, qui avait fini de donner ses directives et qui s’avança lentement pour ne pas effrayer l’enfant.

—Bonjour Rachel, je m’appelle Richard; quel âge as-tu?
—Quatre ans.
—Oh, tu es déjà une grande fille; est-ce que tu sais qui a fait du mal à ta maman?
—Non.
—As-tu vu ou entendu quelque chose?
—Maman a crié et la porte a fait du bruit; je me suis levée et j’ai vu maman par terre.

Rachel cherche encore sa mère du regard mais ne la voit plus et pleure.

—Si c’est tout inspecteur, je vais maintenant amener l’enfant pour qu’elle se repose.
—Sans problème madame Cloutier; cependant, si Rachel  révélait quelque chose en regard du meurtre, il faudrait nous appeler immédiatement et dire à la famille d’accueil de ne pas l’interroger là-dessus, nous le ferons.
—Bien compris inspecteur.
—Où l’enfant passera-t-elle la nuit?
—Elle sera hébergée chez madame Huguette Fleury au 2230 rue Goyer, tel : 514-642-1345.
—Merci bien de votre intervention rapide et bonne nuit, malgré cela.
—Est-ce que tu as une doudou, Rachel, demanda madame Cloutier.
—Oui.

 Rachel retourna dans sa chambre, suivie de madame Cloutier qui en profita pour choisir des vêtements de rechange pour l’enfant, qui ne comprenait pas grand-chose à tout cela. L’intervenante expliqua du mieux qu’elle put, qu’elle l’amènait dormir ce soir chez une gentille madame et que demain, elles parleraient de sa maman, qui est maintenant à l’hôpital et qu’il faut laisser dormir. Rachel, armée de son substitut maternel, accepta de suivre madame Cloutier.

—Constable Longpré, rappelez-moi comme s’appelle la voisine?
—C’est madame Pinchaud et elle vous attend.
—J’y vais de ce pas.
—Inspecteur, avez-vous complété vos observations ici?
—Non et  je vais revenir après avoir rencontré madame Pinchaud; vous pouvez cependant partir car Michel attendra que j’aie complété mes recherches, avant de quitter et de mettre un scellé sur la porte.

L’inspecteur alla cogner à la porte de madame Pinchaud et lorsqu’elle ouvrit.

—Je suis l’inspecteur Richard Chari; on m’a dit que c’est vous qui avez appelé le 911; puis-je entrer?

Madame Pinchaud, habillée décemment, lui ouvrit la porte.

—Merci d’être restée disponible pour la police. Qu’est-ce qui vous a amenée à contacter le 911?
—Mon mari et moi sommes revenus du cinéma vers 22h30 et en entrant nous avons entendu pleurer Rachel; en s’approchant de la porte, j’ai constaté qu’il y avait du sang. Comme la porte était barrée, j’ai appelé immédiatement le 911 afin d’obtenir de l’aide. J’aurais pu entrer, car madame Marcotte m’avait laissé une clé au besoin, mais j’ai préféré attendre les policiers pour ne pas faire d’impair.
—Vous avez bien fait; est-ce que vous avez vu ou entendu quelques choses d’autres?
—Non, il faut dire que notre duplexe est calme et que Ginette vit actuellement seule avec son enfant.
—Que connaissez-vous de madame Marcotte?
—Elle a une petite fille de quatre ans et elle la conduit à la garderie lorsqu’elle travaille; madame travaille à l’aéroport Trudeau.
—Est-ce qu’elle reçoit beaucoup de visite?
—Je ne sais pas vraiment, mais c’est habituellement calme chez elle et je vous dirais qu’elle était passablement discrète, même si elle se montrait gentille lorsqu’on se croisait. Je lui ai déjà offert de garder son enfant pour la dépanner au besoin, mais elle n’a jamais fait appel à mes services.
—Depuis combien de temps habitez-vous ici?
—Sept ans.
—Et elle?
—Depuis un peu plus qu’un an, je crois.
—Je vous remercie madame Gamache et si vous vous rappelez quelque chose d’autre ou si vous voyez des rodeurs, transmettez vos informations à notre service des enquêtes au numéro sur ma carte.
—D’accord inspecteur…Chari.

Richard retourna à l’appartement de Ginette Marcotte. Michel, inspecteur adjoint, et l’équipe des prélèvements s’affairaient à compléter leur travail.

—Michel, comment vois-tu l’affaire?
—Eh bien chef, ça pourrait ressembler à un crime passionnel, vu l’attaque au couteau, mais il y a eu lutte et peut-être vol, alors je suis embêté. En plus, la porte extérieure était barrée et c’est la voisine, qui ayant une clé supplémentaire, nous a débarré.
—Bon, je m’attends à recevoir les rapports des différents techniciens, le plus rapidement possible.
—Je fais le suivi chef.
—Je jette un dernier coup d’œil et après tu pourras mettre le scellé, Michel.

Trente minutes plus tard, Richard avait fait le tour de l’appartement.

—Bon Michel, j’ai complété pour l’instant, alors je vais me reposer et à demain.
—À demain chef.

 

-2-

 

Richard Chari se leva tôt, malgré qu’il se soit couché tard hier, ayant complété son investigation sommaire vers deux heures. À sept heures, il était au bureau et il commença par appeler  Nick Chabot, le père de l’enfant.

—Oui?
—Ici, l’inspecteur Richard Chari; j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer et je veux vous rencontrer ce matin.
—Je peux vous rencontrer sans problème, mais je veux savoir de quoi il s’agit.
—J’ai le regret de vous annoncer le décès de Ginette Marcotte et…
—Quoi, Ginette est morte; quand est-elle morte?
—Hier, soit le 20 mai durant la veillée.
—Et Rachel?
—Elle va bien, elle est actuellement sous la garde de la DPJ.
—Pourquoi ne pas m’avoir appelé avant?
—Parce qu’hier soir, nous avons dû examiner la scène de crime et..
—Elle a été tuée?
—Oui et si vous êtes d’accord, je me rends chez vous pour vous informer davantage.
—Ok, je vous attends.

Richard se rendit rapidement à l’appartement de Nick. C’était le branlement de combat dans le logis; Murielle, la conjointe, tentait de faire un peu de ménage, alors qu’Hervé, deux ans, se promenait nu dans la pièce.

—Inspecteur, comment est-elle morte?
—Elle a été attaquée avec un couteau  et ce sont les voisins qui ont appelé le 911, après avoir entendu pleurer Rachel.
—Où est-elle? 
—Rachel a été confiée pour la nuit à la DPJ, qui lui a trouvé une famille d’accueil de dépannage; l’intervenante, Yvette Cloutier, devrait voir aujourd’hui qui peut s’occuper de l’enfant.
—Je suis le père et je veux m’en occuper.
—Je comprends mais cela est à discuter avec l’intervenante. De mon côté, j’ai besoin de savoir où vous étiez hier soir entre 18h et 22h30.
—Vous me soupçonnez?
—Pas particulièrement, même si on sait que les crimes sont souvent produits par des proches, des parents, des ex. Alors… Où étiez-vous hier soir?
—J’étais sur la route; hier après-midi, j’ai travaillé à Granby alors que je bûchais à réparer une photocopieuse. Je travaille pour Xérox depuis deux ans comme technicien.
—À quelle heure avez-vous quitté Granby?
—Il devait bien être 20h car après la réparation de l’appareil, j’ai été manger et j’ai pris une bière, une seule, afin de me relaxer de ma journée. En revenant, la circulation était lourde et j’ai été pris dans un «bouchon » qui s’est formé sur le pont Champlain, probablement à cause d’un accident. Finalement, je suis arrivé seulement à 22h. Murielle peut vous le dire.
—Oui, c’est vrai et il a même téléphoné après le travail pour dire de ne pas m’inquiéter, qu’il soupait à Granby et qu’il pensait être de retour vers 21h, si pas trop de circulation.
—Mais, il est arrivé vers 22h, dit l’inspecteur?
—Je vous l’ai dit inspecteur, il y a eu des problèmes de circulation; vous connaissez Montréal ou pas?
—Bien sûr…et vous avez certainement raison.

Alors que l’inspecteur s’apprêtait à se retirer, le téléphone sonna, c’était la DPJ semble-t-il. Richard les remercia et  laissa  Nick répondre à la DPJ. En retournant à l’auto, Richard se dit que la situation de Nick était complexe, qu’il n’a pas manifesté beaucoup de peine en apprenant le meurtre de son ex, qu’il pourrait avoir un mobile en regard de la garde de l’enfant  et que l’alibi n’était pas à toutes épreuves.
Vers 9h30, Richard retourna rapidement au poste afin de recevoir les parents de Ginette, qui  avaient été informés durant la nuit, par Michel Brossard, l’adjoint de l’inspecteur, du décès de leur fille. Même si elle devait se faire, la confirmation de l’identité de la défunte par les parents était une formalité, pour les policiers, mais elle fournissait aussi, aux parents, une occasion de rencontrer l’inspecteur Chari, responsable de ce dossier. C’est l’inspecteur lui-même qui reçut les parents.

—Monsieur Georges Marcotte?
—Oui et mon épouse Claire Théberge; quand pouvons-nous voir notre fille?
—Immédiatement; suivez-moi.

Les parents confirmèrent que la victime était bien leur fille et en retournant au bureau de Richard Chari, monsieur demanda :

—Qui a fait ça?
—Pour l’instant, nous ne pouvons rien dire, mais dès que nous aurons les résultats des différents prélèvements et analyses, nous pourrons commencer à faire le tri entre les nombreuses hypothèses à vérifier.
—Nombreuses hypothèses?
—Oui, ça pourrait être un vol qui a mal tourné, une vengeance, un acte de folie et peut-être même un agir suicidaire maquillé.
—Inspecteur, ma fille n’a jamais parlé de suicide et elle était heureuse de vivre, surtout depuis qu’elle avait rencontré Marc, dit madame Théberge.
—Les hypothèses sont proposées afin d’éviter des oublis. Qui pensez-vous aurait voulu du mal à votre fille?
—C’est sûrement Nick, dit le père.
—Comment ça?
—Nick n’est pas un gars tranquille, dit encore le père; il a commencé à sortir avec Ginette, il y a cinq ans, elle avait vingt-trois ans et lui vingt-deux. Il venait de compléter sa probation, suite à une introduction par effraction, lorsqu’il a rencontré Ginette qui disait que c’était un bon gars, malgré qu’il buvait et qu’il avait un fort caractère. La relation n’a pas duré longtemps, car il se montrait agressif, et nous croyons qu’il aurait déjà été aussi violent physiquement.
—Combien de temps sont-ils restés ensemble?
—Trop longtemps, dit le père. Il est parti trois mois seulement après l’accouchement; en fait, c’est Ginette qui l’a mis dehors lorsqu’elle a su qu’il couchait avec d’autres femmes. Il n’a pas nié et il a exigé des droits de visites pour l’enfant.
—Comment cela se passait-il?
—Pas très bien, dit la mère; il ne respectait pas les ententes et il nous a même menacés de représailles, si nous ne lui permettions pas de voir Rachel alors que nous gardions l’enfant, vu que Ginette devait aller travailler.
—Quels étaient ses droits de visite?
—Simplement une fin de semaine sur deux, précisa la mère; cependant, Ginette a parfois plié afin d’éviter des chicanes.
—De qui Ginette était-elle proche?
—On se voyait régulièrement, on gardait souvent l’enfant et Ginette aimait bien son frère Jocelyn, dit la mère.

Le père n’ajouta rien mais se pinça les lèvres.

—Monsieur parlez-moi de votre fils.
—Il a trente ans et il  travaille chez Provigo de nuit.
—Quels étaient les liens avec sa sœur?
—Il pouvait la surprotéger un peu, dit la mère; vous savez comment sont les grands frères.
—Est-ce que vous l’avez informé du décès de Ginette?
—Oui, dès que nous avons su, dit la mère, vu qu’il ne travaillait pas la nuit passée.
—Pouvez-vous me donner ses coordonnées afin que je puisse le rencontrer, il aura peut-être des pistes à me fournir?
—Il reste au 1530 St-Denis, appartement 17, précisa le père.
—Quand avez-vous prévu les obsèques?
—Dans deux jours, dit la mère.

Richard remercia les deux parents, et un peu par pudeur, mais surtout suite à ses observations, il ne demanda pas aux parents leur emploi du temps, hier le 20 mai. Richard téléphona ensuite à Jocelyn et ils ont convenu d’une rencontre à son domicile au début de l’après-midi. À 13h30, Richard sonna à l’appartement de Jocelyn.

—Une minute…Richard entendit du bruit et alors la porte s’ouvrit
—Bonjour, je suis l’inspecteur Richard Chari, puis-je entrer?

Jocelyn mesurait environ 1,80m, était musclé mais paraissait nerveux de rencontrer l’inspecteur. L’appartement n’était pas très bien rangé, comme si Jocelyn avait fait la bringue la veille.

—Vous savez que votre sœur est décédée hier soir?
—Oui mes parents m’ont informé. Comment est-elle morte?
—Vous ne savez pas?
—Non, ma mère n’a pas pu préciser cette nuit.
—Malheureusement, elle a été assassinée et c’est pour cela que je suis ici.
—Pourquoi, vous pensez que je voulais du mal à ma sœur?
—Non, je suis convaincu du contraire, du moins si l’on se fie à ce que vos parents disent.
—Qu’est-ce qu’ils disent?
—Ils racontent que vous aimiez bien votre sœur et même que vous pouviez la protéger, surtout depuis la séparation d’avec Nick.
—Oui, celui-là, je ne le « trust »pas; il a déjà été violent envers elle et il y avait encore des conflits à cause de la petite.
—Croyez-vous qu’il aurait pu aller jusqu’à poignarder Ginette?
—Ça ne m’étonnerait pas. L’avez-vous déjà rencontré?
—Oui, il a présenté un alibi.
—Quand avez-vous vu votre sœur pour la dernière fois?
—Jeudi le 13 mai, au souper; elle semblait préoccupée.
—Comment ça?
—Rien de clair; on se voyait environ une fois par mois pour un petit souper; j’apportais habituellement du St-Hubert et nous parlions de choses et d’autres. De ce temps-ci, elle était en amour avec Marc Gélinas, un gars qui travaille aussi à l’aéroport. Malgré cela, je la sentais inquiète; je croyais que c’était encore Nick qui lui faisait la vie dure, mais il semblait y avoir quelque chose de plus.
—Qu’est-ce que ça pourrait être?
—Si ce n’est pas son ex, j’ai l’impression que ses tracas étaient reliés au travail, car pour le reste ça semblait aller bien. Les relations avec nos parents étaient positives, l’enfant fonctionnait bien et elle ne se montrait pas trop agressive envers moi, même lorsque je lui disais qu’elle devrait être plus ferme avec Nick, qui jouait sur les droits de visite pour la petite.
—Est-ce qu’il pourrait y avoir eu une dispute avec Nick?
—C’est bien possible; cependant maintenant, je n’aimerais pas que ce  soit  lui qui ait tué Ginette, car je me sentirais coupable d’avoir peut-être provoqué une dispute, en incitant Ginette à se montrer plus ferme face à ce salaud.
—Monsieur Marcotte, je vois bien vos bonnes intentions pour votre sœur, mais j’ai besoin de savoir votre emploi du temps hier, le 20 mai entre 18h et 22h30.
—Comme vous le voyez, j’habite seul; si j’avais une « blonde », elle aurait pu me servir d’alibi, alors que je dois vous dire que je suis resté seul à la maison à écouter le hockey; comme vous le savez c’est le temps des séries et les parties sont passionnantes. Si Ginette avait aimé le hockey, nous aurions pu l’écouter ensemble et elle ne serait pas morte. J’aurai pu aussi juste l’appeler afin de savoir comment elle allait, vu l’impression qu’elle m’avait laissée la semaine passée.
—Est-ce que vous vous sentez coupable du décès de votre sœur?
—Pas directement, mais après coup, je me dis que si j’avais été plus attentif, attentionnée, etc., elle ne serait peut-être pas morte. Inspecteur, est-ce que son décès pourrait être un suicide?
—Pourquoi demandez-vous cela?
—Je ne sais pas; si elle était vraiment tracassée et qu’elle ne voyait pas de solutions. Ah non, c’est une idée de fou; elle n’aurait jamais fait cela, car malgré ses difficultés, elle aimait la vie et surtout tenait à ce que sa fille puisse bien se développer. Elle était passablement mère-poule.
—Dernière chose, monsieur Marcotte; connaissiez-vous Marc Gélinas?
—Seulement par ce que Ginette m’en disait; il semblait un bon gars; en tous cas, elle avait espoir…Il faut dire qu’elle paraissait vraiment en amour avec cet homme, qui aurait trente-quatre ans.
—Comment pourrais-je le rejoindre?
—Il travaille à l’aéroport, mais je ne sais pas dans quelle fonction; cependant, dans le cellulaire de Ginette, vous trouverez certainement son nom et son numéro de téléphone.
—Merci bien monsieur Marcotte, si vous trouvez des pistes, appelez-moi car je veux, autant que vous,  trouver l’assassin de votre sœur.
—OK.

Richard retourna alors à son bureau afin de voir si les techniciens  avaient identifié quelques pistes et aussi pour examiner le cellulaire de Ginette, afin de contacter l’amoureux de celle-ci. Au labo, on lui rétorqua qu’il était bien pressé et que les échantillons devaient être comparés à une banque de données afin de pouvoir révéler quelque chose. Richard savait pertinemment aussi que les empreintes ne servaient souvent qu’à confirmer le crime du suspect identifié; sans les empreintes ou l’ADN du suspect, les échantillons recueillis ne servaient à rien et il fallait souvent une inculpation pour forcer un suspect à livrer des échantillons. Si tout le monde était fiché, ce serait idéal pour le policier, mais les droits de l’homme ne le permettent pas et avec raison, se dit-il. Richard eut plus de chance avec le téléphone de Ginette; en effet, il a relevé le numéro de Marc Gélinas et il a même pris rendez-vous pour la veillée.

—Monsieur Marc Gingras?
—Oui c’est moi, vous avez dit que vous vouliez me parlez. Que voulez-vous, inspecteur?
—Vous connaissez Ginette Marcotte?
—Bien sûr, c’est ma nouvelle amie?
—Malheureusement, je dois vous informer qu’elle est décédée hier?
—Que dites-vous? Comment?
—Elle a été tuée à coups de couteau hier soir.
—Ce n’est pas possible, ce n’est pas juste. C’était une bonne personne et tout le monde l’aimait à l’aéroport.
—Depuis combien de temps que vous la connaissiez?
—Depuis que j’ai commencé à travailler à l’aéroport, soit un peu plus qu’un an; cependant nous avons commencé à nous fréquenter seulement depuis janvier de cette année et je devais la voir demain.
—Que faites-vous à l’aéroport?
—Je travaille chez St-Hubert Express, comme gérant de la succursale.
—Comment avez-vous rencontré Ginette?
—Elle vient…venait parfois manger à notre restaurant avec le groupe qui s’occupe de l’inspection des bagages; il y a quelques mois, elle venait manger plus souvent à notre restaurant, même si une partie du groupe mangeait ailleurs; ses collègues faisaient des farces et dans mon équipe, on disait que j’étais le seul à ne rien voir.  Finalement, j’ai osé lui demandé si elle accepterait de venir prendre un café avec moi et, à ma grande surprise, elle a accepté. Depuis janvier, nous nous voyons alors deux ou trois fois par semaine, lors de nos pauses, entre nos chiffres; j’ai été aussi chez elle dernièrement avant de nous rendre à souper chez ses parents.
—Désolé de vous demander cela, mais où étiez-vous hier soir entre 18h et 22h30?
—Je jouais aux quilles. À tous les mercredis, je joue entre 19h à 22h à la salle de Quilles Boisvert.
—Même si vous dites que tout le monde l’aimait au travail, pensez-vous que quelqu’un de son entourage aurait pu lui en vouloir?
—Je ne sais pas; elle disait que ça allait bien et que les gens étaient gentils, même s’il y avait parfois du stress, car inspecter les bagages semble plus compliqué qu’on pense. Elle était dans le syndicat des employés de manutention, mais nous en n’avions peu parlé car on apprenait à se connaître.
—Merci monsieur Gingras et toutes mes condoléances.

Richard retourna directement chez lui et demain, le 22 mai, il ira voir certains collègues de Ginette à l’aéroport. Pour lui, Marc Gingras, ne paraissait pas suspect, même s’il avait peut-être plus d’informations qu’il ne le croyait; une fois le choc passé, peut-être que des impressions lui reviendraient et pourraient aider à la résolution de cette affaire.

 

-3-

 

Vendredi matin le 22 mai, Richard se rendit voir Nicolas, le médecin légiste.

—Bonjour Nicolas.
—Salut Richard, que nous vaut l’honneur?
—Devine?
—Moi qui pensais que tu voulais m’apporter un café.
—Donne-moi des bonnes pistes et la prochaine fois, je te payerai une bière.
—Ah si tu me prends par les sentiments! Eh bien, peu de nouvelles, même si le rapport n’est pas finalisé, je peux te confirmer que la cause du décès est bien les coups de couteau; il y en a eu trois d’ailleurs; il n’y a pas eu d’agression sexuelle, mais il y a eu une lutte car madame Marcotte avait des particules de peau, sous les ongles, et ces particules pourraient être à l’agresseur. À part cela, rien de spécial; le corps a été récupéré par le thanatologue et tu sais que les obsèques sont demain.
—Oui, je sais, merci.
—Brandon, qu’as-tu trouvé au niveau des empreintes et autres?
—Toute une panoplie; d’après moi, elle n’a pas eu le temps de nettoyer dernièrement et l’assassin n’a pas fait le ménage non plus.
—Concrètement Brandon?
—À l’exception du couteau, qui a été bien nettoyé et qui vient confirmer la thèse du meurtre, nous en avons plusieurs. Cependant pour l’instant, aucune de ces empreintes n’est dans notre base de données.
—Alors le meurtrier n’est pas un criminel fiché ou bien, il n’a laissé aucune empreinte lors de ses délits précédents.
—Nicolas?
—Quoi, tu m’apportes mon café?
—Demain…mais pour l’instant, peux-tu confirmer que c’est bien un homme qui a utilisé le couteau?
—Oui, dans quatre-vingt pour cent des cas; cependant, le fait qu’elle ait été poignardée à trois reprises pourrait indiquer que la personne n’a pas frappé très fort et que ça pourrait être une femme; ceci dit, il y a aussi des femmes qui auraient eu la force de la tuer d’un seul coup de couteau; alors on ne peut vraiment rien dire.
—C’est aussi pire que les prédictions de la météo…et ton café refroidit, Nicolas!!
—Brandon?
—Oui, Richard?
—Peux-tu être plus précis que notre médecin…Nostradamus? 
—Sûrement…si tu m’apportes des échantillons de tes suspects et à moi aussi un café.
—Arrêtez les gars, vous allez me ruiner…Je ne suis pas un sénateur à Ottawa, mais seulement un inspecteur à Montréal.
—Vas-t-en avant de nous faire pleurer sur ton sort.
—À la prochaine, les gars.

Pour Richard, tout le travail restait à faire et il espérait que sa visite à l’aéroport lui donnerait plus de pistes car, pour l’instant, il n’avait rien de précis. Malgré son alibi, Nick, l’ex de Ginette, était son seul suspect alors que Jocelyn, frère de la victime, tout en n’ayant pas d’alibi, ne présentait pas de mobile et que Marc, son nouvel amoureux, semblait avoir un alibi qui serait difficile à défaire s’il était confirmé; Richard n’avait pas fait encore la vérification, mais il ne doutait pas des dires de Marc.

 

-4-

 

Richard était à l’aéroport vers 11h, il  rencontra d’abord Raymond Genest, le directeur du personnel qui avait été informé du décès de madame Marcotte; ce dernier orienta cependant Richard vers Dominique Vibert, qui gérait les équipes de manutention et de l’inspection des bagages.

—Monsieur Vibert? Je suis l’inspecteur Richard Chari et j’enquête sur le meurtre de Ginette Marcotte.
—J’ai été informé par monsieur Genest du décès de Ginette.
—Vous la connaissiez bien?
—Passablement, car elle travaillait pour nous depuis déjà six ans.
—Que pouvez-vous m’en dire?
—C’est…c’était une bonne travaillante; elle connaissait bien son travail et je pouvais me fier à elle. Elle faisait partie de l’exécutif du syndicat, mais elle n’était pas maniaque, même si elle demandait des améliorations pour tenter de rendre les tâches plus faciles.
—Et dans ses relations?
—Pas de problème avec l’autorité ni à se faire respecter; en fait, elle semblait avoir de bonnes relations avec la majorité. Peut-être un peu de tension avec Clara, l’autre femme de l’équipe.
—Quoi, il n’y a que deux femmes dans votre équipe?
—Oui inspecteur et Clara  Fortin semblait agacée par le lien que Ginette avait avec Daniel.
—Comment cela?
—Je ne sais pas si c’était la relation que Ginette avait avec Daniel ou l’influence qu’elle semblait avoir sur lui qui irritait Clara, mais on sentait que Clara n’aimait pas Ginette et que Clara avait un faible pour Daniel.
—Avec les autres gars?
—Ginette avait réussi à se faire respecter et même à se faire amie avec eux.
—Est-ce qu’elle avait une relation amoureuse avec un des gars de l’équipe?
—Non, je crois qu’elle a su bien gérer ses relations afin qu’ils la considèrent comme une des leurs, au lieu d’être une fille qu’on cherche à séduire.
—Avec vous, comment était-elle?
—Comme je vous l’ai dit auparavant, elle était respectueuse de la hiérarchie et nos discussions étaient courtoises.
—Est-ce que son comportement avait changé dernièrement?
—Je n’ai rien remarqué; cependant, maintenant que vous me le faites penser, deux jours avant son assassinat, elle m’avait dit qu’elle voulait me parler; cependant, je n’ai aucune idée de ce qu’elle voulait me raconter ou me demander.
—Qui était le plus proche d’elle?
—Je dirais, le président du syndicat, Daniel Després.
—Est-ce que je pourrais le rencontrer ainsi que Clara Fortin?
—Clara aura sa pause dans dix minutes et je pourrais ensuite remplacer Daniel quelques minutes pour que vous puissiez lui parler.
—Je m’installe où?
—Prenez mon bureau, je vais aller prévenir Clara.

Dominique Vibert alla chercher Clara, qui paraissait inquiète lorsqu’elle fut présentée à l’inspecteur Chari.

—Bonjour madame Fortin; j’aimerais vous parler de Ginette Marcotte.
—Je m’en doutais bien.
—Et pourquoi cela?
—Car dans une équipe, il y a toujours des préférés et des jaloux.
—Des jalouses?
—Non, je n’étais pas jalouse d’elle, même si elle me tapait sur les nerfs.
—Comment ça?
—Elle réussissait à attirer l’attention des gars et ceux-ci se montraient gentils avec elle, rarement des farces plates.
—Alors qu’ils étaient plus durs avec vous?
—Oui et je ne sais pas pourquoi; pourtant elle ne valait pas plus que moi.
—Est-ce qu’il y un gars qui était plus près d’elle que les autres?
—J’ai remarqué que Daniel Després était passablement proche, mais je présume que c’est parce qu’ils étaient tous les deux dans le syndicat.
—Des rumeurs disent que vous aviez un intérêt particulier pour Daniel?
—Oui et je crois que c’est réciproque, même s’il n’ose pas le montrer pour éviter des commérages.
—Je vois, merci de votre honnêteté; est-vous déjà allée à l’appartement de madame Marcotte?
—Non, nous étions plus collègues qu’amies, vous savez.
—En terminant, la fameuse question de l’alibi; où étiez-vous mercredi le 20 mai entre 18h et 22h30?
—J’ai travaillé jusqu’à 19h et après j’ai fait mon épicerie avant de retourner chez moi.
—Est-ce que quelqu’un peut confirmer cela?
—Je ne pense pas, et je ne crois pas avoir besoin d’un alibi, car je n’ai rien fait contre elle, même si parfois, j’aurais souhaité que madame ne prenne pas toute la place.
—Merci encore de votre franchise, madame Fortin, en espérant que je n’aurai pas gâché votre journée.
—Non inspecteur, même si ma pause vient d’y passer.

Richard retrouva Dominique non loin du bureau et il demanda s’il pouvait maintenant rencontrer Daniel Després; comme convenu, Dominique alla remplacer Daniel qui se pointa quelques minutes plus tard; il semblait un peu nerveux.

—Bonjour monsieur Després, comment allez-vous?
—Pas très bien, étant donné les circonstances.
—Est-ce que vous étiez proche de Ginette?
—Professionnellement oui.
—Et personnellement?
—Oui aussi, mais au niveau de l’amitié et non d’une relation amoureuse; pas parce qu’elle n’était pas attirante, mais parce que je me suis toujours dit qu’il ne faut pas mêler travail et amour.
—Est-ce qu’il y aurait quelqu’un qui lui en voulait?
—Je ne vois pas, à part Clara qui semblait jalouse d’elle.
—Les avez-vous déjà vues se chicaner?
—Pas directement, car les filles sont habituellement subtiles, mais Clara faisait des remarques qui ne laissaient pas de doute.
—Est-ce que Ginette était au courant?
—Oui et on dirait qu’elle s’en foutait, à moins qu’elle ait fait exprès pour se moquer de Clara, qui n’a pas les capacités relationnelles de Ginette.
—Est-ce que Clara aurait pu aller jusqu’à la tuer?
—Je ne crois pas, même si elle a sûrement désiré la disparition de Ginette.
—Est-ce qu’il y aurait un gars qui aurait été éconduit et qui aurait voulu se venger?
—Non plus, inspecteur; Ginette avait sa place dans l’équipe, comme une bonne collègue de travail et non seulement comme une femme, et les gars savaient qu’elle avait un ami depuis quelques mois.
—Quand vous dites que vous étiez proches professionnellement, vous entendez quoi par ça?
—Bien, on travaille dans la même équipe, soit sous la responsabilité de Dominique et nous travaillions ensemble au niveau du syndicat.
—Est-ce que Dominique Vibert, le gérant, aurait pu lui en vouloir en regard des demandes syndicales ou autres?
—Malgré les différents et les demandes, Ginette réussissait à faire en sorte que les gens analysaient ses demandes sans trop d’agressivité et aussi Ginette était respectueuse des ententes et de la hiérarchie.
—Qu’est-ce qu’elle voulait révéler à Dominique deux jours avant sa mort?
—Aucune idée.
—C’est Dominique lui-même qui a dit qu’elle voulait lui parler, vous ne saviez pas?
—Nous étions des amis, mais elle ne me disait pas tout.
—De votre côté, quand l’avez-vous vue pour la dernière fois; il y a environ trois jours, soit mardi le 19 mai, alors que nous étions tous les deux au travail. Presque toute l’équipe a mangé à la cafétéria et Ginette semblait un peu plus réservée ce jour-là.
—Est-ce qu’il y avait une chose qui aurait pu expliquer ce changement d’attitude?
—Je ne vois pas autre chose que la tension qui existait entre Ginette et Clara.
—Est-ce que Clara était présente à ce dîner?
—Oui et Clara a fait une remarque inaudible lorsqu’elle est passée près de Ginette.
—Comment Ginette a-t-elle réagi?
—Comme si de rien n’était.
—Est-vous déjà allé à l’appartement de Ginette?
—Oui pour du travail en regard avec le syndicat; j’y pense inspecteur, cela aurait pu laisser croire que Ginette et moi avions une relation plus « personnelle ».
—Avez-vous déjà eu des remarques à ce niveau?
—Oui, certains gars ont fait des allusions, mais tout le monde en riait car on savait qu’il n’en était rien; cependant, Clara ne riait pas autant que les autres.
—Pensez-vous que Clara serait amoureuse de vous?
—Je ne sais pas; en tous les cas, moi je ne suis pas amoureux d’elle car elle n’est pas mon « type » et en plus, comme je vous ai dit tantôt, je ne mêle pas amour et travail, car je sais que cela peut être parfois explosif.
—Vous vous êtes blessé à la figure?
—Bien oui, une éraflure en me rasant, il y a quelques jours.
—Vous ne vous êtes pas manqué.
—oui, je sais.
—La soirée du meurtre, que faisiez-vous entre 18h et 22h30?
—Son décès est bien mercredi le 20 mai?
—Oui, ça ne fait que deux jours, vous devriez vous rappeler.
—Évidemment, mais je suis encore un peu perturbé par tout cela et je sais que les obsèques sont demain. Donc mercredi soir, j’étais allé voir un film.
—Seul?
—Oui, cette fois; je voulais aller voir le nouveau James Bond sans attendre.
—À quelle heure le film a-t-il fini?
—Vers 22h, je crois; j’avais choisi la présentation de 19h30 et le film dure plus de deux heures vous savez.
—Très bien monsieur Després, merci pour toutes ces informations.

L’inspecteur fit le bilan de ses rencontres en retournant à son bureau; curieusement le bouchon de circulation le laissait indifférent aujourd’hui, car il était dans ses pensées. Clara Fortin pouvait être considérée comme suspect étant donné ses aspects relationnels et le fait que l’alibi n’était pas à toutes épreuves; quant à Daniel Després, son alibi était facile et pouvait être bidon, mais aucun mobile ne transpirait de ce collègue de Ginette. Richard se demanda aussi s’il y avait un lien entre le fait que Ginette voulait parler à Dominique Vibert, son gérant, et son assassinat deux jours plus tard. Est-ce qu’il y avait quelqu’un qui avait intérêt à obtenir son silence et pourquoi?
Il était passablement tard lorsque Richard arriva à son bureau  mais il se rendit quand même voir les techniciens, car il avait besoin d’éléments supplémentaires pour relancer son enquête qui ne progressait pas à son goût.

—Il y a quelqu’un?
—Oui inspecteur, que me vaut l’honneur?
—Je viens voir si tu as eu ton café…Brandon.
—Il est bu depuis longtemps, je m’apprêtais à aller porter ce rapport à ton assistant avant d’aller à la bière.
—Brandon, je vais te sauver du temps et en plus te payer une bière, apporte ton rapport.
—Si tu me prends par les sentiments Richard, je ne peux refuser cela.

Les deux collègues se suivirent et se rendirent au bar « Chez Roger ». Malgré son nom banal, ce petit bar, pas très loin du poste de police, offrait une ambiance calme et une intimité appréciée des policiers, qui parlaient toujours de travail, même après les heures de travail. Aujourd’hui ne faisait pas exception.

—Bon Brandon, qu’est-ce que je peux tirer de ton rapport?
—Pour l’instant, rien d’important.
—Comme ça, tu as réussi à me soutirer une bière, sans rien donner; il va falloir que j’en parle à la section des fraudes.
—Si tu m’apportes des os, je vais te faire une bonne soupe. Dans le rapport, je dis que le légiste n’a rien trouvé d’anormal.
—Ça je le savais déjà; est-ce que tu as du matériel utilisable?
—Malheureusement presque rien. Cependant, je peux te confirmer que les particules sous ses ongles ne proviennent pas d’elle; elle aurait possiblement été en contact étroit avec une personne avant de mourir.
—Particules de quoi?
—De peau.
—C’est tout ce que tu as Brandon?
—Nous avons aussi plusieurs empreintes qui ne lui appartiennent pas ainsi que d’autres éléments, dont surtout des bouts de cheveux.
—Que peux-tu faire avec ces éléments?
—Beaucoup si tu me payes une autre bière…je veux dire si tu m’apportes des empreintes et des échantillons d’ADN des personnes que tu suspectes.
—Je me doutais bien que je devrais aller faire cette collecte. 
—Eh oui, la machine, est comme l’homme, elle a besoin d’être alimentée.
—Merci bien Brandon et dès demain, je vais tenter de nourrir ta machine.

Richard repartit avec le rapport et, en veillée, il y jeta un regard plus attentif; l’analyse détaillée n’apportait cependant rien de plus au résumé de Brandon. Vu qu’il n’avait pas encore un suspect véritable, malgré certains doutes pour Clara Fortin, collègue, et pour Nick Chabot, son ex, Richard se demanda si en fait l’hypothèse du meurtre relié à un vol pouvait être plausible ou si elle était seulement une mise en scène par le meurtrier; en fait, malgré qu’il y eu des marques sur la serrure, rien n’indiquait qu’il y a eu véritablement un vol et si oui, qu’est-ce que le voleur aurait dérobé. Beau temps, mauvais temps, semaine, fin de semaine, Richard est sur son enquête. Avant de fermer boutique, il rejoignit Nick Chabot.

—Monsieur Nick Chabot?
—Oui inspecteur, que me vaut l’honneur d’un appel à une heure si avancée?
—Je sais et je m’en excuse, mais j’aimerais savoir s’il était possible pour vous de venir au bureau demain matin, disons vers 10h afin que je puisse éclaircir quelques points?
—Vous me soupçonnez parce que vous n’avez pas trouvé de suspect?
—Effectivement, je n’ai pas de suspect concluant et cela m’aiderait si je pouvais vous  retirer de ma liste; vous deviez vous imaginer que vous seriez soupçonné un peu quand même?
—Eh oui, les ex sont toujours perçus comme des moins que rien hein?
—J’aimerais aussi que vous acceptiez que l’on puisse prendre vos empreintes et que l’on fasse un prélèvement d’ADN.
—Vous y allez fort, c’est comme si j’étais déjà coupable pour vous, non?
—Pas du tout monsieur Chabot, mais si je veux trouver l’assassin de la mère de votre fille, je dois d’abord être capable de réduire ma liste de suspects, comme je viens de vous le dire.
—Je vais y aller, mais je dois être aux obsèques demain au plus tard à 13h30.
—Pas de problème, nous aurons fini sûrement pour le dîner. Merci bien et à demain matin.
—Ouah!

 

-5-

 

À 9h50 le lendemain, Nick Chabot se présenta au poste.

—Oui? Demanda la réceptionniste.
—J’ai rendez-vous avec l’inspecteur Richard Chari vers 10h.
—Vous vous appelez?
—Nick Chabot.
—Je vais le prévenir  immédiatement et Nicole se leva. Nick ne remarqua pas la beauté de cette femme, tant il était insécure et préoccupé; il n’eut pas le temps de s’inquiéter davantage.
—Monsieur Chabot, merci de votre présence et de votre ponctualité; passons dans mon bureau.
—Est-ce que vous voulez un café?
—Je ne dis pas non.

Tout en préparant les deux cafés.

—Comment allez-vous ce matin, monsieur Chabot?
—À vrai dire, pas très content d’être ici.
—Comment va votre petite Rachel?
—Je ne l’ai pas vu depuis le décès de Ginette car elle est allée en famille d’accueil et ensuite, la DPJ a demandé aux parents de Ginette de s’en occuper au lieu de me permettre de jouer mon rôle de père; trouvez-vous cela juste, vous?
Richard évita de répondre pour ne pas s’embarquer dans des situations aussi complexes.
—Je suis déçu pour vous; est-ce que vous avez la possibilité de voir quand même votre fille?
—Seulement, une fois par semaine et sous surveillance d’une tierce personne. J’ai comme l’impression que la DPJ croit que je suis coupable du meurtre et alors, ils ne prennent pas de risque.
—C’est possible monsieur Chabot; c’est pour cela que notre entretien peut vous être utile, si vous pouvez me démontrer que vous êtes innocent.
—Nous ne sommes pas innocent, jusqu’à preuve du contraire?
—Au niveau de la justice certainement, mais au niveau des affaires sociales, les antécédents et les risques sont pris en compte dans les décisions.
—Bon allons-y; qu’avez-vous à me demander que vous ne sachiez déjà?
—Pourquoi était-ce Ginette qui avait la garde de Rachel?
—Elle désirait l’obtenir et les juges de la Cour du Québec sont habituellement en faveur des mères plutôt que des pères.
—Je connais des pères qui s’occupent de leur enfant alors que la mère n’a que des droits de visite; qu’est-ce qui a fait pencher la balance du côté de Ginette?
—Elle avait un bon emploi et ses parents étaient près, alors que, moi, je dois voyager pour mon travail et mes parents sont moins disponibles.
—Est-ce que la plainte pour violence à jouer contre vous?
—Vous savez ça vous?
—Évidemment.
—C’est très facile de porter plainte et Ginette en a profité pour me discréditer; je n’ai été accusé finalement de rien, mais cette histoire me suit encore après plus de trois ans.
—Est-ce que vous lui en vouliez de cela?
—Évidemment, mais on ne peut pas le montrer car c’est rendu tolérance zéro.
—Comment étaient vos relations avec la mère lorsque vous exerciez vos droits  de contacts avec Rachel?
—Je restais poli et je tentais d’éviter les problèmes; cependant, je trouvais qu’elle manquait de flexibilité dans les droits de visite et…
—Cela vous enrageait?
—Non, j’aimais ça…; bien sûr que ça m’agaçait.
—Est-il arrivé quelque chose de spécial lors du dernier contact avant l’assassinat de Ginette?
—Avec Rachel vous voulez dire?
—Non avec Ginette?
—J’ai vu qu’elle semblait agressive ou inquiète, les femmes sont difficiles à décoder pour moi; cependant, pour une fois, ça ne semblait pas relié à moi. Je lui ai demandé…Qu’est-ce que j’ai fait encore? Elle m’a répondu que j’avais du retard, mais après, elle s’est excusée, c’est rare cela, pour dire qu’elle avait passé une semaine assez stressante au travail.
—Lui avez-vous demandé ce qu’il en était?
—Non, j’évite de jeter de l’huile sur le feu; certains disent que j’ai la mèche courte, alors…
—Rappelez-moi donc où vous étiez mercredi le 20 mai entre 18h et 22h30.
—Vous perdez la mémoire inspecteur ou si c’est simplement pour me tester?
—Les deux.
—Eh bien, je suis allé travailler à Granby.
—Auprès de quelle compagnie?
—Nilican, j’y ai réparé une photocopieuse que je vous avais dit. 
—Où avez-vous soupé, car vous dites que vous avez mangé à Granby?
—J’ai été prendre une bière et manger à la Cage; je suis parti de Granby vers 20h et c’est à cause d’un bouchon sur le pont Champlain que je ne suis arrivé qu’à 22h à la maison; c’est enregistré ou bien, je dois vous le répéter?
—Un petit comique; l’arrogance envers un inspecteur n’est habituellement pas très profitable, monsieur Chabot.
—Je sais, je m’excuse, mais je suis « tanné » de passer pour un meurtrier et de devoir répéter la même histoire.
—Pas facile avec le caractère que vous avez, monsieur Chabot. Nous allons maintenant passer à la prise des empreintes et de l’échantillon d’ADN, si vous êtes d’accord?
—Est-ce que j’ai le choix?
—Vous pouvez refuser, mais si vraiment vous n’avez rien à vous reprocher, je crois que c’est même payant pour vous d’y consentir.
—Allons-y et j’espère qu’après cela, vous croirez plus à ma version?
—Je l’espère aussi monsieur Chabot et merci de votre collaboration.

Après le départ de Nick Chabot, Richard se disait que Nick faisait un bon suspect, il a le caractère, un mobile et un alibi qui n’est pas solide. Cependant, se pourrait-il que cet homme puisse être innocent, malgré les apparences et les impressions qu’il laisse. Son innocence n’est pas évidente, mais la culpabilité n’est pas facile à démontrer non plus.
En après-midi, Richard se rendit aux funérailles de Ginette; discrètement il observa les convives et il ne remarqua rien d’inhabituel. À l’exception de Clara Fortin, les collègues de travail ont fait acte de présence; les grands-parents s’occupaient de Rachel tout en recevant les condoléances, Jocelyn semblait plus proche de Marc Gélinas que de Nick Chabot et les amis ainsi que les connaissances se questionnaient sur les circonstances du drame.

 

-6-

 

Lundi le 25 mai, Richard Chari téléphona aux grands-parents.

—Oui?
—Ici, l’inspecteur Chari.
—Avez-vous trouvé le meurtrier de ma fille, demanda Georges Marcotte, père de la victime?
—Non mais j’y travaille et pour m’aider, j’aurais besoin d’obtenir un peu d’ADN de Rachel.
—À quoi ça peut servir; est-ce que Rachel, une enfant de quatre ans, pourrait être un suspect?
—Évidemment que Rachel n’est pas suspectée, mais son ADN pourrait nous aider à diminuer ma liste de suspects et à me rapprocher du meurtrier; est-ce possible pour vous de venir dès ce matin?
—Nous pourrions être au poste vers 11h; est-ce que c’est une procédure qui est longue?
—Ça ne prend pas de temps et ce n’est pas douloureux. Alors vers 11h.

Le prélèvement fut effectué tel que convenu par un technicien qui l’emporta au labo rejoindre le prélèvement de Nick Chabot; ces prélèvements seront comparés aux particules que Ginette avait sous certains ongles. Richard misait beaucoup sur cet aspect en espérant que ces particules n’appartiennent pas à Ginette elle-même, elle aurait pu se gratter, ni à sa petite, Ginette aurait pu lui arracher certaines particules en lui donnant ses soins ou lors d’un autre contact. Si ces particules correspondaient à l’ADN de Nick Chabot, alors ce dernier deviendrait probablement le suspect numéro un, sinon, qui pourrait être responsable de cet assassinat. Richard se dit qu’il doit aussi vérifier si ces particules pourraient correspondre à l’ADN de Jocelyn, le frère de Ginette, ou de Marc Gélinas, son nouveau prétendant. Il les contacta et obtint leur collaboration lorsqu’il leur expliqua que cette procédure pourrait faire avancer son enquête. Jocelyn et Marc ont accepté alors de se rendre au poste le lendemain et ils ont tenu parole. Le technicien a pu prélever les échantillons sans problèmes. Richard était bien tenté de demander aux collègues de Ginette de lui fournir aussi empreintes et prélèvements, mais avant d’aller dans cette direction, il préférait attendre les résultats des échantillons déjà prélevés. Donc, le 27 mai en après-midi, Richard se rendit au bureau du Brandon, le spécialiste des empreintes et de l’analyse des échantillons.

—Bonjour Brandon, je t’ai apporté un café et un aussi pour Nicolas, même si je ne suis pas certain qu’il le mérite!!
—Monsieur voudrait qu’on lui donne toutes les réponses, répondit Nicolas.
—Je sais que, dans cette affaire, le corps n’a pas révélé de grands secrets, mais, au moins, Nicolas tu nous a quand même permis d’éliminer des hypothèses et cela nous fait sauver du temps, donc voici ton café.
—Merci Richard, quelle générosité!!
—Hé moi, est-ce que je vais l’avoir ou pas ce café?
—Toi, ça dépend de ce que tu as à me donner.
—J’ai de bonnes nouvelles pour toi; est-ce que je peux avoir le café?
—Est-ce que les nouvelles sont assez bonnes pour valoir un café?
—Bien sûr Richard.
—J’ai toujours aimé prendre des risques, tiens goûtes-moi ça.
—Pas pire le café.
—Alors qu’as-tu?
—J’ai plusieurs empreintes et cheveux qui n’appartiennent pas à Ginette ni à sa petite.
—Ça ne m’avance pas vraiment.
—Attends un peu; j’ai des empreintes et aussi des cheveux qui appartiennent aux échantillons que tu m’as apportés; on y identifie évidemment Rachel, Jocelyn, Nick et Marc. Cependant, j’ai encore d’autres éléments qui ne semblent pas correspondre à ces personnes.
—Je sais que Daniel Després est allé à l’appartement de Ginette et je me demande s’il y a d’autres collègues qui y seraient aussi allés.
—Apporte-moi des empreintes et des échantillons d’ADN de ces personnes et on pourra éclaircir un peu plus le mystère.
—Je risque d’avoir des réticences, si le meurtrier est parmi eux.
—Ça c’est ton boulot; tu obtiens les échantillons et gratuitement je te fais l’analyse.
—Gratuitement tu dis, hé le café alors; je m’attendais à quelques choses de plus spectaculaire, Brandon.
—Eh bien, si tu veux du spectaculaire, va voir le Cirque du Soleil. Sans être spectaculaire, je peux aussi te dire que les particules, sous les ongles de la main droite de Ginette, ne correspondent pas aux échantillons analysés.
—Bon,  enfin une bonne nouvelle; cela pourrait vouloir dire qu’elle a été en contact étroit avec une autre personne et que cette personne pourrait être le meurtrier.
—Possible mais pas sûr, Richard.
—Je sais Brandon, et je vais t’apporter du nouveau matériel à analyser bientôt.
—Avec un café, ce serait parfait.

 

-7-

 

Jeudi le 28 mai, Richard se rendit à l’aéroport; la veille, il avait pris rendez-vous avec Dominique Vibert, le cadre qui gère l’équipe de manutention et de l’inspection des bagages.

—Bonjour monsieur Vibert.
—Vous êtes ponctuel inspecteur Chari. Pas de problème de circulation?
—Non rien de majeur; c’est vrai que j’aime être à l’heure, c’est plus respectueux.
—Vous avez  entièrement raison inspecteur; aujourd’hui, on dirait que la ponctualité n’est plus une valeur importante.
—Il faut dire qu’à Montréal, les employés ont beau jeu et peuvent souvent s’excuser par la circulation; certains suspects tentent aussi de me faire le coup.
—Qu’est-ce que je peux faire pour vous aujourd’hui, inspecteur?
—Je veux demander à vos employés de me fournir empreintes digitales et échantillons d’ADN.
—Pourquoi cela?
—Parce que cela m’aiderait à éliminer des suspects.
—Et peut-être identifier un meurtrier, inspecteur?
—C’est vous qui le dites.
—Est-ce que les gens sont obligés de collaborer?
—Non, car je n’ai pas de mandat ni de présomptions claires pour les obtenir.
—Alors pourquoi demander cela à tous ses collègues?
—Je peux vous le répéter, si vous voulez!!
—Pas nécessaire, j’ai saisi, mais je trouve cela inhabituel.
—Je sais que c’est exceptionnel; alors est-ce que vous pouvez réunir votre personnel afin que je leur propose?
—Bon d’accord; je vais devoir faire deux groupes pour ne pas cesser le service; j’espère que ce ne sera pas long?
—Dix minutes tout au plus.

Dominique convoqua son monde et Richard rencontra les deux groupes; il manquait cependant certaines personnes qui étaient en congé, cette journée-là. Richard expliqua aux personnes qu’il avait besoin d’eux pour trouver le meurtrier de Ginette; il ne pouvait forcer personne mais il aimerait que chacun y participe. Avec la promesse que les empreintes et échantillons seront détruits à la fin de l’enquête, les gens donnèrent leur accord. Dès l’après-midi, Brandon se présenta à l’aéroport et procéda aux prélèvements d’échantillons; pour chaque personne, il recueillit les empreintes digitales, quelques cheveux ainsi qu’un échantillon d’ADN pris dans la gorge. Richard remercia les collègues de Ginette et retourna voir Dominique Vibert, alors que Brandon s’empressa de retourner à son labo.
—Monsieur Vibert, je tiens à vous remercier de votre collaboration et de celle de votre personnel; pouvez-vous me dire quand je pourrais rencontrer les personnes manquantes?
—Raoul Lemieux , Louis Chapdelaine et Denis Després travaillent demain; je vais les informer lorsqu’ils arriveront et vous pourrez venir les rencontrer en après-midi.
—Merci bien encore monsieur Vibert et à demain.

Vendredi le 29 mai, Richard et Brandon retournèrent à l’aéroport. Richard expliqua aux trois collègues de Ginette qu’il souhaitait obtenir leur collaboration, comme il l’avait obtenue des autres membres de leur équipe hier. Chacun y collabora après avoir obtenu les mêmes garanties que celles promises aux autres hier. Avant de partir, Richard retourna voir Dominique Vibert.

—J’ai complété la cueillette des empreintes et des échantillons et je vous en remercie encore.
—Est-ce que nous allons en avoir des nouvelles bientôt, inspecteur?
—Ça ne devrait pas être long. Il se peut aussi que je doive interroger certaines personnes; en passant, monsieur Vibert, est-ce que vous avez des informations sur ce que Ginette voulait vous dire avant de se faire tuer?
—Pas vraiment, il y a seulement Daniel Després qui est venu s’informé si ce que Ginette voulait me parler touchait le domaine du syndicat ou autre.
—Qu’avez-vous répondu?
—Que je n’en savais rien.
—Quelle a été la réaction de monsieur Després?
—Rien de spécial, il est reparti simplement travailler.
—Je ne crois plus avoir besoin de revenir ici  monsieur Vibert, mais on ne sait jamais, vous savez?
—Vous êtes toujours le bienvenu inspecteur, même si je ne vous cacherai pas être content que les investigations auprès de mes employés cessent, car ces démarches étaient le sujet de nombreuses discussions.
—Je n’en doute pas, merci bien.

Richard repartit pour le bureau et il se donna congé en fin de semaine, car il avait besoin de se reposer mais surtout d’obtenir les résultats des prélèvements des collègues de Ginette; par contre, il savait que Brandon ferait des heures supplémentaires afin de pouvoir lui fournir, le plus rapidement possible, les résultats des échantillons.

Dès lundi le premier juin, Richard se pointa au labo pour rencontrer Brandon.

—Bonjour Brandon.
—Tu es de bonne heure, mon vieux Richard?
—Oui, c’est le caporal qui m’a demandé de venir voir tôt le matin, si tout le monde est à son poste.
—Comme tu vois je suis là et j’ai même travaillé hier afin de pouvoir te donner des résultats ce matin; ça mérite un café hein?
—Bien sûr, celui-là est pour toi.
—Et moi?
—Oh excuse-moi Nicolas, je ne pensais pas que tu réussissais à te lever si tôt.
—Petit comique!!
—Alors Richard, tu les veux ces résultats ou pas, demanda Brandon?
—Je n’attends que ça.
—Tu es chanceux Richard, car beaucoup d’appelés et peu d’élus.
—Peux-tu être un peu plus clair, Seigneur? Brandon, arrête de me faire languir, on dirait que tu te venges parce que tu as dû travailler en fin de semaine?
—Peut-être un peu. Tu as « appelé » beaucoup de personnes; heureusement pour la majorité, il n’y avait aucune correspondance entre les éléments que nous avions déjà et ceux que tu nous as fournis.
—Quels sont les « élus »?
—Il y a des empreintes et des cheveux qui appartiennent à Daniel Després.
—Ce n’est pas très étonnant Brandon, car monsieur Després  a expliqué être venu la rencontrer à son domicile pour discuter au niveau du syndicat.
—Il n’a peut-être pas fait que cela!
—Accouche Brandon.
—Les particules de peau retrouvées sous les ongles de la main droite de Ginette ont le même ADN que celui que nous avons prélevé chez Daniel Després.
—Oui, mais est-ce que l’on pourrait aller au tribunal avec cela?
—Bien sûr Richard, l’ADN d’une personne est le même qu’on prélève un morceau de peau sur la figure, de la salive au fond de la gorge ou autre. Avec ça tu le tiens.
—Pas si sûr Brandon, il peut y avoir eu une chicane entre les deux sans que ce soit lui le meurtrier.
—Tu as raison, mais selon moi, inspecteur, il devient ton suspect numéro un.
—Bonne nouvelle, merci Brandon.
—Ce n’est pas tout Richard.
—Je t’écoute religieusement Brandon.
—N’en met pas trop quand même; en fait, nous avons aussi une correspondance en regard d’un cheveu qui appartient à Clara Fortin.
—Pourtant, elle m’a dit n’être jamais venue à l’appartement de Ginette.
—Peut-être qu’elle ment tout simplement ou bien il y a une autre explication.
—Ta logique me rassure autant que tes résultats; merci Brandon, tu m’as bien aidé.
—Je sais!!! Salut Richard.

 

-8-

 

Après avoir obtenu ces informations, Richard communiqua avec Clara Fortin qui finissait son chiffre à 15h; il lui intima de se présenter à son bureau à 16h afin de clarifier certains éléments.

—Bonjour, je m’appelle Clara Fortin et je suis attendue par l’inspecteur Richard Chari.
—Je vais l’informer que vous êtes arrivée Madame, dit Nicole.
Richard ne la fit pas attendre longtemps.
—Bonjour madame Fortin.
—Pourquoi m’avez-vous faites venir ici?
—Parce que je veux élucider une petite affaire.
—Et en quoi cela me concerne-t-il?
—Parce que nous avons trouvé un de vos cheveux dans l’appartement de Ginette Marcotte, alors que vous m’avez dit n’être jamais venu à son appartement. Petit problème hein?
—Je ne comprends pas inspecteur, je vous répète que je ne l’aimais pas beaucoup et que je ne courais après elle, si vous voyez ce que je veux dire?
—Vous ne courriez pas après elle, mais vous auriez probablement aimé qu’elle disparaisse de votre lieu de travail et se tienne loin de Daniel Després?
—Oui c’est vrai qu’elle me tapait sur les nerfs, mademoiselle sait-tout.
—Alors mercredi le 20 mai, vous êtes allée à son appartement et…
—Du tout inspecteur, n’essayer pas de me mettre cela sur le dos.
—Pourtant, vous la haïssiez, car elle était trop près de Daniel Després,  un cheveu se retrouve chez elle, alors que vous dites n’y être jamais allée et votre alibi ne peut être corroboré vous dites.
—Oui, je sais inspecteur, je comprends que vous puissiez me suspecter, mais je n’ai rien fait et je n’ai jamais été à son appartement.
—Comment expliquez-vous que nous ayons retrouvé un de vos cheveux dans son logis?
—Je ne sais pas moi; est-ce qu’il est possible qu’un de mes cheveux se soit déposé sur elle dernièrement et qu’elle ait apporté cela chez elle, comme un poil d’animal que l’on traine sans s’en apercevoir?
—C’est une hypothèse madame Fortin; est-ce que quelqu’un d’autre, près de vous, aurait pu « trimbaler » un de vos cheveux?
—Je ne sais pas, même si j’aimerais bien que Daniel en ait sur lui.
—Croyez-vous que Daniel sait que vous l’aimez?
—Il ne montre rien, mais je crois qu’il le sait.
—Je vais vous laisser aller, mais je veux que vous restiez à notre disposition, en ce sens que vous devez informer notre bureau si vous voulez quitter la province.
—D’accord inspecteur.

Clara quitta le bureau et Richard se dit que Clara semblait plus être une femme amoureuse qu’une meurtrière, même s’il ne fallait pas l’écarter des possibilités. Après le départ de Clara, Richard téléphona chez Daniel Després, mais il se buta à un répondeur; il le rejoignit à l’aéroport et Daniel accepta de se présenter le 2 juin à 10h30.

Le lendemain, Richard, qui était allé se chercher un café,  vit arriver Daniel au poste.

—Bonjour monsieur Després, vous pouvez me suivre.
—Inspecteur, pourquoi suis-je ici ce matin?
—Pour tenter de vous disculper!!!
—Comment ça?...Est-ce que je suis suspect?
—Certains éléments me « chicotent ».
—Comme quoi?
—Vous étiez près de Ginette, n’est-ce pas?
—Oui, c’était une bonne collègue, ce n’est pas un crime.
—On sait que le meurtrier ou la meurtrière était une personne qui connaissait bien Ginette pour qu’elle le ou la laisse entrer.
—Je croyais que la serrure avait été forcée?
—Qui vous a dit cela?
—Je ne me souviens pas, mais il me semble que vous aviez parlé, lors de votre première visite à l’aéroport, que le meurtre pouvait être relié à un vol; j’en ai probablement déduit que la serrure avait été forcée.
—L’hypothèse du vol a été abandonnée car personne n’a parlé d’objets volés, même si on pouvait le penser. Redites moi ce que vous avez fait mercredi le 20 mai entre 18h et 22h30.
—Je vous ai dit avoir été au cinéma, je voulais voir le nouveau film de James Bond.
—Oui, je sais.
—Vous n’avez rien contre moi inspecteur et je répète que je suis innocent, vous vous trompez sur mes intentions.
—Quelles étaient vos intentions monsieur Després?
—En regard de quoi?
—Vous savez?
—De quoi vous parlez inspecteur?
—Des rumeurs qu’il y a dans le service?
—Il y a des jaloux dans chaque organisation et je suis président du syndicat, alors ce n’est pas étonnant que certains parlent contre moi.
—En effet hein?
—De quelles rumeurs voulez-vous parler, inspecteur?
—Des découvertes de Ginette Marcotte; de ce qu’elle voulait dire à Dominique Vibert avant de se faire éliminer.
—Je ne vois pas ce que vous voulez dire, inspecteur?
—Il y a presque toujours un peu de magouille et des possibilités de tricher dans vos départements.
—Nous avons au contraire un très bon service de sécurité.
—Cependant, si des personnes de votre équipe voulaient protéger des criminels ou faire entrer illégalement des objets à l’aéroport, vous auriez sûrement la possibilité de déjouer le système de sécurité en place.
—Nous avons aussi des inspecteurs et des cadres qui surveillent le tout, vous savez?
—Oui, je sais, mais vous savez aussi qu’il est toujours possible de contourner les règles, lorsqu’on les connait bien.
—Où voulez-vous en venir avec cela à la fin?
—Monsieur Després, je crois que vous avez trempé dans une affaire illégale et que Ginette avait découvert cela.
—Inspecteur, vous inventez cela n’est-ce pas?
—Non pas vraiment.
—Vous fabulez inspecteur; qu’est-ce qui vous conduit à cela?
—La chicane que vous avez eue avant le meurtre?
—Personne ne nous a jamais vus se chicaner au travail, on était presque toujours sur la même longueur d’ondes.
—Votre éraflure à la joue a bien cicatrisé.
—Vous avez une bonne vue, mais quel est le rapport inspecteur?
—Comment vous étiez-vous fait cette blessure?
—Je vous ai dit, l’autre jour, que je m’étais blessé en me rasant.
—C’était quel jour monsieur Després?
—Mercredi  ou jeudi, il y a deux semaines; je  ne sais pas exactement.
—Je suis convaincu que cette blessure est apparue le lendemain du meurtre.
—Pourquoi dites-vous cela, inspecteur?
—Parce ce que cette éraflure n’a pas été faite par un rasoir.
—Comment pouvez-vous dire cela?
—La blessure que j’ai remarquée vendredi le 22 mai, quand je vous ai rencontré pour la première fois, était assez longue et me faisait penser à autre chose; avez-vous des animaux à la maison?
—Non car je demeure en appartement et mon propriétaire est strict à ce niveau.
—Monsieur Després, je suis convaincu que cette blessure, qui ressemble à des coups de griffes, a été visible pour la première fois, jeudi matin le 21 mai et pas avant et je suis convaincu qu’une personne de votre équipe pourrait facilement le confirmer.
—C’est possible mais ça ne prouve rien.
—Ça prouve que vous étiez chez Ginette le 20 mai au lieu d’être au cinéma et qu’il y a eu une chicane.
—Ce ne sont que des suppositions de votre part.
—Nous avons trouvé dans l’appartement de Ginette, vos empreintes digitales ainsi que quelques cheveux.
—C’est normal, je vous ai dit moi-même que j’y étais allé; alors ce n’est pas étonnant, ni une preuve.
—Non, mais ça confirme que vous y êtes allé peu de temps avant le meurtre.
—Oui, je me rappelle maintenant, j’ai été la voir probablement lundi le 18 mai; oui, je me rappelle bien maintenant.
—Qu’alliez-vous y faire?
—C’était pour discuter du syndicat.
—Vous êtes-vous chicanés?
—Bien sûr que non, inspecteur. Je crois avoir bien répondu à vos questions et si vous n’avez rien d’autres, je vous demanderais la permission de retourner chez moi; je vais aller dîner et me préparer pour aller travailler ce soir.
—Pourquoi l’avez-vous tuée?
—pour la dernière fois, inspecteur, je ne l’ai pas tuée?
—Qui protégez-vous?
—Personne.
—Alors je vous arrête pour le meurtre de Ginette Marcotte.
—Vous êtes complètement dans l’erreur inspecteur.
—Je crois que c’est plutôt vous qui êtes dans l’erreur. Erreur en regard de la serrure forcée, erreur sur le fait d’être allé à l’appartement de madame Marcotte, erreur d’avoir un alibi non crédible, erreur lorsque vous dites que  vous vous êtes blessé avec un rasoir, alors que la vérité se trouve sous les ongles de Ginette; les particules de peau que nous avons trouvées, sous les ongles de sa main droite, correspondent à votre ADN et les marques laissées par les ongles sont plus crédibles que celles qu’auraient pu laisser des lames de rasoir.
—Je...Je
—Comment en êtes-vous arrivé à la tuer?
—Je ne voulais pas, mais elle avait vu quelque chose qu’elle n’aurait pas dû découvrir; je suis venu à son appartement sous le prétexte de lui parler de syndicat, alors que je voulais lui proposer un arrangement afin d’obtenir son silence. Elle m’a laissé entrer, car elle ne se doutait pas que j’avais découvert qu’elle savait. Elle a refusé mon arrangement et en désespoir de cause, j’ai pris un couteau qui était sur le comptoir et je l’ai frappée. Elle s’est débattue et sa main droite a agrippé mon visage; au deuxième coup de couteau, elle avait lâché prise.
—Pourquoi, un troisième coup alors?
—Je ne sais pas, l’énervement probablement et la crainte qu’elle me regarde.
—Qu’est-ce qu’elle avait découvert?
—Inspecteur, je n’ai rien de plus à dire; vous avez votre coupable, ça devrait vous suffire?
—Si vous me donnez les noms des complices ou l’organisation que vous avez « aidée », nous pourrons probablement réduire votre peine.
—Ce n’est pas la peine, si je parle je suis déjà mort.
—Que serait-il arrivé si Ginette avait pu vous dénoncer avant de se faire tuer?
—Sa petite serait morte aussi et c’est pour cela que je me suis chargé de la convaincre, mais peine perdue.
—Peine perdue pour vous Daniel, mais Ginette, elle, s’est faite enlevée la vie par vous. Alors je répète ma question : « qu’est-ce que Ginette avait découvert et qui protégez-vous?
–Je n’ai rien à dire de plus inspecteur; tant que je ne dirai rien, je resterai en vie et peut-être que la prison me permettra d’expier un peu ce que j’ai fait.
—Vous me ferez signe, si vous changiez d’avis sur l’identification de vos « amis ».

Daniel accepta facilement de se laisser conduire en cellule; il fut jugé et condamné pour meurtre au premier degré. Après deux ans de détention, il a mis fin à ses jours, sans que l’inspecteur et la direction de l’aéroport aient pu découvrir qu’est-ce qui l’avait amené à tuer Ginette. Richard se dit alors que la vie est remplie d’énigmes et que la mort est le coffre-fort des secrets.  Sur ce, il retourna à son affaire actuelle qui, elle aussi, était imprégnée de mystères.

 

Fin