Familles Bonin

 

CATHERINE

 

Nouvelle policière

 

-1-

 


Richard Chari était joyeux aujourd’hui car la journée avait été exempte de meurtre et surtout parce qu’il recevait Élise à souper; Richard, qui vivait seul depuis plusieurs années, avait rencontré Élise à la bibliothèque, il y a environ un mois. Le contact avait été chaleureux et s’était poursuivi au café du coin; maintenant, plus en confiance, Élise avait accepté un repas chez Richard, en sachant qu’il était de garde et pouvait devoir quitter rapidement. Les risques, qu’il soit appelé, n’étaient que d’un sur trois car, heureusement, il n’y a pas de meurtres à tous les jours à Montréal. Pendant que Richard et Élise prenaient un petit verre de vin et qu’ils s’apprêtaient à déguster le « fameux » poulet que Richard avait fait cuire au four, Viviane et Aurélie finissaient leur repas. Viviane avait amené Aurélie au restaurant afin de souligner l’anniversaire de sa meilleure amie, âgée de trente-cinq ans. Il devait être environ 20h lorsqu’elles sortirent du restaurant. Après une promesse de remettre cela bientôt, les femmes rejoignirent chacune leur auto. Alors qu’Aurélie faisait un signe de remerciement à Viviane, elle vît l’auto de son amie exploser. Aurélie courut vers l’amoncellement de métal déformé et sursauta lorsqu’elle découvrit le corps déchiqueté de son amie. Elle appela aussitôt les services de secours. Pendant que les curieux, attirés par l’explosion, approchèrent, le patrouilleur Benoit Gravel arriva sur les lieux et demanda à la foule, qui gonflait à vue d’œil, de rester à l’écart. D’autres policiers arrivèrent, suivis des ambulanciers et des pompiers. Pendant que les policiers sécurisaient les lieux, les pompiers maîtrisèrent rapidement les flammes qui léchaient encore les pneus de l’auto, une petite Honda Civic. Quant aux ambulanciers, ils sont  intervenus auprès d’Aurélie Malenfant qui était en état de choc. C’est à ce moment que le téléphone sonna chez Richard Chari. Richard jeta un coup d’œil à Élise avant de décrocher, mais il ne se faisait pas d’illusion car il savait que le souper était à l’eau.
—Oui?
—Inspecteur Chari?
—Oui.
—Ici le patrouilleur Benoit Gravel, on m’a dit que vous étiez l’inspecteur de garde ce soir.
—Oui, qu’il y a-t-il?
—Hé bien, une auto vient d’exploser et la personne qui la conduisait est complètement déchiquetée. 
—Est- ce que vous êtes sur place?
—Oui inspecteur, c’est au coin de St-Laurent et Van Horne et il y a beaucoup de curieux.
—Est-ce que les lieux sont sécurisés?
—Oui inspecteur; il y a déjà des policiers qui sont venus en renfort, les pompiers et les ambulanciers.
—Merci patrouilleur Gravel, j’arrive dans quelques minutes pour prendre les commandes de l’opération.
Alors qu’il raccrochait, Richard vît qu’Élise finissait de débarrasser la table et ils ont convenu de remettre ce souper à une date ultérieure; Élise comprenait la situation et se disait prête à attendre quelques temps la prochaine invitation de Richard. Les deux partirent sur le champ; alors qu’Élise luttait contre sa déception en rejoignant son auto, Richard ressentit, en plus, de la colère contre le hasard qui avait frappé au mauvais moment. Cette sourde colère se transforma rapidement en énergie créatrice, car il savait qu’il devait faire son devoir. Dès qu’il arriva sur place, il fut interpelé par le patrouilleur Benoit Gravel.
—Bonjour inspecteur Chari.
—Bonjour patrouilleur Gravel, comment se présente la situation?
—Complexe; il  reste presque rien de l’auto et de la victime.
—A-t-on pu identifier la victime?
—Non inspecteur, mais l’amie dit que c’est Viviane Groslier.
—Qui est cette amie?
—Elle s’appelle Aurélie Malenfant; c’est elle qui a appelé le 911; elle dit bien connaître la victime et avoir vu l’explosion; du moins c’est ce qu’elle répétait sans arrêt à mon arrivée.
—Où est-elle actuellement?
—Madame Malenfant est avec les ambulanciers.
Alors que les membres de l’équipe de l’identification judiciaire arrivèrent, Richard alla  rencontrer les ambulanciers qui l’informèrent qu’ils devaient amener madame Malenfant à l’hôpital, afin de recevoir les soins requis par son état.  Richard se présenta simplement et dit à madame Malenfant qu’il la contacterait rapidement pour avoir sa version, mais que pour l’instant, l’important était qu’elle aille à l’hôpital. Richard demanda ensuite à ses policiers de vérifier, auprès des curieux, si quelqu’un avait vu une personne rôder près de l’auto, de prendre leur nom et de les informer qu’ils seraient rapidement contacter par l’inspecteur Richard Chari.  
—Bonsoir Brandon.
—Bonsoir inspecteur; c’est un fouillis complet  ici, aucune empreinte à cause du feu et de l’intervention des pompiers.
—Je veux que ton équipe passe toute la zone au peigne fin afin de retrouver des indices qui pourraient nous mettre sur une piste.
—Bien sûr Richard, on va te faire un beau casse-tête, en espérant que nous aurons les pièces principales.
—Hé toi, Nicolas, est-ce que tu auras assez d’éléments pour confirmer l’identité de la victime?
—Richard, connais-tu déjà le nom de la victime?
—On dit qu’elle s’appelle Viviane Groslier.
—On devrait réussir à confirmer si c’est elle; cependant ses membres sont éparpillés, mutilés et brûlés; il sera certainement difficile de tout replacer.
—Oui, j’imagine.
Pendant que l’équipe de l’identification judiciaire prenait des photos et rapatriait les composantes métalliques et humaines afin de les amener au centre d’analyse, Richard retourna voir les policiers qui devaient vérifier si des curieux avaient remarqué des personnes suspectes. Personne n’avait rien remarqué, mais toutes avaient entendu le bruit et certaines avaient aussi vu la voiture exploser.  Il était déjà 23h lorsque la scène fut dégagée; c’est à ce moment que Richard ressentit la faim;  le fameux poulet qu’il avait fait cuire pour Élise resterait au frigo; Richard  se retrouva chez Subway et en mangeant son sandwich, ne peut s’enlever de la tête, ce qu’il venait de voir. Est-ce le café qu’il avait bu ou l’explosion de la victime, toujours est-il qu’il ne dormit pas très bien cette nuit-là.

Le lendemain, le dix août, Richard commença par se rendre à l’hôpital et rencontra Aurélie Malenfant qui attendait la visite du médecin afin d’avoir son congé de l’hôpital.
—Bonjour madame Malenfant, je suis l’inspecteur Richard Chari; est-ce que je peux vous parler?
—Oui bien sûr.
—Comment allez-vous ce matin?
—Je vais bien; hier, on m’a donné un somnifère et j’ai réussi à dormir. Il semble, cependant, que je doive attendre la visite du docteur avant de pouvoir partir.
—En effet, c’est une de ses responsabilités et les miennes sont de tenter de comprendre ce qui est arrivé à votre amie.
—Ce qui s’est passé est dramatique inspecteur.
—Oui, je sais, que pouvez-vous m’en dire?
—Hé bien nous sommes arrivées au restaurant vers 18h et le souper a été très agréable; Viviane m’avait invitée afin de souligner ma fête; nous sommes sorties du restaurant vers 20h et alors que Viviane s’apprêtait à partir, son auto a explosé. J’ai couru mais je n’ai pu rien faire pour elle; j’ai appelé les secours et les ambulanciers se sont occupés de moi; je sais qu’il y avait aussi des policiers, des pompiers, mais tout cela me paraît flou, comme irréel. Je me demande aussi si j’aurais pu faire autre chose pour aider Viviane.
—Vous avez fait ce qu’il y avait à faire et, après l’explosion, personne ne pouvait plus rien pour elle. Cependant, aujourd’hui, vous pouvez  nous aider.
—Que voulez-vous savoir inspecteur?
—Le plus de chose possible, car nous ne connaissons pas la victime et personne n’a signalé sa disparition. En outre, l'explosion et le feu, qui a suivi, ont détruit la majorité des éléments nous permettant habituellement d’identifier une personne.
—Son nom est Viviane Groslier, elle venait d’atteindre la trentaine et travaillait au ministère du revenu depuis quelques années; elle occupait maintenant le poste de chef de l’équipe qui vérifiait les comptes des entreprises. Ses parents habitent Sherbrooke et son frère demeure à Granby, je crois.
—Avait-elle d’autres amies que vous?
—Oui bien sûr mais je ne les connais pas vraiment; cependant, mes amies Nicole Boisvert et Élizabeth Fourchu font aussi partie de son groupe d’amies.
—Connaissez-vous ses relations intimes?
—Vous voulez dire ses chums?
—Maris, chums ou amants.
—Je sais qu’elle a été mariée durant trois ans avec René, ensuite elle a habité  presque deux ans avec Jacques Dufour, je crois, et actuellement elle avait des relations avec un certain Louis Bernatchez, un homme marié.
—Pas facile sa vie amoureuse hein!!
—Vous savez inspecteur, les femmes sont moins dépendantes qu’avant et il est assez difficile de trouver un homme qui veuille vraiment s’engager.
—Connaissez-vous le nom de famille de l’ex-mari?
—René…Poitras, si je me souviens bien.
—Qui était la personne la plus près de Viviane?
—J’étais souvent avec elle, mais moins depuis qu’elle avait rencontré Louis.
—Connaissez-vous quelqu’un qui lui aurait voulu du mal?
—Pas vraiment.
—Qu’est-ce que cela veut dire?
—Sans préciser, Viviane a déjà parlé des tensions au bureau ainsi que de certains dossiers « merdics »; elle se préoccupait aussi de son frère qu’elle trouvait encore immature.
—Avec ses ex?
—Elle parlait de déception envers René Poitras et de craintes face à Jacques Dufour.
—Par rapport à Louis?
—Elle disait vivre une relation assez intense mais sporadique et doutait que Louis quitte sa femme, même s’il lui disait.
—Connaissez-vous le nom de la femme de Louis?
—Non car Louis a été très secret à ce niveau, semble-t-il.
—Comment cela?
—Louis lui a d’abord caché être marié et, lorsque Viviane l’a appris, il a refusé de révéler le nom de sa conjointe.
—Votre amie a continué à le fréquenter, malgré cela?
—Oui et malgré mes conseils; en fait, elle disait que les femmes pouvaient aussi maintenant bénéficier de l’autre sans vraiment s’engager pour une fois; cependant, je crois qu’elle aurait sûrement souhaité un engagement plus sérieux de Louis.
—Est-ce que je peux vous poser des questions personnelles?
—S’il le faut.
—Depuis combien de temps vous connaissiez Viviane?
—Au moins dix ans.
—Est-ce que vous vivez seule?
—Non inspecteur, mon chum s’appelle Tommy Lafleur et nous vivons ensemble depuis maintenant un an.
—Où travaillez-vous?
—Chez Paré, comme assistante comptable.
C’est alors que le médecin fit son entrée dans la chambre. Richard cessa ses questions et le docteur s’adressa à Aurélie
—Comment allez-vous madame Malenfant?
—Je vais bien docteur et l’inspecteur Chari pourrait vous le confirmer, je crois.
—En effet, docteur, madame Malenfant a retrouvé toutes ses facultés.
—Êtes-vous inspecteur ou docteur?
—Je veux simplement dire que madame a très bien répondu à toutes mes questions et que ses réponses sont pertinentes.
—Je n’en doute pas inspecteur, mais vous me permettrez quand même de vérifier par moi-même.
—Bien sûr docteur.
En se retournant vers Aurélie.
—Merci de votre collaboration madame Malenfant et si vous vous rappelez autres choses qui pourraient nous aider à trouver le meurtrier de votre amie, vous pouvez m’appeler à ce numéro.
L’inspecteur remis alors sa carte à madame Malenfant et prit congé.  

 

-2-

 

Au début de l’après-midi, Richard Chari se rendit au bureau de Brandon, spécialiste dans l’analyse des éléments de crimes.
—Bonjour Brandon, comment vas-tu?
—Un peu perdu avec le casse-tête de tôle de madame Malenfant.
—Est-ce que tu peux déjà me mettre sur une piste?
—Qu’est-ce que tu ferais si je n’étais pas là?
—Attention Brandon, une tête enflée est lourde à porter, tu sais.
—Plus sérieusement Richard, nous avons retrouvé des pièces de l’engin explosif et je crois que cette bombe est comparable à celle que l’armée possède.
—Donc c’est vraiment un meurtre; la thèse de l’accident doit être éliminée.
—Tu vois comme je fais avancer ton enquête.
—Ouais! Peux-tu me fournir d’autres informations?
—L’auto était une Honda Civic  et nous avons confirmation qu’elle appartenait à madame Viviane Groslier.
—Merci bien Brandon; as-tu vu Nicolas?
—Il était ici tantôt.
Sur le fait, Nicolas arriva
—Bonjour Nicolas, est-ce que tu as la confirmation de l’identité de la victime?
—Je viens tout juste de l’obtenir; les registres dentaires viennent de nous donner une réponse positive.
—Alors, il n’y a plus vraiment de doute, la voiture et les parties du corps appartenaient bien à Viviane Groslier. Beau travail les gars.
—Ça fait chaud au cœur de savoir que nous sommes si appréciés, dit Brandon.
—Je m’en vais avant que ta tête explose!!
Il devait être 15h lorsque Richard sonna à la porte des parents; il avait passablement roulé après avoir quitté le laboratoire médico-légal, car il ne voulait pas que les parents apprennent le décès de leur fille par les journaux. Madame Châteauguay ouvrit la porte.
—Bonjour madame Châteauguay, je m’appelle Richard Chari et je suis inspecteur à la police de Montréal; est-ce que je peux vous parler?
—Bien sûr, entrez.
En même temps, madame Châteauguay appela son mari qui travaillait dans le garage, attenant à la maison. Richard attendit que monsieur arrive et se présenta.
—Inspecteur que voulez-vous, dit monsieur Groslier?
—Vous avez une fille du nom de Viviane?
—Oui répondit la mère inquiète; est-ce qu’il lui est arrivé quelque chose?
—Malheureusement oui… Elle est décédée hier soir vers 20h.
Les parents étaient sous le choc, mais le père réagit.
—Comment se fait-il que nous n’ayons pas été prévenus avant, demanda-t-il?
—Votre fille a été tuée dans l’explosion de sa voiture et il a fallu attendre d’avoir la certitude que c’était elle avant de vous rencontrer.
—Explosion, vous dites, interrogea le père?
—L’explosion a été puissante, la voiture est en morceaux et votre fille est décédée sur le coup.
—Est-ce que nous pouvons aller la voir, demanda la mère?
—Pas pour l’instant car nous sommes à l’étape de la reconstitution.
—Comment est-ce que c’est arrivé, demanda le père?
—Viviane et une amie, Aurélie Malenfant, venaient de compléter un souper au restaurant et alors que Viviane a démarré son auto, madame Malenfant a vu l’explosion; elle a couru pour porter secours à Viviane, mais il n’y avait rien à faire.
—Quand pourrons-nous récupérer le corps, ce qui en reste, dit encore le père?
—Dès demain, cela sera possible; je vous attendrai à mon bureau à 9h et j’aimerais que vous pensiez aux personnes qui auraient pu vouloir la tuer.
L’inspecteur laissa sa carte ainsi que celle d’une intervenante de l’IVAC, que les parents pouvaient consulter afin de se faire aider dans cette épreuve.

Le lendemain, les parents se présentèrent à l’heure prévue; Nicolas, le médecin légiste avait fait du bon travail, à tel point que les parents purent identifier formellement leur fille, malgré que certaines parties du corps présentaient de grandes mutilations. Les responsables de la maison funéraire, choisis par les parents, furent contactés et la récupération du corps s’est effectuée rapidement. Après cette étape, les parents ont rejoint l’inspecteur à son bureau.
—Nous sommes maintenant disponibles inspecteur, dit le père.
—Voulez-vous quelque chose à boire?
—Seulement un peu d’eau, dirent les parents.
Richard alla chercher de l’eau et revint aussitôt.
—Merci, dirent les parents lorsque Richard leur remit à chacun une bouteille d’eau.
—C’est terrible ce qui est arrivé à votre fille et l’enquête risque d’être difficile vu l’explosion. Connaissez-vous quelqu’un qui voulait du mal à votre fille?
—Nous y avons pensé toute la veillée hier, dit le père, et il nous est impossible de voir qui aurait pu faire cela, car Viviane vivait à Montréal depuis maintenant plusieurs années et nous ne connaissions pas véritablement ses amies.
—Est-ce qu’elle venait souvent vous voir?
—Environ aux deux mois, dit la mère, et elle nous disait toujours que tout allait bien et de ne pas s’inquiéter pour elle.
—Est-ce qu’elle vous parlait de ses collègues de travail?
—Très peu, dit encore la mère, habituellement elle amenait la conversation sur ce que nous vivions, nos projets et aussi les siens plus tard. Elle semblait aimer son travail qui nous paraissait difficile. Lors de sa dernière visite, il y a plus d’un mois, dit le père, elle a dit qu’elle se questionnait sur l’honnêteté d’un de ses employés.
—A-t-elle dit son nom?
—Elle était professionnelle, dit le père, elle ne donnait jamais de nom de ses employés ni des  entreprises, qui pouvaient contester les inspections et les évaluations des membres de son personnel. Elle disait qu’elle devait arbitrer des contentieux et prendre des décisions qui pouvaient parfois déplaire à une entreprise ou même à un de ses employés, si l’évaluation n’avait pas été conforme aux normes du ministère.
—Avec qui vivait votre fille actuellement?
—Elle vivait seule, dit la mère. Ça fait à peu près un an, que sa relation avec Jacques Dufour a pris fin et depuis ce temps, elle dit prendre son temps car elle ne veut pas revivre ce qu’elle a vécu avec Jacques.
—Pourquoi se sont-ils quittés?
—Rétrospectivement Viviane avait avoué s’être lancée trop rapidement dans cette relation, dit la mère. Elle avait cru que Jacques serait son grand amour, mais rapidement il s’est montré jaloux et possessif; pour éviter d’en arriver à subir de la violence physique, elle a décidé de mettre fin à leur relation.
—Il ne doit pas avoir accepté facilement qu’elle le quitte?
—Non, dit la mère, Viviane a dû même faire intervenir les policiers pour qu’il arrête de la harceler.
—Est-ce qu’il aurait pu aller jusqu’à vouloir la tuer?
—Vous savez inspecteur, dit la mère, les hommes possessifs sont souvent prêts à tout pour garder leur proie et peuvent aller jusqu’à la détruire, si elle leur échappe.
—Est-ce que René Poitras, son ex-mari, était aussi du style agressif?
—Non celui-là, dit le père, était plutôt passif; il a été longtemps sans travailler et semblait se contenter de se faire vivre par Viviane; leur relation s’est dégradée et ils se sont séparés d’un commun accord; je soupçonne qu’il était un peu dépressif.
—Avez-vous entendu parler de Louis Bernatchez?
—Non, dit la mère, qui est-ce?
—Selon son amie Aurélie Malenfant, ce serait son nouvel amoureux.
—Pourquoi ne nous en a-t-elle pas parlé, demanda la mère?
—Peut-être parce que c’est un homme marié et qu’elle ne voulait pas vous inquiéter ou vous faire de la peine.
—C’était une très bonne fille, dit la mère en pleurant.
Après un moment de silence, Richard Chari poursuivit.
—Vous avez aussi un fils, à ce que je sache?
—Oui, dit le père, il s’appelle Robert et il travaille aussi dans la construction; il est électricien et demeure à Granby.
—Quels étaient les liens qu’il entretenait avec sa sœur?
—Très bons, répondit le père, même s’ils ne se voyaient pas souvent.
—Merci bien de ces informations et encore toutes nos condoléances.
—Inspecteur, ajouta le père, ce que nous souhaitons surtout c’est que vous puissiez mettre rapidement la main sur l’assassin.
En les reconduisant, Richard les assura de faire tous les efforts pour effectivement attraper le ou les responsables de ce meurtre.

 Après le départ des parents, Richard rejoignit le bureau de communication de l’armée.
—Ici le sergent Beaupré, que puis-je faire pour vous?
—Je m’appelle Richard Chari et je travaille comme enquêteur à la criminelle à Montréal. Est-ce que je pourrais rencontrer un responsable des armements?
—Quel serait le but inspecteur?
—Obtenir simplement des informations sur les appareils utilisés et voir aussi s’il n’y a pas eu des vols d’armes dernièrement, car j’ai une victime qui est décédée suite à l’explosion de sa voiture.
—Oh… Je peux vous faire rencontrer l’officier responsable.
—Quel est son nom et quand pourrais-je le voir?
—Il s’appelle Maxime Chicoine et vous pourriez le rencontrer dès cet après-midi, si cela vous arrange?
—Est-ce que je pourrais le voir vers 13h?
—Il n’y aura pas de problème, je vais le prévenir à l’instant et il vous attendra. Vous n’aurez qu’à demander pour lui à la réception.
—Merci bien de votre collaboration sergent Beaupré.
Dès 13h Richard Chari se trouva auprès de l’officier Chicoine, un grand bonhomme de plus de 1m80, qui semblait aussi doux qu’un toutou.
—Que puis-je faire pour vous inspecteur Chari?
—Bien, je voudrais savoir qui peut avoir accès à vos engins explosifs?
—Ça dépend lesquels?
—Je ne suis pas très fort en armement, cependant, notre laboratoire a réussi à trouver une partie du numéro sur ce qui reste de l’objet.
—Donnez-moi ça.
—C’est W174Z2…
—L’identification complète de l’engin est W174Z235; c’est un engin qui ressemble à une mine personnelle, mais beaucoup plus puissante.
—Où ces engins sont-ils entreposés?
—Il y en a dans plusieurs endroits dans le monde et évidemment aussi au Canada.
—Qui peut avoir accès à ces bombes?
—Ce sont les artificiers qui les utilisent et les officiers qui sont responsables de voir à la gestion des stocks.
—Est-ce qu’il arrive qu’il y ait des vols dans vos entrepôts?
—Malheureusement oui; les systèmes de sécurité ne sont pas identiques d’un entrepôt à l’autre et surtout la bêtise humaine existe aussi dans nos rangs.
—Est-ce qu’il y a eu un vol dernièrement?
—Notre entrepôt de Bagotville a été forcé à la fin juillet; trente bâtons de dynamite ainsi que deux engins explosifs W174Z235 sont alors disparus.
—Avez-vous trouvé les responsables?
—Non, mais nous croyons qu’un soldat ou un ancien de la base y est impliqué d’une manière quelconque.
—Pourquoi dites-vous cela officier Chicoine?
—Parce que le vol a été fait proprement, sans casse et que nous n’avons pas trouvé d’empreintes.
—Pouvez-vous me fournir la liste des personnes que vous avez suspectées; cela pourrait m’aider à faire des croisements, si durant mon enquête, un suspect avait été en lien avec une des personnes de cette liste?
—Inspecteur, les personnes sur cette liste correspondent à des soldats  présents à l’entrepôt le jour du vol et à des personnes qui ont déjà eu accès à ce site durant la dernière année. La liste est longue et aucune des personnes ne peut être accusée de quoi que ce soit actuellement. Cependant, si votre enquête sur l’explosion de la voiture vous amenait à faire un lien avec une de ces personnes, j’aimerais en être personnellement informé afin que l’on puisse vérifier le modus operandi et tenter de savoir ce qu’il est advenu de la dynamite volée, etc.?
—Bien sûr officier Chicoine, vous pouvez compter sur moi; je vous laisse aussi ma carte au cas où vous réussissiez à identifier le responsable du vol.
—Si la collaboration entre l’armée et la police était toujours aussi forte, les criminels n’auraient qu’à bien se tenir, hein inspecteur?
—Tout à fait d’accord officier Chicoine et merci encore. Ah j’oubliais l’essentiel. Est-ce que vos petites bombes sont dangereuses à manipuler ou difficiles à installer?
—La dynamite est dangereuse à manipuler mais pas les petits engins qui, eux, ont besoin d’un apport électrique pour se déclencher; en outre, ils peuvent être installés facilement par n’importe quelle personne qui touche à la mécanique et à l’électricité.
—Cela ne réduit pas ma liste de suspects potentiels.
—Évidemment non, bon travail quand même inspecteur.
Richard retourna à son auto en espérant que cette liste pourra aider à faire avancer son enquête. En démarrant son auto, il eut une petite pensée pour Viviane Groslier, qui avait perdu la vie à cause de ce petit geste que tous font machinalement.

 

-3-

 

 En cette fin d’après-midi, Richard se demanda quelle devrait être la prochaine étape. Les faits lui disaient qu’une personne avait posé la bombe sous l’auto de Viviane le dimanche 9 août entre 18h, l’heure d’arrivée au restaurant Bâton Rouge au 180 rue Ste-Catherine ouest, et 20h l’heure fatidique. Plusieurs personnes seraient capables d’installer l’engin selon l’officier Chicoine. Qui avait intérêt à la disparition de Viviane et pourquoi? Ces deux questions représentaient actuellement une énigme pour Richard, qui décida d’amorcer la recherche de suspects auprès des collègues de bureau au lieu d’y aller avec les ex. En fait, se disait-il, il est très rare qu’un policier vise juste du premier coup et les enquêtes sont habituellement plus un processus d’élimination que de sélection à priori. Sur ce, il communiqua au ministère du revenu et obtint le nom du patron de Viviane, monsieur Réal Dutreuil. La réceptionniste accepta de lui passer immédiatement la communication demandée.
—Oui?
—Monsieur Dutreuil?
—Oui inspecteur, que pouvons-nous faire pour vous?
—Vous savez que Viviane Groslier a été victime d’un assassinat?
—C’est ce qu’ils disent à la télévision et les parent nous ont prévenus rapidement du décès de leur fille.
—Je voudrais pouvoir vous rencontrer ainsi que les collègues de Viviane, dès demain matin.
—Aucun problème, inspecteur, nous sommes à votre disposition, même si certaines personnes sont affectées par ce décès.
—Merci et à demain, je devrais être chez vous vers 9h.
—Je vous attendrai inspecteur.
Le mercredi matin, comme prévu, l’inspecteur Chari se présenta au bureau de monsieur Dutreuil.
—Bonjour monsieur Dutreuil.
—Bonjour inspecteur, comment comptez-vous procéder?
—J’aimerais pouvoir rencontrer les personnes qui étaient proches de Viviane et aussi que vous me donniez vos impressions.
—Ça risque de prendre du temps car elle avait passablement d’amis, même si elle était chef d’équipe et n’était pas portée sur la confidence.
—Depuis combien de temps travaillait-elle au ministère?
—Elle est chef d’équipe depuis un an, après avoir travaillé pendant six ans comme vérificatrice.
—Je présume qu’elle travaillait bien si elle a obtenu cette promotion, il y a un an.
—Oui, c’était une des meilleures vérificatrices et lorsque le chef précédent est parti à la retraite, Viviane et Denis ont manifesté leur intérêt pour le poste.
—Pourquoi est-ce Viviane qui a obtenu le poste?
—Elle était bonne évaluatrice, capable de composer facilement avec les autres et aussi de prendre des décisions difficiles lorsqu’il le fallait.
—Comment Denis a-t-il pris le fait d’être écarté?
—Pas trop mal, il a reconnu les qualités de Viviane et il espère que ce sera son tour la prochaine fois.
—Comment était sa relation avec Viviane dernièrement?
—Très correcte, il me semble.
—C’est Denis qui?
—Denis Lamarche et vous pourrez le rencontrer tantôt, si vous voulez.
—Oui, évidemment.
—Avez-vous décidé de la personne qui prendra la place de Viviane?
—J’assume actuellement ses fonctions, en attendant de trouver la personne remplaçante.
—Est-ce que monsieur Lamarche est encore un prospect pour ce poste?
—Il a effectivement de bonnes chances.
—Qui était la personne la plus proche de Viviane ici?
—C’est Nicole Duclos; elle est d’ailleurs passablement affectée et elle a pris une journée de maladie aujourd’hui.
—Je reviendrai un autre jour pour la rencontrer.
—Sans problème, inspecteur.
—Est-ce qu’il y avait une ou des personnes dont Viviane pouvait se méfier?
—Elle avait une très bonne équipe, néanmoins Dominique Lupien avait de la difficulté à atteindre ses objectifs et montrait, selon Viviane, de la réticence. Il y a peut-être aussi, François Lampron qui, depuis quelques temps, semblait plus distant face à Viviane, mais je n’en connais pas la cause et Viviane ne m’en a jamais parlé. Pour les autres, elle me disait qu’elle était satisfaite de leur travail et fière de son équipe.
—Hé vous, comment trouviez-vous le travail de Viviane?
—Aussi bien que ce que nous avions pensé en lui donnant ce poste.
—Est-ce qu’il y a des entreprises qui se plaignaient des évaluations?
—Il y en a toujours inspecteur; ils trouvent qu’ils paient trop de taxes à cause des évaluations municipales et ils cherchent toujours des moyens pour réduire leur impôt à payer en jouant avec les chiffres; c’est pour cela que nous intervenons afin que les entreprises paient leur juste part dans la société.
—Est-ce qu’il y a eu des dossiers chauds dernièrement?
—il y en a toujours quelques-uns et je sais que Viviane a dû intervenir dans un dossier de Dominique Lupien; la compagnie s’en est plainte à Viviane.
—Connaissez-vous les suites de cette vérification?
—Non, Viviane ne m’en a pas parlé, cependant Dominique Lupien pourra certainement vous renseigner.
—Est-ce qu’il y a d’autres éléments que vous pourriez me dire pour faire avancer l’enquête?
—Je ne vois pas inspecteur et, j’ai de la difficulté à imaginer que le meurtrier soit l’un des nôtres, mais on ne sait jamais.
—Je crois que je commencerais par rencontrer monsieur Denis Lamarche et que j’aimerais poursuivre en après-midi avec monsieur Lupien. Je reviendrai demain matin pour rencontrer madame Duclos et monsieur Lampron. Est-ce que c’est correct pour vous?
—C’est comme vous voulez inspecteur; je vais vous conduire à un bureau où vous pourrez rencontrer les gens en toute confidentialité.
Réal Dutreuil conduisit Richard Chari à un bureau fermé et il alla chercher monsieur Denis Lamarche. Il revint quelques minutes plus tard et le présenta à l’inspecteur.
—Merci bien monsieur Dutreuil.
—À votre disposition.
Sur cela, monsieur Dutreuil, se retira et laissa monsieur Lamarche avec l’inspecteur.
—Bonjour monsieur Lamarche, je m’appelle l’inspecteur Richard Chari et je suis ici pour prendre des informations concernant madame Viviane Groslier. Est-ce que vous savez comment est morte madame Groslier?
—Tout le monde le sait ici et nous trouvons tous cela affreux.
—On m’a dit que vous appliqueriez probablement sur son poste, est-ce votre intention?
—Oui, même si je sais que je ne pourrai pas faire comme elle.
—Vous aviez sollicité ce poste, il y a un an?
—Oui, je croyais pouvoir faire la job.
—Comment avez-vous vécu le fait que ce soit elle qui ait le poste?
—J’ai été déçu, mais je reconnais que Viviane était bonne et le méritait; en outre, inspecteur, ma relation avec elle était excellente et plus axée sur la coopération que sur la compétition. Viviane était aussi correcte avec moi.
—Qui pensez-vous aurait pu vouloir la tuer?
—Personne d’ici, tous l’aimaient bien et la respectaient.
—Quelle était son lien avec le directeur Dutreuil?
—Très bien je crois.
—Est-ce que vous avez eu des dossiers où madame Groslier s’est impliquée?
—Nous discutions de certaines compagnies, mais elle n’a pas eu à intervenir directement dans un de mes dossiers, probablement parce que j’ai bien fait mon travail et qu’il n’y a pas eu de plaintes.
—Où étiez-vous dimanche le 9 aout entre 18h et 20h?
—Est-ce que je suis suspect car je n’ai pas eu le poste, il y a un an?
—Toutes les personnes qui ont eu des liens avec madame Groslier peuvent être suspectées, tant que je n’ai pas mis la main sur l’assassin. Alors où étiez-vous dimanche passé?
—Simplement à la maison avec ma famille; il a fait beau et nous avons fait un BBQ pour souper; après, mon épouse et moi sommes restés à la maison, alors que notre grande fille est sortie avec une amie.
—Je vous remercie monsieur Lamarche.
—C’est tout, inspecteur; je peux y aller?
—Oui et bonne chance pour le poste.
—Merci bien.
Sur ce, Denis Lamarche retourna à son bureau et l’inspecteur Chari sortit pour aller dîner; à son retour, il demanda à rencontrer monsieur Dominique Lupien. Monsieur Lupien se présenta et semblait plus inquiet que monsieur Lamarche.
—Bonjour monsieur Lupien, je suis l’inspecteur Chari; comme vous savez, je fais enquête sur le décès de madame Viviane Groslier; j’aimerais avoir des informations de votre part.
—Bien sûr inspecteur.
—Quels étaient ses liens avec les membres de l’équipe?
—Très bien, je crois; elle était proche et offrait une bonne supervision au personnel.
—Comment était-elle avec vous?
—Comme un patron; elle était supportante mais aussi exigeante.
—Aviez-vous l’impression qu’elle en demandait trop?
—Parfois oui.
—Est-ce que cela vous mettait en colère?
—Je dirais que cela me rendait surtout anxieux, craignant de ne pas réussir à répondre aux objectifs fixés.
—A-t-elle travaillé avec vous sur certains dossiers?
—Oui, elle avait tendance à me surveiller passablement, possiblement qu’elle croyait que j’avais besoin d’aide.
—Était-ce le cas?
—Parfois oui.
—Avez-vous un dossier qui a été compliqué et dans lequel votre patronne a dû intervenir dans les derniers mois?
—Oui, il y a eu une vérification effectuée auprès de la compagnie Lalo, il y a environ quatre mois; j’ai découvert des irrégularités comptables et la compagnie a porté plainte; mal lui en prit, Viviane a appuyé ma position auprès de la compagnie, qui a été sommée de rembourser cent mille dollars en impôt.
—Est-ce que la compagnie est allée plus loin au niveau de sa plainte?
—Non, elle a payé mais elle disait que la majorité des compagnies jouaient avec leurs revenus et que j’avais été trop maniaque, fouillant les petits détails.
—Est-ce vrai?
—C’est vrai que je vais dans les détails, car j’ai peur d’oublier des choses et de me faire reprocher de bâcler mon travail, comme d’autres semblent le faire.
—Qui est le patron de la compagnie Lalo?
—Attendez un peu…Ha oui, c’est Rick Doddley, un homme d’environ quarante-cinq ans qui n’a pas la langue dans sa poche et qui est même épeurant. J’étais content que Viviane me supporte dans ce dossier, car je crois bien que j’aurais plié sous la menace.
—De quelle manière monsieur Doddley vous a-t-il menacé?
—Il disait que je n’avais pas le droit de fouiller dans certains comptes, que j’avais un parti pris contre lui et qu’il pourrait me faire perdre mon boulot si je ne modifiais pas mon évaluation.
—Comment la compagnie a-t-elle finalement accepté de payer?
—J’en discutais avec Viviane et elle a convoqué une rencontre avec monsieur Doddley et leur comptable.
—Comment s’est déroulée cette rencontre?
—Mieux que je pensais; monsieur Doddley a finalement pris son trou et il a été obligé de reconnaître les irrégularités. S’il ne payait pas, il y aurait eu des poursuites au criminel.
—Il ne devait pas être très content, hein?
—Évidemment, je sentais sa colère, mais j’ai comme l’impression qu’il se disait que Viviane aurait pu régler cela en sa faveur si elle avait voulu et alors, on dirait que son agressivité s’est plus dirigée vers elle que sur moi.
—Est-ce que monsieur Doddley aurait pu aller jusqu’à la tuer?
—Je ne sais pas s’il l’aurait fait, mais je suis convaincu qu’il souhaitait qu’elle change de décision ou disparaisse.
—Est-ce que vous appliquez sur le poste de Viviane?
—Oh non, c’est trop de responsabilité de gérer des gens et d’arbitrer des plaintes dans les dossiers; je suis meilleur pour effectuer des vérifications et je sais que je dois encore m’améliorer.
—Qui pensez-vous aura le poste?
—Je crois qu’il reviendra à monsieur Lamarche, cette fois-ci.
—Quelle était la relation de monsieur Lamarche avec madame Groslier?
—Bonne et respectueuse, je crois.
—Est-ce qu’il y a quelqu’un du bureau qui aurait voulu tuer madame Groslier?
—Je ne vois personne qui aurait eu un motif de faire cela, car Viviane était exigeante mais elle était aussi juste et aidante.
—Le soir du 9 août, vous faisiez quoi?
—Dimanche le 9 août, j’ai écouté le spectacle de Juste pour rire à  la télévision.
—Avec qui étiez-vous?
—J’étais seul et le dimanche soir, j’ai l’habitude de me tenir tranquille afin d’être en forme le lundi pour le travail.
—Avez-vous déjà été dans l’armée?
—Non.
—Connaissez-vous un de vos collègues qui aurait fait un stage ou travaillé dans l’armée?
—Ici, inspecteur, les personnes ne sont pas vraiment des Rambo et aucune personne n’a parlé de vécu dans l’armée.
—Je vous remercie de votre collaboration monsieur Lupien et bon travail.
—Merci inspecteur.
En partant, Richard Chari remercia monsieur Dutreuil et dit qu’il reviendra demain, encore vers 9 heures, afin de rencontrer Nicole Duclos et ensuite monsieur François Lampron.
—Pas de problème inspecteur, je vais les informer que vous voulez les rencontrer afin d’obtenir des informations qui pourraient vous aider dans votre enquête.
—C’est tout à fait ça monsieur Dutreuil; à demain.
Pour Richard, les deux personnes rencontrées ne présentaient pas de mobiles véritables ni le profil d’un tueur. Par contre, arrivé au bureau, il prit rendez-vous avec monsieur Doddley de la compagnie Lalo; monsieur Doddley a accepté de le recevoir à son bureau le lendemain vers 13h30. Jeudi le 13 août, Richard retourna au ministère du revenu et il demanda à monsieur Dutreuil d’informer madame Nicole Duclos qu’il souhaitait la rencontrer. Madame Duclos se présenta rapidement au bureau de l’inspecteur.
—Bonjour inspecteur.
—Bonjour madame Duclos; est-ce que vous allez mieux aujourd’hui?
—Pas vraiment, mais il faut bien gagner sa vie, même si Viviane…Madame Duclos essuya quelques larmes. —Inspecteur, je veux vous prévenir que je vais peut-être encore pleurer, car c’était pour moi, une bonne amie en plus d’être une excellente patronne.
—À quel point étiez-vous proche?
—Lorsqu’elle était simple employée, nous passions souvent nos poses ensemble à se jaser de choses et d’autres.
—De quoi parliez-vous le plus souvent?
—Des hommes, toujours des hommes.
—Connaissez-vous sa vie affective?
—Un peu, je sais qu’elle a été mariée trois ans avec René Poitras et qu’ensuite, elle a vécu avec Jacques Dufour; lorsqu’elle a quitté Jacques, qui se montrait harcelant, elle a obtenu le poste de chef de l’équipe et évidemment nos relations ont été différentes; elle ne prenait plus de poses et je ne sais pas ce qu’il est advenu de sa vie amoureuse.
—Vous a-t-elle parlé de Louis Bernatchez?
—Ce nom ne me dit rien.
—Est-ce qu’il y avait des gars dans l’équipe qui s’étaient montrés intéressés par elle?
—Oui, il y avait François Lampron; Viviane m’en parlait parfois et moi aussi j’avais remarqué cela; c’était il y a plus d’un an, alors qu’elle vivait encore avec Jacques.
—Avez-vous remarqué des changements ces derniers mois en regard de monsieur Lampron?
—Il était encore poli avec nous et se comportait bien avec Viviane, mais il est vrai qu’il allait souvent la consulter alors que je considère qu’il connait très bien les rudiments du travail; peut-être, peut-être qu’il lui faisait encore des avances; cependant le comportement de Viviane ne laissait rien paraître. Ça change une personne que de changer de poste vous savez.
—Est-ce qu’il y a des personnes dans l’équipe qui ont déjà fait de l’armée?
—Je ne crois pas inspecteur, et je ne voudrais pas un gars de l’armée pour nous diriger?
—Si c’est Denis Lamarche qui prend le poste de Viviane, allez-vous être contente?
—Il ne sera pas pire qu’un autre et même probablement meilleur.
—Ce poste ne vous intéresse pas?
—C’est tout un challenge de passer de collègue à patron et ce n’est pas fait pour tout le monde.
—Que faisiez-vous dimanche passé, lors du décès de Viviane?
—Nous revenions d’une fin de semaine de camping à Granby?
—Nous?
—Mon mari Luc et ma petite fille Audréanne; elle a déjà cinq ans et est débrouillarde.
—Est-ce que Viviane aurait pu  être menaçante pour monsieur Dutreuil?
—Aucunement?
—Ce sera tout madame Duclos, je vous remercie de m’avoir partagé vos impressions et j’espère que vous retrouverai votre pleine énergie.
—N’ayez crainte inspecteur, la famille est souvent source de tracas, mais aussi une bonne protection contre les moments difficiles qu’il faut traverser.
Après le départ de madame Duclos, Richard retourna voir monsieur Dutreuil qui alla chercher, cette fois, monsieur Lampron. Les présentations faites, monsieur Dutreuil s’éclipsa.
—Comment allez-vous monsieur Lampron?
—Bien malgré les circonstances.
—Que signifie pour vous le décès de madame Groslier?
—Viviane était une bonne amie et une bonne dirigeante; elle va me manquer.
—Quelle était votre relation avec elle?
—Je viens de le dire, elle était une bonne amie et ma patronne.
—J’ai entendu dire que vous souhaitiez qu’elle soit plus que simplement une amie.
—Qui vous a dit cela inspecteur?
—Disons que c’est un secret de polichinelle dans l’équipe; lui avez-vous déjà fait des avances?
—Je lui ai déjà proposé de l’amener souper alors qu’elle était collègue et qu’elle vivait encore avec Jacques Dufour.
—Qu’a-t-elle répondu?
—Elle a répondu qu’elle n’avait pas le temps, elle a ensuite précisé que sa relation avec son chum était difficile, qu’elle ne voulait pas compliquer les choses ou donner l’occasion à son chum de lui en vouloir; elle semblait le craindre inspecteur. Ensuite, elle est devenue cheffe d’équipe et sa relation avec Jacques se serait terminée.
—Alors vous aviez votre chance?
—Je l’ai cru, mais elle a dit avoir encore besoin de temps et ne pas vouloir se réengager immédiatement; je suis venu vérifier souvent mais elle disait, chaque fois, ne pas être prête à s’embarquer encore; cependant, j’ai découvert qu’elle voyait à l’occasion un autre homme et qu’elle n’osait pas me le dire; elle aimait mieux me laisser poiroter.
—Comment avez-vous su qu’elle voyait un autre homme?
—Par hasard, je l’ai vu au restaurant avec un gars et son attitude ne faisait pas de doute.
—Lui en avez-vous parlé?
—Pas directement, je ne voulais pas qu’elle pense que je l’espionnais, et elle a continué à me laisser entendre qu’elle avait encore besoin de temps.
—Pourquoi ne pas lui avoir dit en pleine face ce que vous saviez?
—Si je faisais ça, j’étais sûr de la perdre alors que si je patientais encore un peu, j’aurais peut-être encore une chance, elle clarifierait peut-être les choses.
—Vous l’aimiez beaucoup hein?
—Elle savait que je l’aimais, mais je ne devais rien montrer au bureau et elle avait le beau rôle. Je suis presque soulagé par sa mort.
—Si je vous prenais au mot, vous seriez mon suspect numéro 1.
—Inspecteur, je ne l’ai pas tuée, même si je croyais de moins en moins à son honnêteté à mon égard.
—Avez-vous déjà travaillé dans l’armée?
—Bien non, je n’aime pas les armes.
—Que faisiez-vous dimanche passé en veillée?
—Nous y voilà; je n’aurais pas dû être franc car maintenant vous me soupçonnez.
—C’est vrai monsieur Lampron que vous faites un bon suspect, vous avez le mobile du prétendant malheureux ou trompé; alors votre alibi?
—Vous allez dire que vous êtes tombé pile, car je n’en ai pas vraiment; dimanche soir, je me suis promené en auto; ça me fait du bien de sortir un peu de l’appartement et je savais que Viviane mangeait au restaurant avec une autre fille.
—On dirait que vous vous incriminez monsieur Lampron?
—Non, mais il est possible que quelqu’un ait vu passer mon auto près du restaurant et que cela me revienne dans la face; c’est pour cela que je vous le dis; est-ce qu’il est dangereux d’être honnête aujourd’hui?
—Sûrement pas monsieur Lampron, vous avez bien fait de me dire cela, car j’aurais fini par le découvrir; cependant, ce n’est pas parce que vous dites cela, que je vais vous rayer de la liste des suspects. Néanmoins, si vous n’avez pas posé la bombe, vous n’avez rien à craindre de la justice.
—Est-ce que l’on pourrait m’accuser à tort, sachant que j’avais un mobile et pas d’alibi?
—Qui pourrait avoir avantage à faire cela?
—Aucune idée inspecteur.
—Je n’ai aucune preuve contre vous et je crois à ce que vous dites; malgré cela, je vous demande de ne pas quitter la région.
—Je comprends inspecteur. Je ne suis pas fou et j’imagine que si je m’en allais vous penseriez que c’est moi l’assassin.
—Ça m’inciterait évidemment à obtenir un mandat d’arrêt contre vous. Nous n’irons pas jusque-là, n’est-ce pas?
—Absolument pas; vous pourrez toujours me trouver au bureau ou chez moi, à moins que j’aille faire un petit tour en auto pour me changer les idées.
—Nous en avons fini monsieur Lampron, merci de votre collaboration.
Monsieur Lampron repartit plus nerveux qu’à son arrivée, alors que Richard était perplexe face au personnage qui présentait un mobile important et un alibi de carton.

 

-4-

 

 Richard remercia monsieur Dutreuil pour sa collaboration et retourna rapidement au bureau afin de prendre quelques informations sur la compagnie Lalo, avant d’aller rencontrer monsieur Rick Doddley. La compagnie est dans le secteur de la construction et elle emploie plus ou moins trois cents employés, répartis dans ses différentes filiales. Ponctuel comme toujours, Richard Chari se présenta au bureau de Rick Doddley à l’heure prévue et monsieur Doddley l’attendait.
—Monsieur Doddley?  
—Inspecteur Chari, que puis-je faire pour vous?
—Je viens vous parler du meurtre de madame Viviane Groslier.
—Quel est le rapport avec moi?
—C’est ce que je cherche monsieur Doddley.
—Est-ce que je suis dans votre ligne de tir?
—Si l’on veut. J’ai appris que votre compagnie a dû payer cent mille dollars au fisc vu des irrégularités comptables qui vous mettaient à l’abri de l’impôt.
—J’ai payé l’amende et je suis maintenant en règle; que voulez-vous de plus?
—Savoir si vous y êtes pour quelque chose dans ce meurtre.
—Pensez-vous que je serais assez fou pour aller commettre un meurtre sur la personne qui m’a condamné à une amende pour irrégularité?
—Je ne crois pas que vous ayez posé la bombe sous l’auto de madame Groslier, mais il se pourrait que ce soit un de vos employés ou une personne que vous auriez engagée.
—Vous avez raison inspecteur, si j’avais voulu la faire disparaitre, j’aurais demandé à un de mes amis, mais je vous le répète, je n’ai rien fait, même si je ne suis pas triste qu’elle soit morte; vous savez, inspecteur, qu’elle aurait pu seulement nous donner un blâme et exiger qu’à l’avenir notre comptabilité respecte plus les normes écrites; mais non, madame a voulu faire un exemple et nous a pris cent-mille dollars, alors qu’elle n’a rien fait pour les autres compagnies qui attribuent aussi à leur entreprise certaines dépenses non autorisées ou qui jouent un peu avec les chiffres.
—Mais elle n’a fait que sanctionner un vol, il me semble?
—Qui ne cache pas de l’argent à l’impôt; il faudrait être plus catholique que le pape et sa business n’est pas très payante actuellement.
—Le vol est souvent ce qui conduit au meurtre.
—Vous avez encore raison inspecteur, mais je ne suis pas fou ni un tueur, seulement un homme d’affaires.
—Les écologistes font souvent l’association entre ces termes, dit l’inspecteur en souriant. Plus sérieusement, j’aurais besoin de la liste de vos employés.
—Vous pensez encore que j’ai quelque chose à avoir dans le meurtre de madame Groslier?
—Je n’ai aucune preuve mais je ne vous exclus pas de ma liste de suspects.
Rick Doddley pris le téléphone et dit à sa secrétaire de sortir la liste des employés et de la mettre dans une enveloppe que prendra l’inspecteur en partant.
—Merci monsieur Doddley; en finissant dites-moi ce que vous faisiez dimanche qui vient de passer entre 18h et 20h.
—À l’heure du crime, inspecteur, je magouillais avec des criminels pour voler le gouvernement et faire sauter l’hôtel de ville de Montréal!!! La vraie histoire est que j’étais chez moi avec mon épouse; après le souper, j’ai travaillé dans ma préparation pour tenter de rentabiliser l’entreprise en accordant les bonnes ressources aux bonnes places. Parfois, je dois déplacer une équipe sur tel chantier, etc. La job quoi.
—Je vous remercie du temps que vous m’avez consacré et je continue mon enquête.
—Sur moi?
—Vous n’êtes pas exclus, monsieur Doddley.
Sur ce, Richard laissa monsieur Doddley et en passant au bureau de la secrétaire, il récupéra l’enveloppe contenant la liste des employés de la compagnie. Richard retourna à son bureau afin de comparer cette liste avec celle que lui avait remise Maxime Chicoine, officier de l’armée responsable des armes.  Coïncidence peut-être, mais Richard venait de découvrir que deux des employés de monsieur Doddley étaient aussi sur la liste reçue de l’officier de l’armée. Il s’agissait de Bruno Laurier, qui travaillait à la filiale de Magog, et de Léo Langelier qui, lui, travaillait à la filiale de Longueuil. Est-ce qu’un de ses deux hommes serait responsable de l’assassinat de Viviane Groslier et si oui, est-ce que cela était relié à monsieur Doddley? Richard se disait aussi chanceux que la liste des employés, remise par la secrétaire de monsieur Doddley, soit à jour au niveau des adresses et des téléphones; pour sauver du transport, il se rendit en veillée à la résidence de monsieur Laurier, qui demeure à Montréal même s’il travaille à Magog. C’est un homme qui ouvrit la porte.
—Monsieur Bruno Laurier?
—Lui-même; qui est-vous?
—Je suis l’inspecteur Richard Chari et j’aurais quelques questions à vous poser, puis-je entrer?
—Si vous ne faites pas attention au ménage.
Richard suivi monsieur dans la cuisine et ne vît pas de pièces encombrées; peut-être monsieur Laurier est-il  minutieux et que tout doit être bien placé pour qu’il se sente bien. Il semblait vivre seul.
—Est-ce que vous vivez seul ici?
—Oui, pourquoi?
—Simple question; je suis ici pour vous parler de l’armée.
—Ça fait déjà environ un an que j’ai quitté l’armée.
—Où étiez-vous affecté?
—À la base de Valcartier.
—Pourquoi l’avoir quittée?
—Parce que nous n’avons pas la liberté qu’un gars de mon âge souhaite; j’ai vingt-huit ans et j’ai été trois ans dans l’armée.
—Quelles étaient vos fonctions?
—Je n’étais qu’un simple soldat, mais on apprend toutes sortes de choses et notre apprentissage est payé; c’est pour cela que je suis entré dans l’armée, car à l’école, je n’avais pas travaillé fort.
—Vous connaissez les armes?
—Bien sûr et on doit évidemment savoir les utiliser si on veut sauver notre vie parfois.
—Connaissez-vous aussi les explosifs?
—Oui, cela fait aussi partie de notre apprentissage.
—Que vous dit l’engin W174Z235?
—On vérifie si j’ai bien appris ma leçon, inspecteur? On le surnomme Wizz, c’est un petit explosif de grande puissance que l’on utilise habituellement contre les Jeep ennemies.
—En avez-vous déjà posées?
—Oui, nous avons appris à le faire, cependant, à ce moment-là, les bombes n’étaient pas armées.
—Est-ce que c’est un programme spécial à Valcartier?
—Non, la formation sur l’armement se donne dans chaque base. Puis-je savoir pourquoi vous me posez toutes ces questions?
—Vous avez entendu parler de l’explosion d’une petite Honda la semaine passée à Montréal, hé bien, c’est votre engin Wizz qui a été utilisé.
—Quel est le rapport avec moi?
—Peut-être aucun mais j’ai besoin de connaître votre emploi du temps de dimanche entre 18h et 20h.
—J’étais chez des amis qui avaient organisé un souper et j’y ai rencontré une fille super; elle s’appelle Mélanie et nous allons peut-être nous revoir.
—Je l’espère pour vous; quel est le nom de l’ami qui vous a reçu?
—Donald Francoeur qui lui aussi a déjà été à Valcartier; c’est là qu’on s’est connu et on est devenu amis.
—Quel est votre lien avec monsieur Doddley?
—Je sais que c’est lui le grand boss, mais je ne lui ai jamais parlé directement, il est plus à Montréal à essayer de trouver des contrats, à ce qu’on dit.
—Est-ce que votre ami Donald Francoeur le connaît?
—Je ne crois pas.
—Ça va être tout pour l’instant monsieur Laurier, merci de votre collaboration.
En retournant à son bureau, il était déjà passablement tard, Richard se disait qu’il avançait dans son enquête mais il voulait communiquer avec monsieur Léo Langelier avant de fermer boutique. Il l’appela dès son arrivée au bureau et, vu qu’il annonçait une grosse journée de pluie le lendemain, monsieur Langelier accepta de le rencontrer en avant-midi car il ne travaillera pas. Donc vendredi le 14 août, Richard se pointa vers 9h à la résidence de monsieur Langelier. C’est une petite fille qui ouvrit la porte lorsque Richard sonna.
—Bonjour mademoiselle, comment t’appelles-tu?
—Érika.
Monsieur Langelier apparut et tout en faisant entrer l’inspecteur, dit à Érika d’aller jouer dans sa chambre, car il avait besoin de parler avec monsieur. La petite s’exécuta sans rechigner.
—Oui, inspecteur, qu’est-ce qu’il y a? Est-ce Barbara qui a fait une plainte?
—Qui est Barbara?
—La mère de la petite, nous sommes séparés depuis environ dix mois, et elle me met des bâtons dans les roues, car elle voudrait que j’arrête de voir notre fille, qui a cinq ans et qui veut continuer à voir son père.
—Que vous reproche-t-elle?
—Elle n’aime pas que je rencontre d’autres filles, alors qu’elle ne veut plus de moi, bizarre hein; elle devrait être contente que je mette mon énergie ailleurs que sur elle, si elle ne veut plus de moi.
—Pas toujours facile la vie de couple hein?
—Est-ce que Barbara a porté plainte contre moi ou pas?
—Pas à ce que je sache.
—Alors pourquoi voulez-vous me parler?
—Vous avez déjà été dans l’armée?
—Oui, j’ai été pendant trois ans à la base de Bagotville et j’ai complété mon service au début avril de cette année.
—Pourquoi être sorti de l’armée?
—J’avais complété mon engagement et j’avais aussi de plus grandes chances de me trouver un bon emploi; en outre, j’étais séparé et je voulais avoir la chance de voir ma petite régulièrement.
—Est-vous content de ce que vous avez appris dans l’armée?
—Oui car le fait d’avoir acquis de l’expérience en mécanique, en électricité et en électronique m’a aidé à trouver un bon emploi.
—Vous travaillez pour la compagnie Lalo?
—Oui je travaille à la filiale de Longueuil depuis fin mai.
—Quel lien avez-vous avec monsieur Doddley, le propriétaire de la compagnie?
—Je ne le connais pas personnellement, mais j’en entendu dire qu’il était fort en affaires.
—Vous avez appris aussi le maniement des armes, dans l’armée?
—Bien sûr inspecteur, c’est d’ailleurs une des choses les plus importantes.
—Avez-vous travaillé à l’entrepôt d’armement?
—Oui, les trois derniers mois avant la fin de mon engagement.
—Si je vous dis W174Z235, qu’est-ce que cela vous dit?
—Vous connaissez cet explosif inspecteur?
—Oui car il a servi dans l’explosion de la voiture de Viviane Groslier dimanche passé, le 9 août.
—Ah oui, j’ai entendu parler de cela à la télé.
—Avez-vous aussi entendu parler d’un vol dynamite et de deux « wizz » à la base de Bagotville, samedi le 11 juillet?
—Non, je ne suis plus dans l’armée et on ne m’informe pas de ce qui se passe dans cette boutique.
—Où étiez-vous cette journée-là?
—Oh-là inspecteur, je serais suspect pour ce vol?
—Vous aviez probablement la possibilité, connaissant bien les lieux et aussi les éléments de sécurité. Alors qu’avez-vous fait de cette journée?
—Je ne me rappelle pas pour l’instant; vous croyez que j’ai une mémoire d’éléphant?
L’inspecteur eut l’impression que monsieur Langelier tentait de gagner du temps.
—Je vais vous aider un peu; le 11 juillet était un samedi.
—Attendez que je compte; cette fin de semaine-là, je n’avais pas ma fille, mais je ne me rappelle pas ce que j’ai fait; je vais souvent me promener, faire des tours dans les bars et autres; ma vie est plus rangée lorsque j’ai la petite.
—Il serait important que vous retrouviez la mémoire, ça m’aiderait.
—Je vais chercher et je vous rappellerai pour vous le dire, si je trouve?
—Est-ce que vous vous souvenez de ce que vous avez fait dimanche passé?
—J’étais encore célibataire, pas la fin de semaine de ma fille, alors j’en ai profité pour sortir un peu; en après-midi il faisait chaud alors, j’ai été à la plage à Oka pour me rafraichir et surtout pour tenter de trouver une candidate intéressante; j’ai fait chou blanc, alors en veillée j’ai été dans une discothèque à Laval et je suis encore revenu bredouille; ça doit vouloir dire qu’à trente-deux ans, on commence déjà à être vieux hein?
—Monsieur Langelier, vous n’avez pas d’alibis véritables, ni pour la journée du vol, ni pour celle du décès de madame Groslier.
—Mais inspecteur, je ne connais pas la victime et je n’avais aucun intérêt à sa mort; sa mort réduit même la possibilité de m’en faire une amie.
—Est-ce une obsession, votre recherche de fille?
—Non, mais depuis que Barbara est partie, je dois travailler dur pour rencontrer des filles et à certains moments, j’ai l’impression d’être en manque, si vous voyez ce que je veux dire.
—J’espère que je ne vous retrouverai pas suspect d’un viol ou d’un enlèvement?
—Vous y allez fort inspecteur et pour revenir à l’explosion de l’auto de la femme, je ne vois pas qu’elle lien vous faites pour me suspecter?
—Votre passage dans l’armée et l’absence d’alibis véritablement vérifiables.
—Oui mais, il y a plusieurs personnes qui ont été dans l’armée et qui n’auraient pas d’alibis solides pour ces dates.
—Vous avez certainement raison monsieur Langelier; cependant, si je trouve que vous avez un lien avec la victime, vous devrez venir vous expliquer au poste.
—Je ne crains pas que ça arrive car je ne connais pas cette femme et je ne cherche pas d’emmerdement; je cherche seulement une compagne pour refaire ma vie.
Sur ce, l’inspecteur laissa monsieur Langelier en se disant que ce monsieur n’avait pas d’alibi, qu’il aurait eu la possibilité de faire le vol et le meurtre et travaillait pour la compagnie de monsieur Doddley. Richard avait aussi l’impression qu’il tenait un bon suspect, mais sans mobile et sans preuve directe, il ne pouvait rien faire d’autres que de continuer son enquête auprès des proches de Viviane, tout en restant vigilant sur les liens qu’il pourrait y avoir avec monsieur Langelier.

 

-5-

 

 Sur l’heure du dîner, Richard Chari réussit à rejoindre Robert Groslier, le frère de Viviane; ce dernier serait disponible à 17h pour rencontrer l’inspecteur au restaurant de la Place. Après avoir pris le temps de bien manger, pour une fois, il laissa un message à René Poitras, ex-mari de Viviane et il rejoint Jacques Dufour, le chum qui avait été harcelant. Ce dernier accepta de se présenter au poste demain, samedi le 15 août à 9h. Alors qu’il était en route pour Granby, Richard reçu l’appel de René Poitras, qui accepta lui aussi de le rencontrer demain au poste, mais cette fois-ci à 10h30. Richard sirotait un café lorsqu’il vît arriver monsieur Groslier, il devait être environ 17h30; Robert cherchait l’inconnu parmi les réguliers du restaurant.
—Bonjour monsieur, êtes-vous monsieur Richard Chari?
—Lui-même, et vous êtes, monsieur Groslier, je suppose?
—Exact inspecteur. Que puis-je faire pour vous?
—Un frère est souvent plus dans la confidence que les parents et j’aimerais vous entretenir de votre sœur Viviane qui est décédée dimanche. Je vous offre en commençant mes condoléances.
—Merci inspecteur.
—Est-ce que vous étiez proche d’elle?
—Pas autant que j’aurais voulu; je travaille ici et elle à Montréal; en outre, chacun faisait sa vie sans inquiéter l’autre.
—Quand vous êtes-vous parlés ou vus la dernière fois?
—Je crois que c’est à la fin juin, je l’ai appelée pour lui souhaiter bonne fête des Québécois.
—De quoi avez-vous parlé?
—De choses et d’autres, rien de vraiment spécial.
—Mais encore?
—Nous avons parlé de notre déception envers le PQ, qui est loin de vouloir faire l’indépendance du Québec.
—Est-ce que vous êtes des Souverainistes convaincus?
—De moins en moins.
—Est-ce qu’elle vous a parlé de son travail?
—Pas cette fois, nous avons surtout parlé de nos amours; je lui ai dit que je venais de rencontrer Colette; c’était d’ailleurs honnêtement le but de mon appel, lui dire que je venais de me faire une amie.
—Et elle?
—Viviane m’a dit qu’elle voyait encore son nouvel ami, Louis je crois; c’était récent comme liaison et ça ne semblait pas encore très sérieux car le gars est marié; ma sœur n’a  pas eu de grandes chances dans ses relations amoureuses.
—Est-ce que ça pourrait être une de ses anciennes relations qui aurait voulu se venger?
—Je ne sais pas, même si son ex, jacques, était plutôt violent.
—Est-ce qu’elle avait des problèmes d’argent?
—Pas à ce que je sache?
—Où étiez-vous le soir du décès de votre sœur?
—Dimanche passé, j’étais avec Colette, nous avons passé la journée au Vieux-Port de Montréal et le soir il y a eu un feu d’artifices; quelques heures auparavant ma sœur est morte dans une explosion sans que je le sache.
—Quand avez-vous été mis au courant du décès de Viviane?
—Le lendemain par mes parents, dès qu’ils ont appris son décès.
—Merci de votre collaboration et encore toutes mes condoléances.
Les deux hommes se quittèrent sans autre formalité et Richard retourna chez lui finir la veillée, en écoutant un film comique à la télévision; il disait que ça lui faisait du bien de rire un peu, car dans son travail, ça n’arrivait pas très souvent. Le lendemain, il était au bureau à 8h30 et vers 9h, monsieur Jacques Dufour se présenta tel que prévu.
—Bonjour monsieur Dufour, merci de votre ponctualité.
—Je n’aime pas attendre alors j’essaie de ne pas faire attendre les autres.
—Comment avez-vous appris le décès de Viviane?
—Ce sont les parents qui m’ont prévenu; ils avaient encore mon numéro.
—Est-ce que vous aviez encore des contacts avec Viviane?
—Pas depuis quelques semaines, car madame préfère sortir avec un homme marié.
—Connaissez-vous le nom de cet homme?
—Oui, car je les ai vu ensemble au parc et j’ai fait ma petite enquête. Il s’appelle Louis Bernatchez et sa femme s’appelle Catherine Simard.
—Est-ce que Viviane connaissait le nom de madame?
—Je ne crois pas et elle a même refusé que je lui dise, peut-on y comprendre quelque chose.
—Comment se fait-il que vous ayez encore des contacts avec elle?
—Elle est partie sur un coup de tête, il y a environ un an, mais je sais qu’elle m’aimait encore.
—Pourquoi est-elle partie?
—On s’est chicané et j’ai été un peu dur avec elle.
—Il y a aussi un rapport qui stipule que des policiers sont intervenus suite à une plainte de harcèlement, est-ce exact?
—Oui, c’est vrai que j’étais fâché qu’elle parte; elle ne pensait pas que je pouvais changer, alors je l’appelais pour lui dire que j’avais amélioré mon comportement et qu’elle n’avait plus rien à craindre.
—Elle vous demandait de changer quoi?
—Elle disait que j’étais trop contrôlant et qu’elle avait besoin de plus de liberté; moi je savais qu’il fallait la tenir un peu car voyez ce qu’elle a fait, s’embarquer avec un gars marié, ce n’est pas fort.
—Quand a eu lieu votre dernier contact?
—Probablement vers la fin juillet; je voulais lui démontrer que je m’étais encore amélioré, mais madame m’a menacé de rappeler les policiers. Pourtant quand on a commencé ensemble, elle disait qu’elle aimait ma manière de proposer alors que son ex, lui, était du style passif.
—Monsieur Dufour, quel est votre métier?
—Je travaille comme soudeur chez Steelco , ici à Montréal.
—N’est-ce pas cette compagnie qui détient aussi une mine de fer dans le nord québécois?
—Oui inspecteur.
—Est-ce que dans les mines, on utilise parfois des explosifs?
—Oui, mais où voulez-vous en venir?
—Je veux simplement vérifier s’il se pourrait qu’un homme, qu’on délaisse et contre lequel on porte plainte pour harcèlement, pouvait  être tenté de se venger?
—Bien oui, inspecteur, j’y ai déjà pensé, mais de là à la tuer, il faudrait que j’aie perdu tout espoir de la récupérer.
—Vous aviez encore de l’espoir, même si elle fréquentait un homme marié et qu’elle vous avait menacé de porter encore plainte, si vous continuiez à l’appeler?
—Ben oui, car la relation avec le gars marié, ça ne pouvait durer et elle me serait revenue comme elle l’avait déjà fait après quelques petites séparations; je vous le répète inspecteur, je ne l’ai pas tuée.
—Comment pouvez-vous me le démontrer?
—On ne peut pas démontrer qu’on n’a rien fait, je pense?
—Alors que faisiez-vous dimanche passé entre 18h et 20h?
—Je l’attendais celle-là; en après-midi, j’ai été me promener au parc Lafontaine, et je n’ai vu personne d’intéressant; Viviane va parfois marcher là. Ensuite, je suis retourné chez moi, j’ai soupé et j’ai pris quelques bières en écoutant un film. Ce n’est pas un crime hein?
—Je ne vous accuse de rien pour l’instant, mais convenez avec moi, que vous aviez cette fille dans la peau, que vous n’étiez pas content qu’elle soit partie, que vous l’avez déjà harcelée, que vous aviez probablement les moyens de faire exploser son auto et que votre alibi est mince.
—Donc je suis le coupable parfait; pourtant je vous jure que je ne l’ai pas tuée car je l’aimais trop pour ça.
—Malgré que je n’aie pas de preuve officielle, je vais vous demander de ne pas quitter la province, car il se peut que l’on doive se revoir.
—Est-ce que je peux partir, inspecteur?
—Oui, vous êtes libre.
Alors que Jacques Dufour sortait du poste de police, Richard se demanda combien de temps cet homme resterait libre, même s’il n’avait pas tué Viviane, car un homme contrôlant et agressif risque d’être violent et de se retrouver en dedans. Il était déjà 10h40  et René Poitras n’était pas arrivé; l’inspecteur, qui attendait depuis 10h30, appela à la résidence de monsieur Poitras, mais il n’obtint pas de réponse; lorsqu’il raccrocha,  Richard aperçu monsieur Poitras qui arriva enfin.
—Bonjour monsieur Poitras, dit l’inspecteur Chari en regardant sa montre.
—Excusez mon petit retard, inspecteur, mon cadran a sonné en retard et j’ai l’habitude de faire la grasse matinée le samedi.
—Est-ce que vous vivez seul?
—Pour l’instant, mais je compte bien me trouver une autre compagne bientôt.
—Que pouvez-vous me dire de Viviane Groslier?
—Je l’ai connu, elle avait vingt-trois ans et elle venait de commencer à travailler au ministère du revenu alors que moi, je terminais mes études au cégep. Nous avons vécu trois ans ensemble et ensuite, elle est partie.
—Pourquoi est-elle partie?
—Je crois qu’elle cherchait plus l’action alors que moi, j’étais assez bien dans la réflexion; on dit que les contraires s’attirent, c’est un peu vrai, mais ce sont parfois des chemins parallèles.
—Que faites-vous actuellement?
—J’enseigne au cégep, en philo, évidemment.
—Est-ce qu’il y a quelqu’un qui voulait du mal à Viviane?
—Vous savez, inspecteur, nos chemins parallèles se sont rarement croisés et lors de ces occasions, nous restions polis et aussi passablement distants.
—Vous parlait-elle de son travail?
—Lorsque nous étions ensemble, oui; ça faisait des sujets de discussions.
—Comment vivait-elle son travail?
—Elle était motivée et ça semblait bien se passer.
—Vous a-t-elle parlé de Jacques Dufour?
—Un peu, lors des premiers mois de notre séparation.
—Que vous en disait-elle?
—Rien de très spécial, sinon qu’il était un gars sportif et actif et qu’il savait où il allait, un peu le contraire de moi; elle ne voulait pas me faire de la peine je crois, alors nos rencontres étaient brèves.
—Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois?
—Ça doit bien faire plus d’un an; nous nous sommes croisés sur la rue et elle a refusé de venir prendre un café, prétextant qu’elle était pressée. Je sentais chez elle du malaise, mais je ne peux pas dire pourquoi.
—Que pensez-vous de la manière dont elle est morte?
—C’est étonnant et intriguant?
—Comment ça?
—C’était une fille honnête et faire sauter une auto, c’est souvent l’affaire de gars louches.
—De votre côté, pouvez-vous me dire ce que vous faisiez dimanche passé, le 9 août, entre 18h et 20h?
—Si vous permettez, je vais regarder dans mon agenda, ça va m’aider à me souvenir.
—Bien sûr, allez le chercher.
Pendant que le professeur regardait son agenda, Richard jeta un coup d’œil à l’appartement qui était encombré de nombreux papiers; il semblait que ce René était un peu perdu, se dit-il.
—J’ai trouvé, dimanche soir, j’ai été visionné un film avec des amis du club.
—Le club?
—Oui, le club de cinéphiles; chaque dimanche, un film est projeté et ensuite analysé par les différents participants; je fais partie de ce regroupement depuis déjà cinq ans; je me sers parfois de l’analyse des personnages afin de rendre mes cours de philo plus vivants.
—À quelle heure a lieu la projection?
—Elle débute à 18h30 et on en sort habituellement vers 22h.
—Est-ce que le nom de Louis Bernatchez vous dit quelque chose?
—Non, je ne connais personne de ce nom.
—Ce n’était pas plus grave que cela monsieur Poitras, merci de votre collaboration.
René Poitras repartit calmement sans trop se presser, pendant que Richard Chari tenta de rejoindre Louis Bernatchez.
—Oui?
—Est-ce que je peux parler à monsieur Louis Bernatchez?
—Il n’est pas ici en ce moment; est-ce que vous voulez lui laisser un message?
—Non, je voudrais lui parler directement si c’était possible.
—Qui êtes-vous?
—Je suis l’inspecteur Richard Chari et je travaille à la criminelle?
—Que voulez-vous à mon mari?
—Simplement obtenir quelques informations.
—Vous pouvez le rejoindre sur son cellulaire; il devrait être au club de golf.
—Merci bien madame.
Richard contacta immédiatement monsieur Bernatchez qui accepta de se présenter au poste à 14h. Monsieur Bernatchez se présenta à l’heure convenu.
—Bonjour monsieur Bernatchez.
—Bonjour inspecteur.
—Vous savez pourquoi je vous ai demandé de venir me rencontrer?
—Oui, je m’en doute.
—C’est à cause du meurtre de Viviane Groslier, femme que vous connaissiez bien je crois?
—Oui, c’est exact, je connaissais madame Groslier.
—Est-ce que votre épouse était au courant de votre liaison?
—Non et j’espère qu’elle ne l’apprendra pas, car elle pourrait me faire payer cela très cher.
—Votre épouse s’appelle bien Catherine Simard?
—C’est exact.
—Depuis quand étiez-vous l’amant de madame Groslier?
—Je l’ai connu il y a quelques mois lorsque je suis allé prendre un verre dans un bar après ma journée de travail.
—Quel est votre travail monsieur Bernatchez?
—Je travaille comme architecte pour la compagnie Woodland; ça fait déjà dix ans que j’y travaille et j’aime encore ça, car chaque projet est un nouveau défi.
—Quelle était la fréquence de vos contacts avec madame Groslier?
—Pas plus qu’une fois par semaine, car je ne voulais pas éveiller les soupçons de ma femme.
—Où vos rencontres avaient-elle lieu?
—D’abord dans des hôtels et, ensuite, chez elle car elle vivait seul depuis qu’elle avait quitté son ex.
—De qui parlez-vous?
—De Jacques Dufour; elle a déjà été obligé de faire intervenir les policiers car il la harcelait.
—Madame Groslier se contentait de vos rencontres hebdomadaires ou si elle souhaitait vous voir plus souvent?
—Elle disait qu’elle aimerait me voir plus souvent, mais semblait se contenter de nos rencontres; elle craignait peut-être de s’engager de nouveau.
—De votre côté?
—Je lui disais bien sûr que je l’aimais et que je finirais par quitter ma femme; cependant c’était plus comme une formalité qu’un véritable engagement de ma part et elle le savait; en fait, on se rencontrait environ une fois par semaine, pour baiser; ça nous faisait du bien à tous les deux.
—Vous a-t-elle déjà menacé de le dire à votre femme?
—Non, et je ne lui ai pas révélé son nom.
—Vous savez qu’il est facile de trouver le nom des conjoints, surtout pour une femme qui travaillait au ministère du revenu.
—Je sais, mais elle ne mettait pas de pression et nos rencontres étaient encore basées sur le plaisir et non sur des obligations.
—Où étiez-vous le soir du meurtre?
—J’étais chez moi avec ma femme.
—Quelles sont vos relations avec votre femme?
—Bien, je crois, mais j’avais besoin d’un plus.
—Vous savez que votre femme est au courant que je voulais vous parler?
—Oui, j’aurai droit à tout un chapitre en retournant à la maison.
—Qu’allez-vous lui dire?
—Je vais prendre le risque de lui dire la vérité, car elle trouvera certainement le moyen de l’apprendre maintenant. Vous ne m’avez pas aidé inspecteur.
—On doit toujours assumer ses responsabilités, même lorsqu’on trompe quelqu’un.
—Merci pour la morale; je vais essayer quand même de sauver mon couple, car après tout, Catherine est une belle femme, intelligente et assez passionnée. J’espère qu’elle ne sera pas trop rancunière et que le coût de mon infidélité ne sera pas trop élevé.
—Je vous le souhaite aussi; je devrai évidemment contacter madame afin de confirmer votre alibi, même si je ne vois pas, pour l’instant, le mobile que vous auriez pu avoir à tuer votre maîtresse.
—Je n’avais pas de mobile à la tuer, car notre relation était encore très intéressante pour les deux et sans obligation.
—Je vous remercie de votre collaboration.
Sur ce, Richard invita monsieur Bernatchez à prendre congé; ce dernier semblait plus préoccupé qu’à son arrivée. De son côté, Richard avait besoin de prendre le temps d’analyser ce qu’il avait pu tirer de ce premier tour de piste et pour se reposer. Il appela alors Élise et lui proposa de poursuivre ce qu’il avait amorcé dimanche passé, d’autant plus qu’il ne serait pas de garde. Élise accepta un nouveau souper dimanche. Le fameux poulet de Richard a semblé plaire à Élise et les deux ont continué à faire connaissance. Au départ d’Élise, Richard l’embrassa et Élise ne s’y opposa pas, au contraire. Ils convinrent de se revoir samedi le 22 août et d’aller ensemble au festival des montgolfières. Richard était content de lui et peut-être même heureux.

 

-6-

 

En ce lundi du 17 août, Richard repris le boulot le cœur un peu plus léger que d’habitude, mais il était tout aussi concentré. Le bilan de ses rencontres l’amenait à certaines hypothèses:
-Il ne semble pas y avoir un proche de la famille immédiate qui puisse être vraiment suspecté, les deux parents et le frère n’ayant pas de mobiles.
-Son amie Aurélie n’était pas suspectée et Richard nota qu’il n’était pas allé rencontrer Nicole Boisvert ni Élizabeth Fourchu, deux autres amies de Viviane; peut-être devrait-il y aller.
-Parmi ses ex, Jacques Dufour est un suspect important car il pouvait avoir un motif et les moyens d’agir et il n’a pas présenté un alibi solide.
-Louis Bernatchez ne présente pas de mobile et son alibi reste à être confirmé par son épouse Catherine.
-Parmi les collègues, Denis Lamarche avait possiblement un mobile mais son alibi est confirmé par son épouse. Est-ce qu’elle pourrait être dans le coup?
-François Lampron, autre collègue de Viviane, pourrait être le meurtrier vu que ses avances ont été rejetées et qu’il n’a pas vraiment d’alibi.
-Rick Doddley de la compagnie Lalo a un mobile, mais il n’a certainement pas fait le coup lui-même. Parmi ses hommes, Bruno Laurier et Léo Langelier ont fait de l’armée. Ce dernier pourrait bien être l’assassin vu qu’il était à Bagotville, seulement quelques mois avant le vol de dynamite et des engins W174Z235 et qu’il n’a pas d’alibis véritablement solides; cependant quel serait le mobile à part l’argent que pourrait lui avoir promis monsieur Doddley?           
Richard conclut qu’il devait maintenant concentrer son enquête à vérifier si Léo Langelier pouvait être l’homme de main de Rick Doddley, président de la compagnie Lalo. Il faut aussi revoir Jacques Dufour, l’ex de Viviane et François Lampron qui aurait aimé qu’elle s’intéresse à lui. Richard rejoint Léo Langelier qui accepta de se présenter au poste à 19h, ce soir. Richard se rendit alors chez Steelco et intercepta Jacques Dufour qui se rendait à la cafétéria pour dîner.
—Bonjour monsieur Dufour, est-ce que vous pourriez m’accorder quelques minutes?
—Si ça ne vous dérange pas que je mange en même temps?
—Pas de problème.
Les deux hommes trouvèrent un endroit où ils pourraient jaser sans attirer l’attention.
—Que voulez-vous  de plus inspecteur, je vous ai tout dit?
—Oui je sais; vous l’aimiez, mais vous avez été violent envers elle et elle est partie; ensuite, Viviane a porté plainte car vous la harceliez; vous l’avez suivie parfois, vous travaillez dans une usine où il est possible d’avoir accès à des explosifs et surtout vous n’avez pas d’alibi pour le soir du meurtre; que demander de plus pour faire un bon suspect?
—Je sais inspecteur, mais je ne l’ai pas tuée; elle me fera encore baver après sa mort; est-ce que je suis le seul suspect?
—Non mais…
—Mais quoi inspecteur?
—Rien; quel film avez-vous regardé dimanche passé?
—Je ne me souviens plus vraiment.
—Cherchez, donnez-moi une raison de vous croire.
—Le problème est que j’en écoute passablement et que j’oublie vite.
—Faites-vous exprès pour vous accuser?
—Loin de là. Je crois avoir enfin trouvé inspecteur.
—Vous vous rappelez le film que vous avez vu?
—Oui, c’était James Bond, son dernier film?
—C’est quoi le titre?
—Je ne me souviens pas, mais je me souviens qu’il n’y avait pas de bons films en direct à la tv, alors j’ai utilisé Super Écran sur demande, peut-être y aura-t-il des traces à la compagnie?
—Vous faites affaire avec qui?
—Vidéotron.
—Quel est votre numéro de membre?
—Je ne sais pas, mais c’est à mon nom.
—Je vais communiquer avec la compagnie et si cela s’avère exact, cela pourra vous aider à vous disculper.
—Vous savez inspecteur, lorsqu’on écoute un film sur demande, on peut l’arrêter et le repartir lorsqu’on veut; je sais que j’ai arrêté le film à un moment donné pour aller me chercher une autre bière.
—Est-ce que vous pouvez me fournir autre chose qui pourrait vous éliminer de ma liste de suspects?
—Je ne crois pas.
—Je vous remercie encore de votre collaboration monsieur Dufour.
Richard se rendit directement chez Vidéotron  avec l’autorisation signée de monsieur Dufour;  le gérant accepta facilement de vérifier les demandes effectuées par monsieur Dufour, dimanche le 9 août. Monsieur Dufour avait effectivement demandé Sky Falls, le dernier film de James Bond; il avait commencé le visionnement à 18h45 et il avait fait une pause de quelques minutes vers 20h pour reprendre ensuite le visionnement sans interruption jusqu’à la fin. Après être sorti du commerce, Richard se demanda si Jacques Dufour aurait pu aller poser la bombe entre  18h et 18h30, car ça prenait environ 15 minutes de son appartement au restaurant Bâton Rouge; il se dit que c’était possible mais improbable. Super Écran sur demande était peut-être sa planche de salut.
Léo Langelier se présenta comme prévu à 19h; Richard l’attendait.
—Bonjour monsieur Langelier, merci de votre ponctualité.
—Est-ce que vous avez de nouveaux développements inspecteur?
—L’enquête progresse et je veux vérifier certains points avec vous.
—Est-ce moi qui est votre suspect?
—Pour ne rien vous cacher, vous êtes un des suspects.
—Sur quoi vous basez-vous pour penser cela?
—Vous le savez…Vous avez travaillé dans l’armée et votre engagement à Bagotville s’est terminé seulement quelques mois avant le vol de la dynamite et des engins explosifs W174Z235. Vous n’avez pas présenté d’alibis valables pour le 11 juillet, vol des explosifs, ni pour le 9 août, meurtre de Viviane Groslier; en outre vous travaillez pour monsieur Doddley qui a eu un contentieux avec madame Groslier.
—Je vous répète que je ne connaissais pas cette femme.
—Cependant monsieur Langelier votre patron la connaissait car elle avait mis la compagnie de monsieur Doddley à l’amende pour cent mille dollars.
—Qu’est-ce que cela a affaire avec moi, je vous ai dit l’autre jour que je ne connaissais pas personnellement monsieur Doddley.
—Est-ce que vous pouvez m’autoriser à vérifier votre compte en banque ainsi que vos relevés téléphoniques?
—Pas de problème et vous verrez, inspecteur, qu’il n’y a pas eu d’entrée spéciale d’argent  qui pourrait laisser supposer un contrat. Je gagne honnêtement ma vie, même si ma vie affective est parfois chaotique.
—Je l’espère pour vous. Est-ce que vous avez trouvé ce que vous faisiez samedi le 11 juillet alors qu’il y a eu un vol de dynamite au dépôt d’armements de l’armée à Bagotville?
—Rien de plus que ce que je vous avais dit, soit faire le tour des bars afin de tenter de me trouver une fille.
Richard remercia monsieur Langelier de s’être présenté et de l’avoir autorisé à vérifier le compte en banque ainsi que les relevés téléphoniques. Le lendemain matin, dès la première heure, Richard communiqua avec l’institution bancaire et la compagnie de téléphone pour obtenir les relevés; après leur avoir acheminé, par fax, l’autorisation signée de monsieur Langelier, les deux institutions firent parvenir rapidement les relevés demandés. Richard éplucha les relevés et ne trouva rien de spécial qui aurait pu faire croire que monsieur Langelier avait accepté un contrat ni même qu’il connaissait vraiment monsieur Doddley. Richard se dit qu’il avait fait chou blanc et que son principal suspect n’était peut-être pas le meurtrier. Il téléphona ensuite à François Lampron, collègue de Viviane; ce dernier accepta de rencontrer l’inspecteur, même s’il ne voyait pas ce qu’il pouvait dire pour faire avancer l’enquête; Richard était au bureau de monsieur Lampron à 13h30.
—Merci de me recevoir monsieur Lampron.
—Je n’ai pas très bien compris pourquoi vous vouliez me rencontrer de nouveau inspecteur?
—Eh bien, je veux vérifier plus sérieusement ce que vous avez fait dimanche le 9 août entre 18h et 20h.
—Je vous l’ai dit inspecteur, je me suis promené en auto et j’ai passé devant le restaurant où soupait Viviane.
—Comment avez-vous su qu’elle mangerait à ce restaurant ce soir-là?
—En allant à son bureau, j’avais entendu qu’elle invitait une amie à manger au Bâton Rouge pour souligner son anniversaire.
—Pourquoi avoir passé par là?
—Pour la voir. Je dois être un peu maso hein?
—Je dirais que vous êtes amoureux et un amoureux déçu peut devenir dangereux.
—Qu’avez-vous fait après être passé au restaurant?
—Pas grand-chose, je crois que j’ai roulé encore quelques temps avant de revenir à mon appartement, en me disant que demain, j’aurais peut-être une chance.
—Avec ce que vous me donnez comme alibi, je ne peux vous retirer de ma liste de suspects.
—J’imagine….mais je ne peux quand même pas inventer une histoire pour tenter de me disculper d’un meurtre que je n’ai pas commis?
—Non certainement.
—J’y pense aussi inspecteur, comment pouvez-vous encore me suspecter, alors que je ne suis pas un gars qui s’y connait en mécanique ni en explosif; je n’aurais pas su comment poser un explosif, même si j’en avais eu un en ma possession, ce qui n’est pas le cas évidemment. En outre, je ne voulais pas la tuer car j’avais encore espoir qu’elle accepte de sortir avec moi.
—Je vous comprends, mais je vous garde sur ma liste de suspects.
—Je saisis bien que vous devez vous fier aux faits et que je ne peux prouver mon innocence.
—C’est malheureusement ça monsieur Lampron; bonne fin de journée quand même.
Richard Chari quitta alors le bureau de monsieur Lampron en se disant que ce monsieur n’avait pas le comportement d’un homme qui  a quelque chose à cacher, c’était plutôt un homme amoureux qui semblait s’illusionner. Heureusement, ce n’était pas un homme agressif, il n’était pas sur la liste de l’armée et ne semblait pas intéressé par la mécanique. En bout de ligne, l’inspecteur voyait la liste de ses suspects  s’étioler gravement. Il retourna au bureau afin de compiler ses informations et tenter de voir ce qu’il avait manqué. Qui avait passé dans les mailles?  Peut-être les amies de Viviane, Louis Bernatchez et/ou sa femme, si elle savait que son mari avait Viviane comme maîtresse. En fait, ce n’était que des hypothèses à vérifier. Il se dit que la  plus probable de ces hypothèses touchait le couple Bernatchez-Simard. Il était 15h lorsque Richard Chari sonna à la porte de ce couple.
—Oui, dit madame Simard en ouvrant la porte?
—Je suis l’inspecteur Richard Chari et j’aimerais vous poser quelques questions.
—À propos de quoi?
—Du meurtre de madame Viviane Groslier, meurtre survenu dimanche le 9 août.
—En quoi cela me regarde-t-il?
—Simple vérification de routine; en fait, je veux savoir où était votre mari vers l’heure du souper?
—Il était ici pour une fois; vous savez inspecteur, mon mari travaille comme  architecte pour la compagnie Woodland et il s’absente souvent. Quel lien faites-vous entre mon mari et madame Groslier?
—Votre mari a avoué la connaître.
—Ah vous savez inspecteur, mon mari connaît beaucoup de monde; que faisait-elle cette femme?
—Elle travaillait au ministère du revenu du Québec.
—Alors, ça devait être une connaissance d’affaire.
Richard ne releva pas cette phrase prononcée plus sur un ton d’affirmation que de question; en outre, l’attitude de madame Simard lui paraissait suspecte, car le mari avait dit à Richard qu’il avouerait son infidélité à son épouse.
—Est-ce que votre mari vous présente souvent ses relations d’affaire?
—Pas vraiment, en fait, je connais son équipe de travail mais pas ses clients.
—Quelles sont vos occupations durant les absences de votre mari?
—Je travaille aussi, alors je n’ai pas le temps de m’ennuyer.
—Quel est votre travail?
—J’aide une amie qui a une boutique de décoration, Noëlla Boutin décorations. J’y travaille quelques heures par semaine.
—Je vous remercie de votre temps madame.
—Quoi, vous n’avez plus de questions?
—Non, je vous avais dit que c’était une simple routine et vous avez confirmé l’alibi de votre mari.
En s’en retournant au bureau, Richard ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y avait anguille sous roche, mais il n’avait pas voulu confronter madame Simard sur le fait que son mari était l’amant de Viviane; il y reviendrait plus tard si ça pouvait lui servir. Richard cherchait des pistes et en feuilletant la liste remise par l’armée, il découvrit le nom de Noëlle Boutin, l’employeur de Catherine. Est-ce que ce n’était qu’une coïncidence? Richard, qui tournait en rond dans cette enquête, sentit le filon et décida d’aller vérifier, tout de suite; en fait Richard arriva à la boutique alors que madame Boutin la fermait.
—Bonjour est-ce que je peux parler à madame Boutin?
—C’est moi-même, cependant je suis en train de fermer la boutique.
—Je ne suis pas ici pour acheter, je suis l’inspecteur Richard Chari et j’aurais besoin de vous poser quelques questions.
—Je complète ma fermeture et je suis à vous.
—Ok.
Madame Boutin ne prit que quelques minutes pour officialiser la fermeture de son commerce.
—Qu’est-ce que je peux faire pour vous, inspecteur?
—J’enquête sur le meurtre d’une femme décédée suite à l’explosion de sa voiture dimanche le 9 août.
—Ah oui, on m’en a parlé et j’ai entendu les nouvelles à la radio.
—Qui vous a informé de cet événement?
—C’est mon amie, Catherine Simard, qui avait écouté la radio le matin; elle suit plus les informations que moi, alors que moi, je préfère écouter de la musique lors de mes transports. En quoi cela me touche-t-il?
—J’ai su que vous aviez déjà fait de l’armée.
—C’est surprenant pour une fille qui a une boutique de décorations hein!!
—En effet.
—Après avoir complété mon cégep en administration, je ne trouvais pas d’emplois intéressants; l’armée engageait des jeunes diplômés afin de renouveler ses effectifs. J’y ai travaillé durant deux ans; cependant j’ai quitté l’armée car je ne pouvais faire appel à ma créativité. J’ai alors décidé, il y a deux ans, d’ouvrir cette petite boutique qui commence à faire sa place au niveau de la décoration.
—Combien avez-vous d’employées?
—Nous sommes seulement trois avec moi; les deux employées sont Rita Langevin qui est aussi associée dans le commerce et il y a Catherine Simard qui y travaille à temps partiel.
—Connaissez-vous bien madame Simard?
—Je dirais que c’est une bonne employée et aussi une amie, même si elle est assez discrète. A-t-elle des problèmes?
—Est-ce qu’elle vous a déjà parlé de sa relation de couple?
—Évidemment inspecteur, c’est habituellement le sujet préféré des femmes; plus sérieusement, elle a dit, il y a plusieurs mois, qu’elle croyait que son mari avait une maîtresse.
—En avez-vous parlé souvent après?
—Non, et elle ne semblait pas affectée par cela; en outre, je me demande si elle ne voit pas quelqu’un en cachette.
—Qu’est-ce qui vous fait dire cela, encore l’intuition féminine?
—Un peu, mais aussi son attitude lors de la fête que nous avons donnée pour souligner le deuxième anniversaire du commerce à la fin mars. Elle n’était pas avec son mari et elle s’est permise de danser avec certains de nos invités, sans être déplacée cependant.
—En avez-vous parlé après?
—Un peu, pour dire que nous avions eu une belle fête et que cela nous apporterait peut-être d’autres contrats.
—Non, je veux dire avez-vous reparlé de ses relations ou de ses contacts de ce soir-là?
—Non pas vraiment.
—Est-ce qu’il y avait beaucoup d’invités à cette fête?
—Non, nous n’avions pas les moyens de payer les cocktails à toute la ville; en fait, il y avait des clients et aussi des fournisseurs et quelques amis.
—Est-ce que vous avez une liste des personnes invitées?
—Pourquoi cela, inspecteur; la fête remonte au mois de mars et en outre, je ne vois pas le rapport entre cette fête et le décès sur lequel vous enquêtez?
—Vous avez raison, madame Boutin, il n’y a probablement pas de rapport, mais je cherche toute les pistes possibles.
Madame Boutin ouvrit son ordinateur personnel et retrouva la liste des personnes invitées pour cette fête; elle en fit une copie à l’inspecteur.
—Merci bien de votre collaboration et j’espère que votre commerce vous permettra de gagner votre vie, tout en continuant de mettre à profit votre créativité.
—Merci inspecteur, si tous les gens dans la police étaient aussi gentils, ils auraient meilleure réputation.
Richard quitta le commerce de décoration et retourna à la maison; pour une fois, il avait l’intention de ne pas travailler en veillée. Durant la soirée, il téléphona à Élise; ils parlèrent bien trente minutes et Élise accepta d’aller voir un spectacle du festival Juste pour rire vendredi soir; il a été convenu que Richard achète les billets mais qu’Élise lui remboursera sa part.

 

-7-

 

Ce n’est que le lendemain matin, soit mercredi le 19 août que Richard jeta un coup d’œil à la liste que lui avait remise madame Boutin. Était-ce une autre coïncidence? Il y trouva sur cette liste le nom de Léo Langelier, son suspect numéro un. Rapidement, trop rapidement peut-être, Richard fit des liens entre la mort de Viviane par un procédé utilisé dans l’armée et par la présence à cette fête de Léo Langelier, encore suspecté, et de Catherine Simard, la femme de Louis Bernatchez, l’amant de Viviane. Même s’il y avait un lien à faire entre Catherine Simard et Léo Langelier, ce qui restait à découvrir, Richard n’avait pas de preuve que Catherine savait vraiment que Viviane était la maîtresse de son mari. Cette journée-là vers 10h, Richard sonnait à la porte de la résidence du couple Bernatchez-Simard. C’est madame Simard qui ouvrit.
—Que voulez-vous encore inspecteur?
—Je m’excuse de vous déranger, mais j’aimerais avoir quelques informations supplémentaires.
—Vous aviez dit que l’alibi de mon mari était confirmé.
—Puis-je entrer?
—Oh excusez-moi, inspecteur, bien sûr. Que voulez-vous savoir de plus sur mon mari?
—Quelles sont ses relations avec vous?
—Que voulez-vous insinuer inspecteur?
—Je ne fais que poser la question.
—Eh bien oui, notre relation n’est plus aussi intéressante qu’au début, mais cela me paraît normal car nous vivons ensemble depuis plusieurs années.
—Est-ce que votre mari a déjà eu des relations extraconjugales?
—Pas à ce que je sache, mais on n’est jamais sûr de tout, n’est-ce pas et surtout des hommes.
—Probablement.
—Et vous madame, est-ce que vous avez déjà eu des relations secrètes?
—Bien sûr que non, pour qui me prenez-vous?
—Est-ce que vous connaissez Léo Langelier?
—Qui est-ce?
—Un des invités à la fête donnée, à la fin mars, par la boutique où vous travaillez.
—Oui effectivement, je crois l’avoir rencontré.
—Comment était-il?
—Gentil mais aussi assez entreprenant, et pour éviter un froid dans la fête, j’ai accepté de faire une danse avec lui.
Catherine sentant la soupe chaude ajouta.
—Je me rappelle aussi qu’il se demandait si toutes les femmes étaient pareilles.
—Que voulait-il dire?
—Il semblait en peine d’amour à cause d’une fille qui l’avait laissé. Je ne suis pas certaine mais je crois qu’il avait dit qu’elle s’appelait Viviane.
—Avait-il prononcé le nom de famille?
—Je ne me souviens pas; pensez-vous, inspecteur, que ça pourrait être la victime?
Catherine voulait manigancer mais elle constata qu’elle avait une erreur et qu’il serait facile pour Richard de vérifier ce qu’elle avait dit; alors dès que l’inspecteur repartit, Catherine appela Léo Langelier et lui donna rendez-vous dans un petit restaurant pour le dîner. Elle l’informa que Richard s’intéressait de plus près à eux et pour l’éloigner, Léo devrait reconnaître avoir été en peine d’amour avec une certaine Viviane, mais pas Viviane Groslier pour éviter de créer un lien avec la victime. Richard se présenta quelques minutes après midi à la filiale de la compagnie Lalo à Longueuil, il n’y trouva pas Léo Langelier, qui était en fait en train de dîner et discuter avec Catherine. Pour le reste de l’après-midi, Richard imagina quelques hypothèses et celle d’une complicité entre Catherine et Léo Langelier faisait sens. Catherine semblait forte et manipulatrice et il serait difficile de retourner la voir pour la faire avouer sans avoir obtenu d’autres informations. À 17 heures, Richard attendait Léo qui sortait de la filiale; Léo accepta de suivre Richard au poste; une fois installé dans le bureau et avec un café pour chacun, l’inspecteur dit :
—Nous avons affaire à nous parler sérieusement monsieur Langelier?
—Il me semble que j’ai déjà répondu à vos questions inspecteur.
—Oui, mais j’en ai encore quelques-unes.
—Allez-y qu’on en finisse.
—Est-ce que vous connaissez madame Catherine Simard?
—Je n’ai pas vraiment la mémoire des noms.
—Madame Simard était à une fête organisée par la boutique de décoration de Noëlla Boutin, à la fin mars.
—C’est loin cela inspecteur?
—Pourtant elle dit se souvenir de vous car elle aurait dansé avec vous pour éviter de troubler la fête, vu que vous étiez assez insistant.
—Je n’ai pas l’habitude de courir après les femmes mariées.
—Comment savez-vous qu’elle était mariée?
—Je crois qu’elle me l’a dit.
—Vous étiez en peine d’amour lorsque vous avez rencontré madame Simard?
—Oui durant cette période, j’avais l’œil sur une certaine Viviane que j’avais rencontré dans un bar, mais qui a refusé de me rencontrer par la suite.
—Est-ce que c’était Viviane Groslier, la victime qui a explosé dans son auto?
—Bien sûr que non, inspecteur.
—Pourtant madame Simard semble le laisser croire; si cela était, j’aurais le mobile que je cherche depuis le début de cette enquête et vous devriez prendre rapidement un avocat.
—Ce n’est pas la même, j’en suis certain.
—il me sera facile de démontrer que vous aviez des liens avec Catherine Simard, plusieurs gens à la fête en mars pourront m’informer de votre attitude et si, comme le dit madame Simard, vous étiez aussi insistant avec Viviane qu’avec elle, vous seriez alors le suspect idéal; je présume même que madame Simard pourrait aller dans ce sens pour se protéger.
—Comment cela inspecteur?
—Vous savez aussi bien que moi que Viviane Groslier était la maîtresse de Louis Bernatchez; il n’y a alors qu’un pas pour que Catherine ait voulu se venger.
L’hypothèse présentée comme une affirmation eu l’effet escompté et monsieur Langelier ne protesta pas.
—Je ne connaissais pas madame Groslier?
—Mais vous avez connu madame Simard; est-ce vous ou elle qui a fait les premiers pas?
—J’aurais dû me méfier; je croyais qu’elle succombait à mon charme, mais j’ai l’impression que c’est elle qui m’a manipulé.
—Et elle vous manipulera encore si vous n’avouez pas.
—Ce n’est pas moi qui a eu l’idée, car c’est vrai que je ne connaissais pas madame Groslier, mais Catherine était remplie de vengeance.
—Comment en êtes-vous arrivé à poser la bombe?
—Tout d’abord, Catherine et moi on s’est revu plusieurs fois après la première rencontre de mars, à la fête pour la boutique.
—Au fait, comment se fait-il que vous ayez été à cette fête?
—C’est Noëlla Boutin, que j’avais connu dans l’armée, qui m’a invité; elle voulait avoir du monde et m’avait promis qu’il y aurait de belles femmes.
—Donc, vous avez rencontré madame Simard à plusieurs reprises?
—Oui assez pour l’avoir dans la peau; elle est belle et intelligente; elle a le tour de nous faire sentir important.
—Pourquoi tuer la maitresse au lieu du mari?
—Je ne sais pas trop, mais Catherine disait que si son mari décédait, elle serait rapidement soupçonnée, alors que si la maîtresse disparaissait, c’était moins pire.
—Elle récupérerait son mari et vous là-dedans?
—Elle me promit qu’elle pourrait facilement divorcer car il serait facile de découvrir que son mari était l’amant de madame Groslier et après le divorce, nous devions nous installer ensemble avec en plus probablement un bon magot.
—Le jackpot quoi?
—Je l’ai pensé.
—Avez-vous pensé qu’elle pourrait vous faire porter seul le chapeau car elle n’avait pas les moyens de voler les explosifs et de faire sauter la voiture alors que vous, vous en aviez la capacité.
Richard obtint la déclaration incriminante et monsieur Langelier fut incarcéré immédiatement. Après la rencontre, l’inspecteur se rendit à la résidence de madame Simard, il devait bien être 19h. Cette fois-ci c’est monsieur Bernatchez qui répondit.
—Que voulez-vous inspecteur, je crois vous avoir tout dit?
—Ce n’est pas vous que je veux voir mais votre épouse.
—Je ne comprends pas.
C’est à ce moment que Catherine fit son apparition; elle présentait un petit sourire.
—Que me voulez-vous inspecteur?
—Est-ce que je peux vous parler en privé?
—Je crois que ce ne sera pas nécessaire, dites ce que vous avez à dire.
—C’est simple madame Simard, je viens d’obtenir la confession de monsieur Langelier et il vous incrimine dans le meurtre de Viviane Groslier, la maîtresse de votre mari.
Catherine regarda son mari.
—Louis tu es aussi coupable que moi, c’est à cause de toi que tout cela est arrivé; je vais faire de la prison, mais ça sera moins pire que de continuer de faire semblant de t’aimer. Attends-toi à devoir payer pour ce que tu as fait.
Louis ne répondit pas alors que Richard amenait l’épouse menottée. Au bureau, Catherine accepta de remplir sa déposition qui correspondait à l’hypothèse de l’inspecteur et à la déclaration faite par son amant. Catherine fut mise aussitôt en détention et Richard compléta sa journée en communiquant à Maxime Chicoine le nom de Léo Langelier comme étant le responsable du vol de dynamite et des engins W174Z235. Richard était content d’avoir élucidé l’affaire mais il n’y voyait rien d’agréable à ce que des êtres se trompent, trichent et tuent. Rendu à la maison, il téléphona à Élise pour lui demander comment avait été sa journée et simplement pour entendre sa voix. Il se dit que la passion peut faire faire beaucoup de chose.