Familles Bonin

 

MADAME LA DIRECTRICE

 

Nouvelle policière

 

-1-

 


La journée avait été longue pour Édith qui avait dû traiter plusieurs dossiers. Édith est la directrice du Collège D’Anjou, une école secondaire privée où plus de cinq cents garçons et filles s’agitent chaque jour. Madame la directrice, comme les jeunes l’appellent, ne paraît pas ses cinquante et un an, tant elle est énergique et, ce qui ne gâte rien, elle est passablement belle. Elle a téléphoné à André, son mari, pour l’informer qu’elle ne viendrait pas souper et qu’elle avait du boulot jusqu’à 21h environ. Vers 20h, André rejoint son épouse afin de vérifier où elle est rendue dans son travail; elle lui assure qu’elle aura complété pour 21h. Vers 22h, André appelle le 9-1-1 car il vient de retrouver sa femme morte dans l’allée boisée reliant l’école au stationnement. C’est le constable Réjean Laplume qui est  le premier sur les lieux du crime et il  voit monsieur Couillier à genoux près de son épouse. L’ambulance arrive peu de temps après, suivi du médecin légiste Nicolas Fortin. Le périmètre de sécurité est installé par le policier Laplume, aidé du policier Grégoire Lachance qui vient d’arriver. Brandon et son équipe de techniciens se pointent en même temps que l’inspecteur Chari. Les curieux commencent à affluer, car c’est assez rare qu’il y a autant de brouhaha à l’école un mercredi soir. Richard dit aux policiers de faire en sorte que les gens respectent le périmètre d’investigation et demanda lequel des deux policiers avait été le premier sur les lieux. Le constable Laplume répondit qu’il a été le premier sur les lieux du crime et qu’il a trouvé monsieur Couillier à genoux près de son épouse, la directrice Édith Bourchemin; c’est monsieur qui a découvert le corps et qui a appelé les secours. Richard se rendit ensuite auprès de la victime alors que le médecin légiste constatait le décès.
—Bonjour Nicolas.
—Bonjour inspecteur, elle semble décédée, il y a peu de temps, une heure ou deux tout au plus; elle a été frappée par derrière sur la tête avec un objet contondant et elle serait morte presque sur le coup. Une fois que les photos auront été prises, je l’amènerai à l’institut afin de préciser la cause exacte de la mort.
Richard nota que le décès se situerait entre 20h et 22h, ce mercredi 14 mai. Pendant que Brandon et son équipe effectuaient des prélèvements, prenaient des empreintes de pas etc., Richard s’approcha de monsieur Couillier qui était avec les ambulanciers.
—Bonjour monsieur Couillier, je suis l’inspecteur chargé de ce meurtre, je m’appelle Richard Chari; comment allez-vous?
—Assez bien pour vous parler, si ces messieurs me laissent respirer.
Les ambulanciers précisèrent que les signes vitaux de monsieur André Couillier se situaient dans le registre de la normale, à l’exception du pouls qui battait très vite. Ils proposèrent un relaxant à monsieur qui accepta et les ambulanciers prodiguèrent encore quelques conseils à monsieur avant de repartir.
—C’est vous qui avez trouvé votre épouse?
—Oui inspecteur; vu qu’elle n’était pas revenue comme prévu, j’ai décidé de me rendre à l’école et je l’ai trouvée étendue face contre terre; elle n’a pas répondu lorsque je lui ai  parlé, alors je l’ai retournée lentement et j’ai vu qu’elle semblait morte; j’ai appelé le 9-1-1 et j’ai attendu l’arrivée des secours.
—À votre arrivée, est-ce que vous avez-vu des personnes près de l’école?
—Pas vraiment, mais j’ai entendu des bruits, sans pouvoir en indiquer la source ni la nature.
—À quelle heure devait-elle revenir à la maison?
—Elle avait téléphoné vers 17h pour dire qu’elle devait compléter un travail et de ne pas l’attendre pour souper; elle devait revenir vers 21h30 au plus tard. Je l’ai appelé vers 20h afin de savoir où elle était rendue dans son travail; elle m’a répété qu’elle terminerait pour 21h30 et que tout allait bien. Vers 21h45, elle n’était pas arrivée, alors j’ai rappelé et n’obtenant pas de réponse, j’ai décidé de me rendre à l’école; c’est dans l’allée que je l’ai trouvée.
—Où demeurez-vous?
—À cinq minutes d’ici à pieds.
—Donc vous auriez trouvé le corps de votre épouse vers 21h50.
—À peu près.
—Est-ce que vous déjà une idée de la personne qui aurait pu faire cela?
—Peut-être un itinérant?
—Qu’est-ce qui vous fait  penser ça?
—Je n’ai pas retrouvé sa bourse à côté d’elle; cependant, il est aussi possible que ce soit une personne reliée à son travail et que la disparition de la bourse soit  une fausse piste.
—Est-ce que vous lui connaissez des ennemis directs?
—Je ne vois pas, il faut dire que je suis passablement sous le choc et que j’ai de la difficulté à avoir les idées claires.
—Est-ce que vous avez des enfants?
—Oui, j’ai un garçon de quinze ans; je devrais d’ailleurs retourner à la maison afin de l’informer dès son retour; il avait la permission de rentrer à 23h ce soir. Si vous n’y voyez pas d’inconvénients, inspecteur, je retournerais chez moi immédiatement. Je dois prévenir aussi la commission scolaire ainsi que les parents d’Édith.
—Bien sûr monsieur Couillier, je sais que vous aurez aussi beaucoup de contacts à effectuer, alors je vous reverrai après les obsèques.
—Quand est-ce que nous pourrons récupérer le corps?
—Demandez à votre agence de pompes funèbres de communiquer avec Nicolas Fortin, médecin légiste à l’institut médico-légal, et il leur précisera lorsqu’ils pourront récupérer le corps, probablement demain en fin de journée.
—Je dois maintenant y aller inspecteur, car il est presque 23h et mon fils Marco est habituellement ponctuel.
—Bien sûr monsieur Couillier et recevez toutes mes condoléances.
Sur ce, monsieur Couillier repartit en vitesse en direction de son domicile. Richard se dit que la partie risque d’être longue, car une directrice d’école doit faire face à plusieurs situations et ses décisions ne peuvent plaire à tout le monde.  L’équipe de Brandon travaillait encore et y passerait probablement une partie de la nuit afin d’inventorier les alentours. Quant à Nicolas, il était reparti et serait à pieds d’œuvre, dès demain matin, afin de faire son autopsie. Richard se rendit au poste et il amorça son rapport; lui aussi, il sera au travail tôt demain matin.

 

-2-

 

En se rendant  à l’école le  lendemain matin vers 10h, Richard constata que le périmètre d’investigation était encore en place et que Brandon « fouillait » toujours.
—Est-ce que tu y as passé la nuit?
—Non, nous avons quitté vers minuit mais j’ai demandé de laisser le périmètre, afin de revenir y jeter un coup d’œil ce matin; c’est un policier qui a monté la garde durant la nuit et, à mon arrivée ce matin, il m’a affirmé que personne n’avait forcé le périmètre.
—As-tu trouvé autre chose?
—Pas encore.
—J’irai te voir au labo cette après-midi pour avoir tes premières observations.
—Sans problème, Richard.
Richard se rendit au bureau de Michel Grenier qu’il avait rejoint tôt ce matin; monsieur Grenier est le directeur adjoint et il assumera aussi l’intérim de la direction pour un bout de temps.
—Monsieur Grenier; c’est bien à vous que j’ai parlé tout à l’heure?
—En effet, vous devez être l’inspecteur Chari, chargé de cette affaire?
—Oui; comment se passe l’organisation ce matin?
—Mieux que j’imaginais, même si c’est une journée de fous; les professeurs ont été informés hier et ils étaient tenus d’être ici à 7h pour une réunion spéciale. Nous avons ensuite réuni les élèves dans le gymnase, dès leur arrivée, pour les informer minimalement et nous attendons les parents ce soir. Notre psychologue, Jocelyne Dumont, est disponible pour qui voudrait la rencontrer. Que puis-je faire pour vous ce matin?
—J’aurais besoin de la liste des professeurs et des employés ainsi que celle du conseil d’administration. En outre, je veux obtenir la liste des étudiants ainsi que les coordonnées des parents.
Monsieur Grenier signala le poste de la secrétaire Carmen Lupion et lui demanda de préparer un exemplaire de ces listes pour l’inspecteur.
—Est-ce que je peux faire autre chose pour vous actuellement?
—Pour l’instant c’est ce que j’ai de besoin, mais j’aimerais pouvoir rencontrer vos employés dès demain matin; j’aurais besoin d’un bureau fermé et que les employés soient informés qu’ils doivent se rendre disponibles.
—Ok, je vais les informer tantôt et demain, vous pourrez demander à Noëlla Rivier, la secrétaire qui sera à votre disposition, d’appeler les gens que vous voudrez rencontrer.
—Hé pour les professeurs?
— Noëlla aura la liste des périodes où ils sont disponibles et vous pourrez alors les rencontrer; j’ai l’impression qu’il vous faudra plusieurs jours pour rencontrer tous ces gens?
—Assurément, en espérant que ma présence ne perturbera pas trop les activités régulières de l’école.
—Les activités risquent d’être un peu moins régulières pour quelque temps.
—Évidemment; je vous remercie de votre disponibilité et à demain. Croyez-vous que madame Lupion a déjà fait une copie des listes?
—Je pense bien que oui.
L’inspecteur sortit du bureau et put déjà obtenir les listes demandées. Il alla dîner et aussitôt après, il se rendit à l’institut médico-légal afin d’y rencontrer les spécialistes qui analysent les éléments de crime.
—Bonjour Nicolas.
—Bonjour Richard, tu veux savoir de quoi est morte la directrice hein?
—Non, je venais simplement te faire une visite de courtoisie, mais si tu as des informations à me donner, je vais les accueillir avec plaisir.
—Le corps ne présentait pas de traces de lutte mais arborait une fracture du crâne, qui a provoqué une hémorragie cervicale et la mort.
—Est-ce que tu sais d’où vient la fracture du crâne?
—Elle provient d’un coup qu’elle a reçu sur l’arrière de la tête.
—Est-ce qu’elle pourrait s’être blessée en trébuchant, comme par un malheureux accident?
—Non, elle a été retrouvée face contre terre, selon ce que dit le mari, et les éraflures sur le nez le prouvent. En outre, la fracture du crâne est importante et a nécessité une grande force; de plus, la mort fut presqu’instantanée; ces trois éléments m’amènent à conclure qu’il y a bien eu meurtre.
—D’accord, d’accord, je te crois. Est-ce que ta grande science pourrait me dire avec quoi elle a été frappée?
—Brandon pourra probablement t’en dire plus car je lui ai remis de fines brindilles de bois qui étaient incrustées dans la fracture; je te dirais, simplement comme ça, que ça pourrait être un bâton de baseball.
—Une prise pour toi, Nicolas; est-ce que tu as d’autres éléments à me fournir?
—Non et tu retrouveras ce que je viens de te dire dans le rapport d’autopsie.
—Le corps restera-t-il longtemps ici?
—Non, j’ai déjà reçu un appel de la maison funéraire Urgel Bourgie et les thanatologues devraient récupérer le corps d’ici une heure environ.
—Je vais te laisser t’amuser avec ton nouvel ami?
—Oui, c’est un homme qui vient d’avoir un arrêt cardiaque, mais la famille demande une expertise afin d’être certaine que c’est le cœur qui a lâché; il semble que c’est important pour les assurances.
—Ce n’est pas étonnant, aujourd’hui un homme vaut souvent plus cher mort que vivant.
—Une prise pour toi Richard.
—Salut bien Nicolas et merci.
Richard se rendit ensuite au labo de Brandon, situé à quelques portes de là.
—Bonjour Brandon, as-tu avancé un peu dans l’analyse des éléments que vous avez trouvés?
—Nous en sommes encore à l’étape de classer les éléments disparates; d’après-moi le concierge ne faisait pas souvent le ménage dans cette allée, car nous avons trouvé plusieurs éléments.
—En clair?
—Il y a plusieurs traces de pas entre les arbres qui forment une clôture naturelle de chaque côté du sentier pavé. Les arbres ont arraché ou recueilli des fibres de vêtements, des cheveux, des plumes d’oiseaux et il y a aussi des bouts de cigarettes dans le sentier, un bouton, des fibres de bois, des bouts de papier et j’en passe.
—Je comprends pourquoi tu as parfois l’air mêlé Brandon.
—Quelle perspicacité Richard!!!
—Plus sérieusement Brandon, crois-tu que l’on puisse tirer quelque chose de précis de ce fouillis?
—Si moi, j’ai parfois l’air mêlé, toi tu n’as pas l’air de facilement comprendre!!! Je t’ai dit tantôt que nous étions à l’étape de classifier les éléments. Lorsque cette étape sera complétée, nous saurons combien de personnes ont laissé leurs traces, à quelles sortes de tissus appartiennent les fibres et ainsi de suite.
—Tu me diras alors qui a tué la directrice?
—Ou presque Richard.
—Nicolas dit t’avoir remis des brindilles de bois qui étaient insérées dans la fracture du crâne de madame Bourchemin?
—Oui et je crois que nous en avons aussi trouvées par terre sur le sentier; il restera à comparer ses brindilles pour savoir si ce sont les mêmes.
—Quand pourras-tu me fournir un rapport de tes analyses?
—Demain vers la fin de la journée, je devrais être bon pour te faire parvenir la liste des exhibits et de nos premières observations, cela devrait t’aider dans ton enquête et t’amener à porter une attention particulière à des éléments comparables.
—Qu’est-ce que je ferais sans toi?
—Je me le demande encore et puis, laisse-moi travailler si tu veux obtenir un rapport préliminaire dès demain.
—Oui boss.
Au sortir du labo, Richard se rendit à son bureau et se mit à étudier les listes qu’il avait obtenues de l’école; il pensa que son fouillis était aussi imposant que celui de Brandon car les listes contenaient de nombreux noms. Le nombre d’élèves s’élevait à plus de cinq cents; les enseignants et le personnel de support aux étudiants au moins vingt-cinq; les employés au niveau administratif, de conciergerie et de surveillance une quinzaine et une dizaine de personnes pour le conseil d’école.

 

-3-

 

Comme prévu, Richard se pointa à l’école de bonne heure le vendredi. Noëlla Rivier s’affairait déjà et le conduisit au bureau mis à sa disposition.
—Que puis-je faire pour vous aider inspecteur?
—J’ai besoin d’informations sur le fonctionnement de cette poly et sur les liens que les gens entretenaient avec madame Bourchemin. Quelles sont les personnes qui pourraient, selon vous, me renseigner?
—Oh, il peut y en avoir plusieurs.
—Oui, si je me fie aux listes obtenues et si j’interrogeais tout ce beau monde, je pourrais être encore ici dans un an. Par qui commencer, en plus du directeur adjoint, monsieur Grenier?
—Je crois que madame Lupion, la secrétaire de direction, était proche de notre directrice ainsi que la psychologue Jocelyne Dumont.
—Est-ce que vous avez un délégué syndical?
—Oui, il s’appelle Robert Patry.
—Quelle est la personne responsable de la commission scolaire?
—C’est madame Nancy Caillier.
—Voyez-vous d’autres personnes importantes?
—Il y aurait peut-être la présidente du comité d’école, elle s’appelle Louise Théberge, je crois.
—Si je commençais par vous, vous me semblez bien au courant du fonctionnement de cette poly.
—Oui, j’y travaille quand même depuis huit ans.
—Quelles sont vos fonctions?
—J’en ai trop pour les énumérer mais disons que je travaille pour le secteur étudiant.
—Est-ce que vous avez une idée de qui aurait tué madame Bourchemin?
—Je voudrais bien vous aider mais je ne vois personne en particulier; cependant, plusieurs personnes pourraient avoir été déçues d’une décision antérieure et quelques-unes auraient peut-être souhaité sa disparition.
—Est-ce votre cas, madame Rivier?
—Non, je l’aimais bien notre directrice et je n’ai jamais eu de reproches à lui faire?
—Étant donné que vous êtes mon « assistante » à l’école, j’ai besoin d’avoir la certitude que vous  n’y êtes pour rien dans ce meurtre. Dites-moi où vous étiez mercredi entre 20h et 22h?
—Les mercredis, je joue aux quilles de 19h30 à 21h30 au salon de Quilles 2000; ça me détend et on s’amuse bien.
—Est-ce qu’il y a de vos collègues qui y jouent aussi?
—Peut-être qu’il y en a d’autres qui jouent aux quilles, mais pas dans mon équipe.
—Est-ce que vous êtes capitaine de l’équipe?
—Oui et notre équipe s’appelle « les Maboules ».
—Merci bien madame Rivier; est-ce que vous pourriez prévenir monsieur Grenier que je voudrais le voir à 10h30.
Madame Rivier quitta le bureau de l’inspecteur et se rendit au bureau du directeur adjoint; après quelques minutes, elle put lui parler et il annula ses autres rencontres de l’avant-midi afin de pouvoir rencontrer l’inspecteur. Madame Rivier retourna voir l’inspecteur pour lui confirmer que monsieur Grenier viendra à l’heure demandée.
—Merci madame Rivier; je n’aurai pas besoin de vous pour le reste de l’avant-midi et on se reverra au début de l’après-midi.
—D’accord inspecteur, vous savez où me trouver.
Maintenant que Richard était seul, il communiqua au salon de Quilles 2000 et on lui attesta que la capitaine des Maboules était présente mercredi comme d’habitude. Quelques minutes avant 10h30, monsieur Grenier se présenta au bureau de l’inspecteur.
—Bonjour inspecteur, est-ce que je suis trop en avance?
—Pas du tout, entrez monsieur Grenier et merci de vous êtes libéré, je suis convaincu que vous avez beaucoup de choses à régler.
—Oui, mais si je peux aider à découvrir qui a tué Édith, ça passe avant tout.
—Avez-vous en tête une personne qui lui en voulait à ce point?
—Franchement non et, en tant que directeur adjoint, j’aurais pu voir les problèmes s’il y en avait eu avec Édith.
—Que pensez-vous de la relation qu’elle avait avec les profs?
—Selon ce que j’entendais et voyais, la relation était bonne avec chacun et chacune.
—Avec les autres employés?
—Ça semblait bien aller aussi et elle avait le respect du délégué syndical.
—C’était une sainte ou quoi?
—Je ne dis pas cela, mais les gens respectaient ses efforts pour rester la plus juste possible, tout en réussissant à faire fonctionner cette école.
—Qu’est-ce qu’on pourrait lui reprocher?
—Pas grand-chose; elle prenait à cœur chaque situation et pouvait parfois se laisser envahir; c’est pour cela qu’elle devait travailler tard. Les gens pouvaient craindre de la perdre.
—Comment était-elle avec les étudiants?
—Bien, cependant ce n’était pas son rôle premier et elle n’intervenait qu’à ma demande ou à la demande expresse d’un parent insatisfait d’une de mes décisions.
—Est-ce que cela arrivait souvent qu’elle doive intervenir?
—Non et lorsqu’elle le devait, elle le faisait dans le respect de chacun; elle va être difficile à remplacer.
—Actuellement, c’est vous qui agissez comme directeur, est-ce que vous désirez être confirmé dans ce poste?
—Je réfléchis, j’aime bien travailler avec les jeunes et les parents, mais diriger des adultes pourrait être un défi intéressant.
—J’ai besoin d’avoir votre emploi du temps pour mercredi entre 20h et 22h.
—J’étais à la maison et mon épouse pourra le confirmer; vous savez, nous devons nous coucher assez tôt car il faut être en forme le matin quand tous ces jeunes arrivent et que certains ont besoin d’aide. Le soir, j’ai une routine qui m’amène à me coucher vers 22h, après avoir pris une douche et écouté un peu de télévision pour me distraire.
—Comment ont réagi les étudiants à l’annonce du meurtre de leur directrice?
—Avec beaucoup de tristesse et aussi avec un sentiment d’injustice.
—Pensez-vous qu’un des étudiants aurait pu faire ça?
—C’est toujours possible mais je ne vois pas précisément, surtout que c’est moi qui gère leur dossier.
—Est-ce qu’elle vous faisait des confidences sur sa vie privée?
—Je sais que son mari travaille comme gérant à l’épicerie et que leur fils adolescent est inscrit à l’école publique; Édith ne voulait pas qu’il vienne ici afin d’éviter de porter flanc à la critique, si son fils s’était démarqué des autres.
—Bon, ça fait le tour des questions que j’avais à vous poser et je vous remercie de votre collaboration.
—Si vous avez d’autres questions ou si vous avez besoin de quoi que ce soit, ne vous gênez pas pour venir me voir inspecteur.
—Merci bien monsieur Grenier et bon travail.
Le directeur adjoint, directeur par intérim, retourna à son bureau alors que Richard appela « sa » secrétaire pour lui demander d’informer la psychologue qu’il souhaitait la rencontrer immédiatement si c’était possible. À peine deux minutes plus tard, madame Jocelyne Dumont cogna au bureau de Richard. L’inspecteur se leva et ouvrit la porte à la psychologue.
—Bonjour, vous êtes bien madame Dumont, la psychologue?
—Oui inspecteur.
—Asseyez-vous pour que l’on discute un peu; comment les gens réagissent-ils au meurtre de la directrice?
—Très bien dans l’ensemble; comme demandé, les profs se montrent supportants envers les élèves et ceux ou celles qui ont des besoins particuliers peuvent venir me voir.
—Est-ce que vous avez beaucoup de rendez-vous de prévu?
—Passablement, mais je vais aussi dans les classes, à l’invitation des profs, et nous en profitons pour aider les jeunes à traverser cette épreuve de deuil.
—Est-ce que vous êtes aussi disponible pour le personnel enseignant et les autres employés?
—Normalement, lorsque ces personnes ont des difficultés, elles vont voir l’équipe qui est attitrée au programme d’aide aux employées, nous appelons cela le programme PAE.
—Je connais, nous avons un programme similaire dans la police.
—Cependant, inspecteur, vu la nature du problème actuel, je suis aussi disponible pour les personnes adultes.
—Dans votre métier, vous recevez des confidences et vous avez peut-être des informations qui pourraient nous mettre sur la bonne piste.
—Nous avons aussi un devoir de confidentialité inspecteur; cependant, vu la situation extraordinaire, je vais répondre à vos questions avec le plus d’ouverture possible.
—Avec les connaissances que vous avez des jeunes et les informations que vous détenez, est-ce que vous croyez possible qu’un des étudiants ait voulu tuer madame Bourchemin?
—Pas tuer, mais il y a toujours des étudiants mal dans leur peau et d’autres qui contestent toute autorité.
—Parmi ces ados mal dans leur peau, est-ce qu’il y en a qui auraient menacé la directrice?
—Pas à ce que je sache et d’ailleurs, les contestations, par les étudiants, étaient surtout dirigées vers le directeur adjoint qui a la responsabilité de faire régner la discipline et de créer une bonne ambiance à l’école.
—C’est tout un mandat. Monsieur Grenier m’a expliqué que c’est la responsabilité de la directrice de gérer le personnel; est-ce que parmi ces personnes, il y avait quelqu’un qui parlait contre elle?
—Il n’y a pas un système de parfait et personne ne l’est non plus. Josée Croteau, enseignante de français en quatrième secondaire, faisait parfois des allusions au fait que Raoul Painchaud, professeur d’éducation physique, était proche d’Édith.
—Est-ce qu’il y avait une liaison entre Raoul Painchaud et la directrice?
—Pas à ce que je sache et même je dirais que madame Croteau était un peu jalouse de la relation que les employés entretenaient avec Édith.
—Comment monsieur Painchaud était proche de madame la directrice?
—Il mangeait assez souvent à la table de la directrice?
—Est-ce qu’ils étaient seuls à cette table?
—Non, il y avait habituellement aussi d’autres profs.
—Alors pourquoi pensez-vous qu’ils étaient proches?
—Il y avait parfois des allusions au fait que les plaisanteries de Raoul avec et envers la directrice masquaient des sentiments amoureux.
—Avez-vous observé des comportements de la directrice qui auraient porté à croire qu’il y avait quelque chose entre les deux?
—Pas vraiment; madame Croteau, qui faisait parfois des commentaires, pourrait peut-être vous éclairer à ce niveau.
—Merci bien madame Dumont, je vais vous laisser aller dîner.
—Merci inspecteur. Si vous avez encore besoin de moi je serai disponible, car nous avions une très bonne directrice et moi non plus, je ne trouve pas ça juste qu’elle est été tuée.
—Merci de votre disponibilité madame Dumont.
Madame Dumont laissa l’inspecteur pensif, vu qu’il avait peu de chose à se mettre sous la dent; est-ce que les allusions d’une relation entre la directrice et le professeur d’éducation physique étaient fondées et si oui, est-ce que cela avait un lien avec l’assassinat. Richard téléphona à monsieur Couillier afin de savoir à quelle heure était la cérémonie funéraire demain et pour l’informer de sa présence discrète aux obsèques. Sachant maintenant qu’il devrait être aux funérailles à 14h, il pourrait planifier son temps d’ici-là. À son retour à l’école après le dîner, Richard contacta Noëlla afin qu’elle aille chercher Robert Patry, le délégué syndical. Noëlla rappela l’inspecteur pour l’informer que le délégué syndical était dans une autre école et qu’il devrait venir à la poly dans une heure; voyant cela, Richard demanda à rencontrer madame Lupion, secrétaire de direction; Noëlla appela madame Lupion qui se rendit immédiatement au bureau de l’inspecteur. Dans l’embrasure de la porte, madame Lupion paraissait sereine.
—Entrez madame Lupion et asseyez-vous.
—Même si je ne le montre pas inspecteur, je suis passablement nerveuse, peut-être parce que Édith était une bonne amie
—C’est tout à fait normal madame Lupion; que pouvez-vous me dire sur les relations d’Édith avec les autres en général?
—Édith a toujours su bien s’entendre avec les gens et, chose assez rare, elle était aussi capable de se faire écouter, sans devoir crier; je ne sais pas trop comment elle faisait, mais on la respectait et on l’appréciait.
—Est-ce qu’elle vous a déjà dit que quelqu’un la menaçait?
—Non, elle parlait rarement de ses difficultés; si elle en avait, elle savait comment composer avec chacune des situations.
—Est-ce que vous avez entendu quelqu’un parler contre elle?
—Il y a toujours des ragots, des allusions envers les personnes qui sont en autorité?
—Comme quoi?
—Je ne sais pas clairement, mais disons qu’une personne veut un passe-droit, eh bien, avec Édith, ça ne marchait pas; habituellement les personnes acceptaient ses arguments mais il y a eu madame Croteau, qui s’est plaint dernièrement de ne pouvoir s’absenter à une journée pédagogique.
—Est-ce qu’elle vous parlait de sa vie privée?
—Un peu; je sais que son mari travaille dans une épicerie et qu’il serait un peu jaloux.
—Qu’est-ce qui vous fait dire cela?
—Édith en a déjà fait allusion; en badinant, elle disait parfois qu’elle était directrice à l’école alors que c’était son mari qui gérait à la maison.
—Que pensez-vous des allusions concernant la relation d’Édith avec le professeur Raoul Painchaud?
—Édith ne m’en a jamais parlé et je n’ai pas observé de comportements en ce sens.
—Qui aurait voulu du mal à Édith?
—Personne ici n’avait de fortes récriminations contre elle; je ne vois pas vraiment.
—Comment était la relation entre le directeur adjoint, Michel Grenier, et la directrice?
—Ils formaient une bonne équipe, je crois.
—Si vous apprenez autres choses qui pourraient m’aider dans la recherche de l’assassin, je compte sur vous pour m’en informer.
—Bien sûr inspecteur, mais je ne suis pas la femme qui coure les ragots habituellement.
Le départ de madame Lupion coïncida avec l’arrivée du délégué syndical.
—Est-ce que c’est le moment inspecteur?
—Vous êtes monsieur Robert Patry, délégué syndical?
—Oui, madame Rivier m’a téléphoné pour me dire que vous vouliez me rencontrer.
—C’est exact, prenez place, s’il vous plait. Vous êtes au courant du meurtre de la directrice?
—Évidemment, et je suis triste de cela.
—Parlez-moi de vos fonctions dans cette école?
—Tout d’abord, inspecteur, je travaille dans les différentes écoles de la commission scolaire et aussi dans quelques institutions privées comme celle-ci. Je représente les employés d’entretien dans les écoles publiques ainsi que les enseignants dans les écoles privées; les enseignants dans les écoles publiques sont avec un autre syndicat.
—Que pouvez-vous me dire de la directrice Édith Bourchemin?
—Je vous dirais que c’est une des gestionnaires les plus appréciées avec qui je travaille. Elle est franche et honnête; on connaît bien le tableau avec elle et nos rencontres aboutissent habituellement plus à une recherche de solutions qu’à de la confrontation.
—Est-ce qu’il y avait dernièrement des dossiers chauds?
—Il y a toujours un peu de travail, mais ce n’est pas comparable à ce qui se vit dans les écoles publiques.
—Mais encore?
—Il y a actuellement le dossier du concierge; monsieur Blanchard trouve que les tâches ne sont pas assez précises et que la directrice en profite pour le faire travailler davantage que dans les autres institutions scolaires; nous étions à analyser ces tâches en comparant avec ce qui est demandé dans les autres écoles. Le dossier progressait bien, mais monsieur Blanchard trouvait que le règlement se faisait attendre.
—Comment monsieur Blanchard parlait de la directrice?
—Il en parlait en termes d’exigences et d’intransigeances?
—Est-ce qu’il avait tendance à la dénigrer ou à vouloir la menacer?
—Pas devant nous, en tous cas; il faut dire que pour obtenir des résultats, nous exigeons que nos plaignants restent respectueux, s’ils veulent que nous travaillions à trouver des solutions à leurs problèmes.
—Est-ce que vous avez eu des dossiers concernant les professeurs?
—Il y a madame Josée Croteau qui se plaint aussi d’intransigeance de la part de la directrice; cependant, elle n’a pas vraiment de situations précises à analyser et elle fait plutôt des allusions à des attitudes; ce dossier n’en est pas un en réalité et nous n’en avons pas discuté avec la directrice.
—Effectivement, les problématiques semblent assez légères et peu nombreuses.
—Il faut dire inspecteur, qu’Édith, madame la directrice, était assez habile dans ses relations et adéquate dans sa gestion.
—Autres choses?
—Il y a eu, il y a quelques mois, une plainte portée par une adolescente  contre le professeur de mathématique, Georges Lapierre. L’adolescente alléguait que le professeur la harcelait à ce que je sais; cependant c’est la directrice qui a géré cette situation et nous n’avons pas eu besoin d’intervenir car il n’y a pas eu de problèmes de monsieur Lapierre avec la directrice et il a conservé son emploi; en outre, monsieur Lapierre n’a pas fait appel au service du syndicat.
—Ce sera tout monsieur Patry; j’apprécie votre éthique dans les relations et j’espère que votre prochain interlocuteur dans cette école sera aussi à l’écoute que la directrice Bourchemin.
—Je le souhaite aussi, mais j’en doute; madame Bourchemin me paraissait passablement exceptionnelle à ce niveau.
Après le départ de monsieur Patry, Richard alla voir madame Rivier pour lui dire qu’il partait et reviendrait lundi matin, espérant pouvoir rencontrer Josée Croteau, Raoul Painchaud, David Blanchard et Georges Lapierre; il demanda à madame Rivier d’informer ces gens de leur rencontre respective à partir de 9h. Richard se rendit ensuite l’institut médico-légal afin de rencontrer Brandon.
—Bonjour Brandon; as-tu quelque chose pour moi?
—Quoi, est-ce que je vois un inspecteur découragé?
—Pas vraiment, même si je n’ai actuellement pas de suspects à l’école; c’est à croire que cette directrice était aimée de tout le monde.
—Oh excusez, notre inspecteur n’est pas découragé, il est enragé.
—Tu en mets un peu trop Brandon, le psychologue. C’est vrai que je n’aime pas tourner en rond, alors dis-moi que tu as une piste à explorer.
—Je peux en avoir plusieurs, car l’endroit fourmillait de petits objets.
—Concrètement qu’est-ce que tu as?
—Comme je t’ai dit hier, nous avons récolté des fibres de vêtements, des cheveux, des plumes d’oiseaux, un bouton, des bouts de papier, des traces de pas, des brindilles de bois et…
—Excuse-moi de t’arrêter mais, est-ce que les brindilles de bois retrouvées dans l’allée correspondent à celles incrustées dans le crane de la victime.
—Oui, elles proviennent du même bois.
—Tu allais ajouter quoi?
—Que nous avons trouvé aussi de la gomme et des petits éclats de verre.
—Est-ce que tu vas pouvoir identifier l’ADN contenu dans la gomme?
—Oui, ça devrait être assez facile et peut-être aussi à partir des cheveux et des bouts de cigarettes.
—À la bonheur; est-ce que tu as identifié les fibres des vêtements?
—Il y a des fibres noires et d’autres blanches en coton ainsi qu’un petit morceau de laine rouge. Si tu m’apportes des échantillons de vêtements des suspects, je pourrai te dire si ce sont les mêmes. Les bouts de cigarettes correspondent à des Export A et à des Du Maurier, un  bout de papier révèle un achat chez Rona le 10 mai de cette année et l’autre morceau de papier est un post-it sur lequel il est écrit « rencontre à 19h ».
—As-tu des informations sur l’achat effectué chez Rona?
—Ça semble être une paire de gants et des lumières.
—Peux-tu  me faire une photocopie de ce relevé de caisse?
—Tiens, j’avais prévu le coup.
—Si tu te mets à lire dans mes pensées, je vais commencer à me surveiller. Quand penses-tu que tu pourras avoir les résultats des tests d’ADN?
—Pas avant une semaine, car même si je peux envoyer les échantillons dès demain, l’analyse est assez longue à effectuer.
—Concernant les empreintes de pas, j’aimerais savoir où elles ont été prises, dans l’allée, dans le sous-bois, etc.
—C’est déjà précisé, il ne reste qu’à écrire cela dans le rapport que j’avais promis de te faire parvenir… ce soir, mais monsieur semble pressé.
—Dans le fond, tu as raison Brandon, je suis un peu impatient d’avoir une piste, mais avec les informations que tu viens de me fournir, je pourrai certainement avancer.  Je te souhaite une bonne fin de semaine et je te relancerai si je n’ai pas les résultats d’ADN d’ici une semaine.
—Je n’en doute pas.
Richard laissa Brandon; il se sentait un peu mal  d’avoir mis autant de pression sur son ami, qui était d’une efficacité pourtant remarquable. Il mit la photocopie du coupon de caisse de Rona dans sa poche et s’en retourna chez lui pour souper. Richard se disait qu’il aurait peut-être une piste intéressante s’il allait chez Rona dès ce soir; c’est ce qu’il fit et le coupon de caisse révéla que l’acheteur était André Couillier; il avait effectivement acheté des gants de coton noirs et des lumières; en outre, il avait payé avec sa carte débit; est-ce qu’il y avait un lien à faire entre le papier retrouvé sur la scène de crime et le meurtre comme tel; loin d’être certain, étant donné que monsieur Couillier est celui qui a trouvé la victime et le papier aurait pu tomber à ce moment-là. Pour Richard c’était quand même une piste à suivre, surtout que les statistiques révèlent que le conjoint est souvent le meurtrier. Richard retourna chez lui et prit une bonne bière en regardant un match du Canadien qui faisait les séries cette année.

 

-4-

 

 Le lendemain, samedi le 17 mai, Richard se rendit aux obsèques de la directrice; il se fit très discret, mais put observer certaines alliances, s’il se fiait aux distances entre les gens. Le fils de la directrice se tenait avec les parents d’Édith alors qu’André était près de ses parents. Richard eut l’impression qu’il y avait un froid entre les deux groupes, malgré les politesses qu’ils démontraient. Après la cérémonie, Richard se présenta aux parents d’Édith et ils acceptèrent d’être rencontrés dès le lendemain à leur domicile. Richard avait reconnu aussi plusieurs membres de l’institution scolaire et tous semblaient attristés. Richard soupa calmement et ferait une pause ce soir dans son enquête, car il avait acheté des billets pour aller voir du théâtre avec Élise; ils ne se voyaient pas souvent mais quand même assez régulièrement, soit environ une fois par deux semaines. Ce contact avec Élise permettait à Richard de se changer les idées et plus que cela, car Élise était de compagnie agréable, ne mettait pas de pression sur l’inspecteur, tout en laissant paraître un intérêt certain. Après le spectacle et une consommation dans un bar-salon, Édith et Richard se quittèrent après un long baiser et un engagement à se revoir dès la semaine prochaine; c’était cette fois à Élise de choisir une activité et un lieu de rencontre. Le lendemain, à l’heure convenue, soit 14h, Richard se présenta au domicile de monsieur Bourchemin; c’est madame Louise Vadeboncoeur, mère d’Édith, qui ouvrit la porte.
—Bonjour inspecteur, entrez.
—Bonjour madame Vadeboncoeur.
Monsieur Bourchemin se présenta aussi à la porte et serra la main de l’inspecteur, tout en l’invitant à s’installer à la table.
—Que peut-on vous offrir inspecteur?
—Un verre d’eau sera parfait pour moi.
Une fois les civilités terminées, l’inspecteur demanda.
—Comment allez-vous aujourd’hui?
—Bien, répondit madame Vadeboncoeur, et nous avions hâte de vous rencontrer afin d’obtenir des informations sur l’enquête.
—Nous sommes à explorer différentes pistes, mais nous n’avons pas encore de suspect à ce stade de l’enquête. Peut-être que vous pourrez nous aider à avancer.
—Que voulez-vous savoir inspecteur, dit le père?
—Est-ce qu’Édith vous parlait de ce qu’elle vivait à l’école?
—un peu, dit le père; il semble qu’elle était passablement appréciée malgré son rôle; en tous cas, c’est rare qu’elle se plaignait.
—Est-ce que vous étiez souvent en contact avec elle?
—Elle passait nous voir au moins une fois par mois, dit la mère.
—Est-ce qu’elle aurait pu vous dire des choses qu’elle ne disait pas à monsieur?
—Pas par rapport à l’école; elle était ouverte là-dessus, et effectivement elle semblait avoir peu de difficultés, malgré ses nombreuses tâches.
—Madame, est-ce que je dois comprendre qu’elle vous aurait fait quelques confidences à d’autres niveaux?
—Eh bien, en regardant son mari, il semble qu’André ait été passablement jaloux.
—À ce que vous savez, madame, est-ce qu’André aurait eu des raisons de se questionner?
—Non, pas du tout, ma fille était une femme fidèle et aimante pour son mari, qui était peut-être un peu paranoïaque.
—Est-ce qu’il était violent envers elle?
—Non pas vraiment, même s’il aurait eu tendance à lui faire des reproches; il trouvait qu’elle s’habillait trop sexy et semblait craindre qu’elle ait une relation avec un autre homme.
—Pourtant, dit le père, elle semblait s’habiller très convenablement. Comment il se fait que je n’étais pas au courant de cela?
—Elle ne voulait pas t’inquiéter, dit la mère, et peut-être aussi éviter que tu te fâches contre André qui est un bon mari, à part sa tendance à la jalousie.
—Est-ce qu’André aurait pu vouloir du mal à Édith?
—Je ne crois pas, dit la mère, il l’aimait, même s’il pouvait y avoir des disputes.
—Est-ce qu’il y a d’autres personnes qui lui auraient voulu du mal?
—Non, dit la mère, Édith avait la capacité de se faire apprécier tout en se faisant respecter.
—Est-ce que Marco, qui a quinze ans je crois, aurait pu vouloir se venger de sa mère?
—Pas du tout, dit la mère, il était près de sa mère et Édith me disait qu’il l’écoutait facilement; il aurait mieux répondu à Édith qu’à André à ce que je sais.
—Est-ce que vous croyez qu’elle aurait pu être attaquée simplement dans le but de la voler?
—Ça serait surprenant, dit le père, elle n’avait pas tendance à attirer la convoitise et chacun savait qu’elle apportait très peu d’argent à l’école.
—Je vous remercie de m’avoir reçu et je vais faire tout en mon possible pour trouver l’assassin de votre fille.
Richard retourna à son domicile; après un souper tranquille et un peu de tv, il se laisser bercer par la reine des songes, qui prenait maintenant l’allure d’Élise. Lorsqu’il arriva à l’école lundi matin, le 19 mai, madame Croteau l’attendait près de son bureau.
—Bonjour inspecteur, je m’appelle Josée Croteau, Noëlla m’a prévenu vendredi que j’étais la première à être rencontrée ce matin.
—C’est exact et merci de votre ponctualité.
—Vous savez à l’école, nous fonctionnons à la minute près.
—Oui je sais, alors commençons tout de suite, si vous êtes d’accord. Depuis combien d’années travaillez-vous ici?
—Ça fait cinq ans, mais avant j’ai enseigné aussi quatre ans à Val d’Or.
—Vous avez quel âge?
—J’ai trente-deux ans et je suis divorcée si vous voulez savoir; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, j’ai quitté la polyvalente de Val-d’Or.
—Est-ce que vous êtes actuellement seule ou en couple?
—Je suis encore seule, car je ne veux pas répéter l’erreur commise avec mon premier conjoint.
—Quels étaient vos liens avec madame la directrice?
—Corrects, même si elle avait tendance à se montrer intransigeante.
—Est-ce qu’elle était injuste envers vous?
—Non pas vraiment, mais disons qu’elle n’était pas très accommodante.
—Comment ça?
—Elle a refusé de m’accorder un congé lors d’une journée pédagogique, alors qu’elle l’a déjà permis à d’autres?
—Quelles raisons avait-elle invoquées pour vous dire non?
—Simplement que je devais compléter les résultats des examens des jeunes de ma classe, afin que le bulletin soit près à temps.
—Est-ce que l’on peut dire que vous ne vous aimiez pas beaucoup?
—Oui, il y a un peu de vrai là-dedans, mais je respectais son autorité quand même.
—il semble y avoir une rumeur concernant la relation que la directrice avait avec le professeur Raoul Painchaud?
—Je crois que c’est plus qu’une rumeur. Ils semblaient proches et très bien s’entendre; pourtant Raoul est plus jeune qu’elle.
—Avez-vous déjà vu des gestes déplacés de leur part?
—Non, Édith était trop fine pour cela, mais nous les femmes, on peut percevoir ça.
—Est-il vrai que vous disiez qu’il y avait une liaison entre la directrice et son professeur d’éducation physique?
—J’ai peut-être déjà partagé mes perceptions.
—Est-ce que Raoul sait que vous vous intéressez à lui?
—Qui vous a dit cela?
—Pourquoi colporter des rumeurs de ce genre alors?
—Non, Raoul ne semble pas voir que je m’intéresse à lui, si vous voulez tout savoir.
—Croyez-vous que le décès d’Édith pourrait amener Raoul à s’intéresser à vous?
—Je ne sais pas; cependant, si vous pensez que j’ai tué Édith, car elle et Raoul avaient une relation spéciale, vous faite erreur inspecteur.
—Probablement madame Croteau; cependant pour en avoir le cœur net, précisez-moi où vous étiez mercredi passé entre 20h et 22h?
—J’étais à la maison à écouter la télévision et je me suis couchée vers 22h; j’ai été appelée vers 23h par le directeur adjoint, Michel Grenier, qui m’a informée du meurtre d’Édith et qui nous demandait d’être plus tôt à l’école le lendemain pour se préparer à recevoir les jeunes.
—Est-ce que quelqu’un peut confirmer que vous étiez bien à la maison durant cette veillée?
—Lorsqu’on vit seule, c’est difficile d’avoir quelqu’un pour corroborer nos dires, n’est-ce pas?
—Évidemment madame Croteau; est-ce que vous connaissez quelqu’un qui aurait voulu du mal à la directrice?
—À part moi, vous voulez dire? Non et je n’ai pas l’intention de partir de rumeurs, ce n’est pas mon genre.
—Quelles sortes de cigarettes  fumez-vous?
—Je fume des Du Maurier; pourquoi cette question?
—Parce que nous avons ramassé des bouts de cigarette dans l’allée où a été tuée Édith.
—Lors des pauses, je vais parfois fumer avec David, le concierge. Nous sommes les seuls à fumer à l’école je crois.
—Est-ce que David fume aussi des Du Maurier?
—Non lui, il fume des Export A, il prétend que c’est plus costaud;
—Merci bien madame Croteau et passez une bonne journée.
—On va essayer.
Et madame Croteau sortit du bureau d’un pas décidé, sinon agressif. Pour Richard, cette jeune femme semblait malheureuse, susceptible et pouvait avoir de la difficulté dans ses relations; elle n’avait pas d’alibi, mais est-ce que sa jalousie aurait pu la conduire à vouloir éliminer une rivale potentielle? La réponse à la prochaine émission, songea Richard, en se moquant de ce qui se passait habituellement à la télévision. Il revint rapidement à ses moutons lorsque Raoul Painchaud cogna sur le cadrage de la porte.
—Bonjour inspecteur, je suis Raoul Painchaud, est-ce que c’est le temps de se rencontrer?
—Oui, entrez et mettez-vous à l’aise.
—Qu’est-ce que je peux faire pour vous, inspecteur?
—Tout d’abord, depuis combien de temps connaissiez-vous la directrice?
—Depuis mon engagement dans cette école, soit depuis trois ans.
—Vous êtes professeur d’éducation physique et vous côtoyez presque tous les jeunes?
—C’est exact?
—Est-ce qu’il y a des jeunes qui en voulaient à la directrice?
—Probablement, mais ils ne m’en parlaient pas et le responsable des jeunes est le directeur adjoint Michel Grenier et non la directrice.
—Oui je sais, on m’a déjà expliqué, mais quand même je voulais savoir si des jeunes ne se seraient pas plaints à vous?
—Je donne des cours d’éducation physique et non de psychologie.
—On dit que vous étiez près de la directrice?
—Oui, on s’entendait bien.
—Est-ce qu’il y avait plus que cela, car il a une rumeur concernant votre relation avec elle?
—Qu’est-ce que vous dites? Qui dit cela, inspecteur?
—C’est une rumeur sans fondement alors?
—Je n’étais pas au courant que certaines personnes interprétaient mes « jokes » comme étant des avances ou autres; il n’y avait rien de plus entre nous que de l’amitié et du respect, malgré mes farces un peu salées parfois. Qui vous a dit que j’avais un lien spécial avec Édith?
—Ça se parlait sans plus; connaissez-vous quelqu’un qui aurait voulu détruire la réputation de la directrice ou lui vouloir du mal?
—S’il y avait une personne, et effectivement il y en a eu une, ça ne devait pas être une personne de l’école ou si oui, c’est une personne qui est très forte pour cacher son jeu.
—Est-ce que vous trouviez la directrice intransigeante?
—Non, mais elle voulait que le travail soit bien fait et je crois qu’elle avait raison.
—Édith a été tuée probablement avec un bâton, possiblement un bâton de baseball; est-ce que les bâtons utilisés en éducation physique sont en bois ou en aluminium?
—Il y en a des deux sortes?
—Qui a accès à ces bâtons à part vous?
—Il y a des bâtons réservés pour la récréation; en fait, tout le monde peut être en contact avec les bâtons; les jeunes lorsqu’ils sont au gymnase, les professeurs qui viennent les reconduire, le concierge, etc.
—Est-ce qu’il arrive qu’il vous manque des bâtons?
—Oui, on a en déjà perdus ou quelqu’un nous en a volés et, en outre, certains bâtons se brisent; alors nous devons en acheter des nouveaux à chaque année.
—Pourriez-vous me rassembler les bâtons de bois, afin que nous puissions les analyser; nous avons trouvé des brindilles de bois dans le crane de la directrice.
—Sans problème, si vous me promettez de nous les rapporter assez rapidement.
—C’est une analyse qui se fera rapidement.
—Pouvez-vous me dire où vous étiez mercredi entre 20h et 22h?
—J’écoutais la partie de hockey avec deux de mes amis à la maison et je pourrais vous donner les noms si vous voulez vérifier?
—Pour l’instant, monsieur Painchaud, je me contenterai des bâtons que j’aimerais pouvoir apporter en partant d’ici.
—Si nous en avons fini, je peux aller les chercher immédiatement et vous les rapporter.
—Pouvez-vous les mettre dans un grand sac afin que je puisse les transporter?
—C’est comme si c’était fait, inspecteur.
Raoul quitta alors le bureau de Richard et alla récupérer les bâtons, en se demandant qui parmi ses collègues colportait sur le lien qu’il avait avec la directrice. Dix minutes plus tard, Raoul revenait avec les bâtons; au sortir du bureau de l’inspecteur, il croisa David qui était le suivant à avoir été convoqué par Richard. David se présenta au bureau de l’inspecteur qui le fit entrer rapidement.
—Bonjour vous êtes bien David Blanchard?
—Oui inspecteur.
—Parlez-moi de votre travail.
—Euh bien, je m’occupe de l’entretien des classes, de la cour etc.; je ne suis pas seul mais moi, je travaille de 13h à 20h30.
—Est-ce qu’il y en a qui finissent plus tard que vous?
—Non l’autre concierge fait du 7h30 à 15h.
—Que pensiez-vous la directrice?
—C’était une personne intègre mais aussi un peu exigeante.
—On me dit que vous auriez fait une plainte à votre syndicat concernant l’intransigeance de la directrice?
—Oui, c’est vrai, elle était toujours à me demander des choses; j’avais presque l’impression qu’elle était sur mon dos, alors j’ai demandé à mon syndicat d’y jeter un œil et de comparer mes tâches avec ce qui est demandé dans une autre polyvalente.
—Et puis?
—Monsieur Patry, notre délégué syndical n’a pas encore complété l’analyse, même s’il avance dit-il.
—Quelle sorte de cigarettes fumez-vous?
—Des Export A. Pourquoi demandez-vous cela?
—Car nous avons trouvé des bouts de cigarettes dans l’allée où la directrice a été assassinée.
—C’est là que nous devons aller fumer et c’est normal qu’il y ait eu des « tops ».
—Vous savez que vous êtes la dernière personne à avoir vu la directrice vivante, si vous êtes parti à 20h30 mercredi passé.
—Je suis bien parti à cette heure-là, mais elle était encore vivante.
—Est-ce que quelqu’un peut le confirmer?
—Oui, le meurtrier.
—Ne faites pas le comique monsieur Blanchard, car vous pourriez avoir un mobile et vous êtes le dernier à avoir quitté l’école.
—Je voulais simplement dire que je n’y étais pour rien dans ce meurtre, même si Édith me tapait parfois sur les nerfs et qu’elle pouvait ambitionner, selon moi.
—Étant donné que le meurtre a eu lieu aussi entre 20h et 22h, je me dois de vous garder comme suspect important. Qu’avez-vous fait après votre départ de l’école?
—J’ai fait un peu d’épicerie et je suis arrivé chez nous vers 21h30; ma femme pourra le confirmer.
—Est-ce que vous avez des enfants, monsieur Blanchard?
—J’ai un garçon de dix ans.
—Est-ce que vous jouez au baseball avec votre garçon?
—Parfois les fins de semaine, mais pourquoi cette question?
—Parce que nous croyons qu’Édith a été tuée à coup de bâton et que vous dites avoir aussi un bâton chez vous; le bâton que vous avez est en aluminium ou en bois?
—J’en ai acheté un en aluminium et j’en ai un aussi en bois que j’ai trouvé jeudi passé dans le fond de la cour; je sais que je n’aurais pas dû l’apporter, mais je l’ai trouvé en faisant le ménage dans le fond de la cour et je me suis dit que l’école me fait assez travailler et que ça ne dérangerait personne, si je l’amenais pour mon fils.
—Est-ce qu’il paraissait brisé?
—Pas à première vue.
—Nous allons arrêter l’entrevue pour l’instant et nous allons aller immédiatement chez vous pour récupérer ce bâton?
—Est-ce que vous allez dire à la direction que j’ai pris ce bâton?
—Non, mais si ce bâton s’avérait l’arme du crime, vous pourriez être accusé de meurtre au lieu d’un simple larcin.
—Je vous le répète inspecteur, je n’ai pas tué la directrice.
—Allons immédiatement chez vous, monsieur Blanchard.
—Je vais informer monsieur Grenier que je dois aller chez moi et que je reprendrai cette heure à mon retour; je crois qu’il n’y aura pas de problème.
Cinq minutes plus tard, monsieur Blanchard accompagna Richard qui alla récupérer le bâton de bois; Richard mis le bâton de baseball dans un sac et ramena monsieur Blanchard à l’école. Richard alla ensuite à l’institut médico-légal afin de remettre les bâtons à Brandon qui lui promit qu’il pourrait les récupérer dès demain. Après un dîner à la sauvette, Richard retourna à l’école afin de rencontrer Georges Lapierre, professeur qui a été suspecté de harcèlement sur une adolescente. Monsieur Lapierre attendait près du bureau lorsque Richard arriva.
—Bonjour, est-ce que vous êtes monsieur Lapierre?
—Oui; et vous l’inspecteur Chari?
—C’est ça, entrez et prenez place; comment allez-vous monsieur Lapierre?
—Un peu nerveux parce que je n’aime pas les interrogatoires.
—Ou bien parce que vous avez des choses à cacher?
—Je n’ai rien à cacher, vous pouvez y aller.
—Quel était votre lien avec la directrice?
—Je l’aimais bien, elle était exigeante mais juste et ne laissait pas tomber son personnel.
—Vous en savez quelque chose hein?
—Oui, vous savez pour la plainte de harcèlement à mon égard?
—J’en ai effectivement entendu parler; expliquez-moi ce qu’il en est.
—Eh bien, cela a commencé lorsque Maude Foilard a échoué son examen de maths; elle est en secondaire IV et c’est très important pour elle. Je lui ai proposé des séances de rattrapage sur l’heure du dîner une fois par semaine; il y avait aussi deux autres étudiants qui venaient les mardis.
—Et puis?
—Maude est venue trois mardis, mais elle ne travaillait pas vraiment et n’a pas progressé, avec comme conséquence qu’elle a échoué son examen du mois de mars et qu’elle risquait de manquer son année.
—Pourquoi vous a-t-elle accusé de harcèlement sexuel alors?
—Probablement pour se venger et pour justifier, auprès de sa mère, sa négligence en mathématique, car je ne suis jamais resté seul avec elle et, en classe, je la considérais comme tous les autres élèves.
—Que s’est-il passé après?
—J’en ai parlé à la directrice qui a convoqué l’adolescente et sa mère. Lors de la rencontre Maude a finalement reconnu qu’il n’y avait pas eu de harcèlement sexuel, mais elle trouvait que j’étais injuste envers elle dans les examens. La mère aurait voulu que la directrice me congédie, mais c’est la jeune qui a dû être retirée de l’école pour éviter que la situation ne dégénère encore plus; la mère ne l’a pas pris et elle a même fait des menaces à Édith.
—Donc pour vous, Édith a été d’un grand secours?
—Oui, elle a réussi à clarifier les fausses allégations de l’adolescente, cependant, elle n’a pu éviter la colère de la mère qui aurait voulu que sa fille puisse poursuivre dans notre école malgré cela.
—Est-ce que vous connaissez quelqu’un de l’école qui en voulait à la directrice?
—Non, il faut dire que j’ai l’habitude de me mêler de mes affaires et que je suis encore plus réservé depuis les allégations faites par l’adolescente; je ne supporte plus les rumeurs et si quelqu’un insinue quelque chose, j’ai pris l’habitude de demander des preuves; cela réduit passablement les cancans.
—Avez-vous entendu parler d’une relation spéciale entre la directrice et Raoul Painchaud, le professeur d’éducation physique?
—Il y a bien l’enseignante Josée Croteau qui a déjà fait des allusions, mais elle ne les a jamais répétées devant moi.
—Où étiez-vous mercredi passé entre 20h et 22h?
—Je ne suis pas très « courailleux »; j’étais chez moi avec mon épouse qui m’a vu finaliser ma préparation pour les cours et, après avoir pris ma douche, nous avons écouté une émission de télé; ensuite, j’ai été me coucher; il devait être environ 22h, car je me couche tôt lorsque j’ai des cours à donner le lendemain.
—Je vous remercie monsieur Lapierre, ça sera tout pour l’instant.
—Est-ce que cela veut dire que vous voulez me revoir plus tard?
—Il se peut que je doive vous revoir après ma rencontre avec Maude et sa mère, si leurs versions sont très différentes de la vôtre. Par exemple, si la situation avait évolué en faveur de Maude et que la directrice avait été de nouveau contactée par les plaignantes.
—Si la directrice a eu un rebond à ce niveau, elle ne m’en a pas glissé mot, inspecteur.
—Je vous remercie encore monsieur Lapierre.
Monsieur Lapierre sortit mais il paraissait aussi anxieux qu’à son arrivée. Richard communiqua avec Élizabeth Foilard et madame accepta de le recevoir en présence de Maude vers 19h. Richard informa Noëlla Rivier qu’il ne viendrait pas rencontrer des gens demain à l’école et qu’il la contactera s’il a besoin de revoir quelqu’un de l’école; il fit ensuite un saut au bureau afin de rentrer ses notes sur ordinateur et alla souper. À 19h précises, Richard sonna à la porte de madame Foilard qui lui ouvrit immédiatement.
—Bonjour madame, je suis l’inspecteur Chari.
—Vous êtes très ponctuel, inspecteur; si ma fille pouvait en faire autant.
—Est-ce que Maude est ici?
—Oui, je vais la chercher, elle est dans sa chambre, probablement avec ses écouteurs sur les oreilles.
En moins d’une minute, Maude et sa mère avaient pris place sur un fauteuil face à l’inspecteur.
—Comment pouvons-nous vous aider inspecteur, dit la mère?
—Vous savez que la directrice de la polyvalente où allait Maude, il y a quelque temps, a été tuée?
—Oui et en quoi cela nous concerne-t-il, demanda la mère?
—Eh bien, il y a eu cette histoire d’abus sexuel qui s’est soldée par le renvoi de Maude?
—Oui la directrice a pris la mauvaise décision en renvoyant Maude alors qu’elle s’était excusée et maintenant, Maude risque de perdre une année à cause d’elle.
—Ça ne serait pas plutôt les conséquences de ce que Maude a fait?
—Elle n’était pas obligée de me mettre dehors, dit Maude, car je lui avait promis que je ne ferais plus de vagues; cependant, elle ne me faisait plus confiance.
—Il faut dire, ajouta la mère, que la directrice s’est montrée intransigeante et qu’elle n’a pas laissé de chance à Maude qui a perdu plusieurs amies.
—Vous semblez être passablement en colère contre la directrice?
Maude répondit que finalement elle s’en foutait, alors que la mère parlait plus des craintes que sa fille manque son année à cause de l’entêtement de la directrice.
—Madame, est-ce que vous avez fait des démarches pour faire changer la décision?
—Pas la peine, avec une tête de cochon; j’ai mis plutôt mon énergie à trouver rapidement une nouvelle école pour Maude.
—Maude, est-ce que tu connaissais des personnes qui en voulaient à la directrice?
—Honnêtement, je dois dire non, même si je ne suis pas contente de ce qu’elle m’a fait.
—Est-ce que tu penses qu’elle a eu ce qu’elle méritait?
—Je n’irais pas jusque-là, dit Maude.
—Mais probablement qu’une autre personne le pensait, dit la mère.
—Est-ce que vous, madame, vous souhaitiez sa mort?
—Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, inspecteur.
—Maude, où étais-tu mercredi passé entre 20 et 22h?
—Elle était ici avec moi, répondit la mère, et nous n’avons rien fait de spécial ce soir-là. Est-ce que vous avez encore d’autres questions inspecteur?
—Je crois bien que nous allons terminer ici pour aujourd’hui, mais il se peut que je revienne vous voir si j’apprenais que vous avez menti sur vos occupations de mercredi passé.
—Croyez-nous inspecteur, dit Maude, c’est la vérité que ma mère vous a donnée.
Richard se leva et remercia poliment Maude et sa mère avant de quitter la maison. Maude et sa mère pouvaient être considérées comme des suspects vu qu’il y avait un mobile et que leur alibi, tout en étant probablement vrai, n’était pas très solide; cependant, Richard avait senti de la sincérité dans les dires de la mère qui n’avait pas caché sa colère envers la directrice. Le lendemain matin, Richard téléphona à André Couillier et fixa une rencontre au domicile vers 19h et cela en présence de Marco; il passa le reste de l’avant-midi à jouer dans ses papiers, à élaborer des hypothèses, mais rien de satisfaisant. À 13h, il était au labo de Brandon qui l’attendait avec un sourire.
—As-tu gagné à la loterie, Brandon?
—Non, mais toi, tu viens de recevoir une prime; j’ai identifié l’arme du crime parmi les bâtons de baseball que tu m’as apportés hier.
—Lequel des bâtons est l’arme du crime?
—Celui que tu as récupéré chez le concierge; les brindilles du bâton sont les mêmes que celles incrustées dans le crane de la directrice.
—Pour les autres bâtons?
—Aucun autre ne présente les mêmes fibres.
—Que peux-tu me dire de plus sur l’arme du crime?
—Eh bien, j’ai trouvé des empreintes; en fait, trois empreintes distinctes, mais aucune n’est dans notre base de données; ce bâton n’est pas de la même marque que les autres remis par l’école et le bois est plus vieux.
—Enfin, je vais pouvoir avancer dans mon enquête et je t’apporterai les empreintes du concierge afin de voir si elles correspondent à une des trois empreintes identifiées.
Richard remercia son ami Brandon et récupéra les bâtons avant de se rendre à la polyvalente. Il se rendit directement au gymnase afin de voir Raoul Painchaud. Le professeur d’éducation physique venait de compléter un cours et Richard se dit chanceux de pouvoir y avoir accès directement sans attendre.
—Bonjour monsieur Painchaud.
—Bonjour inspecteur, je n’ai pas beaucoup de temps à vous consacrer car j’ai un autre cours dans dix minutes.
—Ça ne sera pas long; tout d’abord je vous rapporte les bâtons empruntés hier.
—Et ensuite?
—J’aimerais savoir si ce bâton, qui est différent des autres, appartient aussi à l’école?
—Voyons voir; je peux vous affirmer qu’il n’est pas à nous; nous achetons en gros et ce bâton ne correspond pas à ceux achetés chez nos deux fournisseurs.
—Est-ce que des jeunes peuvent apporter leur propre bâton à l’école?
—Non, mais ils peuvent venir jouer après les classes ou les fins de semaine, car notre terrain est aussi disponible pour la population.
—Ce bâton a été trouvé le lendemain du crime dans l’herbe haute et c’est l’arme du crime.
—Par qui a-t-il été abandonné ici inspecteur?
—C’est ce qu’il faut découvrir. Connaissez-vous les jeunes qui viennent jouer ici?
—Il y a des jeunes de la poly, mais aussi probablement des jeunes et des parents du quartier. Par qui a-t-il été trouvé?
—Étant donné que c’est l’arme du crime, je n’irai pas plus loin monsieur Painchaud?
—Excusez-moi, je ne voulais pas être indiscret, mais simplement savoir si c’est une personne de l’école qui l’a trouvé ou si c’est la police?
—Merci bien de votre collaboration monsieur Painchaud.
Richard quitta le professeur sans répondre à sa question et retourna rapidement à son auto, en emportant l’arme du crime qui était recouverte d’un plastique transparent depuis que Brandon l’avait examinée. Il se rendit immédiatement au domicile du concierge David Blanchard. Lorsqu’il sonna à la porte, c’est l’épouse qui lui ouvrit.
—Bonjour madame, je suis l’inspecteur Chari.
—Oui, je vous reconnais, vous êtes venu hier avec mon mari pour prendre un bâton de baseball.
—C’est exacte madame; est-ce que vous savez depuis combien de temps, vous aviez ce bâton?
—Vous savez inspecteur, je ne suis pas très sportive; mais il me semble que David l’a trouvé la semaine passée; Renald pourrait peut-être vous en dire plus.
—Pouvez-vous aller le chercher?
La mère se rendit au sous-sol et remonta avec un jeune garçon.
—Bonjour Renald quel âge as-tu?
—J’ai dix ans monsieur?
—Ta mère m’a dit que tu étais un bon sportif; tu joues parfois au baseball?
—Oui monsieur?
—Avec qui joues-tu?
—Je joue avec les autres à l’école.
—Et ici?
—Je joue parfois avec papa?
—Avez-vous plusieurs bâtons?
—J’ai un bâton en aluminium, mais il commence à être petit et papa en a apporté un vrai la semaine passée; il est en bois.
—Est-ce que tu as joué avec?
—Non, on n’a pas encore eu le temps, mais papa me l’a montré et le bâton est assez pesant.
—Tu as alors pris le bâton dans tes mains?
—Oui, papa m’a permis de le prendre.
—Et c’était quel soir?
—Euh, c’était jeudi.
—En es-tu certain?
—Oui, car je venais d’écouter Batman et cette émission ne passe que le jeudi à 20h30.
—Oui c’est vrai, rajoute la mère; il aime bien cette émission en reprise et nous lui permettons de l’écouter avant d’aller au lit.
—Vous madame, avez-vous touché au bâton?
—Non, je l’ai regardé sans plus.
—Madame, j’aurais besoin de prendre les empreintes digitales de Renald et aussi celles de votre époux.
—Pour quoi faire, inspecteur?
—Car ce bâton est l’arme qui a servi à tuer la directrice?
—Mon fils n’a rien à voir avec cela.
—Et votre mari?
—Non plus, j’en suis certaine; David ne ferait pas de mal à une mouche.
—Il y a plusieurs empreintes sur ce bâton et je veux être capable d’en éliminer le plus possible pour aboutir à celles du meurtrier, vous comprenez?
—Je crois.
Richard appela Brandon et lui demanda s’il pouvait effectuer la prise d’empreintes dans environ trente minutes. Comme à son habitude, Brandon se dit disponible.
—Madame, je vais vous demander d’accompagner Renald au poste afin que l’on prenne ses empreintes et j’aimerais que vous appeliez votre mari immédiatement afin qu’il nous rejoigne aussi au poste.
Madame rejoignit son mari et elle passa le téléphone à l’inspecteur qui expliqua à David qu’il devait être au poste dans trente minutes pour une simple prise d’empreintes. Tous se retrouvèrent donc au poste et Brandon procéda à la prise d’empreintes.
—Merci Brandon pour ta disponibilité; je devrais aussi revenir avec d’autres personnes bientôt pour continuer mon investigation.
—Toujours le bienvenue, Richard.
Richard demanda ensuite aux parents et à l’enfant de le suivre dans un bureau; il fournit à l’enfant des crayons et du papier et lui demanda de s’installer à l’extérieur du bureau pendant qu’il discuterait avec ses parents; Renald regarda son père qui lui fit signe d’y aller; une fois la porte fermée, David amorça.
—Inspecteur pourquoi tout ceci?
—Parce que le bâton que vous avez apporté de l’école est l’arme du crime?
—Et vous pensez que c’est moi le tueur?
—Vous êtes la dernière personne identifiée à avoir vu la directrice vivante mercredi le 14 mai et l’arme du crime a été retrouvée chez vous.
—Je vous ai dit avoir trouvé ce bâton le jeudi  et si j’avais tué la directrice, je n’aurais sûrement pas apporté l’arme du crime chez moi.
—C’est aussi ce que je me dis monsieur Blanchard mais, pour l’instant, vous êtes le suspect numéro un; je vous demande de ne pas en parler à l’école et aussi de ne pas quitter la ville.
—Je n’ai pas l’intention d’augmenter les apparences négatives contre moi, inspecteur.
En voyant repartir la famille, Richard se demanda s’il avait raison de croire monsieur Blanchard, ou si le fils et la mère avaient menti pour le disculper. Après un souper éclair, Richard se rendit au domicile de monsieur Couillier; c’est Marco, le fils de quinze ans, qui ouvrit lorsque Richard sonna à la porte.
—Bonjour, je suis l’inspecteur Richard Chari, tu dois être Marco?
—Oui inspecteur…Papa l’inspecteur est là.
—Bonjour inspecteur, entrez, dit monsieur Couillier.
—Merci de me recevoir en ses jours si difficiles.
—Oui, nous devons nous réorganiser; une chance que Marco est un garçon autonome.
—Oui, ça se voit qu’il est bien élevé; ma visite est pour vous informer de l’avancement de l’enquête.
—Est-ce que vous avez déjà le meurtrier, demanda monsieur Couillier?
—Non, mais j’ai quelques suspects et vous pourrez m’aider à y voir plus clair?
—Quelles sont les personnes que vous suspectez, inspecteur?
—À ce stade-ci de l’enquête, je ne peux me permettre de vous révéler cela; cependant, j’ai le devoir de vous éliminer des suspects potentiels?
—Mon fils et moi, sommes des suspects aux yeux de la police?
—Plusieurs meurtres sont commis par des proches de la famille et il est normal de faire des vérifications. Marco où étais-tu mercredi passé entre 20h et 22h?
—J’étais chez un ami et j’avais eu la permission de papa de revenir à 23h.
—Quel est le nom de cet ami?
—C’est Mike Huntington et il demeure à trois rues d’ici.
—À quelle heure es-tu revenu à la maison?
—Il devait être 22h30 et il n’y avait personne à la maison car mon père est revenu après et il m’a annoncé que maman avait été tuée.
Marco se força pour retenir ses larmes et il fit signe à l’inspecteur de poursuivre.
—Est-ce que tu étais en bons termes avec ta mère?
—Oui, je crois, même si je trouvais qu’elle était parfois trop sévère et qu’elle me prenait encore pour un enfant, alors que j’ai quinze ans.
—Inspecteur, vous faites fausse route; Marco aimait bien sa mère et jamais il n’y aurait fait du mal; il prenait même sa défense lorsqu’il nous arrivait d’être en désaccord.
—J’aurais dû lui dire que je l’aimais au lieu de la critiquer, dit Marco.
—Je suis convaincu qu’elle le savait, Marco, dit le père.
—Marco, tu veux sûrement que je trouve le meurtrier de ta mère hein?
—Oui inspecteur; qu’est-ce que je peux faire?
—Simplement nous permettre de prendre tes empreintes?
—Inspecteur, dit monsieur Couillier, Marco est mineur et vous ne pouvez l’obliger à vous fournir ses empreintes, à moins que vous le suspectiez directement du meurtre de sa mère.
—Vous avez raison, monsieur Couillier; loin de moi l’idée que Marco ait tué sa mère, mais j’ai besoin de ses empreintes et aussi des vôtres pour vous écarter des suspects, comme je vous l’ai expliqué plus tôt. Est-ce que vous pourriez passer à l’institut médico-légal demain pour la prise d’empreintes?
—Oui, s’il le faut inspecteur, dit monsieur Couillier; à quelle heure devrions-nous y aller?
—Présentez-vous au courant de l’avant-midi et demandez à voir Brandon Sanschagrin qui sera au courant et procèdera rapidement à la prise d’empreintes.
—Est-ce que vous avez d’autres questions inspecteur, demanda monsieur Couillier?
—J’aimerais aussi que vous m’autorisiez à obtenir le relevé de vos contacts téléphoniques?
—Pour quoi faire, demanda monsieur Couillier?
—Simplement pour confirmer vos dires concernant les appels faits à votre épouse le soir du meurtre.
—Vous en doutez inspecteur?
—Non, mais c’est simplement pour démontrer à mon boss que j’ai fait l’enquête minutieusement.
Monsieur Couillier signa l’autorisation, mais son non-verbal montrait de l’agacement. Richard remercia Marco et son père et prit congé. En retournant chez lui, il se dit qu’il est toujours difficile de questionner les proches des victimes, même si cette étape est cruciale et aussi, malheureusement, souvent productive. Cela révèle aussi les difficultés de vivre en couple et en famille, alors que les passions et les émotions sont fortement sollicitées et peuvent conduire des personnes sensées à agir d’une manière tout à fait inattendue et inappropriée. Dès les premières heures, le lendemain, soit mercredi le 21 mai, Richard téléphona chez Bell, la compagnie de téléphone, et après leur avoir envoyé par fax l’autorisation signée par monsieur Couillier, il reçut rapidement le relevé des appels effectués depuis deux semaines. En revoyant ses notes, il vit la correspondance entre les dires de monsieur Couillier et le relevé; monsieur a reçu un appel de l’école vers 17h et il a rejoint son épouse à 20h; il a aussi tenté de la rejoindre à 21h45 et vers 21h55 il a appelé le 9-1-1. Tout ce que monsieur Couillier a déclaré au sujet des contacts téléphoniques est rigoureusement exact, à la minute près.

 

-5-

 

Richard avait besoin de faire le point sur ce qu’il avait découvert jusqu’ici.
- Monsieur Couillier lui avait dit la vérité au niveau des contacts téléphoniques; Richard n’avait cependant pas fouillé au niveau de la vie privée du couple et monsieur n’avait pas d’alibi.
- Marco, le fils de la directrice, présentait un alibi qu’il serait facile de vérifier au besoin.
-Raoul Painchaud, le professeur d’éducation physique, affirma ne pas avoir été amant de la directrice et fournit un alibi solide pour le soir du meurtre.
-Josée Croteau, enseignante, trente-deux ans ; elle a colporté des rumeurs concernant une relation amoureuse entre la directrice et le professeur d’éducation physique, car elle était jalouse de la directrice; pas d’alibi qui l’éliminerait de la liste des suspects.
-David Blanchard, concierge; il serait le dernier à avoir vu la directrice vivante et l’arme du crime a été retrouvée chez lui; il nous assure, cependant, avoir trouvé le bâton le lendemain du meurtre, ce qui est confirmé par son épouse et son fils. Il aurait eu le temps de tuer Édith, mais pourquoi aurait-il apporté le bâton compromettant chez lui.
-Élizabeth Foilard, la mère de Maude Foilard, en voulait à la directrice d’avoir renvoyé sa fille de la polyvalente, après les fausses allégations de sa fille envers le professeur Georges Lapierre. Le mobile est existant et leurs alibis sont faibles.
En fait, Richard se demandait quelle était la personne qui n’avait pas d’alibi et qui aurait pu être en possession du bâton de baseball mercredi passé. De plus il se pouvait que le meurtrier ait pu passer entre les mailles du premier filet tendu; Richard devrait alors aller vérifier les alibis des personnes près de la directrice, même si ces personnes ne présentaient pas de mobile à première vue. Richard n’avait pas complètement éliminé la possibilité que la directrice ait été assassinée par un inconnu afin de lui voler son argent, étant donné que la bourse de la directrice n’a pas été retrouvée près du corps. Alors que Richard jonglait avec ses hypothèses, son téléphone sonna.
—Oui, ici l’inspecteur Richard Chari.
—Je t’avais reconnu Richard, dit Brandon.
—Que me vaut l’honneur de ton appel, est-ce que tu as reçu les résultats des éléments envoyés pour l’analyse d’ADN?
—Non, pas encore mais ça ne devrait pas tarder.
—Alors?
—Alors je t’appelle pour t’informer de mes analyses concernant les empreintes qui étaient utilisables sur le bâton de baseball; il y a des empreintes qui appartiennent effectivement au concierge et à son fils Renald.
—Oui, je m’en doutais, mais à qui appartiennent les troisièmes empreintes détectées?
—Devine.
—Brandon, tu sais que je ne suis pas très bon dans les devinettes, cependant, je dirais qu’elles sont de monsieur Couillier.
—Tu brûles Richard, la troisième empreinte correspond à celles de Marco Couillier, le fils de la directrice.
—C’est presque pareil pour moi. Merci Brandon, tu m’es d’un grand secours.
L’inspecteur raccrocha et il communiqua rapidement au domicile de Mike Huntington, l’ami chez qui Marco dit avoir passé la veillée de mercredi passé; c’est la mère qui répondit.
—Bonjour, je m’appelle Richard Chari et je suis inspecteur de police à la ville de Montréal; j’aimerais parler à votre fils Mike.
—Est-ce qu’il a fait quelque chose de mal?
—Non, pas du tout, mais il peut m’être utile pour vérifier un élément important dans l’enquête sur le meurtre de la directrice; quand pourrais-lui parler?
—Étant donné que je suis en congé de maladie, il vient maintenant dîner à la maison; il sera ici sous peu.
—J’arrive alors dans quelques minutes et la rencontre ne sera pas longue.
—Est-ce que je pourrai y assister inspecteur?
—Bien sûr madame.
Lorsque Mike arriva pour dîner, l’inspecteur venait de montrer son identification à la mère.
—Mike, dit la mère, je te présente l’inspecteur Chari, il a quelques questions à te poser.
—Bonjour Mike, ne soit pas inquiet car tu n’as rien à te reprocher; je veux simplement obtenir quelques informations?
—Sur quoi, inspecteur?
—Sur ton ami, Marco Couillier, dont la mère a été assassinée, il y a tout juste une semaine. Est-ce que c’est vrai que Marco était avec toi mercredi passé durant la veillée?
—Oui inspecteur?
—Combien de temps a-t-il été ici?
—Il est arrivé après le souper, soit vers 19h environ et il est reparti un peu après 22h.
—Qu’avez-vous fait durant ce temps?
—Je l’ai aidé dans les devoirs de maths et ensuite, nous avons fait de l’internet.
—Est-ce qu’il vient souvent ici?
—Oui, dit la mère.
—Mais je vais aussi parfois chez lui, dit Mike?
—Quelle était la relation entre Marco et sa mère?
—Il semblait bien l’aimer même s’il la critiquait; lorsque j’allais chez lui, c’était positif entre sa mère et lui.
—Entre les deux parents?
—Je ne sais pas; ils se montraient corrects lorsque j’étais là; cependant, Marco a déjà révélé que son père est du style jaloux et qu’il n’aimait pas que sa mère aille au centre de conditionnement.
—Merci Mike, tu m’as bien aidé.
—Est-ce que Marco va avoir des problèmes?
—Non, ne t’en fait pas.
Richard prit congé et, après un dîner rapide, il se rendit chercher Marco à la polyvalente. Richard téléphona ensuite à l’épicerie et, tout en informant monsieur Couillier qu’il était avec Marco à la polyvalente, lui demanda de les rejoindre au poste afin d’élucider un aspect important. Lorsque monsieur Couillier arriva au poste, il vit que l’inspecteur l’attendait et que Marco était dans la salle d’attente.
—Que se passe-t-il inspecteur?
—Suivez-moi dans le bureau monsieur Couillier.
L’inspecteur demanda aussi à Marco de les accompagner.
—Pourquoi nous avez-vous fait venir ici inspecteur, dit monsieur Couillier?
—Par ce que j’ai quelque chose à montrer à Marco et je voulais que vous soyez présent.
L’inspecteur se leva et sortit le bâton de baseball qu’il avait placé dans son armoire. Le bâton était encore à l’intérieur d’une pellicule de plastique.
—Est-ce que tu reconnais ce bâton Marco?
Marco prit le bâton dans ses mains et regarda attentivement.
—Oui, c’est notre bâton.
—En es-tu certain?
—Pas mal, car il y a une petite coche au centre, c’est moi qui ai fait cela en frappant sur le coin d’un mur.
—Quand as-tu utilisé ce bâton pour la dernière fois?
—Je ne l’ai pris qu’une fois cette année, ça devait être en avril.
—Pourquoi toutes ces questions inspecteur, demanda Marco?
—Parce que c’est ce bâton qui a été utilisé pour tuer ta mère et tes empreintes sont dessus.
—Je n’aurais jamais frappé ma mère et le soir du meurtre, j’étais chez Mike.
—Je sais Marco mais, si ce n’est pas toi, qui a pu faire cela?
Marco se tourna vers son père.
—Je ne sais pas moi.
—Et vous monsieur Couillier, qu’en pensez-vous?
—Je suis sûr que ce n’est pas Marco, mais je ne comprends pas comment il se fait que le bâton ait été retrouvé dans la cour de l’école.
—Qui vous a dit que le bâton avait été retrouvé dans la cour de l’école?
—Personne, je croyais qu’il avait été trouvé là car Édith a été assassinée à l’école.
—Non, le bâton a été retrouvé chez une autre personne qui est suspectée du meurtre de votre épouse.
Monsieur Couillier se sentit soulagé par la réponse de l’inspecteur.
—Alors vous allez arrêter cette personne, demanda Marco?
—Ce n’est pas si simple que ça, vu que cette personne présente un alibi qui semble se tenir, un peu comme toi Marco.
Là-dessus, Richard se leva et libéra ses deux invités; il remarqua que Marco s’interrogeait encore et que monsieur Couillier semblait passablement inquiet par la discussion et soulagé de quitter le bureau. Pour Richard, ça ne faisait plus de doute, l’assassin n’était autre que le mari lui-même. Il ne lui restait qu’à le prouver se dit-il. Après leur départ, Richard se rendit au palais de justice afin d’obtenir un mandat qui lui permettra de fouiller la maison de monsieur Couillier et de prendre des objets qu’il pourrait apporter à Brandon pour analyse. Il retourna ensuite au bureau afin de vérifier ce que Brandon avait récolté comme éléments pouvant incriminer une personne. Le soir même, Richard, qui était accompagné d’un policier, se présenta au domicile de monsieur Couillier.
—Avez-vous oubliez quelque chose inspecteur?
—J’ai besoin de vérifier encore des éléments et j’ai un mandat qui me permet de procéder à la fouille de la maison et de prendre certains objets.
—Vous aviez dit que Marco n’était pas vraiment suspect?
—C’est encore vrai monsieur Couillier.
—Alors c’est moi, votre suspect principal, même si vous avez dit que vous aviez trouvé le bâton chez un autre suspect.
—C’est un peu tout cela qu’il faut clarifier.
—Alors qu’est-ce que vous  cherchez?
—J’ai besoin d’apporter les espadrilles ou les souliers que vous portiez lorsque vous avez découvert votre épouse.
Richard suivi monsieur qui alla dans son garde-robe et il mit dans un sac les espadrilles que lui remit monsieur Couillier.
—Vous êtes certain que ce sont ces espadrilles que vous portiez?
—Oui inspecteur et, bizarrement, je ne les ai pas remis depuis une semaine.
—Je veux aussi que vous me remettiez les gants que vous avez achetés chez Rona le 10 mai.
—Qu’est-ce qui vous dit que j’ai acheté des gants à cette date, inspecteur?
—Nous avons trouvé un relevé de caisse près de l’endroit où a été assassinée votre épouse et Rona nous a confirmé que c’était vous l’acheteur; vous savez qu’avec le numéro de téléphone inscrit dans leur ordinateur, ils peuvent trouver l’acheteur de l’article.
Monsieur amena Richard dans le garage et lui remit les gants noirs qui étaient presque neufs. Richard mit ces gants dans un sac et remercia monsieur Couillier.
—Désirez-vous encore d’autres articles?
—Non c’est tout pour les objets que je voulais obtenir; cependant j’aimerais vous parler un peu de votre relation avec votre épouse.
—Pourquoi?
—Parce qu’il y a des rumeurs que votre épouse avait un amant; en aviez-vous entendu parler?
—Oui, il y a toujours quelqu’un pour faire des insinuations.
—Par exemple?
—Il semble que mon épouse s’entendait bien avec un professeur de la polyvalente?
—Avez-vous su son nom?
—C’était le professeur d’éducation physique, qu’on disait.
—En aviez-vous parlé avec votre épouse?
—Non car je n’avais pas de preuve; cependant, j’ai su que le professeur était inscrit au même club de conditionnement que ma femme.
—Qu’avez-vous fait après avoir su cela?
—Rien, car le fait que les deux soient inscrits au même club ne constitue pas une preuve de relation, hein inspecteur?
—Bien sûr monsieur Couillier; est-ce que vous avez autre chose à me dire avant que je parte?
—Non, je vous dis que je suis innocent et que j’aimais ma femme.
L’inspecteur laissa monsieur Couillier dans un état lamentable; il aurait pu pousser davantage, le forcer à avouer, mais Richard préférait avoir des preuves matérielles avant d’inculper monsieur. Dès 9h, le lendemain, Richard était au labo de Brandon.
—Salut Brandon.
—Encore toi, que veux-tu cette fois-ci?
—Simplement te voir…Et que tu analyses les espadrilles ainsi que les gants que je t’apporte afin de voir si ces articles ont des correspondances avec les éléments que tu as recueillis auprès du corps de la directrice; est-ce possible que tu fasses cela en priorité?
—J’ai beaucoup de demandes d’analyse à effectuer, tu sais.
—Oui Brandon, je sais, mais si tu pouvais faire une exception pour cette fois, ça serait très utile car le suspect est déjà ébranlé.
—Pour cette fois, tu dis; tu aurais dû dire pour sept fois, car il me semble que tes demandes d’exception reviennent souvent.
—Oui, je reconnais que ça arrive quelques fois.
—Bon, bon, reviens à 13h et tu auras tes résultats.
Richard s’éclipsa rapidement avant que Brandon ne change d’idée. De retour au bureau, il examina de nouveau les indices qui pouvaient accuser les autres suspects; rien ne pouvait lui enlever de la tête que le véritable responsable de la mort de la directrice était le mari. Que ce soit l’enseignante, Josée Croteau, le concierge David Blanchard, Élizabeth Foilard, la mère de Maude ou Marco Couillier, tous ces suspects se retrouvaient derrière le mari. À 13h, Richard était au bureau de Brandon et attendait impatiemment la confirmation de son hypothèse.
—As-tu complétés tes analyses Brandon?
—Je viens tout juste de finir, je te donne les résultats et je vais manger après.
—Quoi, tu n’as pas pris le temps de dîner?
—J’ai fait cela pour toi.
—Tu n’aurais dû!!!
—Ah bon, mais il faut dire que c’est passionnant d’analyser, surtout lorsqu’on réussit à trouver des correspondances.
—Alors tu as les correspondances espérées?
—Oui Richard, sans l’ombre d’un doute; les espadrilles qui appartiennent, je présume à monsieur Couillier, ont laissé des traces dans le sentier  où a été retrouvée la victime mais aussi dans le sous-bois, ce qui nous indique qu’il était caché là à l’attendre; en outre, le tissu des gants correspond aussi à celui qui a été retrouvé près du corps et j’ai trouvé sur un des gants, une minuscule brindille qui provient du bâton identifié comme l’arme du crime. Avec cela, tu es en voiture Richard.
—En effet, que demander de plus, tu viens de confirmer ce que je pensais.
—Ah oui, je viens de recevoir les résultats des tests d’ADN que tu avais demandés pour la gomme, les cheveux et les bouts de cigarette.
—Je crains que ces résultats ne soient plus nécessaires maintenant Brandon.
—Je le crains aussi.
Richard remercia Brandon et, conforté dans ses convictions, il s’adjoignit un policier et se rendit directement à l’épicerie où il demanda à monsieur Couillier de l’accompagner au poste. Celui-ci les suivit sans résistance. Rendus au poste, Richard invita monsieur à s’asseoir; il mit en marche un enregistrement.
—Monsieur Couillier, je reviens du labo où j’ai fait analyser vos espadrilles et vos gants; ils correspondent à des éléments que nous avions identifiés sur les lieux du crime.
Monsieur Couillier ne protesta pas.
—J’ai maintenant assez de preuve pour convaincre le procureur d’intenter des procédures contre vous et je vais vous garder en détention dès maintenant. Vous pouvez appeler un avocat immédiatement, si vous voulez contester mon orientation ou être accompagné pour l’entretien qui va suivre.
Voyant que monsieur Couillier ne bronchait.
—Monsieur Couillier, avez-vous bien compris ce que je vous ai dit.
—Oui inspecteur.
—Voulez-vous appeler un avocat maintenant?
—Pas maintenant.
—Est-ce que vous avez cru les rumeurs d’infidélité à l’égard de votre épouse?
—Oui, une enseignante, Josée Croteau, je crois, en a même parlé à une caissière à l’épicerie et les gens jasaient; mon autorité envers les employés(es) s’effritait et j’ai su que le professeur d’éducation physique allait s’entraîner au même centre qu’Édith.
—Alors vous avez sauté à la conclusion que votre femme vous trompait?
—Elle restait parfois travailler tard à l’école et je l’imaginais dans les bras de l’autre; ça devenait insupportable.
—Est-ce que vous lui en avez parlé?
—Je ne pouvais pas car d’une manière ou d’une autre, je la perdais.
—Comment ça?
—Eh bien inspecteur, j’ai toujours été un peu suspicieux et cela faisait des conflits entre nous. Je ne pouvais plus me permettre de la mettre en doute, car elle aurait demandé le divorce; d’un autre côté, les révélations de certaines personnes ont fini par me convaincre qu’elle me trompait effectivement et, qu’en me faisant passer pour trop jaloux, elle s’était donnée une occasion de me tromper sans que je puisse intervenir. Je n’en pouvais plus et mercredi de la semaine passée, je savais qu’elle finissait à 21h, même si je vous ai dit qu’elle finissait à 21h30. Je savais aussi que le concierge serait parti, alors j’ai pris le bâton de baseball et je me suis rendu à l’école; je me suis caché parmi les arbres qui encadrent le sentier en arrière de l’école. Je me disais qu’elle devait arrêter de jouer avec moi, de me faire souffrir; lorsqu’elle est passée à ma hauteur, je l’ai frappée et elle est tombée immédiatement; j’ai ensuite lancé le bâton dans le fond de la cour et je suis retourné chez moi avec sa bourse; j’ai composé son numéro vers 21h45 pour faire croire que je l’attendais encore et vous savez la suite.
—Qu’avez-vous fait de la bourse?
—Je l’ai cachée dans le garage et le lendemain matin, je l’ai faite brûler.
—Est-ce que vous voulez maintenant un avocat, monsieur Couillier?
—Non, je veux seulement me reposer et voir clair dans ce que j’ai fait; j’ai aussi besoin de savoir si Édith me trompait vraiment ou pas.
—Mon enquête me conduit à croire que madame Josée Croteau était jalouse de votre épouse et qu’elle a inventé tout cela; elle a colporté des rumeurs, qui sont tombées sur un terrain fertile et qui ont pris valeur de réalité.
—Cette femme aurait inventé cela, car elle était jalouse?
—Je le crains monsieur Couillier et je crois que c’est aussi la jalousie qui vous a perdu.
—Quelqu’un m’a déjà dit que la jalousie était reliée à un manque de confiance en soi et que si l’on n’a pas confiance en soi, on ne peut prendre le risque de faire confiance aux autres.
—Vous avez raison monsieur Couillier; je vais vous reconduire en cellule et demain nous mettrons sur papier l’enregistrement effectué, si cela vous convient?
—Oui inspecteur, mais j’aimerais auparavant pouvoir prévenir Marco que je reste en détention et aussi appeler un avocat pour qu’il puisse venir demain.
—Sans problème monsieur Couillier.
Monsieur Couillier fit ses deux appels rapidement et ne demanda plus qu’à aller se reposer, même si c’était en cellule.  Le combat qu’il avait livré contre lui-même et qu’il avait perdu, l’avait complètement épuisé; par contre, en avouant son meurtre, il s’était libéré d’une tension qui l’aurait détruit de toute façon. Pour Richard, il n’y avait pas de doute, les procédures judiciaires aboutiraient à une condamnation à perpétuité. Richard était triste de constater ce que la jalousie peut provoquer et que les mobiles des crimes dépendent autant de l’équilibre mental que des désirs inassouvis. Cependant, il avait réussi à découvrir le meurtrier et il pouvait dire mission accomplie. En veillée, alors qu’il se reposait et pensait encore à cette affaire, il reçut un appel d’Élise.
—Oui
—Richard, c’est Élise.
—Ah content d’avoir ton appel, est-ce que tu as décidé d’une activité pour la fin de semaine?
—Eh bien, Richard, je crains que l’on doive remettre notre sortie car je dois me rendre à Sept-Îles pour aider un ex-ami qui est dans le besoin; est-ce que nous pouvons remettre cela à la fin de semaine prochaine?
—Sans problème Élise et bon voyage.
Richard raccrocha, non sans un pincement de cœur, et pensa alors à monsieur Couillier.

 

 

Terminé le 25 novembre 2013