Familles Bonin

 

PAS FAIT EXPRÈS

 

Nouvelle policière

 

-1-

 


Madame Ouellette se réveilla en sursaut; il était déjà 8h30 et elle avait rendez-vous à 9h. Elle prit un bol de céréale et se débarbouilla en vitesse. Elle savait déjà qu’elle serait en retard et cela l’angoissait. Bien habillée pour l’hiver, elle sortit de son appartement situé au deuxième et descendit les marches enneigées. Le froid des derniers jours avait diminué, mais la neige s’était fortement accumulée durant la nuit. Elle entra au Centre jeunesse et se dirigea à la réception.
­­—J’ai rendez-vous avec France.
—Vous êtes?
—Madame Ouellette.
—Je vais la prévenir; vous pouvez vous asseoir.
Sylvie composa le poste de France mais n’obtint pas de réponse; elle laissa un message dans sa boite vocale.
—Avez-vous contacté France, ça fait déjà quinze minutes que j’attends?
—Oui, je lui ai laissé un message dans sa boite vocale, car elle ne semblait pas être à son bureau; je vais réessayer encore, madame Ouellette.
Pour la deuxième fois, Sylvie se buta à la boite vocale; elle laissa encore le message que madame Ouellette était arrivée.
—J’ai l’impression que je ne suis pas la seule en retard ce matin.
—Ça ne devrait pas être long, France est habituellement ponctuelle. À quelle heure était votre rendez-vous?
—À 9h.
—Mais vous êtes arrivée vers 9h15.
—Je sais, mais il est maintenant 9h30 et France semble avoir oublié mon rendez-vous.
Sylvie appela alors Steve, chef de services, et lui demanda s’il avait vu France ce matin.
—Je vais aller jeter un coup d’œil et je te rappelle Sylvie.
Steve se rendit au bureau de France et il était barré; en outre, personne ne semblait avoir vu France ce matin. Steve rappela Sylvie pour l’informer.
—Madame Ouellette, je ne comprends pas; France ne semble pas être au bureau ce matin. Êtes-vous certaine que vous aviez rendez-vous aujourd’hui?
—J’étais peut-être un peu en retard mais je ne suis pas mêlée; mon rendez-vous était à 9h aujourd’hui, mardi le 7 janvier. C’est bien beau les Fêtes, mais j’ai le droit de voir mon enfant et France devait m’autoriser des sorties avec Amélie.
—Ne vous inquiétez-pas madame, elle devrait arriver bientôt. Je vais demander à notre chef de tenter de la rejoindre chez elle.
—Si je ne peux voir ma fille à cause de son absence, je vais porter plainte.
Sur ce, Sylvie rejoignit encore Steve et lui demanda s’il pouvait solutionner la problématique, car madame Ouellette avait un rendez-vous à 9h et il était maintenant plus de 9h30.
—Je vais tenter de rejoindre France et si je ne peux, je recevrai madame Ouellette.
—OK.
—Madame Ouellette, monsieur Gauthier va tenter de rejoindre France sur son cellulaire et s’il ne réussit pas, il vous recevra. Donnez-lui quelques minutes pour faire cela.
—Je n’ai pas que cela à faire, attendre.
—Ça ne devrait pas être long, madame.
Quelques minutes plus tard, Steve rappela Sylvie.
—Sylvie, je n’ai pas réussi à rejoindre France et personne ne l’a vue ici. Je vais aller chercher madame Ouellette, car je connais son dossier. Je veux être prévenu dès que vous aurez des nouvelles de France. Pour les autres appels que France recevra, acheminez-les à Véronique, c’est elle qui est de garde aujourd’hui.
—D’accord Steve.
Steve alla chercher madame Ouellette dans la salle d’attente et comme elle semblait bien disposée malgré tout, il appela la famille d’accueil afin d’autoriser la sortie d’Amélie avec sa mère pour l’après-midi. Après le dîner, France n’avait toujours pas donné signe de vie et Steve dût intervenir encore dans un de ces dossiers, car Véronique était visiblement débordée. À la fin de la journée, Steve se rendit à l’appartement de France; n’obtenant pas de réponse, il demanda au concierge de l’accompagner et de débarrer la porte. France n’était pas dans l’appartement et le lit n’avait pas été défait. Steve retourna au bureau et prit la fiche de France. Il lut qu’en cas d’urgence, il pouvait rejoindre le père, soit monsieur Reynald Lemieux.
—Bonjour est-ce que je parle à monsieur Reynald Lemieux?
—Lui-même, qui êtes-vous?
—Je m’appelle Steve Gauthier et je suis le patron de France; elle n’est pas venue travailler aujourd’hui et elle ne nous a pas laissé de message; en outre, elle n’est pas à son appartement. Est-ce que vous savez où elle pourrait être?
—Non.
—Je suis inquiet, car votre fille est habituellement très ponctuelle et consciencieuse et hier, elle semblait en forme; elle n’aurait pas laissé ses clients sans service toute la journée, sans une bonne raison ou sans nous prévenir.
—Je suis aussi étonné que vous, monsieur Gauthier. Je vais tenter de la rejoindre et je vous rappelle d’ici une heure si vous le souhaitez.
—Oui, ça serait important que je sache si elle va bien et si elle peut entrer au travail demain. Je vous donne le numéro de mon cellulaire qui est le 514-678-3246 et j’attends de vos nouvelles d’ici peu.
—Sans faute monsieur Gauthier.
Après avoir raccroché, monsieur Lemieux informa son épouse et il commença à téléphoner à des membres de la famille ainsi qu’à des amies de France. Personne ne l’avait vue aujourd’hui.
Monsieur Lemieux informa alors monsieur Gauthier et dit aussi qu’il appellerait immédiatement la police afin de signaler la mystérieuse disparition  de sa fille.

 

-2-

 

Vers quatre heures, alors qu’il faisait encore nuit, le préposé au déneigement s’apprêtait à faire remorquer une  petite Élantra noire lorsqu’il découvrit, en regardant à travers la vitre, qu’une femme était au volant et semblait inerte. Roland ouvrit la porte et constata qu’il y avait du sang sur la dame; il referma aussitôt la porte et appela alors les urgences. En quelques minutes, policiers et ambulanciers étaient sur place. Richard Chari, l’inspecteur, arriva alors que les ambulanciers se préparaient à se retirer, étant donné qu’ils ne pouvaient rien  faire pour cette femme et que le médecin légiste, Nicolas Fortin, venait d’arriver. Richard demanda aux ambulanciers ce qu’ils avaient observé.
—Lorsque nous sommes arrivés, répondit Noémie, il y avait le patrouilleur Paradis qui sécurisait les lieux et discutait avec le monsieur qui a découvert le corps. Nous avons alors simplement vérifié les signes vitaux de la femme et il est clair qu’elle est morte déjà depuis longtemps.
—Avez-vous une idée de l’heure de la mort?
—Je crois que Nicolas pourra confirmer officiellement le décès de madame et vous en dire plus que moi sur l’heure probable du décès.
—Merci bien madame.
Richard se dirigea ensuite vers l’homme qui a découvert le corps.
—Bonjour, je suis inspecteur de police; on m’a dit que vous avez découvert le corps?
—Oui inspecteur, je précède la déneigeuse afin de prévenir les accidents et aussi pour faire venir la remorqueuse, s’il y a encore des autos qui encombrent la rue; j’ai vu une auto qui ne devait plus être stationnée dans la rue à cette heure; je me suis approché et j’ai vu une femme à l’intérieure; elle ne bougeait pas et elle n’a pas répondu à ma demande; j’ai ouvert la portière et j’ai vu qu’il y avait des traces de sang ; je n’ai touché à rien et j’ai continué à questionner; n’ayant pas de réponse, j’ai alors refermé la porte et j’ai appelé les urgences.
—Vous n’avez pas vérifié son état physique?
—Je ne l’ai pas touchée, mais j’ai vu que le sang ne coulait pas et qu’elle avait déjà les yeux révulsés, alors je me suis dit que je ne pouvais rien faire pour elle.
—Comment vous appelez-vous?
—Roland Phaneuf, inspecteur, et mon numéro de cellulaire est le 514-677-8283, si vous voulez mettre cela dans votre rapport.
—Très bien, merci monsieur Phaneuf.
En se retournant, Richard vit que Brandon et son équipe venaient d’arriver et que Nicolas refermait la porte de l’auto.
—Bonjour Nicolas; est-ce que c’est clair pour toi?
—Je peux te dire qu’elle est officiellement morte et que c’est probablement un meurtre.
—Qu’est-ce qui te fait dire ça?
—Elle semble avoir été tuée avec un couteau et, si cela avait été un suicide, le couteau aurait été probablement à côté d’elle.
—Oui, évidemment Nicolas. Connais-tu son identité?
—Selon le permis de conduire, qui est dans sa bourse, elle s’appellerait France Lemieux.
—Pour l’instant, as-tu autres choses que tu puisses me dire?
—Je vais faire transporter le corps  à l’institut et je pourrai t’en dire plus après l’autopsie.
—Oui d’accord; est-ce que tu sais à quelle heure a eu lieu le décès?
—Elle semble décédée depuis au moins une journée; je pourrai être plus précis dans quelques heures.
—Bon, je passerai à ton bureau vers la fin de la journée.
Pendant que Nicolas demandait à faire transporter le corps, Richard se dirigea vers Brandon, le responsable des techniciens en scène de crime.
—Ça semble une sale affaire, hein Brandon?
—J’espère que nous trouverons des indices du tueur à l’intérieur de l’auto car, avec la neige qui s’est accumulée depuis hier, les traces extérieures ne sont plus visibles. Nous allons quand même enlever cette neige, afin de voir si l’assassin n’aurait pas échappé quelques choses, mais j’ai peu d’espoir.
—As-tu la confirmation que la personne est bien France Lemieux?
—Richard, je peux simplement dire que ses papiers et ceux qui sont dans l’auto sont à ce nom.
—Donne-moi le permis de conduire afin que je puisse faire des recherches et ensuite contacter quelqu’un de sa famille.
Brandon remit à Richard le permis de conduire et continua à examiner l’intérieur de la voiture, pendant que Richard s’éloigna.
—Merci Brandon, je te contacterai à la fin de la journée afin de voir ce que tu auras découvert.
—Ok, salut.
Richard se rendit au poste de police et après avoir découvert le nom des parents de France, téléphona à leur résidence. Il était environ 6h, mercredi le 8 janvier, lorsque le téléphone sonna chez monsieur Reynald Lemieux.
—Bonjour, je suis l’inspecteur Richard Chari, est-ce que je parle bien à monsieur Reynald Lemieux?
—Oui, que ce passe-t-il?
—Je crains d’avoir de mauvaises nouvelles pour vous; est-ce que vous avez une fille qui s’appelle France et qui conduit une Élantra noire?
—Oui inspecteur, est-ce qu’elle a eu un accident?
—Elle a été retrouvée morte cette nuit dans son auto.
—Non…De quoi est-elle morte?
—Monsieur Lemieux j’aimerais que vous veniez au poste afin que nous en discutions et que nous puissions confirmer que la personne décédée est bien votre fille.
—Nous serons chez vous dans peu de temps, inspecteur.
—Je vous attends vers 7h car je dois aller manger un peu si je veux être capable de faire ma journée.
—J’informe mon épouse et nous serons à votre bureau à 7h.
—Merci monsieur Lemieux et à tantôt.
Richard était allé manger rapidement et lorsqu’il revint, deux personnes l’attendaient à l’entrée du poste.
—Bonjour, je suis l’inspecteur Richard Chari; est-ce que vous êtes monsieur et madame Lemieux?
—Oui inspecteur, nous sommes les parents de France Lemieux.
—Et bien suivez-moi.
Richard se rendit à son bureau et fit asseoir les parents de France.
—Nous avons des raisons de croire que votre fille est décédée; est-ce que vous la reconnaissez sur cette photo, qui a été prise cette nuit?
—Oui, répondit madame Lemieux, est-ce que nous pouvons la voir?
—Vers 8 heures nous irons au centre médico-légal afin d’identifier formellement le corps, mais avant, j’ai besoin que vous me donniez certaines informations.
—De quoi est-elle morte inspecteur, demanda monsieur Lemieux?
—Nous croyons qu’elle a été assassinée, probablement avec un couteau.
—Depuis quand savez-vous cela?
—Le corps a été retrouvé cette nuit vers 4h, alors que l’opération déneigement était en cours; elle a été trouvée à l’intérieur de son véhicule, qui semble avoir été stationné là depuis plusieurs heures. Quand l’aviez-vous vu pour la dernière fois?
—Nous l’avons vue à Noël et aussi au jour de l’an; elle semblait en forme et était joyeuse, dit la mère les larmes aux yeux.
—Si je me fie à son permis de conduire, elle a vingt-huit ans?
—C’est exact, inspecteur, répondit le père, qui contrôlait mieux ses émotions.
—Est-ce que votre fille travaillait?
—Oui, elle travaillait à la DPJ depuis environ trois ans, elle était travailleuse sociale.
—Est-ce qu’elle avait un ami de cœur?
—Oui, il s’appelle Laurent Leduc et nous l’avons vu à Noël pour la première fois.
—Il a l’air d’un bon garçon, ajouta la mère.
—Connaissez-vous les autres amies de France?
—Elle voyait encore régulièrement Cathlyne Chabot et Nancy Coulombe ainsi que d’autres amies dont je ne connais pas les noms, répondit la mère.
—Est-ce que vous avez d’autres enfants, madame Lemieux?
—Il y a René, qui a trente-deux ans et qui travaille à la boulangerie Dupont, et la sœur jumelle de France, Francine, qui est à la maison car elle est limitée au niveau intellectuel.
—Est-ce que vous connaissiez les collègues de travail de votre fille?
—Non, pas vraiment, répondit la mère, même si elle nous parlait parfois des difficultés de son métier.
—Connaissez-vous quelqu’un qui lui aurait voulu du mal au point de la tuer?
Les deux parents se regardèrent et le père fit un signe de tête à la mère.
—Il y aurait Jean Kennedy, l’ancien ami de France; c’était un gars alcoolique qui se montrait aussi parfois violent. Elle avait finalement décidé de le quitter après huit mois de vie commune.
—Quand a eu lieu la séparation?
—En juin de l’année dernière.
—Comment la séparation  s’est passée?
—Difficile, dit la mère, Jean lui promettait encore de changer mais elle n’y croyait plus et elle est partie s’installer ailleurs. C’est à cause de cette mauvaise expérience qu’elle ne semblait pas pressée de s’installer avec Laurent qu’elle connaissait depuis l’automne.
—Est-ce que nous pouvons aller voir France maintenant, demanda la mère?
—Oui madame, je contacte le médecin légiste pour voir s’il est prêt.
Après avoir eu le ok de Nicolas, Richard et les parents se rendirent à l’institut médico-légal et les parents confirmèrent que le corps de la personne décédée était bien celui de leur fille.
—Quand pourrons-nous récupérer le corps, demanda monsieur?
—Demain matin, mon travail sera complété et vous pourrez envoyer les pompes funèbres dès huit heures, répondit Nicolas.
—Avez-vous des informations sur les circonstances de sa mort, demanda le père?
—Je vais faire l’autopsie aujourd’hui et mon rapport sera transmis à l’inspecteur qui vous informera par la suite.
—Si j’ai le rapport demain, je vous communiquerai rapidement les informations, dit Richard.
En quittant l’institut, Richard demanda aux parents de réfléchir aux éléments qui pourraient l’aider dans son enquête. Les parents s’éloignèrent lentement, ils semblaient avoir pris un coup de vieux.

 

-3-

 

Pour Richard, l’enquête commençait. Commencer par quoi, par qui. Il devait laisser le médecin légiste faire son autopsie, attendre aussi que Brandon et son équipe aient inventorié les objets trouvés sur la scène de crime et que les parents communiquent la mauvaise nouvelle à la famille, avant d’aborder les suspects potentiels. Il communiqua au Centre jeunesse.
—Centre jeunesse du centre-sud.
—Bonjour, je suis l’inspecteur Richard Chari de la police de Montréal, est-ce que je peux parler au chef de services?
—Oui inspecteur, je vous mets en communication.
—Oui, ici Steve Gauthier, que puis-je faire pour vous, inspecteur?
—Est-ce que France Beaulieu est une de vos employées?
—Oui, inspecteur. On ne l’a pas vu hier mardi et elle n’est pas encore entrée ce matin.
—Elle ne rentrera pas aujourd’hui, ni les jours suivants car elle est décédée.
—Quand est-elle morte?
—Probablement dans la veillée de lundi.
—Comment est-ce arrivé?
—Nous sommes au tout début de l’enquête mais elle semble avoir été assassinée; je ne peux vous en dire plus pour l’instant car l’autopsie n’est pas encore faite.
—Que pouvons-nous faire?
—J’aurais besoin de vous rencontrer afin que vous me parliez d’elle, de ses relations avec ses collègues et aussi des clients qui l’auraient déjà menacée ou qui lui feraient la vie dure.
—J’ai besoin de la journée afin d’éplucher certains dossiers pour voir s’il y a eu des relations à couteaux tirés avec des clients et aussi pour organiser le transfert de certains de ses dossiers prioritaires.
—Je comprends; j’irai vous rencontrer vers 9h demain, si ça peut être correct pour vous.
—Je vais m’arranger inspecteur.
—Merci bien et à demain alors.
Après avoir raccroché, Richard consulta les différents rapports de police afin d’y chercher des indices qui pourraient conduire à ce crime; il ne trouva rien qui allait dans ce sens. Il se remit alors à la rédaction du rapport concernant le meurtrier Crépeau, un jeune étudiant qui avait tué sa petite amie. La jalousie avait submergé le jeune Crépeau qui devrait croupir en prison pour plusieurs années, si le tribunal allait dans le sens de son rapport et des preuves fournies. Vers 16h, Richard retourna à l’institut médico-légal. Nicolas était en plein travail.
—Salut Nicolas, est-ce que tu as fini l’autopsie de madame Lemieux?
—Presque, mais le rapport sera complété demain.
—Que peux-tu me dire pour l’instant?
—Que je te trouve pas mal pressé.
—Tu as encore le goût de faire des farces après toutes ses années?
—Oui, cela m’aide à surmonter le côté macabre du boulot; plus sérieusement Richard, je peux te dire que le décès aurait eu lieu lundi le 6 janvier entre 21h et 24h.
—De quoi est-elle morte?
—Elle a été poignardée à deux reprises; un des deux coups à transpercer le cœur et elle est décédée presque immédiatement, car il y a peu de sang. Elle ne semble pas s’être défendue et elle n’a pas d’autres marques que celles du couteau.
—Peux-tu me parler du couteau qui peut avoir été utilisé?
—Je te dis que, selon moi, c’est un couteau dont la lame fait au moins douze-treize cm.
—Nicolas, peux-tu être plus précis?
—Si je te dis environ cinq pouces, est-ce que ça t’éclaire?
—C’est lumineux. Est-ce que la tranche est lisse ou avec des dents?
—Des dents bien marquées, comme celles d’un couteau à steak; possiblement que le meurtrier a pris un couteau dans sa cuisine.
—Tu y vas fort dans les hypothèses mon vieux.
—Oui et j’ajouterais que le meurtrier n’est pas un professionnel, car eux, ils utilisent habituellement des lames lisses comme on voit dans un jack-knife.
—As-tu encore d’autres hypothèses Nicolas?
—Ne te moques pas de moi, Richard; d’ailleurs, tu perds ton temps à essayer de me faire choquer.
—Loin de moi cette idée, Nicolas. As-tu déjà d’autres informations utiles?
—Je peux aussi te dire que la victime avait mangé de la pizza quelques heures avant d’être assassinée, car l’estomac n’avait pas encore tout digéré; en fait, elle aurait mangé entre 19h et 21h.
—Est-ce que madame Lemieux a été agressée sexuellement?
—Non et elle n’était pas enceinte non plus, au cas où tu voudrais savoir.
—Donc, madame n’était pas enceinte, elle n’a pas été agressée sexuellement, ne semble pas avoir pu se défendre, elle a mangé de la pizza en veillée, a été assassinée par deux coups de couteau quelque temps après avoir mangé et le  couteau  pourrait être un simple couteau de cuisine. Est-ce que je résume bien, Nicolas?
—Je trouve que tu fais un peu perroquet, mais en gros, c’est l’essentiel de mes observations. Je t’enverrai un rapport écrit demain et je pourrai, peut-être, y ajouter quelques nuances.
—Bon ok, Nicolas, merci bien.
Sur ce, Richard tourna les talons et se rendit au bureau de Brandon, en espérant pouvoir obtenir d’autres pièces du casse-tête. Lorsqu’il arriva, Brandon tapait à l’ordinateur.
—Es-tu en train de m’envoyer ton rapport?
—Il faudrait d’abord que j’aie terminé les analyses des éléments recueillis sur la scène de crime.
—Mais, Brandon, tu peux quand même me donner quelques informations pour commencer mon enquête?
—En dehors de l’auto, la neige a presque tout effacé.
—Alors tu as trouvé quelque chose?
—Un kleenex détrempé et imbibé de sang.
—À qui appartient le sang?
—C’est celui de la victime; le sang sur ce kleenex a été comparé à un échantillon de sang que nous a fourni Nicolas.
—Comment le sang de la victime peut-il se retrouver dans la neige, si la victime n’est pas sortie de l’auto?
—C’est probablement l’assassin qui a laissé tomber le kleenex.
—As-tu des traces de pas, de pneus ou quelques choses du genre?
—Malheureusement Richard, la neige a tout fait disparaître, à l’exception du kleenex retrouvé près de l’auto.
—Et à l’intérieur de l’auto, qu’as-tu trouvé?
—Beaucoup de choses comme d’habitude.
—Tu n’aurais pas trouvé l’arme du crime par hasard?
—Non, seulement des bouts de fil, de laine, des cheveux, des kleenex, un briquet, une sacoche de travail, etc.
—Ouais, tu es vraiment aidant pour moi, Brandon.
—Quoi, tu aimerais que notre équipe te fournisse la solution sur un plateau?
—Bien sûr que j’aimerais cela, cependant je vais me contenter de lire avec intérêt le rapport de tes analyses. Quand pourras-tu me fournir ce rapport?
—Richard, je t’enverrai par courriel, les résultats des analyses aussitôt que je les aurai et je produirai un rapport complet, après la fin de nos investigations.
—Un vrai pro, Brandon. Merci bien.
Il était déjà dépassé 17h et Richard retourna à son bureau pour y écrire certaines hypothèses qui lui passaient par la tête. Demain, il commencerait sa journée par une visite sur le lieu de travail de madame Beaulieu.

 

-4-

 

En arrivant au bureau, jeudi le 9 janvier, Richard consulta les rapports des patrouilleurs de nuit. Il ne vit encore rien qui semblait se rapprocher de son crime. Il se rendit alors au Centre jeunesse afin d’y rencontrer Steve Gauthier, le chef de services.
—Bonjour madame, je suis l’inspecteur Richard Chari et j’ai rendez-vous avec monsieur Gauthier.
—Je le préviens immédiatement inspecteur, dit Sylvie.
Dès qu’elle eut rejoint Steve, monsieur Gauthier se présenta à l’inspecteur.
—Bonjour inspecteur, veillez me suivre dans mon bureau.
Une fois bien installé, Steve demanda.
—Par où on commence inspecteur?
—Je veux que vous me parliez de madame Lemieux, de ses liens avec l’autorité, avec ses collègues et collaborateurs et aussi avec ses bénéficiaires.
—Je ne sais pas par quoi commencer?
—Quelle relation avait-elle avec vous, et les directeurs?
—France était une personne directe qui ne mâchait pas ses mots, elle était aussi exigeante pour elle-même et bien entendu pour les autres. Elle était très professionnelle, je crois, mais parfois dérangeante. Elle venait d’être élue présidente du syndicat et elle pouvait revendiquer.
—Une fille pas facile quoi?
—Je ne dirais pas cela inspecteur, car on savait où elle logeait et si les règles étaient respectées, elle était une bonne collaboratrice; elle n’avait pas tendance à colporter de rumeurs ou de jouer à la cachette, mais il fallait être honnête et lui répondre clairement.
—Donc une intervenante qui joue franc jeu et qui force l’administration à bien jouer son rôle?
—Oui, c’est passablement ça.
—Avec vous personnellement, comment était-elle?
—Comme je viens de vous la décrire.
—Est-ce que cela vous était pénible?
—Un peu, car il faut rester vigilant et cohérent, mais c’est moins pire que de travailler avec des personnes qui font semblant d’accepter nos demandes et qui magouillent par en arrière.
—Oui, avec elle vous saviez l’heure juste?
—Exactement.
—Comment était-elle considérée par ses collègues et collaborateurs?
—Elle était perçue comme une leader qui se tenait debout et qui faisait bien sa job.
—Dans le fond, elle était plus aidante que nuisible dans l’équipe?
—Oui, vous avez raison.
—Avec un caractère aussi fort, elle devait vivre parfois des conflits?
—Certains collègues la trouvaient trop exigeante et lui reprochaient de jouer au petit boss, d’autres auraient voulu qu’elle embarque dans des magouilles ou qu’elle insiste pour que l’administration diminue ses exigences, etc.
—En général, elle était appréciée ou crainte?
—Appréciée par les personnes qui avaient leur job à cœur et crainte par celles qui se trainaient les pieds, autant auprès de ses collègues que de l’administration.
—Est-ce que vous connaissez quelqu’un, parmi ses collègues, qui lui aurait voulu du mal?
—Comme je vous l’ai dit, inspecteur, elle était bien appréciée mais aussi crainte et certaines personnes pouvaient peut-être jalouser la position qu’elle détenait.
—Je vais commencer  par vous monsieur Gauthier, où étiez-vous lundi le 6 janvier à partir de 21h?
—À la maison avec mon épouse et mes deux enfants.
—Avant que nous parlions de ses bénéficiaires, j’aimerais que vous me remettiez la liste de votre personnel et celle de l’exécutif syndical.
—Sans problème, inspecteur.
Steve se mit à l’ordinateur et fit imprimer les deux listes demandées.
—Vous êtes assez bien organisé à ce que je vois?
—Il le faut, sinon dans ce métier, on est vite débordé.
—Si on regardait maintenant les dossiers de madame Lemieux?
—Comme demandé, inspecteur, j’ai regardé ses dossiers et je peux vous dire que certains clients ne sont pas faciles.
—Est-ce que madame Lemieux vous a demandé de l’aide face à certaines situations?
—Ça arrive régulièrement dans notre métier.
—Est-ce que certains clients se sont plaints de madame Lemieux?
—Sur les vingt dossiers qui lui étaient attribués, il y a effectivement deux dossiers où les personnes se disaient en désaccord avec les interventions de France.
—Quels sont ces dossiers, monsieur Gauthier?
Steve encercla le nom des personnes sur la liste qu’il remit à l’inspecteur. Dossier Georges Meloche, six ans et dossier Élizabeth Dupré treize ans.
—En gros pourquoi madame Lemieux était-elle contestée dans ces dossiers?
—Dans le dossier de l’enfant Meloche, la mère, Christine Chapleau, conteste le fait que l’enfant soit obligé d’aller chez son père une fin de semaine sur deux.
—Est-ce que c’est madame Lemieux qui a décidé cela?
—Non c’est un juge, mais madame Chapleau dit que le rapport que madame Lemieux a produit, pour le tribunal, a influencé le juge et que c’est de sa faute si Georges fait des crises, lorsque sa fin de semaine de visite chez son père approche.
—Et pour l’autre dossier?
—Dans ce dossier inspecteur, la jeune a été violentée par ses parents et elle est limitée intellectuellement. Élizabeth est hébergée dans une de nos ressources mais les parents, qui doivent payer une partie des frais d’hébergement et des soins, protestent contre cette décision du tribunal. Les parents ne vont pas la voir à l’institution, mais ils ont obtenu que la jeune vienne leur rendre visite une fin de semaine sur deux. France en avait plein les bras avec ce dossier mais elle était solide et exigeait un changement dans le comportement des parents, s’ils voulaient le retour de leur adolescente à la maison et cesser de payer pour l’hébergement, qu’ils trouvaient injuste pour eux et inutile pour leur fille.
—Ouais, beau dossier, monsieur Gauthier?
—Comme vous le dites, inspecteur.
—Je vais prendre des informations sur les collègues de madame Lemieux et il se pourrait fort bien que je rencontre certaines personnes de votre personnel.
—Je m’y attendais.
—Quelles étaient les personnes les plus proches de madame Lemieux, celles qui pourraient avoir été dans le secret de son vécu?
—Véronique Bowman et Régine Lécuyer, ainsi que les membres de l’exécutif syndical.
Richard jeta un coup d’œil rapide à la liste des membres du bureau syndical qui comportait huit membres.
—Monsieur Gauthier, est-ce que vous savez quelles personnes sont dans l’exécutif syndical?
—France venait d’être élue présidente à l’automne, madame Clairy était la vice-présidente, monsieur Rémy Goulet le trésorier et Nancy Dupont agente de griefs, je crois.
—Vous semblez bien suivre ce qui se passe au syndicat?
—Il le faut inspecteur; aujourd’hui, sans une bonne relation entre patron et employés, la machine ne va pas loin.
—Est-ce que je pourrais rencontrer les deux principales amies de madame Lemieux?
—Quand vous voulez, inspecteur.
—J’aimerais les voir cet après-midi, si c’était possible?
—Je vais les prévenir d’annuler leurs entrevues de l’après-midi, afin d’être disponibles pour vous rencontrer.
—Alors, je ne vous retiendrai pas plus longtemps monsieur Gauthier et merci de votre collaboration.
—Moi et mon personnel seront disponibles tout au long de l’enquête, car nous devons cela à France qui s’est donnée corps et âme à son travail.
—C’est le cas de le dire, monsieur Gauthier.
Il était environ 11h lorsque Richard quitta le Centre jeunesse. Rendu à son bureau, il communiqua chez les parents de madame Lemieux afin de fixer une rencontre après le souper. Avant de partir pour le dîner, Richard demanda à Brigitte, sa secrétaire, de faire une copie des listes obtenues du Centre jeunesse et d’effectuer, en priorité, une recherche sommaire sur chacune de ces personnes à partir des fichiers des policiers.
—Richard tu me gâtes trop.
—C’est simplement pour éviter que tu t’ennuies cet après-midi.
—Ça risque même de me prendre plus de temps que cela; par quelle liste veux-tu que je débute ma recherche?
—Par celle du personnel et, si tu as le temps, les membres de l’exécutif syndical. J’aimerais aussi que tu puisses prendre des informations sur madame Christine Chapleau, mère de  Georges Meloche et aussi concernant les parents d’Élizabeth Dupré.
—Juste ça?
—Pour l’instant.
Richard tourna les talons et lui fit un sourire en partant; Brigitte lui rendit son sourire en oscillant la tête de droite à gauche. Vers 13h, madame Lebrun vit entrer Richard Chari.
—Qui voulez-vous voir, inspecteur Chari?
—Je viens voir d’abord madame Véronique Bowman et ensuite madame Régine Lécuyer.
—Je vais prévenir madame Bowman.
—Non, dites-moi seulement où est son bureau car elle sait déjà que je dois la rencontrer.
—Comme vous voulez inspecteur.
Madame Lebrun lui indiqua alors comment trouver le bureau de Véronique et Richard en profita pour jeter un coup d’œil en se rendant au bureau de madame Bowman; lorsqu’il arriva à son bureau, la porte était ouverte.
—Madame Bowman?
—Inspecteur Chari, je suppose?
—Oui.
—Entrez et assoyez-vous; qu’est-ce que je peux faire pour vous, inspecteur?
—Simplement me parler de madame France Lemieux.
—Je ne sais pas trop par où commencer, mais disons que nous étions passablement amies et que nous pouvions parler souvent.
—De quoi parliez-vous surtout?
—De ce que nous vivions ici au travail.
—Pas de votre vécu personnel?
—Oui c’était personnel mais ce que nous vivions ici.
—Par exemple?
—Je ne sais pas moi, disons qu’une de nous traversait une période difficile avec une collègue ou un client, eh bien, on s’en parlait. Je dirais cependant que c’est moi qui avait tendance à lui parler surtout.
—Est-ce qu’elle vous aurait partagé dernièrement des difficultés avec des personnes?
—Depuis qu’elle était présidente du syndicat, les problèmes qu’elle devait solutionner étaient plus nombreux mais ne semblaient pas trop l’inquiéter; au contraire, je percevais chez elle une énergie de faire avancer les choses.
—Dans ses relations avec les autres, comment était-elle?
—Directe, parfois trop directe; mais elle était logique et se trompait rarement.
—Elle peut avoir offensé des gens avec une attitude comme cela?
—Possiblement mais son attitude, centrée sur la vérité, a aussi diminué les rumeurs sans fondement qui avaient tendance à être trop nombreuses auparavant.
—Est-ce que quelqu’un, parmi vos collègues, lui aurait voulu du mal au point de la tuer?
—Absolument pas, inspecteur.
—Parmi ses dossiers?
—Je ne sais pas vraiment car c’est plus avec monsieur Gauthier qu’elle parlait de ses dossiers.
—Donc, si je comprends bien, malgré que vous étiez passablement amies, madame Lemieux ne se confiait pas beaucoup.
—Ouais, dans le fond, c’est cela; elle aidait plus qu’elle se faisait aider. Elle était comme ma confidente et m’aidait à rationaliser les situations que je vivais parfois trop émotivement.
—Je vous remercie bien madame Bowman et condoléances pour la perte de votre amie.
Richard quitta le bureau de madame Bowman et se rendit au bureau de madame Lécuyer qui travaillait la porte fermée. Richard cogna et madame vint ouvrir rapidement.
—Je suis l’inspecteur Richard Chari et monsieur Gauthier doit vous avoir prévenue de ma visite.
—Oui inspecteur, entrez.
—Comme je vois vous étiez en pleine rédaction?
—Eh oui, il faut bien faire ces rapports, un peu comme vous je suppose?
—Oui, nous aussi, nous avons beaucoup de rapports à faire.
—Que voulez-vous savoir inspecteur?
—Que vous me partagiez des éléments qui pourraient m’aider à faire avancer l’enquête.
—On vous a sûrement déjà dit que France était du style direct et qu’elle ne se laissait pas marcher sur les pieds?
—Oui, effectivement. Est-ce qu’il y avait des personnes qui parlaient contre elle?
—Je dirais qu’il y avait quelques personnes qui trouvaient justement qu’elle était trop directe, mais aucune de ces personnes ne paraît menaçante. En fait, ce sont des personnes qui ont tendance à suivre et qui se sentent bien dans les rumeurs plus que dans les situations concrètes.
—Est-ce que vous pouvez me donner des noms?
—Honnêtement inspecteur, les chialeuses ne font que parler et ne sont pas dangereuses.
—Est-ce qu’il y a des personnes qu’elle trouvait dangereuses?
—Elle m’a déjà parlé de son ex, Jean Kennedy, mais ils n’étaient plus ensemble depuis déjà quelques mois. Je me souviens, cependant, qu’elle y a fait allusion dernièrement disant qu’avec lui, les choses ne sont jamais réglées.
—Concernant ses bénéficiaires, est-ce qu’elle pouvait craindre quelqu’un?
—Inspecteur, les situations sont souvent conflictuelles avec nos clients et personne n’est à l’abri de subir des menaces. C’est un travail qui est stressant; on ne sait jamais complètement comment une personne va réagir.
—Comment madame Lemieux était-elle perçue par la direction?
—Je dirais avec respect, car elle cherchait plus des solutions aux problèmes qu’à monter les employées contre la direction.
—Ce sera tout madame Lécuyer, je vous remercie de votre aide.
Richard retourna à son bureau et rejoignit monsieur Kennedy qui accepta de le recevoir demain vers 19h. La lecture du rapport envoyé par Nicolas, le médecin légiste, n’apportait rien de nouveau à leur conversation antérieure et il n’y avait pas de courriel de Brandon. Richard se dit que l’équipe de Brandon travaillait encore à analyser les éléments trouvés sur la scène de crime. Richard, qui allait rencontrer les parents de France Lemieux en veillée, alla souper.

 

-5-

 

À 19h, Richard sonna chez les Lemieux, c’est la mère de France qui vint ouvrir.
—Bonjour madame.
—Bonjour inspecteur, entrez et venez-vous asseoir.
—Est-ce que vous avez pu facilement récupérer le corps de votre fille ce matin?
—Sans problème répondit monsieur, qui venait de rejoindre son épouse et l’inspecteur déjà  installés à la table de cuisine. Est-ce que je vous prépare un café, inspecteur?
—Ça serait bien gentil.
—Comment avez-vous passé la nuit?
—Nous n’avons pas beaucoup dormi, dit la mère; nous avons informé les membres de la famille durant la journée d’hier et nous étions tous bouleversés.
—Est-ce que vos préparatifs pour les obsèques sont complétés?
—Passablement, dit le père qui revint s’installer à la table avec les cafés. Est-ce que vous avez déjà des pistes, inspecteur?
—Il est encore trop tôt monsieur. Actuellement, je suis à l’étape de savoir qui étaient en relation avec elle dans son travail, dans sa famille, ses amies, etc. J’ai reçu le rapport du médecin légiste.
—Que dit-il, demanda la mère?
—Que votre fille n’était pas enceinte, qu’il n’y a pas eu d’agression sexuelle, qu’elle a mangé de pizza en veillée et qu’elle ne s’est pas défendue.
—C’est tout, je m’attendais à quelque chose de plus élaborée de la part d’un professionnel, dit le père?
—Nicolas est un vrai professionnel, c’est simplement qu’il n’y a pas d’indice sur son corps.
—À l’exception des deux coups de couteau?
—C’est exact monsieur. Il faut dire qu’elle devait porter des gants et l’assassin aussi, c’est normal en plein hiver.
—Eh, c’est pratique pour un assassin?
—Tout à fait monsieur. Est-ce que vous savez où votre fille va habituellement pour manger de la pizza?
—France a… avait des dossiers un peu partout dans le quartier et elle mangeait parfois tard. Je sais qu’elle aimait bien la pizza de Chez Gino, dit la mère, mais elle mangeait semble-t-il rapidement au restaurant le plus près de sa dernière rencontre ou près de chez elle.
—Est-ce qu’elle fumait?
—Elle avait arrêté il y a quelques années, dit le père, vu qu’il était maintenant défendu de fumer à son travail et qu’elle avait pris conscience que sa santé et son portefeuille s’en porteraient mieux. Pourquoi cette question, inspecteur?
—Parce qu’un briquet a été retrouvé dans son auto; est-ce qu’elle aurait pu garder un vieux briquet?
—Je ne crois pas, dit le père, d’autant plus qu’elle a changé d’auto l’année passée et qu’elle ne fumait plus à ce moment.
—Est-ce que son ex-ami fumait?
—Ah celui-là, dit la mère,  il avait presque tous les défauts et effectivement, il fumait encore lorsque France a décidé de le quitter au mois de juin.
—Pourquoi sortait-elle avec ce gars, s’il était si problématique?
—Il était grand et beau parleur, dit la mère, mais je crois aussi que France croyait qu’elle réussirait à le ramener dans le droit chemin, à le faire sortir de son alcoolisme et à diminuer son agressivité. France a toujours été attirée par les gars énergiques et un peu délinquants.
—Est-ce que son ami actuel est du même style?
—Bizarrement non, dit la mère. Il est soigné et poli. Peut-être que France avait fini par comprendre ce qui était bon pour elle.
—Est-ce qu’il y avait des disputes entre eux?
—France nous disait comment il était doux comparé à Jean Kennedy, poursuivit la mère.
—Comment s’appelle son amoureux actuel?
—Laurent Leduc. Son téléphone est le 514-673-4546.
—Voulez-vous aussi avoir le numéro de Jean Kennedy, demanda le père?
—Non, car j’ai déjà réussi à le contacter et je le verrai demain soir.
—À part ces deux hommes, est-ce que France avait des contacts avec d’autres amis garçons?
—Peut-être au travail, sinon, ses amies étaient des filles.
—Cathlyne Chabot et Nancy Coulombe, je crois?
—Exact inspecteur. Nous les avons d’ailleurs aussi informées du meurtre de notre fille.
—Comment vont vos deux autres enfants?
—Francine est triste, dit la mère, car elle ne pourra plus voir sa jumelle et René semble plus déboussolé et même un peu en colère.
—Un décès dans une famille suscite presque toujours toute une gamme d’émotions et encore plus lorsqu’il s’agit d’un meurtre.
—Vous avez raison inspecteur dit le père; moi-même je suis un peu en colère contre France qui n’a peut-être pas été assez prudente, alors que sa mère a de la difficulté à contenir sa peine.
—Quand est-ce que se tiendront les obsèques?
—Dans deux jours, répondit la mère.
—Merci bien de votre disponibilité et mes sincères condoléances.
Richard se leva alors et les deux parents le reconduisirent à la porte. À son retour à la maison, Richard se dit qu’il avait très peu d’éléments et un seul suspect, pour l’instant, en la personne de Jean Kennedy, l’ex petit ami de France.

 

-6-

 

Vendredi le 10 janvier, Richard était déjà au bureau à 7h; toujours rien à partir des rapports des patrouilleurs; la piste était déjà froide. Cependant, il avait reçu un courriel de Brandon. Richard lut la liste des exhibits trouvés dans l’auto de la victime, France Lemieux. Il y avait :
-Un briquet qui était agrémenté d’une empreinte n’appartenant pas à madame;
-Quelques cheveux, dont certains n’appartenaient pas à madame;
-Des fibres textiles de différentes couleurs;
-Un balai à neige;
-Une boite de kleenex;
-Un petit sac de déchets, contenant emballage de gomme à mâcher et kleenex;
-Un sac d’épicerie contenant des bananes et du beurre d’arachide;
Dans la boite à gants, il y avait des cartes, un GPS et des papiers d’assurance ainsi qu’un constat à l’amiable, tandis que le coffre de l’auto contenait d’autres sacs pour rapporter de l’épicerie, un ensemble de tracks et une petite pelle. Tout cela dit à Richard que madame Lemieux était bien organisée et bien ordonnée, mais que la cueillette d’informations était plus mince qu’il espérait. Son espoir de faire un lien avec l’assassin se rapportait au briquet, à des cheveux et à des bouts de fibres; sans avoir l’empreinte du tueur ou son ADN, il sera difficile de tirer quelque chose de ces éléments, se dit-il. Brigitte, sa secrétaire, arriva un peu avant 8h.
—Bonjour Brigitte, comment vas-tu ce matin?
—Très bien inspecteur, mais laissez-moi enlever mon manteau et me prendre un peu d’eau avant de me tirer les vers du nez
—Loin de moi l’idée de te brusquer mais je suis impatient de savoir ce que tu as découvert sur les listes que je t’ai fournies hier.
—Je vais me chercher de l’eau et je reviens pendant que mon ordinateur s’ouvre.
Brigitte, se sentant pressée, se met immédiatement au travail après être revenue avec sa tasse d’eau.
—Est-ce que les listes ont révélé quelque chose d’important sur certaines personnes?
—Aucune des personnes sur la liste du personnel du Centre jeunesse n’a d’antécédents criminels.
—Est-ce que tu as fouillé dans d’autres registres que le service de police?
—Non car à moins qu’une personne soit suspectée, il nous est très délicat de demander des renseignements personnels à d’autres ministères.
—Je sais et tu as raison de me le rappeler.
—Est-ce que les deux dossiers prioritaires de madame Lemieux ont laissé voir quelque chose?
—Madame Christine  Chapleau, mère de Georges Meloche, a déjà appelé le 911 car elle se disait victime de violence conjugale de la part du père de Georges, monsieur Dany Meloche. Les policiers sont intervenus, mais il n’y a pas eu de plainte formelle par la suite.
—Et le dossier d’Élizabeth Dupré?
—Là aussi, c’est une histoire de violence; les policiers ont dû intervenir, à la demande de la DPJ, car les parents qui négligeaient leur adolescente, se sont montrés aussi agressif envers l’intervenante France Lemieux. Le père aurait proféré des menaces à peine voilée et pendant quelques mois, les rencontres de madame Lemieux s’effectuaient en présence de monsieur Remy Goulet, intervenant auprès de l’adolescente qui est en Centre de réadaptation.
—D’où te viennent toutes ces informations Brigitte?
—Du rapport de police relatant l’intervention policière ainsi que la fermeture de ce dossier au niveau criminel, étant donné la collaboration offerte par les parents, après leur passage au Tribunal de la jeunesse.
—Je vois, mais je croyais que les intervenants avaient pris l’habitude de porter plainte dans ces situations, tout en sachant que cela pouvait limiter leurs interventions par la suite auprès de la famille.
—Peut-être que madame Lemieux croyait plus les aider en ne portant pas plainte.
—Probablement Brigitte; je vais aller voir monsieur Goulet, peut-être qu’il pourra m’en dire plus. Merci bien pour ton travail Brigitte, tu es une perle.
—Ouais, je sais que nous sommes très importantes lorsqu’on a besoin de nous.
Richard quitta le bureau de Brigitte pour éviter de prolonger la discussion et il rejoint alors monsieur Goulet qui commençait son travail à 13h. Ce dernier accepta de le recevoir dans l’heure. À 10h, Richard sonna à l’appartement de monsieur Goulet.
—Bonjour, inspecteur Chari?
—Oui, monsieur Goulet?
—Oui inspecteur, entrez; que puis-je faire pour vous?
—Je veux vous parler de madame France Lemieux que vous connaissez bien, je crois?
—En effet, je travaillais avec elle au niveau syndical et aussi dans un dossier que nous avions en commun.
—Le dossier d’Élizabeth Dupré?
—Tout à fait.
—Quel est votre rôle dans ce dossier?
—Je suis l’éducateur responsable de ce dossier au Centre de réadaptation; je vois souvent Élizabeth et j’essaie de l’aider.
—Pourquoi avez-vous aussi participé à des rencontres que madame Lemieux avait avec les parents?
—Inspecteur, ces parents ne sont pas faciles et ils ont déjà menacé France; en outre, ils ont été violents envers leur adolescente qui présente des limites intellectuelles.
—Est-ce qu’il y avait des désaccords entre vous et madame Lemieux au sujet de l’intervention?
—Non, nous nous entendions bien et les parents se sont calmés un peu; alors je n’ai pas eu besoin de poursuivre mes interventions avec France lors de ses rencontres avec les parents.
—Est-ce que vous voyiez aussi les parents sans madame Lemieux?
—Oui afin de planifier les sorties d’Élizabeth chez eux?
—Est-ce que madame Lemieux était d’accord avec cela?
—Grosso modo, je dirais oui, même si elle trouvait que nous allions un peu vite.
—Qu’est-ce que les parents disaient de madame Lemieux?
—Pas de belles choses.
—Mais encore?
—Ils disaient que France les avait mal jugés, qu’elle utilisait mal son pouvoir et qu’elle ne comprenait pas que leur fille handicapée ait besoin d’eux.
—Est-ce que ses parents, qui ont déjà menacé madame Lemieux, auraient pu mettre leur menace à exécution?
—J’espère que ce ne sont pas eux, mais sait-on jamais?
—Comment était madame Lemieux au niveau syndical?
—Nouvellement élue comme présidente, elle voulait faire sa marque et faire avancer certains dossiers dont l’équité en matière salariale entre les hommes et les femmes.
—On me dit qu’elle avait la tête dure et qu’elle aimait contrôler?
—Elle était tenace et exigeante, mais aussi juste.
—Pourquoi madame Lemieux vous a-t-elle téléphoné le soir du meurtre?
Monsieur Goulet tenta de cacher sa surprise mais Richard n’était pas dupe.
—Elle voulait que l’on parle d’un dossier au niveau syndical?
—En veillée?
—Non, simplement elle voulait que j’arrive plus tôt à la rencontre prévue de la semaine prochaine afin de pouvoir en discuter avec moi.
—Quel était le litige?
—Ce n’était pas un problème, mais simplement une vérification qu’elle voulait faire au niveau du compte de dépenses d’une employée du syndicat?
—Le compte de qui?
—De la vice-présidente, madame Clairy.
—Est-ce qu’il y a eu fraude dans ce cas?
—Je ne pense pas, peut-être une erreur; je ne peux vous en dire plus car je ne sais pas à quel compte elle faisait référence.
—Pour conclure, j’aimerais savoir où vous étiez lundi à partir de 21h?
—Je ne travaillais pas lundi, alors je suis resté ici et j’ai écouté le hockey.
—Est-ce que quelqu’un pourrait le confirmer?
—Je ne pense pas, inspecteur; je vis seul dans cette maison.
—Bon ce sera tout monsieur Goulet, je vous remercie de m’avoir reçu si rapidement.
—C’est tout à fait normal, inspecteur.
Richard retourna à son auto en se disant que monsieur Goulet avait peut-être des choses à cacher et aussi que ça sentait la cigarette chez lui. Il alla dîner et se rendit ensuite chez les parents d’Élizabeth Dupré, il était environ 13h. Il sonna à la porte et madame Dupré vint ouvrir.
—Oui?
—Je suis l’inspecteur Richard Chari et j’aimerais vous parler?
—Qui est là, beugla le mari?
—Je suis inspecteur de police et je voudrais vous parler du décès de madame Lemieux.
—On n’a rien à voir là-dedans, dit le père.
—J’espère aussi et j’aimerais officiellement vous enlever de ma liste des suspects.
Monsieur fit signe à sa femme de laisser entrer l’inspecteur, qui se dirigea alors à la table de la cuisine.
—Comment se fait-il que l’on puisse être suspect, demanda le père?
—Parce que madame Lemieux travaillait dans le dossier de votre fille Élizabeth et que vous lui avez déjà fait des menaces.
—Ça fait longtemps ça, dit le père.
—Encore du harcèlement, ajouta la mère.
—Pourquoi votre fille est-elle hébergée en Centre de réadaptation?
—La véritable raison, dit le père, c’est que « la » Lemieux nous a décrit comme étant des monstres et que le juge a embarqué dans ses mensonges.
—Vous n’avez pas l’air de la porter dans votre cœur?
—Nous le pauvre monde, on n’a pas beaucoup de poids face à la DPJ.
—Comment étaient vos contacts avec madame Lemieux ces derniers temps?
—Mieux, depuis qu’Élizabeth avait eu l’autorisation de venir nous voir, dit le père.
—Vous deviez alors voir qu’elle vous considérait plus positivement?
—Elle a été forcée d’accepter les visites car Rémy Goulet, du Centre de réadaptation, disait que ce serait bon qu’Élizabeth voit ses parents, dit encore le père.
—Est-ce qu’il y avait des chicanes entre monsieur Goulet et madame Lemieux?
—Pas vraiment, mais c’était clair que monsieur Goulet n’aimait pas que madame Lemieux se prenne pour la boss, dit le père.
—Vous non plus, vous ne deviez pas aimer cela, monsieur?
—C’est sûr que non, elle me tapait sur les nerfs et si je ne m’étais pas retenu…
—Gilles, tu parles trop pour rien, dit la femme.
—C’est vrai mais quand je pense à ce qu’elle nous a fait, ça me met en colère, avoua monsieur.
—Vous savez que madame Lemieux a été assassinée?
—Oui, dit le père.
—Où étiez-vous lundi entre 21h et 24h?
—Nous écoutions nos programmes à la télévision, dit la mère, et je me suis couchée vers 10h.
—Et vous monsieur qu’avez-vous fait après que votre femme se soit couchée?
—J’ai continué à écouter la télévision et je me suis couché vers 11h et demi.
—Est-ce que vous fumez tous les deux?
—Oui, répondit le père, pourquoi?
—Simple question monsieur. Nous allons arrêter ici pour l’instant.
—Est-ce que vous allez revenir, demanda la mère?
—Si vous m’avez menti ou si j’ai besoin de vérifier d’autres éléments.
—Inspecteur, dit le père, nous n’aimions pas madame Lemieux qui se prenait pour une autre, mais nous ne l’avons pas tuée, point final.
Richard quitta les parents d’Élizabeth en se disant qu’ils avaient un assez bon mobile, qu’ils ne cachaient pas leur colère face à madame Lemieux mais qu’ils semblaient aussi sincères que directs. Après cette rencontre, Richard se rendit immédiatement chez madame Chapleau. Il cogna à la porte et dut attendre plusieurs secondes avant qu’une femme vienne ouvrir.
—Oui, dit-elle?
—Je suis l’inspecteur Richard Chari et j’aimerais vous parler madame Chapleau.
—Pourquoi moi?
—Vous êtes bien madame Christine Chapleau et votre fils est Georges Meloche?
—Oui et alors?
—Puis-je entrer?
Madame ouvrit davantage la porte et invita l’inspecteur à s’asseoir.
—Vous devez savoir que l’intervenante de votre fils à la DPJ est morte?
—Oui, monsieur Gauthier m’a informée de cela et il a dit que cela ne changerait rien dans notre dossier; Je sais même le nom de la nouvelle intervenante qui devrait me contacter bientôt.
—Savez-vous comment madame Lemieux est décédée?
—On m’a dit qu’elle a été tuée.
—En effet et moi, on m’a dit que vous étiez passablement agressive envers elle dernièrement?
—Il y avait de quoi. Elle ne voulait pas arrêter les sorties de Georges chez son père, alors que Georges me disait qu’il ne voulait plus y aller. Elle semblait plus croire Dany que moi; madame avait son idée de faite et elle ne voulait rien comprendre.
—Qui est Dany?
—Le  père de Georges; il essaie de me faire passer pour folle, alors qu’il est violent et que Georges en a peur. Qu’est-ce qu’une mère peut faire dans ces cas-là, inspecteur?
—En parler au boss de l’intervenante.
—Vous pensez, ils sont tous pareils.
—Est-ce que vous fumez madame Chapleau?
—Oui, ça m’aide à me calmer; tiens, je vais m’en allumer une, car vous commencez à me pomper l’air.
—Vous avez l’air de pomper assez vite en effet.
—Je le savais, tous pareils…
—Où étiez-vous lundi après 21h?
—Lundi soir, je suis restée à la maison car je venais de coucher Georges; je suis une bonne mère et je m’occupe bien de lui.
—Je n’en doute pas madame. Est-ce que vous travaillez?
—Non, mais j’ai toujours beaucoup de choses à faire lorsque Georges est à l’école; ce n’est pas facile de s’occuper d’un enfant aujourd’hui, surtout lorsque les gens sont toujours en train de nous demander des choses.
—Je vous remercie de ces informations, madame Chapleau.
—Est-ce que vous me suspectez d’avoir tué France Lemieux?
—Tant que personne ne peut confirmer votre alibi, vous resterez dans la liste.
—Mais Georges pourrait vous dire que j’étais à la maison en veillée.
—Oui, mais il me semble que vous m’avez dit qu’il était couché vers 21h?
—C’est vrai, mais je pense qu’il s’est levé pour aller aux toilettes plus tard.
—Bon ok c’est beau. Si j’ai besoin de confirmation, je verrai Georges, mais pour l’instant ne l’inquiétez pas avec cela, vous n’êtes accusée de rien.
Richard se leva et laissa madame qui se ralluma une autre cigarette. Lorsque Richard s’installa dans son auto, il vit l’autobus scolaire qui ramenait les enfants. Après être retourné au bureau, Richard prit le temps de chercher des informations concernant monsieur Kennedy, l’ex-ami de la victime. À 19h, Richard sonna à la porte de monsieur Kennedy. Lorsque ce dernier ouvrit la porte, une odeur de boisson, emprisonnée dans la fumée de cigarette, vint agresser les muqueuses de l’inspecteur.
—Oui, qui êtes-vous?
—Je m’appelle Richard Chari et je suis inspecteur de police.
—Que me voulez-vous?
—Simplement vous parler.
—Me parler de quoi?
—Est-ce que je peux entrer?
—Si vous ne faites pas attention au ménage.
Et monsieur Kennedy retourna s’asseoir dans le salon, suivi de Richard qui s’y installa aussi.
—Monsieur Kennedy, je suis ici car votre ex-conjointe a été tuée lundi, qui vient de passer, et que des gens disent que vous pourriez être l’assassin.
—Quels gens disent ça?
—Vous avez bien vécu avec madame Lemieux durant quelques mois?
—Oui, mais ça fait longtemps que c’est fini avec elle.
—Il y a déjà eu une intervention policière auprès de vous car vous aviez menacé madame Lemieux?
—J’étais chaud et elle m’avait provoqué; j’ai passé la fin de semaine en prison et je me suis excusé de ce que j’avais fait, alors elle a retiré sa plainte.
—Qu’est-ce que vous aviez fait?
—Regardez dans vos dossiers, et cela est du passé. Je ne vis plus avec elle depuis juin de l’année passée. Pourquoi n’allez-vous pas plutôt voir son chum actuel?
—Est-ce que vous travaillez actuellement?
—Oui, il y en a qui me font confiance; je travaille en après-midi à l’entrepôt de bois de BMR.
—Tous les jours?
—J’ai congé lundi et mardi, car c’est plus tranquille au magasin.
—Pourquoi vous êtes-vous séparés à la fin juin?
—Madame me critiquait sur tout ou presque et je ne voulais plus pogner les nerfs après elle, alors je suis parti et lui ai laissé l’appartement?
—Est-ce qu’il se pourrait que ce soit elle qui soit partie vivre ailleurs?
—Ça revient au même.
—Pourquoi est-elle partie?
—Elle ne m’aimait plus, j’imagine.
—Est-ce que vous buvez encore?
—Je me contrôle bien, la preuve, ça fait trois mois que je travaille chez BMR et personne ne se plaint de moi. Madame, elle, trouvait toujours quelque chose à redire.
—Où étiez-vous lundi à partir de 21h?
—Pas grand-chose à faire le lundi, alors j’ai été prendre une bière au bar sur la rue Latendresse.
—À quelle heure étiez-vous là?
—En veillée, 9h-10h ou peut-être un peu plus tard.
—À quelle heure êtes-vous revenu chez vous?
—Je ne sais pas trop, le bar fermait lorsque je suis parti.
—Est-ce que vous me permettez d’apporter un objet sur lequel il y a vos empreintes afin que je puisse les comparer avec d’autres que nous avons trouvé dans l’auto de madame Lemieux.
—Si cela peut me permettre d’avoir la paix, pas de problème.
—Prenez un verre et donnez-le-moi afin que je le mette dans ce sac.
Monsieur Kennedy prit un verre sur le comptoir et le déposa lui-même dans le sac que tenait Richard.
—Est-ce que ce sera tout?
—Oui monsieur Kennedy, je vous remercie de votre collaboration.
Richard se leva et quitta l’appartement avec le sac à empreintes. Le service des techniciens d’empreintes était fermé à cette heure et Richard se rendit chez lui; il nota ses impressions sur sa rencontre avec monsieur Kennedy et malgré que ce dernier soit suspect, si les empreintes, sur le verre remis par monsieur et celles trouvées sur le briquet laissé dans l’auto de la victime, sont différentes, cela réduirait les probabilités que cet homme soit leur meurtrier.

 

-7-

 

Samedi après-midi, Richard se rendit aux obsèques de madame Lemieux; il y avait beaucoup de monde et Richard reconnu, lors du service religieux, des personnes qu’il avait déjà vues au Centre jeunesse. Par respect pour la défunte et surtout la famille, Richard quitta l’office avant la fin et retourna chez lui. Le lundi matin, 13 janvier, Richard se rendit voir Brandon.
—Salut Brandon.
—Salut Richard.
—Est-ce que tu pourrais analyser rapidement les empreintes qui sont sur ce verre et vérifier si elles correspondent à celles trouvées sur le briquet retrouvé dans l’auto de madame Lemieux?
—Bien sûr, je te fais cela dans la journée et je t’enverrai par courriel la réponse de la concordance ou pas avec le briquet ou une autre empreinte qui se trouvait dans l’auto.
—Tu es un pro, Brandon.
—Je sais; ah oui, j’ai répertorié un bout de fibre noire en cachemire.
—Et puis?
—Et bien, Richard, j’ai l’impression que cette fibre n’appartenait pas à madame Lemieux car il n’y avait qu’un bout alors que les autres fibres trouvées dans l’auto étaient plus nombreuses.
—Concernant les cheveux, que peux-tu me dire?
—Il y en a toujours plusieurs dans les autos et celle-ci ne fait pas exception. Tu pourrais faire quelques scalpes de tes suspects et je ferai des comparaisons.
—Commences par analyser les empreintes sur le verre et on verra pour les…scalpes. Bonne journée.
Richard retourna à son bureau et rejoignit par téléphone les deux  principales amies de madame Lemieux. Richard se disait que les cellulaires sont une source inépuisable d’informations, car en plus des numéros de ses deux amies, il y avait d’autres numéros que Richard pourrait essayer au besoin lors de son enquête, dont le frère de madame Lemieux et Laurent Leduc, l’ami de cœur de France. Il avait convenu de rejoindre Cathlyne Chabot sur l’heure du dîner; elle travaillait au troisième étage de l’hôpital et l’attendrait au local 302. Il irait ensuite rencontrer Nancy Coulombe après son travail, soit vers 15h30 car madame enseigne au primaire et les journées des professeurs se terminent tôt. Il contacta aussi René Lemieux qui accepta de le recevoir immédiatement vu qu’il ne commençait à travailler qu’à 13h. Il était un peu plus de 10h lorsque Richard sonna à la porte de monsieur Lemieux, qui l’ouvrit immédiatement.
—Bonjour, inspecteur Chari?
—Oui monsieur Lemieux, comme je vous l’ai dit au téléphone j’aimerais que vous me parliez de votre sœur et aussi de vous.
—Sans problème inspecteur, venez-vous asseoir; est-ce que je vous sers quelque chose?
—Non merci. Que pouvez-vous me dire de votre sœur?
—Elle était plus vaillante que moi; à vingt-quatre ans, elle avait déjà un bac et un emploi permanent alors que moi, j’ai fait un peu plus le fou avant de me stabiliser.
—Est-ce que vous étiez en bons termes avec elle?
—Oui et non; en fait, j’ai l’impression qu’elle voulait m’aider et pour ce faire, elle n’hésitait pas à me faire la morale; elle a toujours mieux réussi que moi dans ce qu’elle entreprenait.
—Donc vous étiez passablement jaloux d’elle?
—Un peu, surtout parce que mes parents avaient tendance à nous comparer, alors j’étais toujours perdant.
—Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois?
—Aux Fêtes qui viennent de se terminer.
—Comment ont été vos contacts?
—Bien, elle était plus joyeuse, depuis qu’elle sortait avec Laurent.
—Vous parlez de son ami, Laurent Leduc?
—Oui, il semble correct.
—Est-ce que votre colère aurait pu vous conduire à vouloir la mort de votre sœur?
—Non; mais lorsqu’elle a dû quitter Jean Kennedy, je me suis dit que la sœur pouvait aussi se mettre les pieds dans les plats.
—Où étiez-vous lundi passé après 21h?
—Au travail; à l’entrepôt, je travaille de 13h à 23h et cela toute la semaine.
—Est-ce que vous êtes seul ou avec d’autres?
—Nous sommes cinq personnes, si je compte le boss qui nous surveille.
—Est-ce que vous fumez?
—Un peu lorsque j’ai bu.
—Avez-vous un briquet pour allumer vos cigarettes?
—Drôle de question inspecteur; non, j’aime mieux les petites allumettes, ça prend moins de place dans les poches.
—Connaissez-vous quelqu’un qui aurait voulu du mal à votre sœur?
—À part moi, vous voulez dire?
—Oui évidemment!!
—Toute la famille parlait contre Jean Kennedy; c’est vrai qu’il n’est pas du monde, mais France voulait sauver le monde alors.
—Pensez-vous qu’il aurait pu la tuer?
—Aucune idée, elle ne me prenait pas pour son confident et ne voulait certainement pas montrer qu’elle s’était trompée.
—Je crois bien que ce sera tout pour l’instant, mais si vous vous rappeliez de certains éléments qui pourraient faire avancer l’enquête, je vous prierais de m’en aviser.
Richard remis sa carte à René Lemieux et se dirigea vers l’hôpital où il devait rencontrer madame Chabot. Il se rendit au local 302 et cogna à la porte; madame Chabot était seule et le pria d’entrer.
—Est-ce que vous voulez un café inspecteur?
—Non, j’aurai le temps d’aller dîner après notre rencontre.
—Que voulez-vous savoir?
—Que vous me parliez de madame Lemieux.
—France était une bonne amie pour moi, elle m’a supportée lorsque j’ai vécu ma séparation, il y a deux ans; nous nous voyions régulièrement pour un café ou un souper au restaurant et Nancy se joignait à nous régulièrement.
—Le dernier repas, que madame Lemieux a pris, a été de la pizza lundi passé; savez-vous si elle avait un restaurant préféré pour un repas rapide?
—Elle aimait bien aller chez Rita, un petit restaurant justement spécialisé dans la pizza. Elle ne faisait pas très attention à son alimentation.
—Quand l’avez-vous pour la dernière fois?
—Au début décembre, nous avons  magasiné ensemble et nous devions fêter la nouvelle année la semaine prochaine avec Nancy.
—Quand vous parlez de Nancy, est-ce Nancy Coulombe?
—Évidemment.
—Est-ce que France vous a parlé de difficultés dernièrement?
—Non, elle était meilleure pour supporter, que pour parler d’elle, je crois.
—Est-ce qu’elle vous parlait de monsieur Kennedy?
—Un peu; elle disait que les hommes sont assez faciles à comprendre, mais qu’ils ne changent pas rapidement.
—Vous a-t-elle déjà dit qu’il avait été violent envers elle?
—Oui, elle l’a quitté car il était jaloux et parfois agressif, en plus d’aimer la boisson.
—Est-ce qu’elle a eu des contacts avec lui après leur séparation?
—Elle n’en cherchait pas, mais Jean lui courait encore après et lui promettait, encore une fois, de changer.
—Est-ce qu’il aurait pu aller jusqu’à la tuer?
—Possiblement, mais il semblait moins présent depuis que France était avec Laurent.
—Savez-vous si monsieur Kennedy a accepté que France se fasse un autre ami?
—Il n’a pas accepté mais peut-être qu’il s’y est résigné un peu plus.
—Connaissez-vous vous bien monsieur Laurent Leduc?
—Pas vraiment, France nous a dit qu’il était architecte à la ville de Montréal, qu’il était célibataire et qu’elle l’aimait bien, mais qu’elle n’était pas prête à refaire vie commune pour l’instant.
—Est-ce qu’elle vous parlait de son vécu au travail?
—Oui un peu mais en terme général car ses dossiers étaient confidentiels; cependant elle était content d’avoir été élue présidente du syndicat, car elle croyait pouvoir faire avancer les choses.
—Est-ce qu’elle vous parlait de sa famille?
—Aussi très peu, sinon pour dire qu’elle s’inquiétait pour sa mère qui avait la santé fragile et pour son frère qui avait des difficultés dans la vie. Là encore, on sentait qu’elle cherchait à aider.
—Quel était son plus gros défaut?
—Je ne sais pas, peut-être vouloir trop en faire pour les autres.
—À part monsieur Kennedy, qui aurait pu agir par jalousie, est-ce que vous connaissez une autre personne qui lui aurait voulu du mal?
—Possiblement, certains de ces bénéficiaires, mais elle n’a jamais nommé personne même si elle vivait parfois des situations difficiles.
—Je vous remercie madame Chabot d’avoir pris le temps de me parler de votre amie.
—Je lui dois bien ça inspecteur, en espérant que vous pourrez trouver qui l’a tuée.
Richard se leva et se rendit dîner au petit restaurant Rita. La serveuse apporta rapidement le menu.
—Qu’est-ce que je vous sers pour commencer?
—Je vais prendre un verre d’eau immédiatement et un café en même temps que ma pizza.
—Quelle pizza pour vous ce midi?
—Une mini alldress, ça serait parfait; j’aimerais aussi que vous me disiez si vous connaissez cette personne?
En regardant la photo présentée par l’inspecteur, la serveuse demanda :
—Qu’est-ce qu’elle a fait?
—Elle a été assassiné lundi passé et une de ses amies, m’a dit que cette dame aimait venir manger ici parfois.
—Oui, je l’ai déjà vue, ici.
—Est-ce qu’il est possible qu’elle soit venue manger ici lundi passé vers 19h?
—Je ne sais pas car moi, je ne travaille que de jour.
—Qui était la serveuse lundi soir passé?
—C’est habituellement Monique, mais elle n’entre que vers 16h pour faire le chiffre de soir.
—Bon, je reviendrai ce soir pour voir Monique. Vous vous rappelez de ma commande?
—Oui monsieur, je vous apporte votre verre d’eau, suivi de votre pizza et d’un café.
—Vous avez une bonne mémoire?
—Ça prend ça dans notre métier.
La serveuse retourna à ses occupations habituelles. Après le repas, Richard, qui avait un peu de temps avant sa prochaine rencontre, en profita pour aller faire le plein d’essence et se sortir un peu d’argent au guichet automatique. À 15h30, il sonna à la résidence de madame Coulombe.
—Oui?
—Je suis l’inspecteur Chari et nous avions convenu que je viendrais vous rencontrer après l’école.
—Oui, oui, je me souviens; c’est que j’ai eu une grosse journée et ça m’était sorti de la tête; entrez inspecteur. En quoi pourrais-je vous être utile?
—Vous connaissiez bien madame Lemieux?
—Nous étions de bonnes amies, je crois.
—J’ai vu ce midi, madame Cathlyne Chabot qui me dit que vous aviez prévu, toutes les trois, une rencontre la semaine prochaine afin de souligner le début de l’année?
—Oui, on devait se payer un souper de filles au restaurant.
—Quand avez-vous vu madame Lemieux pour la dernière fois?
—À la fin novembre, nous sommes simplement allées prendre un café en veillée.
—À votre demande ou si ça venait d’elle?
—De sa part, car ça dépendait de ses rencontres au travail ainsi que du temps qu’elle passait avec son nouveau chum.
—Comment décrivait-elle son nouveau chum?
—Comme quelqu’un de très bien, ça lui redonnait confiance en l’homme.
—Comment ça?
—Elle ne l’avait pas eu facile avec son ex, monsieur Jean Kennedy et elle disait aussi que dans ses dossiers, plusieurs hommes étaient violents ou ne jouaient pas très bien leur rôle de père. 
—Est-ce qu’elle en voulait aux hommes?
—Je ne dirais pas ça, mais elle était sur ses gardes.
—Pas suffisamment, il me semble. Est-ce qu’elle vous partageait certaines difficultés?
—Elle m’avait déjà parlé de Jean Kennedy.
—Pensez-vous qu’il y soit pour quelque chose?
—Je ne sais pas car la dernière fois, en novembre, elle m’a surtout parlé de son frère.
—Le frère de monsieur Kennedy ou son frère à elle?
—Son frère, René Lemieux; elle disait que c’était difficile de s’entendre avec lui et aussi qu’il est habituellement plus difficile d’intervenir auprès des personnes qui nous sont proches que face à des inconnus.
—Est-ce qu’il l’aurait déjà menacé ou autre?
—Pas à ce que je sache, mais leur relation n’était pas agréable disait-elle et elle m’en parlait afin d’avoir un avis plus neutre sur la situation.
—Et puis?
—Je ne savais pas trop quoi lui dire, sinon de continuer à rester franche et honnête dans ses dires et de tenter de trouver des solutions positives. J’espère que ce n’est pas son frère le meurtrier car je me sentirais mal d’avoir conseillé à France de faire les efforts face à lui.
—Je n’ai pas encore vérifié, mais le frère m’a présenté un alibi qui pourrait facilement l’écarter des suspects s’il s’avère exact. Est-ce qu’elle vous parlait de ses clients?
—Rarement, mais elle ne semblait pas craindre de faire face  aux durs et, d’un autre côté, elle pouvait se montrer assez maternel avec les victimes.
—Je vous remercie pour ces informations madame Coulombe et recevez mes condoléances pour la perte de votre amie.
—La vie continue, inspecteur.
—Vous avez raison madame.
Richard quitta alors madame et retourna à son bureau pour vérifier ses courriels. Il y avait un courriel de Brandon. Le message disait que les empreintes de monsieur Jean Kennedy ne correspondaient pas aux empreintes prélevées dans l’auto de madame France Lemieux ni sur le briquet, qui a été retrouvé sur les lieux du crime. Après un souper rapide à la maison, Richard retourna au restaurant Rita.
—Est-ce que vous êtes Monique, demanda-il à la serveuse qui venait à sa rencontre?
—Oui.
—Je lui l’inspecteur Chari et je suis venu cet après-midi afin de montrer la photo d’une victime, qui serait peut-être venue manger ici lundi soir vers 19h.
Monique regarda la photo.
—C’est une cliente qui vient régulièrement; elle agit comme travailleuse sociale ou quelque chose du genre.
—Comment savez-vous cela?
—C’est qu’elle est déjà venue assez tard le soir et qu’elle avait dit qu’elle avait eu une grosse journée, spécifiant que les gens ne veulent pas toujours se faire aider.
—Est-ce qu’elle était ici lundi soir?
—Oui, elle est venue et elle avait l’air assez fatiguée; lorsque je lui ai demandé si elle avait passé une bonne journée, à mon grand étonnement, elle a répondu qu’il est difficile pour certaines filles de se défendre des hommes.
—Pensez-vous qu’elle parlait d’elle?
—Non, je ne crois pas, car elle paraît sûre d’elle.
—A-t-elle ajouté autres choses?
—Oui, elle m’a demandé sa pizza préférée avec un café.
—Vers quelle heure est-elle repartie?
—Je dirais qu’il devait être un peu plus de 20h.
—Je vous laisse ma carte et si d’autres choses vous revenaient concernant cette femme, j’aimerais que vous m’appeliez, ça pourrait m’aider dans mon enquête.
Richard sortit du restaurant et il se rendit à l’entrepôt où travaillait monsieur Lemieux. Le supérieur des employés répondit à la sonnette.
—Qui êtes-vous?
—Je suis l’inspecteur Richard Chari et j’aimerais parler au superviseur?
—C’est moi.
—Et vous vous appelez comment?
—Rock Turmel, pourquoi?
—Est-ce que vous étiez en poste lundi soir?
—Oui, comme à tous les soirs de la semaine.
—Quels sont les hommes qui ont travaillé en veillée?
—Les mêmes que ce soir, je crois.
—Est-ce que vous pourriez vérifier?
—Simple, suivez-moi dans le bureau.
Une fois dans le bureau, monsieur Turmel, regarda son registre et donna les noms à l’inspecteur. Le nom de monsieur René Lemieux était dans la liste, ce qui  confirmait l’alibi de monsieur Lemieux
—Pourquoi voulez-vous savoir cela inspecteur?
—Pour confirmer un alibi.
—De qui?
—Ce n’est pas utile que je vous le dise, car l’alibi est confirmé et je peux retirer ce monsieur de ma liste des suspects.
—Vous le soupçonniez de quoi au juste?
—De meurtre, mais heureusement ce n’est pas lui; alors vous pouvez dormir sur vos deux oreilles. Je vous laisse travailler et merci encore monsieur Turmel.
Richard sortit de l’entrepôt et retourna chez lui, en se disant que demain, il aurait peut-être d’autres pistes à explorer.

 

-8-

 

En ce matin, du 14 janvier, soit un peu plus d’une semaine après la date présumée du meurtre de madame France Lemieux, Richard essaya de faire le bilan de son investigation jusqu’ici, afin d’y voir plus clair. Il se mit à l’ordinateur afin d’écrire ce qu’il savait et les questions qui étaient pour l’instant sans réponse.
Il savait que :
- France Lemieux a été tuée dans son auto lundi le 6 janvier entre 21h et 24h.
-Son corps a été découvert à 4h mercredi le 8 janvier par Roland Phaneuf, lors d’une opération de déneigement.
-Le décès est dû au fait qu’elle a été poignardée à deux reprises.
-Elle n’était pas enceinte et n’a pas été violée.
-Il n’y a pas eu de vol d’argent ni de ses cartes.
-Elle avait mangé de la pizza chez Rita vers 19h et parle de la difficulté pour certaines filles de se défendre des hommes.
-René Lemieux, frère de la victime, était innocenté par un alibi confirmé par monsieur Rock Turmel, son superviseur.

Il ne savait pas :
-Pourquoi madame Lemieux a été assassinée.
-À qui appartenaient le briquet retrouvé dans l’auto, ainsi que certains cheveux et certaines fibres.
-Qui était le tueur.

Ses suspects étaient peu nombreux :
-Les parents d’Élizabeth Dupré qui montraient de la colère et de l’agressivité face à la manière dont Madame Lemieux gérait le dossier de leur fille; ils n’avaient pas de véritable alibi.
-Christine Chapleau, la mère de Georges Meloche, qui reprochait aussi à madame Lemieux la gestion du dossier et qui n’a pas, elle non plus, d’alibi véritable.
-Jean Kennedy, l’ex-chum de France Lemieux, n’avait pas d’empreinte dans l’auto mais son alibi, au bar rue Latendresse est à confirmer.

Richard reprit l’agenda de madame Lemieux qu’il avait obtenu au Centre jeunesse et il remarqua que la dernière intervention de madame semblait être auprès d’Élizabeth Dupré. Il se dit qu’il valait la peine d’aller voir au Centre de réadaptation, d’autant plus que les parents de cette adolescente sont suspects. L’inspecteur prit contact avec le Centre et la responsable, madame Édith Lupien, accepta de le rencontrer immédiatement; alors Richard se rendit sur le champ. À son arrivée au Centre, il demanda pour madame Lupien.
—Bonjour inspecteur, veillez me suivre dans mon bureau.
—Bonjour madame, comme je vous l’ai dit, j’aimerais que l’on parle de madame France Lemieux; vous la connaissiez bien?
—Un peu; elle me semblait consciencieuse.
—La dernière intervention de madame Lemieux semble avoir été auprès d’une de vos bénéficiaires, Élizabeth Dupré.
—Il est vrai que France est venue rendre visite à Élizabeth après les heures de classe; il devait être environ 16h, mais je ne savais pas si elle avait d’autres interventions après.
—Connaissez-vous la teneur de la rencontre?
—Non pas vraiment, je sais que les sorties d’Élizabeth étaient encore un point chaud entre les parents et madame Lemieux.
—Quel était votre position?
—Notre position allait dans le sens proposé par monsieur Remy Goulet qui demandait plus de sortie de la jeune chez ses parents.
—Est-ce que ça faisait conflit entre le Centre jeunesse et le Centre de réadaptation?
—Pas conflit, mais disons qu’il y avait des points du vue différents et que les parents en voulaient encore plus à madame Lemieux.
—Est-ce que les parents auraient pu aller jusqu’à vouloir éliminer madame Lemieux?
—Éliminer du dossier certainement, mais probablement pas à aller jusqu’à la tuer car, même si les sorties d’Élizabeth étaient limitées, elles étaient plus nombreuses dernièrement.
—Comment est monsieur Goulet avec Élizabeth?
—Remy est très bon avec elle, il sait comment se faire comprendre et faire accepter des objectifs de travail; en fait, je dirais qu’Élizabeth l’aime bien et qu’elle accepte plus facilement les demandes de Remy que celles de madame Lemieux, qui jouait un peu le rôle de chien de garde.
—Est-ce que madame Lemieux a fait quelques remarques suite à sa dernière rencontre avec Élizabeth?
—Non pas vraiment, elle a simplement demandé si Remy travaillait demain, j’avais l’impression qu’elle voulait discuter de certaines choses avec lui.
—Est-ce que vous savez que madame Lemieux a appelé Remy après cette rencontre?
—Non, pourquoi?
—Je ne sais pas, j’aurais aimé que vous puissiez m’aider à ce niveau.
—En avez-vous parlez avec Remy, inspecteur?
—Oui et il m’a dit que France l’avait appelé afin de discuter d’une situation au niveau syndical.
—C’est très possible, Remy est le trésorier du syndicat et les deux semblent bien s’entendre, même s’il peut y avoir des divergences au niveau de l’intervention auprès d’Élizabeth.
—Est-ce que je pourrai voir Élizabeth maintenant?
—Elle est mineure et présente des difficultés intellectuelles.
—Vous pourriez être présente afin de la rassurer.
—Bon d’accord, je vais aller la chercher.
Madame Lupien alla chercher Élizabeth en classe et l’informa que quelqu’un voulait lui parler. De retour au bureau, madame Lupien lui présenta l’inspecteur.
—Bonjour Élizabeth, je m’appelle Richard Chari et je suis inspecteur de police; est-ce que l’on peut parler tous les deux?
—Oui.
—Comment était ta relation avec France Lemieux?
—Je ne sais pas.
—Est-ce que tu t’entendais bien avec elle ou si tu ne l’aimais pas.
—Je l’aimais, mais des fois je ne l’aimais pas.
—Lundi de la semaine passée, France est venue te voir après l’école, est-ce que tu te souviens de cela?
—Oui.
—De quoi avez-vous parlé?
—Aller voir mes parents.
—Elle était d’accord ou pas?
—Elle ne voulait pas que j’aille toute la fin de semaine, même si Rémy disait oui.
—Est-ce que tu aimes mieux France ou Rémy?
—Rémy me laisse voir mes parents et il est gentil avec moi.
—France n’était pas gentille avec toi?
—Elle ne jouait pas avec moi.
—Et Rémy, lui,  joue avec toi?
Élizabeth ne répondit pas.
—Qu’est-ce qui se passe, demanda madame Lupien?
—France dit qu’il faut faire attention au jeu des garçons.
—De quels jeux tu parles, Élizabeth, continua la responsable?
Élizabeth ne répondit pas et détourna la tête. Madame Lupien, voyant la fermeture de l’adolescente, demanda à l’inspecteur si la rencontre pouvait se terminer là.
—Oui, madame nous allons arrêter ici. Je te remercie Élizabeth, tu as fait cela comme une grande fille.
Après le départ d’Élizabeth.
—Est-ce que vous savez ce qu’elle a voulu dire?
—Non, inspecteur; cependant on pourrait avoir des hypothèses.
—Comme des jeux sexuels?
—Peut-être, mais la compréhension d’Élizabeth n’est pas très grande avec les subtilités.
—S’il s’agit de sexualité, c’est assez concret.
—Mais inspecteur, la fermeture d’Élizabeth peut aussi être reliée à d’autres choses.
—Comme quoi?
—Elle peut simplement penser que le fait de jouer avec Rémy n’est pas correct, elle en est peut-être amoureuse en secret, etc.
—Possible; avez-vous déjà eu des doutes sur les contacts de Rémy avec Élizabeth?
—Jamais, sinon je ne l’aurais jamais laissé seul pour effectuer les fermetures.
—Vous voulez dire que Rémy pouvait être seul avec Élizabeth après le départ de son ou sa collègue.
—Oui, seul d’éducateur, mais les autres bénéficiaires sont cependant là à ce moment.
—Est-ce que l’on parle du moment du coucher?
—Oui.
—Est-ce qu’il aurait été possible à Rémy ou à une autre personne d’aller dans la chambre d’un bénéficiaire, sans être vu après les couchers?
—Évidemment, la personne qui s’occupe de la fermeture doit favoriser une ambiance calme pour nos bénéficiaires et vérifier que chaque personne est bien couchée dans son lit avant d’aller faire son rapport, en attendant l’arrivée de la gardienne de nuit.
—Combien de temps, la personne responsable de la fermeture reste-t-elle seule avec les bénéficiaires au coucher?
—L’horaire prévoit que le responsable de la fermeture est seul à partir de 22h et la gardienne de nuit commence son travail à 23h.
—Merci bien de toutes ces informations madame.
—Inspecteur, est-ce que vous suspectez Rémy de quelque chose?
—Oui, mais ce n’est pas encore clair; je vais devoir retourner le rencontrer. Est-ce que Rémy travaille aujourd’hui?
—Il doit commencer sa présence à 14h et finir à 22h car c’est Louise qui fait la fermeture ce soir.
—Je vais rencontrer Rémy cet après-midi, alors vous allez devoir lui trouver un remplaçant pour la soirée et j’aimerais que vous ne parliez de cela à personne, étant donné que je ne suis encore qu’au stade de l’hypothèse.
—Qu’est-ce que je dis pour expliquer son absence?
—Qu’il est malade ou qu’il a de la mortalité dans sa famille, enfin quelque chose du genre.
—Sans problème inspecteur; j’aimerais que vous me téléphoniez rapidement lorsque vous aurez rencontré Rémy, afin de me dire si je pourrai compter sur lui jeudi, demain il est en congé.
—Sans faute, madame Lupien.
Richard quitta le bureau de madame Lupien et se dirigea directement au domicile de Rémy. Il sonna à la porte.
—Inspecteur?
—Bonjour monsieur Goulet.
—Qu’est-ce que je peux faire pour vous?
—Me suivre au poste.
—Pourquoi?
—Pour l’instant, j’ai simplement besoin de vous parler et nous serons mieux au poste.
—Je travaille cet après-midi et je risque d’arriver en retard au Centre.
—J’ai déjà prévenu madame Lupien de votre absence pour aujourd’hui.
—Est-ce que je dois appeler un avocat pour m’accompagner lors de cette rencontre?
—Si vous voulez; vous pouvez appeler immédiatement ou attendre d’être rendu au poste.
—Je vais attendre d’être au poste, c’est probablement un malentendu inspecteur, car je n’ai rien à me reprocher. Je vous suis à l’instant.
Rémy mit son manteau et ses bottes et il se coiffa d’une tuque noire assez soyeuse. Rendu au poste, Richard amena Rémy dans la salle d’interrogatoire et il amorça immédiatement l’enregistrement.
—Aujourd’hui, mardi le 14 janvier à 12h45. L’inspecteur Richard Chari amorce l’entrevue avec monsieur Rémy Goulet. Monsieur Goulet, souhaitez-vous avoir la présence de votre avocat pour la rencontre.
—Finalement, inspecteur, je n’ai pas d’avocat et je ne crois pas en avoir besoin.
—D’accord, mais vous savez que vous pouvez changer d’avis à tous moments.
—Je sais; mais je n’ai rien à me reprocher.
—Vous travaillez au Centre de réadaptation?
—Oui, inspecteur.
—Vous avez travaillé avec madame Lemieux dans le dossier d’Élizabeth Dupré?
—Oui.
—Vous aviez des différents avec madame France Lemieux sur la manière de gérer les sorties d’Élizabeth chez ses parents?
—Oui, mais on était quand même capable de se parler. De quoi me soupçonnez-vous inspecteur?
—D’avoir tué madame Lemieux?
—Jamais je n’aurais fait cela pour un petit différent; dans notre métier, il y a souvent des perceptions différentes sur la manière de gérer les dossiers et cela n’empêche pas la collaboration entre les partenaires.
—Vous n’auriez pas tué pour un petit différent mais peut-être pour d’autres choses?
—Ce n’est pas ça que je voulais dire; en fait vous savez très bien que je suis innocent car j’étais chez moi lundi soir de la semaine passée, nous en avons déjà parlé, je crois.
—En effet, monsieur Goulet, vous m’avez dit que vous étiez chez vous dans la soirée du 6 janvier, mais rien ne le prouve.
—Rien ne prouve le contraire, inspecteur.
—Comment se fait-il que vous ayez été la dernière personne appelée par madame Lemieux?
—Je ne sais pas.
—Pourquoi vous a-t-elle téléphoné ce soir-là?
—Je vous ai dit, je crois, que c’était pour parler d’un compte de dépense de la vice-présidente du syndicat.
—Ah oui, c’est vrai vous êtes le trésorier du syndicat.
—Oui, inspecteur et je crois bien faire mon travail; j’ai l’impression que personne ne doute de mon honnêteté.
—À ce niveau probablement. Que pouvez-vous me dire sur les contacts que vous avez avec Élizabeth Dupré?
—Je suis son éducateur attitré; en fait le responsable de son dossier au Centre.
—Comment est votre relation avec elle?
—Très bonne je crois; je m’occupe bien d’elle, il me semble.
—Vous jouez aussi avec elle parfois?
—Comme je le fais avec les autres.
—Il vous arrive d’effectuer les fermetures au Centre  et de rester seul avec les bénéficiaires ?
—Chacun des employés fait cela inspecteur; où voulez-vous en venir?
—À vous de me le dire; comment se fait-il qu’Élizabeth nous rapporte que France lui a dit : «  qu’il fallait faire attention au jeu des garçons »?
—C’est tout à fait normal que France la prévienne des contacts abusifs auxquels une jeune fille pourrait être confrontée.
—Est-ce que c’est normal qu’elle refuse de répondre lorsqu’on lui demande à quel jeu vous jouiez avec elle?
—Vous allez loin, inspecteur. Seriez-vous en train de m’accuser d’abus sexuel?
—Possiblement.
—Est-ce qu’il y a une plainte à ce niveau ou si c’est simplement sur des interprétions que vous faites, suite à un refus d’une adolescente de répondre à une de vos questions?
—Il n’y a pas de plainte pour l’instant, mais il y aurait pu en avoir.
—Comment ça?
—Si vous n’aviez pas tué madame France Lemieux.
—Vous m’accusez encore sans preuve inspecteur; peut-être que j’aurais été mieux d’appeler un avocat?
—Il est encore le temps que vous le fassiez.
—Non, je n’en ai pas de besoin, mais j’aimerais que vous me disiez les preuves que vous avez contre moi ou que vous me laissiez retourner chez moi.
—Est-ce que vous étiez dans l’auto de France Lemieux lundi le 6 janvier vers 21h30?
—Non, je vous le répète j’étais chez moi.
—Quand la dernière fois avez-vous embarqué dans la voiture de madame Lemieux?
—Je n’ai jamais embarqué dans sa voiture, qui est assez récente, je crois.
—Comment le savez-vous?
—J’ai déjà vu son auto dans la cour lorsqu’elle venait rencontrer Élizabeth.
—Est-ce que vous me permettiez de prendre vos empreintes afin de les comparer avec celles trouvées dans l’auto de la victime?
—Si cela peut me permettre de vous convaincre que je suis innocent, allez-y.
Richard amena alors Rémy à l’institut médico-légal où est le bureau de Brandon. Il demanda à Rémy d’enlever son manteau et tuque et pendant que Rémy attendait dans une pièce, Richard demanda à Brandon de prélever d’abord une fibre de la tuque que portait Rémy.
—Ce n’est pas très légal, Richard.
—Je sais  mais j’en prends la responsabilité.
Rémy se soumit docilement à la prise d’empreintes.
—Est-ce que c’est tout inspecteur?
—Pour l’instant oui, monsieur Goulet; je vous demanderai cependant de ne pas aller au Centre ce soir ni demain, en fait tant que nous n’aurons pas analysé vos empreintes.
—Je devrais être au travail, dès jeudi à 7h; heureusement demain j’étais en congé.
—J’irai vous donner les résultats moi-même chez vous demain, vers 10h, si cela vous convient?
—Assez inhabituel, mais j’accepte.
Remy repartit chez lui en se disant que l’inspecteur n’avait rien contre lui, car il n’avait pas laissé d’empreintes lors de l’assassinat de France, vu qu’il portait des gants. Après le souper, Richard se rendit au bar sur la rue Latendresse et, à son étonnement, les personnes en place confirmèrent que monsieur Kennedy avait passé la veillée presque complète à leur bar lundi de la semaine passée. C’était un habitué, qui buvait passablement et qui payait assez bien.

 

-9-

 

Mercredi matin le 15 janvier, Richard constata qu’il avait un courriel de Brandon; il se précipita dessus et fut soulagé de voir que ses hypothèses se confirmaient. Les empreintes sur le briquet, trouvé dans l’auto de la victime, appartenaient bien à monsieur Goulet et la fibre noire luisante était faite en cachemire et correspondait à celle trouvée aussi dans l’auto. Armé de ces indices, Richard se rendit à la résidence de monsieur Goulet, cette fois-ci accompagné par deux policiers. Monsieur Goulet ouvrit lorsque Richard sonna à la porte.
—Que se passe-t-il, inspecteur?
—Nous avons trouvé des indices vous appartenant dans l’auto de la victime et je vais vous demander de nous accompagner au poste pour poursuivre l’entrevue d’hier, vous pouvez appeler un avocat si vous le désirez?
–Ça ne sera pas nécessaire, je vous suis.
Un des policiers demanda s’il fallait lui mettre les menottes.
–Ça ne sera pas nécessaire n’est-ce pas monsieur Goulet?
—Je ne me sauverai pas.
Rendu au poste et installé dans la salle d’interrogatoire, Richard démarra l’enregistrement.
—Aujourd’hui, mercredi le 15 janvier à 10h, moi, inspecteur Richard Chari, poursuit l’entrevue enregistrée hier avec monsieur Rémy Goulet. Monsieur Goulet voulez-vous la présence d’un avocat?
—Pas besoin, inspecteur.
—Monsieur Goulet, vos empreintes ont été retrouvées dans l’auto de la victime.
—C’est impossible inspecteur.
—Pourquoi étais-ce impossible?
—Parce que je n’ai jamais embarqué dans l’auto de madame Lemieux et que lundi le 6 janvier en soirée, je suis resté à la maison à écouter le hockey.
—Est-ce que quelqu’un peut le confirmer?
—Vous savez bien que non, inspecteur.
—Je sais cependant aussi que malgré ce que vous dites, vous étiez là, car nous en avons la preuve.
—Je vous dis que je n’ai jamais embarqué dans son auto et donc que je n’ai pas pu tuer madame Lemieux.
—Comment se fait-il alors que nous ayons trouvé un briquet qui porte vos empreintes?
—Je ne sais pas.
—En outre, comment se fait-il que nous ayons aussi trouvé une fibre noire soyeuse en cachemire et que cette fibre corresponde au tissu de votre tuque?
—Je ne sais pas.
—Et bien moi, je sais; c’est que suite à l’appel de madame Lemieux, lundi le 6 janvier à 17h, vous vous êtes entendus pour la rencontrer et vous l’avez assassinée.
—Pourquoi aurais-je fais cela?
—Parce qu’Élizabeth lui avait mis la puce à l’oreille concernant vos jeux avec elle.
—Vous ne pouvez rien prouver, si ce n’est qu’un briquet porte mes empreintes et qu’une fibre semble provenir de ma tuque; c’est léger pour accuser quelqu’un.
—Ce n’est pas la preuve définitive, mais je suis convaincu qu’un jury ferait facilement les liens entre les éléments. Je pourrais investiguer auprès de vos voisins afin de savoir si quelqu’un vous a vu sortir ou revenir lundi soir, je pourrais vérifier auprès de madame Clairy, la vice-présidente du syndicat, ses comptes de dépenses, je pourrais interroger sérieusement Élizabeth afin qu’elle me dise quels jeux vous jouez lorsque vous faites la fermeture; je pourrai obtenir un mandat afin de trouver le couteau que vous avez utilisé pour faire taire madame Lemieux. Je pourrai faire tout cela et vous pourriez encore nier si vous voulez.
—Arrêtez inspecteur, cela ne sera pas nécessaire.
Après un long moment de silence.
—France m’a appelé lundi le 6 janvier car elle voulait discuter d’une chose qu’Élizabeth lui avait révélée à mon sujet. Je me doutais bien, connaissant France, qu’elle ne lâcherait pas le morceau. Je lui ai proposé de se rencontrer vers 21h près du Tim Horton afin que je lui explique les choses, espérant qu’elle me croirait plus que les dires d’une adolescente, déjà violentée par ses parents et ayant des capacités intellectuelles limitées.

 À son arrivée, chez Tim, j’étais dehors et je lui ai proposé d’aller un peu plus loin afin de pouvoir parler plus calmement; elle s’est dite d’accord à ce que j’embarque avec elle, elle n’a pas vu le danger, je la croyais plus futée. Nous avons roulé un peu et elle s’est stationnée au bout de la rue. Elle m’a demandé clairement si j’avais eu des contacts sexuels avec Élizabeth. J’ai essayé de lui faire croire qu’Élizabeth avait mal interprété certains gestes, mais  j’ai bien vu qu’elle ne me croyait pas et qu’elle irait plus loin, j’ai alors sorti un couteau que j’avais apporté et je lui ai donné deux coups; j’étais en colère contre elle, car elle ne se mêlait pas de ses affaires et  pouvait ruiner ma carrière; mon briquet doit être tombé à ce moment. Je portais des gants et après avoir essuyé le couteau avec un kleenex, je suis retourné à pied à mon auto; je suis retourné chez moi, en espérant que personne ne m’ait remarqué, au sortir de l’auto de France ni partir de la maison ou revenir chez moi.
—Est-ce que ça faisait longtemps que vous aviez des contacts sexuels avec Élizabeth?
—Non pas vraiment, cela a commencé en jouant, je lui ai touché un sein, sans faire exprès; elle n’a pas trop réagi; alors un autre soir, j’ai tenté, sous le prétexte d’un jeu, de lui toucher encore; elle ne semblait pas voir le mal là-dedans. De fil en aiguille, je suis devenu plus entreprenant, constatant qu’elle n’y voyait rien de mal et même semblait y trouver du plaisir. Je n’ai pas eu de relations sexuelles complètes, seulement des touchers de part et d’autres, comme dans un jeu.
—C’est loin d’être un jeu quand votre comportant marque quelqu’un pour la vie et qu’il aboutit aussi à prendre la vie d’une autre personne.
Richard arrêta l’enregistrement et reconduisit monsieur Goulet en cellule.
—Monsieur Goulet, je crois qu’il serait sage que vous demandiez l’aide d’un avocat.
—Je vais y penser.
Richard écrivit une note spécifiant que monsieur Goulet avait avoué le meurtre de madame France Lemieux. Il téléphona au Centre de réadaptation afin de prévenir madame Lupien et il se rendit chez les parents de France pour leur annoncer la conclusion de son enquête.