Je vous présente mes
grands-parents
Jean-Baptiste
Bonin et Anastasie Fafard
Jean-Baptiste, 9 août
1888, décédé le 15 juillet 1958
Anastasie, 18
juillet 1886, décédée le 19 juillet 1963
Mariage 17 janvier 1910 à
St-Germain
LES ENFANTS
Simone, 6 décembre 1910, décédée le 2 septembre 2005
Alcide, 16 février 1912, décédé le 29 janvier 1991
Léo, ??? décédé très jeune
Marcel, 7
février 1915, décédé le 20 juillet 1996
Rose-Alma, ??? décédée très jeune
Bruno, ??? décédé très jeune
Bernard, 11
septembre 1919, décédé le 28 mars 2004
Jean-Paul, 3
septembre 1922, décédé le18 avril 1997
Hermann, 31 juillet 1924, décédé le 4 avril 2018
Robert, 5 février 1926
Jeanne, 29
octobre 1927, décédée le 31 janvier 2000
Cécile, 12 mars 1929, décédée le 7 octobre 2015
André, 20
octobre 1931, décédé le 3 janvier 2011
Avant Propos
Étant l’aîné des petits enfants de la grande famille Jean-Baptiste Bonin,
j’ai eu le privilège de connaître un site enchanteur qui était la demeure de
mes grands-parents le long de la Rivière St-François, à St-Majorique.
En arrivant chez mes grands-parents, c’était comme s’il y avait une porte
d’entrée dans un monde totalement différent de ce que nous vivions dans notre
quotidien. En effet, c ‘était pas mal déroutant et intriguant à la fois de
constater qu’ils n’avaient ni électricité, ni de tracteur de ferme, etc.
Pour mieux comprendre, je crois que nous devons imaginer notre quotidien
dans un environnement sans électricité. Que faire pour l’eau froide et chaude,
la cuisinière, le chauffage, le grille pain, la
toilette, la douche, le réfrigérateur, l’aspirateur etc., ainsi que pour les
travaux de la ferme sans tracteur, etc.
L’image que j’ai de mes grands-parents est qu’ils avaient une très grande
compétence pour répondre à leurs besoins et à ceux de leur grande famille par
une débrouillardise digne de mention.
Je suis né en 1939 et mes grands-parents ont déménagé au Village de
Saint-Majorique en 1952, j’ai donc de précieux souvenirs couvrant une période
de 8 à 9 ans. Nos visites étaient limitées à quelques fois par année, car nous
demeurions aux États-Unis.
Dans la première partie de mon exposé, je vous d’écrit mes souvenirs
d’enfant de ce site enchanteur et en deuxième partie, un résumé du livre
intitulé « L’Histoire Qui’a… », écrit par Alcide, mon père qui est le fils aïné (copie intégrale disponible sur le site
http://www3.sympatico.ca/bonin.1/
Merci à tante Cécile et oncle Guy Lacharité pour leur précieux apport
caractérisé par des détails précis qui ont permis d’enrichir ma narration;
merci aussi à mon frère Jean-Louis et mon épouse Jeanne qui m’ont beaucoup aidé
pour les corrections et mises en page.
PREMIÈRE PARTIE
Souvenirs d’enfant
par Gérard Bonin
Les visites chez mes Grands-Parents Bonin étaient toujours un grand
événement. Ils étaient toujours tellement chaleureux et j’étais gâté par les
oncles et mes tantes Jeanne et Cécile.
Imaginez une ferme, isolée de plusieurs milles, sans électricité avec vue
sur la rivière ET la fin d’une île située au centre de cette rivière. Le
courant de la rivière était fort à cause de rapides de notre côté de l’île, ce
qui nous permettait d’entendre le bruit de la rivière, surtout la nuit.
Pour s’y rendre, nous avions le choix (venant de Drummondville), soit de
prendre la route le long de la rivière, ou de passer par le village de
St-Majorique. Dans les deux cas, c’était de la forêt vierge, bien avant
d’arriver à ce site enchanteur.
En arrivant par la route, le long de la rivière, nous avions, à notre
gauche, la maison de deux étages avec cuisine d’été, une grande galerie avec
une vigne concombre qui poussait très vite, couvrant tout le devant de la
galerie, et plusieurs pommiers, ainsi qu’un ruisseau qui passait derrière et
les bâtiments de ferme du côté droit. Évidemment, ces routes, soit le long de
la rivière ou de St-Majorique étaient de sable et gravier et en plusieurs endroits,
du foin dans le centre entre les deux travées. En continuant sur la route, il y
avait une grosse côte avec un petit pont dans le bas sur un ruisseau.
La maison consistait en deux sections. La première section avec des chambres
à coucher dans le haut et la deuxième section était la cuisine d’été avec une
pièce pour le séparateur de crème, rangement farine, sucre etc., et une remise
dans le grenier pleine d’antiquité pour tricots, filage de laine, etc. En
hiver, la première section de la maison était occupée comme cuisine etc. et en
été, la deuxième section comme cuisine. C’était pratique car en été, la cuisine
d’été était plus grande, plus confortable et avait une meilleure ventilation,
afin d’évacuer la chaleur dégagée par le poêle à bois qui chauffait presque
continuellement pour les besoins d’eau chaude, la cuisson, chauffer les fers
pour le repassage du linge, etc.
Les bâtiments consistaient en une étable avec environ 8 emplacements de
chaque côté de l’allée centrale, une grange avec une entrée centrale et remises
à foin de chaque côté, une remise à voitures, un poulailler et un emplacement
pour les outils de forge et de menuiserie.
L’éclairage, le soir, était avec un fanal au naphta. Le fanal avait deux
poches à l’intérieur d’un globe de verre clair. Il fallait nettoyer le globe,
mettre du naphta dans le réservoir, pomper afin de bâtir une pression d’air et
ensuite l’allumer avec une allumette. C’était très efficace car cela donnait
une lumière égale à une ampoule de 150 watts.
L’éclairage dans les chambres était fait par une lampe à l’huile (avec un
globe de vitre claire), ouvert dans le haut et une petite mèche qui trempait
dans le réservoir d’huile. Il y avait des modèles de table ainsi que des
modèles accrochés aux murs.
L’éclairage dans l’étable était un fanal bien spécial placé sur les murs.
Derrière le globe de vitre, il y avait un miroir afin de diffuser le plus de
lumière possible. Cela devait être super dangereux
pour le feu car en hiver, le besoin de lumière pour les trains du matin et du
soir était important. J’ai l’impression qu’il en résultait que les travaux de
traite devaient être effectués dans une demi -noirceur. Quel courage que de
faire la traite, alimenter les bêtes en fourrage, en eau ainsi que de faire le
nettoyage. Pas facile, ce bon vieux temps!
Bien que sans électricité, un radio avec une grosse batterie leur procurait
l’accès aux nouvelles ainsi que certains romans-savons. Je trouvais que le son
était très difficile à comprendre car il y avait un niveau de bruit terrible.
Lorsqu’on voulait entendre de la belle musique, il y avait le beau gramophone
avec sa belle grosse flûte dans le haut. Il y avait plusieurs disques, des 78
un peu égratignés et on n’avait qu’à tourner une manivelle pendant une minute
ce qui donnait suffisamment de puissance pour actionner la musique pendant la
durée de deux ou trois disques. Les disques étaient égratignés surtout du fait
qu’il fallait placer une aiguille qui était au bout d’un bras sur le disque.
Cette aiguille avait la dimension d’un clou à finir, alors, il était assez
difficile, surtout pour moi de le placer à l’endroit approprié.
Grand-père fumait la pipe. Pendant la semaine, il utilisait une vieille pipe
de plâtre qui était très courte car elle était cassée. Il l’appelait son
« mognon ». Grand-mère le disputait
lorsqu’il tentait de l’utiliser lorsqu’il y avait de la visite ou les
dimanches.
Il faisait des allumettes pour allumer le poêle, sa pipe, le fanal etc. Il
prenait une bûche de cèdre d’environ 30 cm (10 pouces) de long et lorsqu’elle
était assez sèche, il la fendait en petites languettes d’environ 5 mm par 5mm
(1/4 x ¼ de pouce). C’était pratique pour allumer le poêle car elle
prenait feu facilement d’une allumette de soufre et sa longueur permettait
d’allumer le poêle en gardant une bonne distance des doigts. Ensuite, lorsque
le poêle était allumé, il mettait le feu à une des allumettes, via une petite
ouverture sur le côté du poêle, afin d’allumer sa pipe ou le fanal etc., ce qui
ménageait les allumettes de soufre.
Il m’est arrivé une fois de trouver Grand-père cruel. Il gardait quelques
porcs. Lorsque les petits avaient quelques semaines, il devait opérer les
mâles. Il leur enlevait les testicules afin de leur permettre de mieux
engraisser. Ce travail se faisait en gardant le petit porc couché par terre,
une incision était faite et les testicules enlevés. Un désinfectant était
appliqué et le petit était libéré. Évidemment, le petit porc criait très fort,
alors, j’étais très impressionné.
Grand-mère avait un gros poêle à bois avec une réserve d’eau dans le côté
pour les besoins d’eau chaude. Elle puisait l’eau avec une grosse tasse équipée
d’un long manche.
Ce poêle servait aussi pour chauffer les fers à repasser le linge. Elle devait
chauffer le poêle, placer environ 5 fers à repasser sur le dessus du poêle et
les prendre un à un lorsque assez chaud avec une poignée à ressort. Lorsqu’un
fer n’était plus assez chaud, elle le plaçait sur le poêle, déclenchait le
ressort pour le libérer et placer cette poignée sur un autre fer.
Le matin, en été, Grand-mère se levait tôt et entre autres, tuait les
mouches qui étaient dans la cuisine d’été, chauffait l’eau pour le thé et nous
préparait soit des crêpes ou des rôties. Les crêpes étaient rehaussées par un
morceau de lard (environ 3 cm carré s par 5 cm d’épais ) qu’elle plaçait dans le centre de sa poêle chaude et y versait sa pâte à crêpe.
On mangeait la crêpe en prenant un petit morceau de gras avec du sirop ou de la
cassonade. C’était très bon.
Elle faisait son savon. Une recette que je trouvais magique car elle devait
bouillir les ingrédients dans un gros chaudron de fonte, placé à l’extérieur de
la maison. Lorsque la cuisson était terminée, elle prenait ce qui flottait sur
le dessus du liquide, le plaçait dans une boîte d’environ 4 cm de haut et
devait le couper en pains de savon avant que le tout soit refroidi.
Grand-mère m’avait fait visiter ses trésors dans le grenier, au-dessus de la
cuisine d’été, C’était des souvenirs de sa
mère. Il y avait des outils pour travailler la
laine, le coton, le lin etc., afin de pouvoir en faire du fil. C’était
impressionnant, cependant je ne me souviens pas des noms bien que j’ai reconnu quelques uns de ces outils, lors d’expositions ou lors de visites
au Village d’Antan à Drummondville.
Elle faisait son bon pain de ménage. Elle avait une recette à base de
patates et en faisait plusieurs afin de combler les besoins de la semaine. La
cuisson (pains, gâteaux etc) se faisait au fourneau,
même pendant les chaleurs d’été. Comme il y avait une fenêtre du côté arrière
(avec pentures dans le haut de la fenêtre) cela causait généralement un bon
courant d’air, ce qui aidait grandement à la ventilation.
Une des belles expériences que j’ai vécue fut le jour où elle a fait de la
crème glacée. Oui, en campagne, pas d’électricité; il faut en avoir des trucs.
Elle avait un récipient qui était double avec un espace de quelques pouces
entre les deux récipients. La partie intérieure était activée par une manivelle
que l’on devait tourner et l’espace entre les deux était recouvert de glace.
J’allais de surprise en surprise, car une fois que le brassage était commencé
avec de la crème et une boîte de poudre, elle plaçait du sel sur la glace. Elle
m’expliquait que pour faire de la crème glacée il fallait beaucoup de froid
pour faire prendre le produit. Le sel fait fondre la glace beaucoup plus vite
ce qui fait baiser la température, donc beaucoup plus
froid. (Ce fut ma première leçon sur les lois de la physique). L’expérience
était tout simplement unique pour moi et ma grand-mère me permit de tourner la
manivelle afin de faire ce miracle. Elle s’était absentée pour quelques
minutes, me recommandant bien de tourner lentement. Évidemment, je voulais
l’impressionner et la manivelle en fit des tours en peu de temps avec le
résultat qu’à son retour, elle s’écria : « Gérard, tu as tourné
beaucoup trop vite, c’est rendu en beurre ». Et bien, comme expérience, j’en avais de toutes les couleurs. Après avoir sorti le
beurre du récipient, elle a du tout recommencer,
évidemment sans mon aide.
Le lavage du linge se faisait dans une cuve de bois qui devait être
actionnée manuellement pour qu’elle tourne de gauche à droite afin de brasser
le linge. Ce système fut remplacé par une machine pour laver le linge avec
moteur à gaz. La laveuse était un modèle avec un brasseur à l’intérieur et un
tordeur dans le haut de la machine. C’était deux rouleaux par lesquels on
pouvait contrôler le degré de pression et dans lesquels on passait le linge afin
de l’essorer. L’eau essorée retombait tout simplement dans la laveuse. Comme la
laveuse était dans la maison et qu’elle était actionnée par un moteur à gaz, un
tuyau flexible était placé du moteur à l’extérieur par un trou qui avait été
fait à cet effet.
Elle faisait aussi beaucoup de « cannage ». Elle avait un appareil
pour recycler les boîtes de métal utilisées et l’achat de couvercles lui
permettait de les ré-utiliser. Ces conserves étaient
gardées dans le sous-sol de la maison principale qui était accessible par une
trappe dans le plancher. (C’était une petite excavation de 4 pieds de
profondeur afin de garder les « cannages » au frais). Sa soupe aux
légumes était sans pareil. Que de fois j’ai demandé à ma mère de nous faire de
la soupe comme Grand-Maman. Ce n’est que beaucoup plus tard, lors d’un cours de
chimie, que j’ai appris que le recyclage des boîtes de métal avait comme
désavantage que le fini intérieur devenait oxydé par des produits acides comme
les tomates, avec le résultat qu’il s’y développait un certain acide pas
nécessairement recommandé maintenant par Santé Canada.
Pour conserver certains aliments au froid, il y avait une glacière (de la
dimension d’un petit réfrigérateur). Il y avait un couvercle dans le haut pour
y placer un gros bloc de glace et une porte devant, avec tablettes pour y
placer la nourriture. Pour satisfaire les besoins de glace, les oncles
coupaient de gros morceaux de glace de la rivière en hiver et les enterrait
dans du brin de scie dans la remise à voitures. Lorsqu’ils avaient besoin de
glace pour la glacière, un morceau était coupé et placé dans la glacière.
Ma préférence pour le coucher était un super matelas de plumes placé sur un
matelas conventionnel dans une des deux chambres au deuxième étage. Le sommeil
venait très vite car bercé par le bruit des rapides de la rivière, le confort
du lit de plumes et une noirceur totale, c’était propice à de beaux rêves.
Il y avait une toilette (une bécosse) à l’extérieur de la maison. C’était
une petite cabane de 1.5 mètre par 2 mètres. Il y avait un siège de toilette.
Cependant comme il n’y avait pas de chasse d’eau, le réservoir en dessous
devait être vidé quelques fois par année. Évidemment, la senteur nous
encourageait à ne pas rester plus longtemps qu’il ne fallait. Comme papier de
toilette, c’était des morceaux du journal l’Action Catholique (Un journal de
Québec, de la dimension du journal La Presse, cependant en moins de pages).
J’ai aussi eu le plaisir de faire les foins avec l’oncle André. Tous les
travaux étaient effectués avec les chevaux. La coupe du foin se faisait avec
une faucheuse, qui avait un bras d’environ 6 pieds de long traînant près du
sol, avec une série de couteaux en triangles, qui par une action de va en
vient, coupait le foin. Lorsque le foin était séché, un râteau avec de gros
cercles de fer à l’arrière ramassait le foin en ondins. Le râteau arrière était
levé à intervalles régulièrs pour libérer le foin en
rangées (ondins) afin de faciliter la ramasse. Pour ramasser le foin, un
chargeur à foin était placé derrière une voiture à foin. Le chargeur était tiré
sur les rangées de foin qui était ramassé par un rouleau avec dents et monté
environ 8 pieds de haut afin de tomber dans la voiture à foin. Il était bien
important de bien tasser le foin car il n’y avait pas de côtés à la voiture.
Une fois rendue à la grange, la voiture était rentrée dans la grange et vidée a l’aide d’une grande fourche qui était plantée dans le
chargement et de grosses quantités de foin étaient déchargées par un système de
poulies. Évidemment, c’est encore un cheval qui était utilisé pour le travail
avec la grande fourche.
Les poules étaient libres sur la ferme. Les œufs avaient un jaune de couleur
beaucoup plus foncée et évidemment les œufs bruns nous semblaient meilleurs.
La poste était livrée par un vieux monsieur postillon avec une voiture
(appelée express) tirée par un cheval. Ce vaillant postillon allait chercher la
« malle » à la gare du CN à Drummondville et effectuait la livraison
7 jours par semaine.
Je crois que lorsqu’il a pris sa retraite, il fut remplacé par un postillon
avec une automobile. Oncle Hermann me dit que l’adresse postale était,
Jean-Baptiste Bonin, RR4, Drummondville.
Grand-père avait environ 10 vaches laitières et deux chevaux. La traite se
faisait à la main. Oncle André s’assoyait sur un petit banc de bois (environ 30
cm de haut) et trayait en plaçant une chaudière sous le pis de la vache. Une
traite donnait environ la moitié de la chaudière en lait et le contenu était
vidé dans un bidon. Il y avait une tasse de granit pour boire de l’eau dans
l’étable. Oncle André m’a fait faire la découverte de lait chaud en trayant du
lait directement dans cette tasse. Il y avait une broue sur le dessus et ce lait avait un goût divin.
Après la traite, les bidons étaient emportés dans la rallonge de la cuisine
d’été afin d’écrémer le lait. On vidait le lait dans un gros bol de métal dans
le haut de l’appareil et on devait tourner une manivelle pour lui permettre
d’atteindre une certaine vitesse. Lorsque cette vitesse était atteinte, on
entendait une petite musique qui nous indiquait que nous pouvions ouvrir la
petite valve, afin de permettre au lait qui était dans le grand réservoir
au-dessus de passer dans plusieurs petits cônes qui tournaient à une grande
vitesse. On devait continuer de tourner cette manivelle afin de maintenir cette
vitesse, car c’est ce qui permettait au lait écrémé de sortir d’un côté et la
crème de l’autre.
Lorsque le travail était fini, André plaçait cette nouvelle crème dans un
bidon gardé dans le fond du puits qui était à l’extérieur devant la cuisine
d’été. Ensuite, on devait défaire une partie du séparateur afin de laver
plusieurs pièces, cônes etc. à l’eau très chaude et replacer le tout afin que
tout soit prêt pour la prochaine traite. Il y avait deux traites par jour, 7
jours par semaine.
A toutes les semaines, il fallait emporter les bidons de crème à
Drummondville car il n’y avait pas de service de transport. Alors, il fallait
atteler le cheval, mettre les bidons dans l’express et se rendre à la Crèmerie
Drummond qui était située dans le secteur du Centre Ville.
Le proposé vidait les bidons un à un et les nettoyait avec une eau tellement
chaude que j’en avais peur. Ce voyage était très long et je crois avoir accompagner oncle André une fois seulement.
Pour satisfaire les besoins d’eau pour les animaux dans l’étable, il y avait
un bassin en ciment, d’environ 1 mètre x 50 cm et d’une hauteur de 1 mètre. Une
pompe à bras était installée à une extrémité et il fallait charger la pompe et
pomper l’eau en actionnant un grand manche. Cette pompe avait quand même un bon
débit d’eau ,car le réservoir se remplissait assez
vite.
Nous avions un endroit super pour la baignade. Comme le lit de la rivière
était de roches, c’était bien difficile de s’y baigner sans danger. Il y avait
cependant une grosse roche, sur le bord de la rivière (faisant face à la
maison) qui nous offrait un endroit avec fond de sable qui était sécuritaire et
tellement plaisant. Cette roche existe toujours et bien qu’elle soit maintenant
envahie par la végétation, elle régnait en maître pendant ces bonnes années.
(Qui parmi les plus vieux ne se souvient pas de cette belle grosse roche!).
Il y avait en amont de la rivière deux barrages électriques. Ces barrages
devaient contrôler leur réservoirs d’eau, alors, pour
baisser le niveau, ils ouvraient les pelles de retenue et on voyait le niveau
de la rivière monter de quelques pieds. L’inverse arrivait aussi lorsqu’ils
voulaient refaire le plein des réservoirs. Cependant, comme il y avait retenue
d’eau, la section de la rivière qui était de ce côté de l’île devenait à sec.
Comme le lit était de roches, on pouvait s’y promener en faisant très
attention, car certaines roches étaient coupantes; on vérifiait s’il y avait
des poissons captifs dans les petits réservoirs qui s’étaient formés ici et là.
Il fallait cependant faire bien attention, car c’était une condition bien
temporaire et le débit d’eau pouvait revenir à la normale très vite.
J’ai vécu une expérience de pêche exceptionnelle. Un soir, oncle André
m’invite à l’accompagner pour aller à la pêche au dard avec un autre de mes
oncles qui était en visite. Il prit le fanal au naphta, plaça un abat-jour sur
le dessus, ce qui réflétait la lumière vers le bas
seulement. Il faisait noir. Cependant, comme je le suivais de très près pour se
rendre à la chaloupe sur la rivière, ce ne fut pas un problème, car le fanal
donnait beaucoup d’éclairage. Une fois rendus dans la chaloupe, il me demande
de me placer au centre et ils prirent place aux deux extrémités. Quel
spectacle, un oncle à l’arrière qui fait avancer la chaloupe avec une rame car
il n’y avait pas beaucoup de profondeur (on voyait le fond facilement) et
l’autre oncle, sur le devant de la chaloupe, avec le fanal d’une main et une
fourche à trois pics de l’autre; ça donnait l’image du diable qui se prépare à
aller se chercher une victime……Les prises furent nombreuses, mais seulement de
la carpe ce soir-la. Comme il y a beaucoup d’arêtes
dans cette sorte de poisson, ce sont les porcs qui en ont fait un festin le
lendemain.
Lors d’une de nos visites, les oncles étaient à battre l’avoine. Quel
spectacle ! Deux chevaux étaient sur une plate-forme roulante, (la vitesse dépendant
de l’inclinaison donnée), ce qui servait de moteur pour la batteuse. Il y avait
une grande courroie de cuir, environ 20 cm de large sur des poulies de la
plate-forme roulante et la batteuse. On devait alimenter la batteuse
manuellement, enlever la paille et l’entreposer dans la grange. A la fin de la
journée, tous étaient couverts d’une épaisse poussière, mais heureux du
résultat, car c’était une bonne récolte.
Le transport se faisait avec des voitures tirées par un cheval. La semaine,
une voiture moins luxueuse était utilisée; on l’appelait l’express. Elle avait
une boîte rectangulaire avec deux sièges de bois à l’avant. C’était bien
pratique, car l’arrière permettait beaucoup de chargement, comme une boîte d’un
camion pick-up. Le dimanche, c’est une voiture de luxe tout en noir appelée Pianobox, de très belle apparence avec roues étroites et un
siège avec un petit rangement à l’arrière. C’était une voiture pour les sorties
« propres » du dimanche.
En hiver, c’était des « sleigh » pour
les travaux et le voyagement. Il y avait la carriole pour les sorties avec les
enfants, la sleigh fine, appelé Speedeur ou Catherine pour 2 personnes pour les grandes sorties du dimanche, la petite sleigh appelée Runner utilisée
surtout pour faire les commissions. Les routes n’étant pas dégagées comme
maintenant, la neige était surtout tapée sur place par le piétinement des
chevaux et des glisses des traîneaux. Alors, les sleighs avaient la possibilité de faire glisser le train du cheval sur le côté ce qui
permettait au cheval de marcher dans le sillon et facilitait le travail du
cheval.
Lorsque nous allions au village, on stationnait voiture et cheval dans un
endroit près du magasin général appelé « La Shed » ou
« Abris »…….. Comme il fut un temps où beaucoup voyageaient avec les
chevaux, les villages devaient offrir un endroit pour pouvoir abriter les
chevaux à l’abri et leur donner à boire et à manger.
L’image que je garde du Grand-père Clément est celle d’une personne très
âgée qui se limitait à la chaise berçante, avec son crachoir tout près. Je ne
l’ai pas connu vraiment Cependant, G-P Jean-Baptiste m’a montré les outils pour
travailler le bois qui avaient été fabriqués par Clément en majeure partie. Il
y avait de gros ciseaux à bois avec manchon pour placer sous le bras, des
rabots en bois de 1 mètre de long (utilisés pour faire des planches, etc). J’ai compris qu’il avait travaillé pour la
construction du chemin de fer en fabriquant des réservoirs d’eau pour alimenter
les besoins de engins à vapeur (anciens engins qui
tiraient les wagons du chemin de fer).
DEUXIÈME
PARTIE
Extrait du livre L’Histoire Qui’a, écrit par mon
père, Alcide.
(Ce livre est disponible à l’adresse suivante http://www3.sympatico.ca/bonin.1/
faire clic sur [L'histoire qu'y a] dans le bas de la page.
1. Mon père
Mon père, Jean-Baptiste, le garçon aîné de Clément, est venu au monde à
St-Germain de Grantham le 9 août 1889 à un mille du village sur le chemin de
Yamaska, en face du théâtre des Ancêtres d'aujourd'hui; c'était où son oncle
Alphonse avait sa terre à bois autrefois. Plus tard, Clément a changé sa terre
pour une maison au village de St-Germain .
A 19 ans, Jean-Baptiste revint au Canada pour chercher Anastasie Fafard qu'il prit pour épouse. Deux ans plus tard, lors du
décès de sa mère, il décida de revenir au Canada; déjà il avait deux beaux
enfants qu'Anastasie lui avait donnés, Simone et Alcide.
Il travailla donc avec son père comme menuisier; les maisons, les granges et
les chèdes à voitures s'élevaient au travail de leurs
mains.
3. La vie familiale
Entre 1912 et 1923, mon père avait une vache au village de
St-Germain. Ma mère en avait soin, faisait la traite
matin et soir. Elle déposait le lait dans
des térines; le lendemain
matin, avec une cuillère, elle ôtait la crème sur le
lait. Après avoir fait cela plusieurs jours, elle brassait la
crème avec une fourchette et faisait son beurre.
Dans le fond des térines, ce
qui restait, c'était du lait écrémé ou petit lait qu'on
servait à boire à table. Quand on avait un
surplus de petit lait, ma mère le laissait cailler et ensuite
les adultes le mangeaient; les enfants
ne se laissaient pas facilement convaincre.
Ma mère faisait beaucoup de couture pour
la famille. Entre 1912 et 1923, elle achetait sa laine
cardée, la filait au rouet, faisait
ses écheveaux avec le dévidoir qui
servait aussi à doubler la laine. Elle aimait
beaucoup tricoter; sans regarder son ouvrage,
elle ne perdait jamais ses mailles.
Elle aimait beaucoup son jardin et ses fleurs. De plus,
elle allait ramasser des petites fraises des champs, des framboises
dans le bois, des mûres dans le clos à
vache. Avec ces fruits, elle faisait ses confitures
pour recevoir la visite.
Avec des poches de sucre ou de farine que ma
mère décousait, elle faisait des chemises d'ouvrage
pour grand-père, pour mon père et
les sept garçons; c'est elle-même qui les
teignait sur le poêle de la cuisine. Ma mère faisait
aussi des toiles cirées qui servaient de manteaux, de piqués
pour les lits de bébés,
de couvertures quand on allait en voiture. Le procédé de
cirage était le suivant: elle prenait du coton à
fromage, le peinturait deux fois avec de l'huile de lin
et le laissait sécher sur la corde à linge.
A la mort de ma grand-mère Bonin, mon grand-père se
donna à mon père avec tous ses biens et ses dettes et devint
comme le fils à Jean-Baptiste; c'est drôle, mais le monde
vivait comme cela dans le passé. Mon grand-père devenait mon
frère et on l'appelait pépère; plus il
vieillissait, je le crois car je suis rendu
à l'arrière grand-père et je vous assure que
l'on en a vu et entendu des choses.
CHAPITRE
3
MA VIE A ST-MAJORIQUE
1. La première année à St-Majorique.
2. Notre vieille maison et la vie familiale.
3. Ma mère, la besogneuse.
4. Mon père, l'homme à tout faire.
5. Péripéties d'Alcide.
La première année à St-Majorique
Premier voyage sur
la terre près de la rivière à St-Majorique.
Jean-Baptiste venait d'acheter cette terre au mois
d'avril 1923. Ce fut tout un voyage. Nous sommes
partis,
mon grand-père Clément, mon père
Jean-Baptiste et moi-même de St-Germain à 7 heures du
matin. Nous transportions un voyage d'engrais pour le jardin
de ma mère Anastasie; nous avions attelé le blond et la
brune (la brune était très rétive) et nous avions
11 milles à faire sur des chemins à moitié
neige à moitié terre; je me rappelle que c'était froid,
en bas de zéro degré Farenheit.
La brune arrêtait souvent et ne voulait plus partir; on courait
derrière le traîneau pour se réchauffer. Clément disait
en bougonnant: "Si ça continue, il va
falloir coucher en chemin." Toujours bien, à
7 heures du soir, nous sommes arrivés sur le côteau des Bonin, sans avoir bu ni mangé car mon
père pensait qu'on y serait rendu dans l'avant-midi.
Mon père dit: "Je vais vous faire des galettes pour
souper." Mais comme il avait oublié le sel et le soda, nous
avons mangé des galettes de carême.
Début sur la terre à
St-Majorique
Après avoir acheté quatre vaches et un peu de
machinerie, mon père Jean-Baptiste décida d'aller travailler à
Montréal.
Grand-père Clément me dit: "Tu es
assez savant, reste pour m'aider sur la ferme;
moi je ne suis pas capable d'écrire et de lire mais je
peux travailler quand même."
Comme mon cours scolaire était fini, je partis avec le
blond pour aller m'acheter une petite charrue ST-OURS à St-Edmond. Le
lendemain matin, je me suis mis à labourer une pièce
de terre. Le labour fini, je l'ai hersé et tout à
coup j'ai vu arriver grand-père dans le champ avec sa
semence; c'était dans un grand sac ou poche en jute attachée au cou
par une strape en cuir; il y avait une
ouverture pour prendre le grain d'avoine. Il lançait le grain en l'air et
le grain tombait égal sur le terrain,
c'était beau à voir. J'ai enterré le grain avec la herse à finir.
Grand-père a fait les rigoles et à la grâce de Dieu pour le
reste jusqu'au temps des récoltes.
En attendant la récolte des foins, on a fait toutes sortes
de travaux. Avec une digue grand-père a creusé des billots
pour faire des auges pour les vaches et pour les cochons car
jusque-là, on les faisait boire au sceau et long. Ces
râteaux avaient trois pieds de large, formés d'un grand bâton
au centre, renforcé par deux équerres pour le tenir droit;
les dents des râteaux étaient faites de bois de frêne et
mesuraient six pouces de long tout en étant distancées de trois
pouces chacune.
Quand arriva le temps de couper le foin et le grain,
grand-père et moi sommes partis aux champs avec une
petite faux sur le dos et on s'est mis à
l'ouvrage. Grand-père coupait jusqu'à six
pieds de large. A toutes les demi-heures grand-père affilait les faux et ça continuait. On ramarait le
foin et le grain avec des fourches et on faisait des vailloches.
Après l'avoir laissé sécher,
on l'engrangeait. Quand venait le temps du
battage, on étendait un pied d'épaisseur de grain sur
le plancher de la grange et on battait le grain avec le
fléau. Le fléau était fait de deux bâtons réunis au bout par
une charnière de cuir.
Le grain était alors séparé de la
paille et pour séparer le grain d'avec la balle on se
servait d'une vanne. Une vanne, c'était une boîte de quatre pieds
de large, de deux pieds et demi de
profond et de huit pouces de haut en forme de demi-lune.
En donnant des coups de genoux sous le fond de la
vanne, la balle volait au vent et le grain restait dans la vanne;
ensuite on empochait le grain et on le déposait
dans des carrés qui avaient déjà
été préparés dans le hangar. Plus tard on battait aussi
les fèves blanches (beans) et on les
triait au cours de l'hiver.
Le boeuf du père René.
En 1923, quand mon père acheta la terre à St-Majorique, il
y avait deux maisons séparées l'une de l'autre par un tambour
ou chemin couvert de quatre pieds de large par vingt pieds
de longueur. Il faisait noir là-dedans car il n'y avait
pas de châssis et les portes étaient pleines.
C'était épeurant de voyager d'une maison à l'autre. De plus,
une des maisons était bâtie cinq pieds plus bas que l'autre faisant
un angle de 12 degrés environ.
Après consultation avec mon père, ma mère et
mon grand-père, il fut décidé de lever et
d'approcher les deux maisons ensemble. Mon
grand-père, mon père et moi-même, avons défait le
tambour, avons levé la maison qu'on appelait
le bas-côté et l'avons installée sur des rouleaux.
Un jour, le boeuf du père René voulait
voir ce qui se passait; mais mon père, avec l'aide de Filou, lui
fit rebrousser chemin. Plus tard dans la soirée, alors
que tout le monde était couché, notre boeuf revint et cette fois-ci, il n'était pas
de bonne humeur.
Grand-père, Marcel et moi étions
couchés dans le bas-côté; mon père, ma
mère, ma grand-mère et tous les enfants
étaient couchés dans la grande maison. C'était une nuit chaude du mois
d'août; les châssis étaient ouverts; des voiles
faisaient office de moustiquaires. Il y avait
seulement une marche de huit pouces pour monter
sur le perron de quatre pieds de large.
Le boeuf s'était monté
les pattes d'avant sur les bras du perron et avait la
tête à deux pieds seulement du châssis de la
chambre où étaient couchés mon père et ma mère; il beuglait
et soufflait tellement fort que le voile volait au vent. Mon père
dit à ma mère: "Ne grouille pas." Il se
glissa à terre et à quatre pattes, il sortit de la
chambre, alla vers la cuisine; le boeuf le sentait et le suivait; nous étions tous morts de
peur en attente de voir si le boeuf allait
défoncer la porte de la maison. On appelait le
chien Filou qui tout d'un coup sortit de dessous
du bas-côté et encouragé par nos cris de manger le boeuf, se mit à pincer le boeuf aux argots. C'en fut fait pour nous; le boeuf se dirigea vers la grange de Henri Héneault.
Le père René qui était à la recherche de son boeuf ne fut pas content d'apprendre que son
boeuf était devenu enragé; il dut se
décider à l'abattre. Chez nous,
personne ne fut désolé de sa mort.
Chien Filou.
En 1923, mon père acheta un chien et oublia de
demander au vendeur le nom du chien. Alors, le
soir, pendant la prière, quand ma mère se mit à réciter les litanies
des saints et que nous répondions "priez
pour nous", voilà que le chien se mit à courir
dans la maison avec la queue en l'air. Quelle
distraction!
Après la prière, il y eut conférence et on baptisa le chien Filou. Il
n'était pas bon pour la garde mais avait la
qualité d'être bon pour les animaux et aimait
beaucoup à jouer.
On jouait à la cachette avec lui; un soir, l'oncle
Elzéar, prêtre curé, et frère de Jean-Baptiste, après avoir
renfermé le chien dans l'étable, s'assit dans la cour sur une
chaise après avoir laissé tomber sa soutane tout autour de la chaise.
On ouvrit la porte de
l'étable; aussitôt sorti, le chien se mit à tourner
autour de l'oncle Elzéar, se mit le museau sous la
soutane et c'en fut fait du ballon. On
jouait souvent à la balle avec Filou;
on lançait la balle dans la rivière; Filou se jetait à l'eau
pour la saisir et la ramener.
A cinq heures, on ouvrait la barrière de l'allée;
on lui disait: "Va chercher les vaches". Aussitôt
dit, aussitôt fait.
Un jour, il revint à la grange avec une couleuvre de trois
pieds de long; il l'avait saisie dans
sa gueule et l'avait secouée suffisamment pour qu'elle
soit tombée dans le coma.
J'ai pris la couleuvre, l'ai déposée autour de
mon cou et je suis entré dans la maison au moment où on
avait beaucoup de visite. J'ai déposé
la couleuvre sur le plancher et elle reprit
connaissance; cela créa tout un émoi; les enfants et
même les grandes filles montèrent sur la table et
se mirent à crier au secours.
Ma mère me regarda et me dit: "T'es mieux
d'y voir." J'appelai vite Filou; il saisit la couleuvre,
la secoua vigoureusement pour la rendre inerte et on est
sorti dehors avec. Malheureux Filou! Il était sensible
du coeur et se mit à vomir.
2. Notre vieille maison et la
vie familiale
En 1923, notre vieille maison avait un bas-côté qui
servait de cuisine en été, de "shop" à bois en hiver. Cette
maison avait de l'antiquité ainsi que le bas-côté. Nous avions
réuni les deux parties ensemble en 1923, mon grand-père et
moi-même. Oui! Ce fut tout un événement le mariage des deux
maisons. Elles avaient la même superficie mais étaient réunies un
peu en biais, le bas-côté étant situé à dix pieds plus
en profondeur. Les deux étaient faites en pièces de gros
bois avec des poutres à dix-huit pouces du
plancher; ces poutres servaient de tablettes de rangement.
La maison maîtresse avait une cuisine au
rez-de-chaussée qui servait aussi de salle à dîner et
de salon.
Au milieu, il y avait la table de 8 pieds
de long par 40 pouces de large; elle était couverte d'un tapis
ciré. En arrière de la table, il y avait un banc de 8 pieds; aux deux
bouts et devant la table, on avait des chaises empaillées par grand-père.
Il y avait aussi un beau poêle noir avec
réchaud et batteur. Derrière le poêle,
il y avait une grande tôle trouée pour réchauffer
les deux chambres. Pour en-haut, la chaleur montait par le
trou de l'escalier; il y avait aussi une tôle
trouée autour du tuyau pour donner de la chaleur.
Puis juste à côté, c'était
le vaisselier de 6 pieds de haut. Sur
ce vaisselier, il y avait le fer à repasser qu'on
faisait réchauffer sur le poêle; il y avait aussi la lampe à
l'huile qui allait faire son tour sur la table tous les soirs.
Suivait la boîte à bois juste
avant d'arriver au bas de l'escalier
où l'on voyait aussi la planche à repasser.
De l'autre côté du poêle, ça donnait sur la
chambre de mes parents où prenaient place leur lit, le
bureau, la commode, la vanité, la garde-robe,
le berceau du dernier; de là on passait
dans la chambre de grand-mère.
Disons en passant que dans chaque
pièce, il y avait un crucifix, un rameau béni
en sapin, une bouteille d'eau bénite fixée au
cadrage de la porte, de sorte qu'en entrant on se
signait; pour que l'eau reste toujours bénite, on remplissait les
bouteilles avec de l'eau de pluie avant que l'eau bénite ait
été toute utilisée; l'eau demeurait ainsi toujours bénite.
Grand-mère Mathilde avait sa chaise berceuse
dans l'entrée de la porte de la grande chambre
avec son tricot en mains. Elle tricotait beaucoup de
mitaines, de bas et de sous-vêtements avec la laine du pays. Parlant
de grand-mère, comme elle avait du trouble avec
la circulation du sang, c'était mon
ouvrage de lui frotter les jambes tous les
soirs avec des linges en toile du pays; elle
m'avait donné son rasoir-râteau dont elle se servait
pour se faire la barbe.
Mon héritage a été fait de ce rasoir et des prières
qu'elle récitait à coeur de jour
dans la joie. Quel coeur elle avait
cette grand-mère! Elle était faite de
charité, d'espérance et de foi.
Au mur de la cuisine, il y avait une niche où
trônait un beau Sacré-Coeur. Je vois
aussi dans mon esprit une belle horloge
de cent ans auprès du Sacré-Coeur; elle
sonnait aux heures et aux demi-heures; avec elle, papa et maman savaient
à quelle heure nous rentrions de veiller.
A côté, c'était la Sainte Famille
encadrée; n'oublions pas la belle croix noire
au-dessus de la porte d'entrée. Finissons
en parlant du miroir situé à côté du poêle, miroir
soutenu par un collier doré auprès duquel il y avait les fameuses
allumettes de cèdre de 18 pouces de long. On
prenait le feu à la targette du poêle pour
allumer la lampe à l'huile et les pipes. En
effet, ça fumait; à part la visite, tous
les hommes de la maison fumaient
la pipe; elle absorbait
malheureusement plus de boucane; c'était nécessaire à
une mère de famille.
C'est par l'escalier à bascule qu'on montait
au deuxième où il y avait les chambres des
enfants. Dans l'escalier, il y avait des barres de bois
après le mur avec des bons crochets;
souvent ces crochets avaient un voyage sur
le dos. Quand il faisait trop froid le
jour, on fermait la trappe d'escalier faite avec un cadrage
de pin et recouverte avec du linge ciré; quand il
faisait trop chaud, on ouvrait la trappe.
Dans la grande pièce, il y avait deux châssis
français, un derrière la table et l'autre sur le
mur adverse au-dessus de l'évier. Sur le mur opposé au
poêle, il y avait le portrait du Pape Pie X; suivait la porte pour
aller dans le bas-côté. A côté de cette porte, il y
avait un rouleau en bois auquel était enroulée la serviette de
6 pieds faite en toile du pays qui servait à se sécher les
mains.
Trônait ensuite un joli secrétaire; c'était un
meuble dont la porte suspendue à des chaînes servait de table
pour écrire; la porte étant ouverte, on voyait trois
tablettes de paperasse, papier à écrire, encrier,
crayons, enveloppes, livres de commandes, livre
de chèques, etc. etc... Sur la tablette du haut,
c'était la place pour les pipes et le pot à tabac
de grand-père; la tablette du bas servait de
bibliothèque.
Au mur qui donnait sur le derrière de la maison,
se trouvait un évier équipé d'une pompe à
la main avec chaudière au bec. Le renvoi d'eau, c'était une
boîte de bois qui déversait son contenu
dans le fossé derrière la maison. Sur une petite tablette
près de l'évier, reposaient le verre à
eau et le savonnier avec son gros
bloc de savon pur qu'on appelait savon
du pays.
Quand quelqu'un entrait ou sortait par la porte de
derrière entre l'évier et l'escalier, grand-père se
levait en faisant attention pour ne pas renverser
son crachoir et il avançait sa chaise.
La première marche de l'escalier était une fausse
marche; elle avait un trou et une trappe; on
l'appelait la trappe au chat; pour sortir, le chat poussait
sur la trappe avec sa patte;
j'aurais aimé connaître le patenteur de cette trappe; je lui aurais soulevé mon
chapeau en son honneur.
Quand ma mère entrait son moulin à
laver, son panier de linge sale, sa cuvette qu'elle
déposait sur une chaise sans
dossier, elle voyageait du poêle à l'évier pour avoir
de l'eau tout en s'occupant de préparer les repas; souvent
il y avait quelqu'un pour la déranger, à savoir Filou
et notre chatte d'Espagne.
J'oubliais la descente de la cave;
c'était une trappe au plancher ayant un anneau
encastré dans un cercle du plancher; on s'en servait
pour ouvrir la trappe. Grand-père était le
gardien de la trappe afin que personne ne tombe dans la cave; la
trappe était située juste devant sa chaise berceuse. La
cave avait quatre pieds de profond avec des
tablettes pour les cannages de ma mère, le sirop
d'érable, la grosse boîte de tabac et le grand carré à
patates; on y trouvait aussi assez souvent de petites
bouteilles de vin; on était obligé d'y circuler à
quatre pattes.
Le haut de la grande maison était
divisé en deux parties. Dans la première chambre
à côté de l'escalier, il y avait une couchette
de 8 pieds de long et de 4 pieds de large avec des côtés solides de
18 pouces de haut et des barreaux carrés; dans cette
couchette, trois garçons couchaient, deux à la
tête et l'autre au pied. Ecartant une division de linge, on arrivait au
lit des filles; elles y étaient trois aussi; elles
avaient un bureau, une commode et une garde-robe en carton.
A la tête de l'escalier, à droite, une porte donnait sur
la deuxième chambre avec plafond oblique parallèle à
la ligne du toit; sur toute la longueur du mur gauche,
il y avait un cabano de trois pieds de profond; plus loin, sur l'autre mur, il y
avait le cabano à débarras où
il faisait noir comme sur le diable; dans
cette chambre, il y avait un lit double dans
lequel mes deux petits frères rêvaient aux anges, mais
seulement quand ils dormaient; mon lit à moi était là aussi.
Du côté nord de la chambre, une porte donnait sur
une pièce cachant une boîte spéciale. En
ouvrant ses deux couverts, on
trouvait à l'intérieur une chaudière et un bout de tuyau qui
était relié au haut de la cheminée en guise de ventilation. Tous les
jours, grand-père vidait la chaudière et réclamait
que c'était son ouvrage à lui; à côté de la toilette, dans une
petite boîte, il y avait des feuilles
de l'Action Catholique coupées en petits rectangles de
4 à 5 pouces; ce papier, un peu plus doux que le
papier sablé, avait une utilité irremplaçable.
Un soir, mon père dit sans rire car il riait presque
tout le temps: "Demain matin, je ne vous
réveillerai qu'une seule fois." A vrai dire, il
arrivait qu'on aimait faire la paresse le matin. Tous les
matins, mon père venait faire son petit tour
derrière la porte sur les toilettes; la porte le
cachait; il lâchait un gros "pet". Moi je
dormais aux aguets; mais un matin, réagissant à son signal,
je sautai en bas du lit, m'habillai vitement
et descendis en bas; en regardant l'heure, je remontai donc
me coucher et mon père riait aux éclats derrière la porte.
Un soir, revenant de veiller, Marcel prenait
plaisir à faire prier Bernard. Se souvenant que ma mère
avait dit que trois avés avant de
s'endormir nous conduisaient direct au ciel, il
frôlait l'épaule de Bernard en disant: "Les
entrailles est béni."
Et Bernard de répondre le "Sainte Marie Mère de Dieu"; et
Marcel de recommencer son petit jeu. Cela
nous donnait des distractions de temps en
temps. Je crois que le Bon Dieu devait rire un
peu avec nous autres.
Comme je travaillais assez sur la ferme,
le dimanche, après la veillée, je me mettais à genoux pour mes
prières; souvent je dormais à genoux appuyé sur mon lit le
restant de la nuit. Un soir, par un beau soir d'été, ayant
veillé un peu trop tard, je
m'endormis dans la grange; le "blond"
était en train de manger de l'herbe tout près.
Une fois, mon père avait traversé la rivière pour
aller à St-Joachim en chaloupe car il ne savait
pas nager. Bernard demanda à ma mère où était parti son
père. Quand il entendit dire St-Joachim,
il pleurnicha: "Moi aussi, je veux y aller au ciel".
Devant le perron de la grande maison, ma mère
semait des concombres rameurs; aimant les fleurs,
elle se faisait un beau rond de fleurs mélangées devant la maison.
Je ne peux oublier la petite bâtisse à
l'autre bout du jardin ayant siège à deux trous; il
fallait y penser d'avance pour avoir son tour; cela arrivait
souvent qu'il fallait se serrer les deux jambes surtout
durant les pluies du mois de novembre.
On n'était pas gâté par l'électricité. Quand ma mère
faisait son lavage en hiver, elle étendait son linge
dans le bas-côté pour le faire geler; ensuite
elle le rentrait dans la maison pour faire sécher.
Et si on passait dans le bas-côté. Dans
la première pièce, la principale, il y avait du côté sud un grand
châssis de cinq pieds carrés avec pentures ouvrant par le
haut, avec un voile pour empêcher les
mouches d'entrer. Du côté nord, il y avait des châssis
français sous lesquels il y avait la meule
à l'eau pour aiguiser les faux, un établi; en sortant sur le
perron, on était à portée du puits. En montant
dans le haut du bas-côté, il fallait faire attention pour ne pas
tomber tellement il y avait de choses sur
les marches. Le grenier était rempli d'antiquités de
toutes sortes; il fallait mouver plusieurs articles afin de pouvoir
traverser l'appartement; on y retrouvait deux lits avec
paillasses qui servaient à grand-père, Marcel et moi-même
quand il y avait de la visite; il arrivait même que mon
père couchait sur la table sous nous quand les lits
manquaient surtout pendant le temps des Fêtes.
En redescendant, on pouvait se rendre jusqu'à la cave qui
servait de débarras.
Au premier, il y avait une autre pièce, plus petite, on
y accédait en montant quelques marches, le
linge journalier y était accroché. On y
trouvait le séparateur pour ôter la crème dans le lait,
le coffre d'outils de grand-père, le 100 livres
de farine de sarrasin, le corps de lard salé, le
panier de linge sale, une valise de linge usagé,
plusieurs tablettes faisant le tour de la pièce pour recevoir
un peu de tout; la chaudière à saindoux
devait être enjambée tellement il y avait peu de place à
circuler.
Un Jean-Baptiste enjoué
Quand arrivait le temps de faire le train,
mon père disait devant les enfants: "Viens Alcide,
on va aller tuer le veau." L'étable s'emplissait mais il n'y
avait pas de veau à tuer.
Une fois, les enfants décidèrent de faire
un pique-nique près de la rivière; une de
mes cousines dit: "Je vais tout préparer".
Mon père, ayant trouvé une bouse de
vache sèche, l'enveloppa dans un papier soie et l'envoya
porter à la rivière pour le pique-nique avec le message suivant:
"Dis à ta cousine de l'ouvrir seulement
pour le dessert." Il était content de lui
avoir joué un tour.
Une fois, en visite chez Wilfrid à
Montréal, en arrivant au logement de Wilfrid, il laissa
ma mère sur le trottoir le temps supposément de rentrer au
dépanneur situé au premier étage pour
s'acheter un cigare. Il monta au logement par
l'intérieur et se rendit sur le perron pour dire à ma
mère: "Qu'est-ce que tu fais là sur le trottoir, monte en haut
avec moi."
Ma mère me conta aussi qu'une fois pendant
leur séjour aux Etats-Unis, c'était un soir et
il voulait l'embrasser; alors les deux couraient autour de
la table. Soudain quelqu'un frappa à la porte;
mon père lâcha alors un gros "pet" puant et
alla se cacher derrière une porte. Ma mère dut aller répondre à la
porte en se disant: "Comme j'ai
honte."
Un de mes frères étant à l'hôpital, avait
été opéré pour l'estomac; comme il était sur les soins
intensifs, l'infirmière ne voulait pas laisser entrer mon père dans
la chambre. Mon père lui dit: "Demandez à mon garçon sur
quel "rollway" qu'il a mis le
"cantouque"." Elle
répondit: "Je ne comprends rien à cela. Allez lui demander,
mais faites vite."
En 1936, mon père et moi étions allés à la ville pour faire des commisssions. J'ai dit à père: "Venez avec
moi, je vais vous payer la traite." Il me répondit: "OK, je
vais y aller mais remarque bien, c'est
parce que tu es parti de la maison et que je n'ai
plus à te donner l'exemple de la bonne conduite."
Quand nous allions à la messe, on avait des places
réservées dans la voiture; en avant, pour mon père, ma mère
et le bébé du temps; en arrière, tous les autres enfants.
Mon père aimait beaucoup chatouiller ma mère sur les
genoux; il avait les yeux pétillants dans ce
temps-là. Ma mère lui disait: "Prends
gare à toi, les enfants vont te voir faire."
Mon père aimait beaucoup les enfants; il ramassait
de gros sous; autrefois les sous étaient de la
grosseur des cinquante sous. Il appelait les enfants au Jour de
l'An et frondait les sous dessous la table; il était content
de voir les enfants à quatre pattes ramasser les sous.
Mon père a travaillé un peu à la
poudrière de Drummondville. Cette ville comptait
3 à 4 mille habitants dans ce temps-là
et c'était intéressant à visiter. Nous étions partis,
la famille (père et mère et les 5 enfants) pour visiter
cette fameuse poudrière; comme il faisait chaud, papa arrêta le
blond devant un restaurant.
Il commanda de la crème à la glace pour tout le monde;
nous les enfants, nous ne connaissions pas cela;
faisant la bouche fine, nous avions refusé de manger
cela. Alors papa et maman ont mangé nos portions. Papa soupira:
"Moi qui pensais leur faire plaisir." On était,
comme on le dit en "canayen"
des "niaiseux".
FETES ET LOISIRS
Un Noël traditionnel de 1924
A Noël, mon frère Marcel et moi-même avons eu
le plaisir d'avoir été élus pour faire des bergers avec une dizaine
d'autres garçons de la paroisse. Dans ce temps-là, le
prêtre était obligé de chanter trois messes: la
première à minuit, la deuxième (de l'aurore) et la
troisième (du jour). Pour nous les bergers,
c'était après la messe de minuit que le bal commençait; nous
étions cachés dans l'escalier et les anges attendaient
dans la sacristie. Tout à coup, les anges
se mirent à chanter: "Réveillez-vous." Nous
les bergers, on sortit de notre cachette en
chantant: "Réveillons-nous." Nous marchions dans la
grande allée en route vers la crêche pendant que les anges entraient
dans le choeur. Assemblés autour de
la crêche, avec nos habits de
peaux et nos étoles de couleurs vives et nos cannes, nous
avons échangé des cantiques avec les anges vêtus de belles robes
blanches et d'ailes dorées.
Un jour de l'An traditionnel
C'était une grande fête pour les parents
et les enfants. Le matin, en se levant, on
courait pour recevoir la bénédiction paternelle. Puis
dans nos bas suspendus à une corde au milieu
de la cuisine, on trouvait une patate, deux
candies enveloppés dans du papier de
gazette. Les plus vieux y trouvaient aussi un vêtement de linge.
Dans le courant de la journée, la
parenté arrivait pour nous souhaiter une bonne et
heureuse année. La mère sortait tout ce qu'elle avait préparé
depuis des semaines; elle avait assez de provisions
pour nous bourrer tous pour le dîner et le souper.
Quand arrivait la veillée, la maison était pleine à
craquer. Les petits enfants avaient hâte que leur
tour arrive pour déclamer une récitation, d'autres étaient
renommés comme chanteurs; pour les plus vieux,
c'était surtout le temps de goûter au p'tit
blanc, récits, chants et p'tits coups réveillaient les
esprits et d'heureux souvenirs se gravaient dans nos têtes.
Souvent le dimanche soir, après souper, on allait
chercher dans le cabano le
tourne-disque (on disait le graphophone) avec
son grand entonnoir et ses "records"; c'était un
grand plaisir de le faire jouer et ce soir-là on se couchait très tard.
Des soirs, on jouait aux cartes,
d'autres soirs, on chantait; souvent aussi c'était le
soir des farces et c'est Marcel qui commençait le bal le plus souvent.
Le samedi soir, la famille avait une petite
tradition. Papa attelait le "blond" sur la
voiture à deux sièges. Maman faisait passer les
enfants dans la cuvette qui servait de baignoire, elle leur mettait
leur jaquette afin qu'ils soient prêts à aller à
la couchette au retour. Puis on embarquait
tous dans l'express pour aller faire un
tour de voiture. En chemin on faisait la prière du soir avec un peu de
distractions bien entendu.
Tous les dimanches, Jean-Baptiste sortait sur le
perron de l'église pour avoir des nouvelles
paroissiales et assister à l'encan
qui se faisait pour les âmes du purgatoire; il s'y
vendait toutes sortes de choses: cochons de lait, volailles, veaux,
mitaines, bas de laine, etc, etc... Ensuite,
il entrait de nouveau dans l'église pour
faire le chemin de la croix. Il revenait dîner à la
maison et vite retournait à l'église pour les vêpres
qui avaient lieu à deux heures donnant ainsi l'exemple
de sa foi à sa famille. Je n'ai jamais entendu
blasphémer grand-père, grand-mère ou père. C'était
vraiment du bon monde.
Un jour, Jean-Baptiste dit à Alcide: "Ce
soir, c'est dimanche et je ne veux pas te voir aller
à l'étable pour faire le train. Pour ta première
blonde, tu vas te faire gâter." Puis il s'adressa à Marcel: "Vas atteler le blond" qu'on appelait Pat,
prends les grelots que tu poseras après le travail du
traîneau; tu sortiras la robe de carriole neuve et tu amèneras la
carriole à Alcide devant la porte de la maison."
Un autre jour, il dit à Alcide: "Tu auras
l'air d'un homme quand tu fumeras." Il n'avait pas
besoin de dire cela à Marcel qui déjà fumait en cachette, il
prenait la pipe de grand-père Clément assez souvent
pour se régaler; à huit ans, grand-père Clément
lui avait donné une pipe en plâtre et Marcel fumait en se
rendant à l'école. Une fois à l'école, Marcel fumait pendant
la récréation; il s'était caché avec un copain
dans la chède; les filles, voyant
sortir la boucane par les fentes de la chède, sont allées avertir la maîtresse.
Marcel, ayant senti la soupe chaude, avait eu le
temps de cacher sa pipe dans ses culottes pouffantes (golf) avec sa blague et ses alumettes. La maîtresse commença par fouiller l'autre
garçon qui avait des petites culottes courtes au-dessus
des genoux; il n'avait pas de poche
et seulement une petite fente dans le côté
attachée avec un seul bouton. Marcel riait et nous
disait: "Devinez donc ce que la
maîtresse a trouvé en défaisant
le bouton..."
3. Ma mère la besogneuse
L'alimentation
Dans le temps de la crise ou de la
dépression, le matin, après avoir récité l'Angelus, ma mère nous servait des crêpes
blanches avec de la mélasse; après le
déjeuner, avant que personne ne sorte de la maison, c'était la
prière en famille.
Le midi: l'Angelus, la soupe aux pois
cuite avec un gros morceau de lard salé; comme
le beurre était rare, c'était du saindoux qu'on
mettait sur le pain ou les tartines; des fois, on y ajoutait un peu de
sucre blanc, question de se changer du dessert
quotidien: la mélasse. Le soir: l'Angelus,
de la galette ou des crêpes au sarrasin; pour le
dessert, c'était une assiette à soupe de gruau clair,
cuit avec le petit lait écrémé.
J'achetais un gallon de mélasse par semaine;
souvent avant la fin de semaine, il n'y avait plus de
mélasse.
Le poisson était au menu de chaque
vendredi et pendant l'Avent, le Carême en plus des
jours de jeûne.
On mangeait de temps en temps du boeuf le dimanche midi et de la fricassée le
soir; c'était une surprise de pouvoir
manger un dessert spécial le dimanche soir.
Quand il y avait une fête personnelle, pour remplacer le gâteau,
on mangeait de la bonne "poutine chômeur" ou de la
"poutine aux pommes".
Pour les fêtes, ma mère faisait des galettes
à la crème avec un peu de sucre dessus. Une
année, elle les avait cachées dans le cabano; comme j'avais un bon sentiment,
j'ai trouvé sa cachette et tous les jours j'allais me
chercher une galette. Un jour, ma mère s'aperçut
que ses galettes disparaissaient et convoqua Simone,
Marcel et moi-même; ce fut une conférence de
galettes. Je fus découvert à cause de mon incapacité de mentir.
Une fois Marcel a eu une
petite aventure. Ma mère lui avait dit: "Va au
puits chercher la saucisse sur la tablette, je vais en
faire cuire pour le dîner." Comme Marcel
avait échappé la saucisse au fond du puits. Grand-père alla
chercher une pompe et vida le puits;
ainsi la saucisse fut récupérée
et le puits bénéficia d'un bon nettoyage.
Tous les samedis matins, ma mère
préparait le pot de beans. Elle lavait les beans et
en remplissait le pot aux trois quarts sans
oublier d'y déposer un beau morceau de lard salé avec la
couenne. Elle nous demandait à Marcel ou à moi d'aller porter
le pot chez le boulanger. Le boulanger
remplissait le pot d'eau et le déposait dans son four à
pain pour la cuisson jusqu'au lendemain matin; après la
messe, en revenant à la maison, nous
ramenions le pot de belles beans dorées.
On lui faisait honneur au déjeuner quitte à avoir de la
somnolence pendant la messe de 9 heures et demie pour ceux
qui y retournaient.
Le pain
Ca prenait trente-trois pains par
semaine pour nourrir la famille. Le lundi matin, ma mère
faisait cuire six patates moyennes, les déposait dans une grande
chaudière de cinq gallons avec l'eau de la cuisson; elle y ajoutait
deux carrés de deux pouces de ferment et une poignée de sel. Après
avoir mélangé le contenu, elle déposait la chaudière
sur le réchaud du poêle et laissait le tout fermenter
toute la journée.
Après le souper, commençait mon ouvrage de boulanger; je
déposais cinquante livres de farine dans la
huche, prenais la chaudière qui était pleine de
fermentation et la vidais dans la
huche. Là je pétrissais la pâte jusqu'à ce qu'elle
ne colle plus aux mains. Ensuite je déposais le couvert
dessus pour mettre fin à mon ouvrage.
A quatre heures, le lendemain matin, ma mère était déjà
debout; elle graissait trente-trois moules à pain, se rendait
près de la huche qui était sur la table; elle
enlevait le couvert qui était soulevé à
quatre pouces au-dessus de la huche. Elle déposait la
pâte sur la table et la divisait en
trente-trois morceaux, la pétrissait de
nouveau avant de la déposer dans les moules. La pâte
levait jusqu'à quatre heures de l'après-midi, moment où la cuisson
commençait; la dernière fournée sortait du
fourneau après huit heures du soir. Alors ma
mère couvrait les pains frais avec un grand drap blanc. Le lendemain
matin, elle rangeait les pains dans la
laiterie et la semaine suivante, la même opération
recommençait.
La saucisse et le boudin de maman
Pour faire sa saucisse, maman utilisait les boyaux des
intestins du porc; pour faire son boudin, elle prenait
les boyaux des instestins du boeuf.
Le boyau, séparé de la panse, du colon ascendant et
de l'estomac, était déposé dans une cuve à
demi-remplie d'eau; il fallait glisser le pouce et l'index sur le
boyau afin de le vider de son contenu;
ensuite, il fallait trouver le moyen de virer le boyau
à l'envers; on y arrivait à l'aide d'une grosse épingle à
sûreté sur laquelle on enroulait peu à peu l'intérieur du boyau; on
procédait ensuite au nettoyage complet en se servant du dos d'un
couteau; on le lavait, on le rinçait et ensuite on le
remettait à l'endroit selon le même procédé.
Puis, on attachait solidement un bout avec de
la ficelle; on le gonflait d'eau claire par
l'autre bout; c'est par ce procédé qu'on voyait s'il
était étanche; si non, on coupait le bout
troué et on recommençait. Le boyau était alors prêt à
être installé au bout de l'entonnoir du
moulin à hacher la viande.
Maman préparait sa viande à saucisse: du maigre
de lard, un peu de veau, des épices, sa
petite touche personnelle qui demeurait son secret. On
procédait alors au remplissage; on s'y mettait à
trois: l'un tournait la manivelle, un autre fourrait la viande dans
le moulin et le troisième faisait des
noeuds dans la saucisse
à tous les cinq pouces au fur et à mesure
qu'elle se remplissait. Il ne restait qu'à la faire cuire et
à la manger.
Pour le boudin mêmes opérations; il était
cependant composé différemment: sang de porc,
lard haché maigre, épices et une autre petite touche personnelle.
C'était toute une corvée quand arrivait le temps de la
saucisse et du boudin. Ma mère prenait toujours la
tâche la plus ardue, celle du clinage,
du lavage et du rinçage du boyau. Nous les enfants, on lui levait
notre chapeau.
Le grand ménage
Parlons pour commencer des paillasses. C'était des
sacs en forme de poches avec une ouverture au
centre et un rabat avec bouton et boutonnière
pour tenir l'ouverture fermée.
La paillasse était remplie de feuilles
blanches de maïs. Quand on faisait le lit, on
brassait les feuilles pour rendre la paillasse
plus souple.
Ces paillasses faisaient cric crac
croc!!! Les parents n'aimaient pas cela car cela
pouvait troubler le sommeil des enfants, leur faire faire des
cauchemars et perdre leurs "rêves aux
anges". Sans radio, sans télévision, de téléphone,
la vie était calme et les rêveurs s'amusaient à
découvrir ce qu'il y avait sous les
feuilles de choux.
A l'automne quand on
faisait l'épluchette de blé d'Inde, on vidait les
poches de blé d'Inde au milieu de la grande pièce du
bas-côté. On mettait des chaises autour et tout le
monde plumait du blé d'inde. Celui qui en
trouvait un rouge avait le droit d'aller embrasser la fille
qu'il trouvait de son goût car il était nommé
Roi; de même si c'était une fille qui faisait la trouvaille,
c'était permis d'aller embrasser un garçon.
Ma mère demandait de séparer les
feuilles blanches des autres; les blanches étaient
séchées et la mère les utilisait pour remplir
les paillasses quand elle faisait son grand ménage.
Quand arrivait le temps de tuer les volailles,
on leur coupait la tête sur une bûche avec une hache;
on transportait les volailles mortes à la maison pour
les ébouillanter et les plumer. On gardait les meilleures
plumes; après les avoir séchées, on les groupait en plumards qui
servaient à l'époussettage. On conservait
les plus belles plumes pour écrire.
Les pattes de lièvres et de lapins
avaient aussi leur utilité; après qu'on eut
recouvert le poêle de fonte d'une couche de
cire, on se servait des pattes pour l'astiquer et le faire briller.
4. Mon père, l'homme à tout faire
Le rouleau à neige de mon père
Dans les années 1923 à 1930, mon père a été nommé
inspecteur des chemins pour le premier rang
et la route pour aller jusqu'au village à
partir du deuxième rang.
Alors, il s'est fabriqué un gros
rouleau car dans ce temps-là on utilisait des
rouleaux pour fouler la neige dans les chemins. Son rouleau avait 5
pieds de haut et 10 pieds de large et il était formé de 3 grosses
roulettes reliées par un essieu. Ces roulettes étaient
installées sur des bouchinnes d'un rack
au centre duquel était greffée une togne.
Les roulettes de bois étaient retenues par des cerceaux en métal
vissés au bois à tous les 2 pouces.
On n'avait pas été toujours capable de trouver un employé pour
rouler les chemins; alors pendant de nombreuses années, c'est
moi qui me tapais la job au coeur des tempêtes.
La glacière
En 1924, pour faire sa glacière, mon père
s'était acheté une tonne de mélasse vide pour
cinq dollars; dans le côté de la tonne, il perça un
trou de 18 pouces de diamètre; cela servait d'ouverture
et de porte.
Au commencement de décembre, un soir mon père versa
un seau d'eau dans la tonne. Le lendemain, il tourna un peu la tonne et
vida encore un seau d'eau. Quand il eut fait
son petit jeu assez longtemps, il se retrouva avec une
glacière dont la couche de glace avait bien de
6 à 8 pouces d'épaisseur.
Ensuite il fit un grand trou dans le carré de
foin y déposa la glacière et la recouvrit de foin en prenant
soin cependant de laisser libre l'espace pour mettre la
porte. Cette porte était recouverte d'un lot de
couvertures et de catalognes.
Quand il faisait boucherie, la semaine avant Noël,
il débitait la viande dans le bas-côté, il
la faisait geler,
l'enveloppait morceau par morceau et allait la déposer dans la glacière.
Il ouvrait la glacière seulement une fois par semaine
pour prendre de la viande; il venait
déposer ce paquet de viande sur la tablette du puits qui servait de
frigidaire.
Dans le haut du carré du puits, il y avait un
vireveau alimenté à la main avec une
poignée. Après le vireveau, il y avait une
chaîne qui soutenait trois chaudières que l'on
descendait dans l'eau pour conserver
les aliments frais mais pas congelés.
Mon père avait une autre sorte de
glacière; c'était de la viande enterrée dans le
carré de grain.
Une année, on avait eu un temps très doux et la
viande ne pouvait pas geler. Ma mère avait installé tous ses chaudrons
pour faire cuire la viande avant de la perdre, et
elle nous avait mis à la prière pour avoir du
temps froid.
La jambonnière
En 1924, mon père a
fait une jambonnière;
c'était une petite bâtisse de trois pieds de carré et de 8
pieds de haut avec un ventilateur sur la couverture. La
bâtisse avait deux portes sur la devanture; celle du haut mesurait
2 pieds par 3 pieds; celle du bas mesurait 2
pieds carrés et était en plus munie d'une
targette pour contrôler l'air.
Il y avait quatre crochets installés au plafond pour
recevoir la viande qu'on voulait jambonner;
généralement c'était une fesse, une épaule et une partie du côté à
partir duquel on faisait le bacon.
Alors mon père faisait de la saumure légère
qu'il déposait dans une cuve de bois; il
enveloppait sa viande dans du coton à fromage et
la faisait tremper dans la saumure toute la nuit.
Le lendemain matin, il accrochait la viande au plafond de
la jambonnière. Il allumait un
petit feu pour avoir du charbon de bois.
Et là il mêlait la braise à
des copeaux d'érable, à des épis de blé d'Inde séchés
et à des épluchettes pour donner un petit goût sucré au
jambon. On regardait sortir une petite
boucane par le ventilateur; ça
prenait une semaine à jambonner.
Le fourrage vert
Un été, mon père avait décidé de faire du fourrage vert
pour ses vaches. Il sema de l'avoine avec des
pois après avoir engraissé une pièce
de terre neuve. L'avoine et les
pois poussèrent et la récolte fut très belle.
Avec son moulin à faucher, mon père coupa
la récolte, la laissa faner et l'entra dans le carré de
la grange. Une semaine plus tard, il s'aperçut
que la vapeur montait de 2 à 3 pieds de haut au dessus du carré. Il alla chercher son
gros cheval brun, lui fit fouler la récolte
et la vapeur disparut. Il répéta le même manège pendant
plusieurs semaines et le fourrage vert fut réussi.
L'année suivante, il acheta un silo en lattes de
bois semblables aux lattes de clôtures à neige;
il y fit ensiler son blé d'Inde et son fourrage vert. C'était
son premier silo et les vaches
donnèrent beaucoup de lait.
Moulin à battre le grain
En 1930, mon père acheta son premier moulin à
battre ainsi que le pont roulant de chevaux à
vapeur. Le pont était fait ainsi: sur un angle de
trente degrés, le plancher, assez grand pour
entrer deux chevaux, était fait avec du hêtre
de 2 pouces par 8 pouces et par 6 pieds de long; le plancher
était déposé sur des chaînes qui fonctionnaient sur des
roues de métal fixées à tous les 8 pouces de chaque côté. Le
pont avait des gardes sur les côtés et sur le devant.
Après que les chevaux étaient montés sur le pont,
on installait une barre en arrière pour les empêcher de
sortir. Il y avait une grande poulie de 5 pieds après
le pont roulant et une autre plus petite après le moulin à
battre; elles étaient réunies ensemble avec une courroie de
cuir. Les chevaux étaient ferrés à piton carré et
par la force de leurs jambes ils faisaient fonctionner le pont.
Grand-père faisait manger le moulin avec
le grain que je lui donnais en
provenance du carré à grain; mon père avait soin du
crible et des poches et Marcel recevait la paille en
arrière. De temps en temps, grand-père nous payait la traite
avec du tabac à chiquer à la mélasse. Pour arrêter le
moulin, il fallait arrêter les chevaux avec une grande barre
de bois d'orme installée au pont; on
mettait une pression de la barre sur la courroie de
cuir en disant: "Woh! Woh!." Les chevaux
arrêtaient.
Les cochons et la boucherie
Une année, Jean-Baptiste avait élevé deux
truies qui ont eu chacune une portée de huit cochonnets; ça
en faisait 16 à part ceux qu'elle avaient mangés; sur les 16,
il y avait 10 mâles; on en garda un pour l'encan
à la porte de l'église. On les appelait petits
cochons de lait car à quatre semaines, ils
étaient déjà sevrés.
Jean-Baptiste castra les 9 autres mâles et trois mois
plus tard, avant de partir travailler à Montréal, il
dit à Alcide et Marcel: "Vous nettoierez les cochons cette
semaine et les mettrez dans l'enclos."
Alors, le lundi matin, Alcide et Marcel se rendirent à la
porcherie. Alcide avait les pinces et les anneaux, c'est Marcel qui
avait la job de tenir les cochons le temps qu'Alcide
leur passe l'anneau au nez; on passait cet anneau au
nez des cochons pour les empêcher de fouiller le
terrain. Un cochon de quatre mois était très difficile à
tenir. Marcel ricanait: "Fais attention pour ne pas
te tromper." De temps en temps, il était sous le
cochon. Imaginez, c'était difficile de le reconnaître...
Le cochon de boucherie
Une année, on avait tué un cochon qui pesait six
cent cinquante livres; c'était un cochon engraissé aux épis de blé
d'Inde; il avait été castré à 3
semaines et enlainé; on
l'avait mis au clos près de la grange. On lui
donnait de l'eau de vaisselle pure non savonnée, on y
ajoutait un peu de son. Le cochon
mangeait de l'herbe dans le pré, comme les vaches. Il passait
l'hiver dans l'étable, au printemps on le remettait au clos. Au
mois d'août, le cochon était devenu très long et maigre; alors
on le rentrait de nouveau dans
l'étable et on s'installait dans une stalle d'un pouce
plus large que lui et de douze pieds de long;
à chaque semaine, on élargissait sa
stalle d'un pouce; on faisait cela dans le
but de l'engraisser pour les Fêtes. Il mangeait jusqu'à 100
livres de farine de cochon par repas ainsi que trois épis de
blé d'inde. Il mangeait, il dormait et faisait...
Boucherie
Jean-Baptiste faisait boucherie tous les
ans, la semaine avant Noël. Il disait: "Allez placer le vire-veau en
place." C'était un billot de 8 pouces qui était
sur les poutres à 6 pieds; au bout de la poutre,
il y avait deux morceaux de bois cloués ayant 8
pouces entre pour recevoir le billot; dans le bout du billot,
il y avait des trous de 2 pouces pour
recevoir des perches; ces perches servaient à tourner
le vire-veau. Au centre il y avait une chaîne avec crochet
pour attacher l'animal. On tournait le vire-veau chacun notre
tour et l'animal montait dans les airs; dans
cette position, on pouvait le plumer, l'éventrer et le laver.
Grand-père Clément avait peur du
sang; alors, Jean-Baptiste faisait la
saignée et Anastasie, ma mère, avec la poêlonne et la chaudière, cueillait le sang pour faire son
boudin des fêtes.
Ensuite, il fallut ébouillanter notre cochon afin
de lui ôter les soies; on fit bouillir de l'eau dans un grand
chaudron et on la déposait dans une auge nommée foulon; il fallait
que l'eau soit assez chaude pour qu'on ne soit pas capable d'y
tremper les doigts plus de deux fois. On déposait les chaînes
dans le foulon en laissant retomber
les bouts hors du foulon; on déposa le
cochon dans l'eau en s'empressant de
croiser les chaînes par dessus lui.
Pour ébouillanter notre fameux cochon de 650
livres, on était 6 hommes pour retenir. Quand la
soie s'arracha facilement avec les chaînes, on plaça
des madriers sur le foulon; on y déposa le cochon, on
continua à lui arracher ses soies avant qu'il ne
refroidisse trop; puis on nettoya la peau avec
des couteaux tout en la lavant dans l'eau.
Plusieurs métiers
Pendant plusieurs années, il manqua de l'ouvrage comme charpentier;
alors, Jean-Baptiste travaillait avec sa famille sur la
terre. Il fallait se serrer la ceinture car
le boeuf se vendait ,02$ la livre,
les oeufs ,01$ chaque, le lait ,015$ la livre
et les bananes ,05$ la tresse.
Jean-Baptiste fabriqua une forge avec un séparateur
donnant ainsi la job à Alcide de ferrer les chevaux.
Il acheta deux clippers, un pour la maison,
l'autre pour les animaux.
Il allait aux bois se chercher du buis et faisait
des tisanes qui servaient de purgation pour la famille et les
animaux.
Il tannait le cuir car personne ne
voulait acheter les peaux; il étendait les peaux sur
le plancher de la grange, les salaient pour faire
fondre la viande ensuite, après avoir
préparé des cuves remplies à moitié de fumier de
volaille et d'eau, il déposait les peaux dans les
cuves, les laissait tremper pendant une
semaine; ensuite, il les pilait, les essorait
avec les tordeurs qu'il avait lui-même
patentés et fabriqués. Il fallait que l'eau soit toute sortie des
peaux pour faire un bon cuir souple; il fallait que
les peaux soient de nouveau dans une
solution dont je ne me rappelle pas la
recette et qu'elles soient essorées de
nouveau.
Une année, il avait tanné une peau de cheval, une
de vache, deux de veau et une de chevreuil. Le cuir
fait de la peau de chevreuil servait à faire de la
babiche, pour coudre le cuir, pour faire des attelages pour les
chevaux, pour faire des bottes et des
souliers de boeuf.
Il faisait bouillir les derniers
ramages d'eau d'érable pour faire son
vinaigre blanc; je me rappelle qu'il se
servait d'un thermomètre semblable à celui dont
se servait pour faire du sirop
d'érable mais je ne me rappelle pas jusqu'à quel degré ça devait
bouillir.
Il avait installé dans le verger une boîte de quatre
pieds de haut, quatre pieds de large et quatre pieds de
long sur les piquets de cèdre à trois pieds dans les
airs. Il y avait des ventilateurs dans le haut des boîtes du
côté du soleil levant; à deux pouces du fond de chaque
boîte, il avait installé une champleur en
bois. Parmi les ingrédients de son vinaigre, il y avait du
hublon et du ferment. Quand on
allait dans le verger, il y avait un
bourdonnement de fermentation semblable au bruit d'une rûche d'abeilles. A l'automne, il coulait son
vinaigre; il disait: "Joual vert, qu'il est beau et clair!"
Quand l'hiver était arrivé, il faisait des harnais
simples et doubles; assis sur son cheval de
cordonnier, il préparait aussi ses
ligneuls et ses babiches. C'était beau de le voir
travailler.
Une année, il avait changé trois cordes de bois fendu
en éclats d'un pouce carré pour une peau de cheval. Tout ce
bois, il l'avait monté au troisième étage de la
grange avec l'aide d'Alcide et de Marcel.
Il réparait les chaudières et terrines avec de
l'étain ou avec des rivets et des washers de cuir quand le trou était trop grand.
5. Péripéties d'Alcide
Les branches de chat
A l'âge de douze ans, au printemps, j'allais
au bois chercher des branches de chat; je les
coupais par bouts de trois pouces avec mon petit
couteau; j'affilais le bout sur un angle de 30
degrés; à un pouce du bout je faisais une autre coupure aux deux
tiers de profondeur et au même degré.
Ensuite, avec le manche de mon couteau, je
tapais sur l'écorce pour la décoller du bois. Ayant enlevé
l'écorce, je faisais un sillon avec mon couteau à
partir du trou jusqu'au bout. En remettant l'écorce, j'avais fait un
sifflet.
On se servait aussi de ces branches à l'automne pour
attacher les pieds de blé d'inde par paquets;
je coupais le blé d'inde avec une faucille
et grand-père faisait l'attache; les
paquets étaient accotés sur des chevalets que
grand-père avait fabriqués pour la circonstance. Les branches de chat,
c'était de belles branches droites qu'on pouvait plier sans
qu'elles cassent.
Accident
Je vais vous raconter le petit voyage que j'ai eu avec le
râteau à foin.
En 1924, comme mon père avait fini ses foins un de ses voisins
lui demanda d'aller lui aider à finir les
siens. Alors le lendemain matin, mon père et
moi-même partîmes avec notre voiture à foin
pour aller lui aider. Arrivés sur les lieux, le voisin dit
à mon père: "Ton garçon
va "râcler" nous autres, nous allons
charroyer le foin." Ayant attelé les chevaux, un de 3
ans et l'autre de 4 ans, sur le râteau, j'ai "râclé" la première pièce; à la suite de cela
pour me rendre sur la deuxième il fallait traverser un
pont de 12 pieds de large; le râteau en
avait 14 lui. Quel problème!
J'avais 12 ans et j'étais tout petit, le siège était
trop haut, donc je me contentais de m'adosser sur
le siège. Alors, arrive le pont. J'ai levé les dents
du râteau à un crochet et je
m'engageai sur le pont. Une roue tomba au bout du pont, la
togne frappa le cheval de gauche sur les jambes, celui-ci
prit peur et les deux chevaux
partirent à l'épouvante; le crochet
qui tenait les dents céda et moi je
suis tombé dans le râteau à la place du foin.
Le râteau s'accrocha dans la clôture faite en
broche "carreautée" alors, dans
l'élan, plusieurs piquets de clôture furent cassés. Au
bout de 3 arpents, la roue du râteau fut soulevée car
un piquet n'a pas voulu céder; c'est ce qui ne permit de
sortir de là comme Jonas sortit de la
baleine. J'avais seulement une petite
bosse à la tête.
Arrivé à la maison pour souper, j'ai monté
directement me coucher. Ma mère s'informa à mon père de
la raison de cela. Il lui dit: "Il
lui est arrivé la même chose que toi". En effet, la veille,
mes parents avaient eu un accident; le blond tomba dans un trou sur
un pont défoncé; mon père et ma mère l'avaient suivi; le blond
avait eu l'instinct de ne pas remuer et mes parents s'en étaient
sortis sains et saufs.
Le violon d'Alcide
Un soir, j'ai demandé à mon père s'il voulait me
faire un violon; il me répondit qu'il n'était pas
capable. Alors je me suis mis dans la tête
de me le faire moi-même. Pour avoir
un modèle, j'ai emprunté le violon de grand tante Marie.
J'ai pris une planche d'érable et je l'ai
creusée à la main jusqu'à ce qu'elle soit assez mince pour
qu'on voie la lumière à travers le fond. J'avais entendu dire
que plus le fond était mince, plus beaux seraient
les sons. Je me suis rendu sur le chemin de Yamaska pour acheter
une vieille planche de pin pour le dessus; plus le bois était
vieux, plus le son était beau; le fermier me la donna
en me souhaitant bonne chance.
Je fis la queue du violon avec du
merisier. Les clés, le pont et le petit poteau
pour supporter le dessus ont été faits aussi
en merisier. Je me suis fait des gabarits pour être capable de
plier les côtés. Les côtés étaient des éclisses en bois de plaine
de 2 pouces de large par 1/8 d'épais; je les ai fait tremper dans
l'eau chaude, les ai pliées et fait entrer dans les
gabarits.
Pendant deux jours, je les ai laissées sécher; ensuite
je les ai découpées de la bonne longueur et je les ai collées
à leur place comme tous les autres morceaux.
Il ne restait qu’à aller m’acheter des cordes pour que mon violon soit
terminé.
Quand à l’archet, il a été fait en frêne; pour le
crin, je m’organisais en allant à la messe le dimanche pour me faufiler en
cachette le long des chevaux blancs attachés dans les stalles; quand je leur
arrachai des crins, ça ruait et ça hennissait, mais ça valait la peine quand
même…
Après six mois de travail à temps partiel, mon violon était terminé; je suis allé voir tante Marie pour le faire
accorder; elle me joua une toune et me félicita.
Enfin j’avais réussi mon chef-d’œuvre.
J’ai appris à jouer quelques airs mais j’ai constaté que j’étais meilleur
pour faire que pour jouer.
La terre aujourd’hui
En 1923, la terre de mon père était moitié en chaume, moitié en bois. En
1983,soixante ans plus tard, un bon dimanche
après-midi, je partis avec ma petite femme Anne-Marie pour aller voir la terre
qu’on appelait la terre des Bonin.
La grande maison et le bas-côté étaient passés au feu, la grange, le hangar
et la shead à voiture avaient été détruits pas un
gros vent; le gros pin en face de la maison, pin de 3 pieds de diamètre sur la
souche, avait été coupé et la côte avait été descendue de moitié avec les gros
bulls. Tout un désastre après 720 mois; c’était bien sur cette terre
aujourd’hui à peine reconnaissable, que j’avais commencé à travailler à l’âge
de douze ans.
A présent, ce que l’on voit, c’est une immense forêt remplie d’érables, de
pins et d’épinettes. Souvenir! Souvenir!
A présent, tout l’ensemble est transformé en centre forestier. Ils y ont
fait trois trottoirs de quatre pieds de largeur et plusieurs ponts pour
traverser les ruisseaux et les coulées. Tout est fait en cèdre; il n’y a pas un
clou nulle part; tout est réuni avec des pines de bois; ces trottoirs
contournent les arbres qui sont en belle ligne droite. C’est beau à voir pour
ceux qui aiment la nature.
Voici un croquis de la résidence Jean-Baptiste
et Anastasie Fafard le long de la rivière St-François
à St-Majorique.