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LA CEUILLETTE
Au sortir de son bureau vers 22h, Roland Phaneuf fut abattu d’une balle dans la tête. C’est Grégoire Jacob qui, revenant à pieds de son activité quilles, entendit le coup de feu; effrayé mais aussi curieux, il contourna l’imposant édifice de la tour à bureaux où Assurance Phaneuf avait son siège social; Grégoire découvrit un homme gisant près d’une auto et, malgré qu’il ait été secoué, Grégoire appela immédiatement le 911. Les policiers furent les premiers à arriver sur place, suivis des ambulanciers. Il y avait déjà un attroupement de curieux lorsque les policiers arrivèrent, mais personne n’avait osé s’approcher du corps, vu que Grégoire les avait informés de ses démarches et que les services ont été, pour une fois, très rapides à se pointer. Les policiers établirent un périmètre de sécurité et interrogèrent sommairement Grégoire Jacob, pendant que les ambulanciers constatèrent le décès de Roland Phaneuf.
Richard Chari, l’inspecteur principal, arriva sur les lieux, quelques minutes après avoir été contacté par les policiers patrouilleurs. Grégoire Jacob lui répéta ce qu’il avait dit aux policiers et il put continuer son chemin jusqu’à chez lui. À l’intérieur du cordon de sécurité, les techniciens de la police prenaient des photos de la scène de crime; ils avaient déjà ramassé le pistolet 9mm que le tueur avait laissé sur place. La douille, qui avait traversé le crâne de Roland Phaneuf, s’était déformée lorsqu’elle avait par la suite percuté l’auto de la victime. Pas de trace de lutte et le portefeuille était encore bien garni.
Pour Richard, ce crime ressemblait à du travail de professionnel et il était déjà convaincu que l’arme du crime ne lui serait pas d’un grand secours pour épingler l’assassin. Les badauds avaient entendu le coup de feu mais personne n’avait remarqué quoi que ce soit. À croire que c’est chacun pour soi dans cette société et que les gens sont aveugles. Il faut dire qu’en ce 15 mai, l’absence de la lune permettait d’admirer les quelques étoiles encore visibles en ville, mais favorisait aussi les méfaits des malfaiteurs.
Richard autorisa alors les ambulanciers à amener le corps à l’institut médico-légal de Montréal et il se rendit, suivi par une auto-patrouille, à la résidence de Roland Phaneuf afin d’informer la famille, du drame qui venait de se produire. Il devait être 23h30 lorsque l’enquêteur sonna au 3030 St-Laurent, une résidence cossue du nord de Montréal. Ginette Boisvert, quarante ans, qui venait tout juste de se coucher, se leva précipitamment et vit l’auto-patrouille devant sa maison; au second coup de sonnette, elle s’approcha de la porte vitrée et Richard Chari lui montra sa plaque d’enquêteur; inquiète, elle lui ouvrit néanmoins la porte.
Richard resta surpris que Ginette garde son calme après une telle annonce; elle paraissait plus malheureuse que surprise. Après avoir vérifié l’état de madame Boisvert, qui ne craignait pas de rester seule, il l’informa qu’il irait prévenir la première épouse de monsieur Phaneuf, afin que cette dernière puisse informer les enfants de monsieur.
Il était déjà minuit lorsque l’enquêteur, encore accompagné du policier, se présenta au domicile de madame Richer; sur présentation de leur plaque, madame leur permit d’entrer et tentait de se donner un air présentable. Elle expliqua qu’elle était au lit depuis 23h et qu’elle avait ingurgité des somnifères. Avec tout le doigté dont il était capable, Richard Chari informa madame du drame qui venait de se produire. Malgré l’approche de Richard et les somnifères, madame devint agitée et montra autant de colère envers la vie que de peine d’avoir perdu le père de ses enfants. Il a été convenu que le corps du défunt serait rendu à la famille, dès que le médecin légiste aurait effectué ses vérifications, ce qui ne devrait prendre que quelques heures. En retournant chez lui, Richard espérait pouvoir régler rapidement cette affaire, même s’il était habité par le sentiment que les choses sont habituellement plus complexes qu’elles ne paraissent.
Dès le lendemain, le médecin légiste confirma que le décès était relié à l’impact de la balle 9mm et ne trouva rien sur le corps qui aurait exigé une autopsie ou une analyse plus poussée. Les effets personnels de la victime furent rendus à la conjointe, alors que le corps fut pris en charge par le salon funéraire qui avait conclu les préarrangements.
Le 17 mai, le corps de Roland fut exposé au salon funéraire. Divorcée depuis dix-sept ans, Dominique Richer, maintenant âgée de cinquante-huit ans, était accompagnée des trois enfants du couple Phaneuf-Richer et de leur famille. La conjointe actuelle du défunt, Ginette Boisvert, appuyée de sa famille et de ses amis, recevait aussi les condoléances des amis et connaissances de Roland. Les collaborateurs proches de Roland dans la compagnie d’Assurance Phaneuf vinrent rendre un dernier hommage à ce gestionnaire hors pair; ont fait aussi acte de présence, certains gros clients de la compagnie. L’office religieux eut lieu le lendemain et l’église était bondée. Richard Chari y nota, entre autres, la présence du politicien Robert Grandmaison et du banquier Jérôme Lagüe. Le notaire a prévenu madame Boisvert, la conjointe actuelle, ainsi que madame Richer, première épouse et mère de leurs trois enfants, de se présenter avec les enfants à son bureau, le 19 mai à 13h, pour la lecture du dernier testament, que monsieur Phaneuf avait rédigé suite à son divorce avec madame Richer. Monsieur Denis Chapeleau, son associé dans la compagnie d’assurance, avait été aussi convoqué.
La lecture du testament fut faite par le notaire. L’ex-épouse, Dominique Richer, hérita du chalet construit sur la rive du lac Archambault à St-Donat. Lors du divorce, il y a déjà dix-sept ans, madame Richer avait demandé et reçu plusieurs milliers de dollars en compensation et aussi une généreuse pension alimentaire pour les enfants, jusqu’à leur majorité. Malgré le divorce des parents, les enfants ont gardé contact avec leur père et ils ont même accepté qu’il refasse sa vie avec Ginette Boisvert. Les enfants de monsieur Phaneuf et la conjointe, madame Boisvert, se partagèrent à part égale, l’assurance-vie qui était au montant de deux millions. Madame Boisvert conservait aussi la résidence où elle habitait actuellement.
La valeur des parts de monsieur dans la compagnie d’assurance, qu’il avait fondée, atteignait aujourd’hui environ dix millions en tenant compte des actifs. Les profits se maintenaient année après année, vu qu’une réclamation entraîne souvent une augmentation de la prime pour le client. En fait, après la mort, l’augmentation des primes est la deuxième certitude de la vie. Le partage de cette richesse n’avait été que sommairement envisagé par Roland qui croyait vivre encore longtemps, du moins assez pour planifier la succession. Il y a quinze ans, il avait accepté un associé qui a reçu trente pour cent des parts. Comme il le fit pour l’argent, Roland partagea cet actif à parts égales entre ses trois enfants qui n’avaient pas manifesté vraiment d’intérêt particulier pour travailler avec leur père. Avec ses trente pour cent, Denis Chapeleau devenait l’actionnaire principal et pouvait espérer gérer la compagnie à sa manière, à moins que les enfants de Roland s’unissent pour faire front commun contre lui. Denis pouvait aussi, peut-être, acheter les parts d’un des enfants et ainsi se retrouver avec la majorité des parts.
Suite à ce testament, qui était déjà connu dans les grandes lignes, vu que depuis dix-sept ans, Roland en avait parlé, il a été convenu, entre Denis Chapeleau et les enfants, que la compagnie serait gérée par Denis et que d’ici deux semaines, une rencontre entre eux fera le point sur les intentions de chacun. Pendant ce temps, Richard Chari avait tenté de dresser un sociogramme des personnes qui connaissaient bien Roland Phaneuf. Le meurtrier est rarement un inconnu se disait-il. Mais, dans cette affaire, l’assassinat ressemblait à un règlement de compte ou à un contrat passé avec un professionnel. Richard se dit que la valeur de la compagnie pouvait engendrer des convoitises, que dans les affaires, il y a toujours des recherches de pouvoir et que dans les familles, ce n’est pas toujours de tout repos. En fait, Richard n’avait aucun indice sur la personne qui aurait voulu la mort de Roland et il comprit qu’il devra partir de la base, s’il veut élucider ce meurtre.
En soirée du 19 mai, Richard commença son enquête en allant rencontrer madame Boisvert, la conjointe de Roland. Elle le fit entrer et lui offrit même un thé, ce que Richard s’empressa d’accepter, car il voulait créer un climat de confiance, sinon détendu, et espérait en apprendre plus sur Roland et sur la possibilité que Ginette Boisvert soit en arrière de ce meurtre. Elle lui raconta qu’elle avait rencontré Roland alors qu’elle entamait la trentaine et qu’elle se sentait rassurée par lui, même s’il comptait quarante-sept printemps et avait survécu à un divorce; elle est tombée follement amoureuse de cet homme, qui gérait une grande entreprise et qui avait aussi mis sur pieds une fondation pour venir en aide aux enfants nouvellement orphelins. Ils habitaient ensemble depuis maintenant dix ans et leur vie de couple se portait bien. Ils avaient d’ailleurs prévu un petit voyage en Grèce, en juillet, pour souligner cette décennie de vie commune. Madame Boisvert enseignait au primaire et elle aimait bien les enfants, elle qui ne pouvait enfanter. Maintenant que Roland était décédé, elle héritait d’un demi-million de dollars et de la résidence familiale; elle voulait continuer à enseigner et même poursuivre l’œuvre de Roland en supportant la fondation. Richard Chari se demandait si madame Boisvert cachait des squelettes, car elle n’avait pas trop réagi lorsqu’il était venu lui annoncer le meurtre de Roland. Elle ne possédait pas d’armes et ne savait pas tirer, dit-elle. Par pudeur et pour éviter trop de questions, elle ne révéla pas la relation de Roland avec sa secrétaire, il y a quelques années, et les doutes qu’elle pouvait avoir encore parfois, lorsqu’il rentrait trop tard du travail.
Elle ne connaissait rien de la comptabilité de Roland ni vraiment de son empire, même si elle savait qu’il était riche; d’ailleurs; elle ne semblait pas vraiment avoir profité de lui et son amour pour Roland paraissait sincère, sans être très démonstratif. Par routine, Richard lui demanda son emploi du temps lors de la veillée du 15 mai; elle répondit qu’elle avait effectué des corrections après le souper, ensuite, douche et tv et elle avait attendu Roland jusqu’à 23h, lui qui travaillait souvent tard le soir; cependant, elle ne pouvait se coucher plus tard si elle voulait être en forme le lendemain, dit-elle. Richard trouva qu’elle se couchait tard pour une enseignante, mais il ne lui fit pas la remarque.
Le lendemain, par contact téléphonique, la directrice de l’école confirma que Ginette Boisvert enseignait depuis maintenant douze ans et qu’elle se montrait ponctuelle ainsi que compétente en tant que professeure. Rien de spécial, sinon, qu’elle a dû s’absenter du travail durant quelques mois, il y a cinq ans, pour ce qui semblait être de l’épuisement professionnel; elle est revenue par la suite, en pleine forme et encore aussi intéressée par les enfants qui l’aiment bien. Ginette a d’ailleurs informé la directrice qu’elle reprendra ses cours, dès la fin de son congé relié au décès de Roland, et qu’elle souhaite continuer à enseigner encore plusieurs années. Pour Richard, madame Boisvert n’est pas vraiment considérée comme suspect, même si elle lui a caché avoir fait un burnout; nonobstant cela, pour Richard, personne n’est exclu de sa liste tant qu’il n’a pas mis les menottes à l’assassin.
Richard, passablement méthodique, préférait rencontrer les gens de la famille avant d’investiguer au niveau des affaires car, même si l’argent mène le monde, la passion et les relations personnelles font souvent perdre la tête. Il se rendit alors chez Dominique Richer, l’ex-épouse de Roland qui semblait nerveuse lorsqu’il arriva. Madame Richer lui raconta avoir rencontré Roland alors qu’ils étaient encore presque des adolescents. Ils se marièrent lorsqu’elle apprit qu’elle était enceinte; elle venait d’avoir vingt ans et Roland en avait encore dix-neuf. Roland, bon travaillant et aussi avisé en affaire, venait de compléter son cégep et il entra dans une compagnie d’assurance afin de « gagner sa vie ». Rapidement, il montra de l’intérêt et des aptitudes, ce qui amena le patron à lui offrir des parts dans la compagnie. Ils eurent trois enfants dit-elle; la plus vieille, Catherine vient de fêter ses trente-sept ans, suivi de son frère Michel trente-cinq ans et la cadette Nadine, qui approche ses trente-trois ans. Deux ans après l’entrée de Roland au service de la compagnie d’assurance, le patron décéda prématurément, probablement d’un arrêt cardiaque. Roland a pu emprunter à la caisse et financer l’achat de la compagnie, qu’il enregistra sous le nom d’Assurance Phaneuf.
C’était une vraie vie de fou, dit-elle, Roland travaillait très fort pour augmenter son chiffre d’affaires alors qu’elle s’occupait des trois jeunes enfants, de la maison, du scolaire, etc.; en fait vous savez comment les femmes travaillaient fort, même si elles étaient dans l’ombre il y a quelques années. Elle poursuivit en disant que Roland aimait la compétition en affaires et se montrait exigeant à la maison; il criait parfois après elle, si le dîner n’était pas prêt à l’heure ou si elle n’avait pas réussi à bien gérer la petite marmaille et le ménage de la maison. Madame dit être restée avec Roland pour le bien des enfants et aussi parce qu’elle n’avait pas eu la chance de faire de grandes études et craignait de se retrouver sans le sous. Elle ajoute qu’il ne l’a jamais battue cependant et que le divorce, alors qu’elle atteignait quarante ans, est surtout relié au fait que les enfants étaient devenus grands et qu’elle ne craignait plus de vivre seul. Les chicanes étaient nombreuses entre eux et Roland, toujours très occupé par ses affaires, accepta l’idée du divorce et le partage du patrimoine familial ainsi qu’une pension alimentaire pour les enfants jusqu’à leur majorité, à condition que Dominique lui permette de voir régulièrement ses enfants et de les recevoir lorsqu’ils le demanderaient. Louis Dufour avocat, nouvellement engagé par la compagnie d’Assurance, rédigea l’entente. Curieusement, après la séparation, la relation entre Roland et Dominique devint plus civilisée et les enfants ont gardé contact avec leur père; en fait, c’était un divorce à l’amiable, un divorce mieux réussi que leur mariage. Dominique relata que Roland aimait foncer et qu’elle, elle se montrait passablement active, sinon parfois impulsive. En fait, elle avait parfois envie de le tuer, surtout lorsqu’il réussissait à lui démontrer qu’elle était en tort. Elle sentait qu’il voulait se montrer plus fin qu’elle et, se sentant dévalorisée, elle devenait agressive. Suite à la séparation, elle se trouva un petit emploi dans un commerce de vêtements et elle y a travaillé environ dix ans.
À cinquante-huit ans, elle vit comme une retraitée et démontrait de la tristesse face à la mort de Roland. Voyant le regard inquisiteur de Richard, elle jura ne pas avoir tué son ex-mari ni posséder d’armes et lui répéta, ce qu’elle avait dit lors de l’annonce du décès de Roland, qu’elle s’était couchée vers 23h et qu’elle avait pris des somnifères pour s’endormir plus rapidement. Malgré qu’il se rappelait cela, Richard lui demanda ce qu’elle avait fait de sa veillée. Elle déclara qu’elle s’était payé un film au cinéma et qu’elle était revenue à la maison vers 22h15; elle prit ensuite une douche rapide et une petite collation avant de se coucher, même si elle sait qu’elle ne devrait pas et que la digestion peut nuire à son sommeil. Richard était conscient qu’il devrait porter plus d’attention à l’attitude des gens qu’à leur alibi pour la soirée du meurtre, car il soupçonne que l’assassinat a été commandité et qu’il trouverait plus d’indices à fouiller dans les comptes en banque des suspects que dans leurs activités la soirée du meurtre. Par contre, il croyait aussi que les suspects se croiraient à l’abri, s’il continuait sa routine en regard de l’alibi.
Lorsque Richard aborda le sujet des enfants, Dominique révéla que Roland exigeait aussi passablement des enfants, même s’il se targuait de bien les aimer. Les enfants devaient performer à l’école et aussi dans leurs activités. Il préférait la plus jeune, Nadine, alors qu’il traitait Michel de paresseux et que Catherine pouvait s’opposer à lui. Catherine aurait voulu travailler avec son père, car elle aussi aimait foncer, mais Roland, voulant éviter les conflits, refusa. Il espérait en douce que Michel se réveille, qu’il arrête de jouer avec son ordinateur et qu’il devienne un homme sur qui il pourrait compter pour prendre la succession ou même devenir associé. Richard demanda les coordonnées des enfants, devenus maintenant adultes. Ces enfants pourraient révéler des aspects importants de leur père et un d’entre eux pourrait être l’instigateur du meurtre de ce dernier.
Richard se réserva un peu de temps pour mettre en place les informations reçues et planifier ses prochaines « visites ». Dominique Richer ne lui semblait pas suspect, mais sait-on jamais le fond de la pensée d’une personne, surtout lorsque les sentiments y prennent une place importante.
De retour au bureau, il regarda les photos du meurtre, prises par les policiers, et il conclut qu’une personne doit posséder beaucoup de sang froid ou être un professionnel pour tuer d’un seul coup. Les recherches concernant l’arme ne donnaient rien, elle n’était pas enregistrée, ne portait pas d’empreinte et n’avait pas été déclarée volée. Les « visites » à Ginette Boisvert et à Dominique Richer ne semblaient pas très prometteuses. Richard n’est, heureusement, pas un gars qui se décourage facilement et il sait qu’il doit poursuivre son plan au niveau de l’enquête. Il contacta alors Catherine Phaneuf, la fille aînée de Roland, en espérant qu’il pourrait en apprendre plus, vu que Catherine ne semblait pas craindre son père et s’opposait aussi à lui parfois. En outre, il serait intéressant de savoir comment elle percevait la famille en général.
C’est le 20 mai en soirée, qu’il la rencontra à son domicile. Catherine, une belle femme à l’allure déterminée, paraissait vraiment attristée par le meurtre de son père, même si Richard sentit du ressentiment face à ce dernier. En réponse à la question de sa relation avec son père, Catherine, sans trop de retenue, confirma les exigences de son père en regard des performances qu’il attendait d’elle; vu qu’elle s’opposait assez souvent, son père l’a parfois frappée, mais cela n’a fait qu’endurcir son caractère et ses convictions. Elle revoit son père dénigrer sa mère et ressent de l’impuissance face à ces situations; enfant, elle peut alors s’agiter et déranger pour attirer l’attention de son père, même si elle sait qu’elle va le payer; cependant, elle a réussi à défendre sa mère et se sent fière. À l’adolescence, elle ne craignait plus son père; ce dernier, ayant vieilli un peu, avait aussi appris à mieux contrôler sa colère. Lorsque la séparation de ses parents eut lieu, elle avait déjà dix-neuf ans et habitait avec un ami qui deviendrait son époux. Georges Lambert est professeur de philosophie, il se montre attentionné envers elle et il est doux avec leurs deux adolescents. C’est Catherine qui dirige à la maison et ses deux adolescents ont appris à écouter; Richard constate la ressemblance de caractère entre la fille et son père et imagine que les enfants de Catherine vont peut-être aussi finir par s’opposer à elle, vu ses attitudes dominatrices.
Catherine a étudié en comptabilité, un métier pas très populaire auprès des filles, il y a quelques années; elle voulait montrer à son père qu’il n’avait pas raison de lui préférer son frère Michel pour travailler avec lui. En devenant comptable, elle espérait que son père reconnaisse ses compétences et l’accepte dans la compagnie; il s’était effectivement montré fier d’elle, mais leur relation était trop tendue pour qu’il lui propose de le rejoindre dans la compagnie. Lorsque le comptable, qui vérifiait les livres de la compagnie, mourut, Roland s’empressa d’engager un autre comptable masculin, pour sa compagnie qui s’était agrandie, et prétexta que ce poste nécessitait un comptable d’expérience et aussi une grande disponibilité, ce qu’une jeune mère ne pourrait pas toujours fournir. Catherine compris le message et, le rejet ressenti, augmenta encore la colère envers son père.
Catherine dut révéler que le décès de son père pouvait l’arranger; elle venait d’hériter d’un demi-million de dollars et de vingt-trois pour cent des parts, comme son frère et sa jeune sœur; en fait, elle expliqua à Richard, qui avait sourcillé à ces chiffres, que son père détenait, avant sa mort, soixante-dix pour cent de la compagnie et Denis Chapeleau, l’associé, avait le trente pour cent restant. Maintenant, Catherine voulait racheter les parts de son frère Michel et de sa sœur Nadine, qui ne démontraient pas d’intérêt pour la compagnie. Richard sentit que Catherine désirait impatiemment prendre les commandes de la compagnie et obtenir ainsi ce que son père lui avait refusé. Est-ce qu’elle aurait pu aller jusqu’à vouloir sa mort, jusqu’à tuer pour obtenir ce qu’elle désirait? Elle ne savait pas manier les armes et le 15 mai en soirée, elle écoutait un film avec son conjoint alors que les adolescents jouaient sur leur ordinateur. Richard considéra qu’elle présentait un bon alibi pour la soirée, mais il n’excluait pas qu’elle aurait pu payer quelqu’un pour faire « le travail », car la famille gagnait assez d’argent et que le décès du père devenait une très bonne opportunité au niveau de sa carrière et une excellente entrée d’argent.
Le lendemain matin, Richard se rendit chez Ubi Soft, une grosse compagnie spécialisée dans les jeux par ordinateur; avec la permission de l’employeur, il put rencontrer Michel afin de poursuivre son enquête. Michel, trente-cinq ans, semblait une personne réservée, sinon timide; il vivait seul et n’avait pas d’enfant. Son père représentait pour lui un modèle inatteignable; il ne se croyait jamais assez bon pour son père, qui avait tendance à le traiter de paresseux lorsqu’il était enfant. Michel réussit de peine et de misère son cégep en informatique, car il souffrait de procrastination et produire un texte le confrontait à son insécurité et à sa crainte de l’échec; il préférait jouer. Néanmoins, il réussit à concilier jeu et travail et dénicha un emploi chez Ubi; il a été embauché dès la fin de son cégep mais il n’a jamais été promu, car il ne se montrait pas assez affirmatif. Il confirma, à Richard Chari, qu’il avait effectivement hérité d’un demi-million de dollars et d’une partie des parts de la compagnie de son père. Il avait refusé de se joindre à la compagnie de son père, car il ne se sentait pas à la hauteur des attentes de ce dernier.
Il ne révéla pas ses dettes de jeux, lui qui dépensait plus que raisonnable dans les loteries et surtout au casino. La chance lui sourirait un jour se disait-il; son endettement augmenta graduellement mais, étant donné qu’il était célibataire et sans enfant, il pouvait à chaque paye, rembourser une partie de son dû et obtenait alors la possibilité de se refaire; en fait, il s’endettait un peu plus à chaque fois. L’héritage lui sauvait la vie se disait-il; il pourrait payer toutes ses dettes, s’acheter une belle automobile et dépenser un peu; il prit la résolution de ne pas dépenser trop d’argent dans le jeu à partir de maintenant, ce qu’il s’était promis plusieurs fois. Il ne voulait pas travailler à la compagnie de son père et, en réponse à Richard Chari, qui lui faisait part des projets de Catherine, il révéla qu’il vendrait sa part à sa grande sœur, qui montre l’étoffe suffisante pour bien gérer cette compagnie. Il confirma en grande partie ce que Catherine avait exprimé concernant la relation qu’elle entretenait avec son père. Michel n’était jamais intervenu pour prendre la défense de Catherine, car il craignait son père et ne voulait pas de problème, d’autant plus que Catherine pouvait facilement le dénigrer. Il informa Richard d’une rencontre dans quelques jours afin de décider qui prendra les rênes de la compagnie. Le 15 mai, Michel dut révéler qu’il jouait au casino et que le personnel de l’établissement pourrait le confirmer.
Michel ne possédait pas d’arme, sinon son ordinateur avec ses jeux de guerre. Richard conclut que l’alibi de Michel serait facile à vérifier et que son tempérament effacé n’en faisait pas un suspect très probable. Néanmoins, le fait qu’il soit connu au casino révélait qu’il pouvait être dépendant du jeu et à risque de s’embarquer dans un engrenage dangereux.
Sur l’heure du dîner, Richard rendit une visite au gérant du casino, qui confirma bien connaître Michel Phaneuf, un joueur tranquille, qui leur devait passablement d’argent. Le gérant expliqua que Michel remboursait une partie de sa dette à chaque paye et que le casino permettait qu’il continue à jouer. Le gérant dut révéler que Michel devait maintenant dix-huit mille dollars. Le casino demandait à un huissier d’intervenir et n’autorisait plus le jeu, lorsqu’un joueur cumulait vingt-cinq mille dollars de perte. Le gérant avait été mis au courant par Michel, lui-même, qu’il pourrait rembourser en totalité sa dette, dès que les formalités entourant l’héritage de son père seraient complétées.
En retournant au bureau, Richard se demandait si Michel, timoré comme il paraissait, aurait pu tuer son père pour obtenir l’héritage et pouvoir payer ses dettes ou simplement pour lui faire face une fois. Est-ce qu’il aurait pu emprunter pour faire faire « le travail », sachant qu’il deviendrait riche une fois l’héritage partagé?
Durant l’après-midi du 21 mai, Richard réussit à attraper Nadine à la fin des classes; elle enseigne l’éducation physique au secondaire. Elle s’attendait à voir l’inspecteur, car Catherine et Michel lui avaient téléphoné et informé de leur rencontre avec Richard Chari. Elle trouva un local où ils pourraient discuter en toute tranquillité; sans cachette, elle expliqua son lien positif avec son père et elle souhaitait qu’il soit vengé. Déjà enfant, elle se savait la préférée, peut-être parce qu’elle était la cadette, mais vu aussi son côté optimiste et sportif. Son père a même commandité son équipe de soccer lorsqu’elle y jouait. À l’adolescence, son père l’a choisie pour paraître dans une publicité créée spécialement pour la compagnie d’assurance; on la voyait en action au soccer, avec les protections nécessaires pour ne pas se blesser; Roland voulait démontrer par-là, l’importance de bien se protéger par des assurances; Nadine, devenue alors la fille la plus populaire de son école, pouvait choisir facilement au niveau des prétendants. Lors de la séparation de ses parents, elle voulait rester avec son père, mais accepta de vivre avec sa mère pour ne pas lui faire de la peine. Amoureuse de la nature et des sports, elle s’orienta dans une discipline plein air au cégep et décida de se spécialiser en éducation physique à l’université. Elle enseigne depuis maintenant cinq ans et, l’année passée, elle a rencontré son copain actuel, Mike Carson, qui travaille dans une usine et qui aime le sport; il joue au hockey dans une ligue de garage. À trente-trois ans et sa carrière maintenant bien établie, elle veut fonder une famille; Mike, trente-cinq ans, et follement amoureux de Nadine, le souhaite aussi ardemment.
Après l’avoir incitée à se présenter de la sorte, Richard Chari voulut vérifier si le conte de fée de cette princesse ne prendrait pas fin abruptement. Le soir du 15 mai, elle et d’autres femmes supportaient leur homme en train de se battre pour une rondelle. Elle ne possédait pas de pistolet, mais un arc de précision qu’elle utilisait rarement. L’héritage lui fournit un fameux coup de pouce, mais elle craignait que tout cet argent monte un peu la tête à Mike qui provenait d’un milieu pauvre. Elle l’avait prévenu qu’elle voulait faire, en solitaire, une expédition en montagne, avant de se « préparer » pour la maternité. Elle sait que sa grande sœur Catherine souhaite prendre le contrôle de la compagnie et elle lui vendra ses parts, car elle ne se voit pas travailler toute la journée en arrière d’un bureau.
Richard se sentait bien et en confiance après sa rencontre avec Nadine; malgré la tristesse qu’il avait perçue chez elle suite à l’assassinat de son père, Nadine était un rayon de soleil et Mike avait gagné le gros lot; en espérant que l’argent ne viendrait pas transformer ce rêve en cauchemar. Richard se sentait bien aussi , car son enquête avançait; il retenait Catherine et Michel comme suspects; il ne voyait pas de mobile pour Nadine. Les parents de Roland étaient décédés et son frère, Robert âgé de soixante-trois ans, menait une vie paisible et entretenait une bonne relation avec lui. Richard s’apprêtait à passer à la deuxième étape de son plan, c’est-à-dire enquêter auprès de l’associé et des employés de Roland à la compagnie d’assurance, lorsqu’il reçut un appel du notaire Maxime Truchon l’informant qu’un certain Marcel Longpré trente ans, vivant à Paris, prétendait être le fils de Roland Phaneuf; Marcel venait d’apprendre, par les journaux, le meurtre de son père et a mandaté un avocat afin d’avoir la possibilité d’être informé du testament et de faire des représentations, si jamais son père ne lui avait rien légué. Les enfants de Roland avaient déjà été informés par le notaire Truchon et les avocats respectifs cherchaient déjà des solutions.
Richard décala son plan de match afin de tenter de faire un peu de lumière sur ce rebondissement. Il demanda la collaboration de la préfecture de Paris, afin d’éliminer Marcel Longpré comme suspect dans le meurtre de son père, Roland Phaneuf. L’inspecteur Norbert Radin rappela Richard Chari dès le lendemain, soit le 23 mai, afin de lui transmettre les informations suivantes : Marcel fêtait ses trente ans et sa mère s’appelait Marcella Longpré; Marcel, travailleur en construction, présente un léger problème d’alcoolisme; il y a deux ans, il a été condamné à une probation d’un an, suite à une altercation physique dans un pub. Il habite à la même adresse que sa mère, est célibataire et possède une Renault récente; malgré son alcoolisme, il ne s’est jamais fait arrêté pour ivresse au volant. Marcel était à Paris la journée du meurtre, selon les informations qu’il a fournies à l’inspecteur lors d’un contact téléphonique, informations que l’inspecteur a pu facilement confirmer avec le patron de Marcel. Richard remercia Norbert Radin pour sa diligence et lui demanda la permission de le rappeler au besoin, si son enquête le conduisait jusqu’à Marcel, ce qu’il ne pensait pas pour l’instant.
Pendant que Richard attendait les informations de Paris, il avait planifié pour demain matin, un rendez-vous avec Denis Chapeleau, l’associé de Roland. Donc le 24 mai au matin, Richard se rendit rencontrer monsieur Chapeleau, homme de petite taille qui semblait consciencieux, mais aussi soucieux. Richard apprit que Denis Chapeleau était âgé de quarante-cinq ans, qu’il vivait avec Michèle Turcot et leur fille de vingt-deux ans. Associé depuis sept ans, il détenait trente pour cent des parts de la compagnie. Depuis le meurtre de Roland, Denis a dû prendre les bouchées doubles afin de faire le boulot et de rassurer les clients. La rencontre, avec les enfants actionnaires, est prévue pour le 26 mai et Denis espère bien pouvoir gérer la compagnie à sa guise après cette rencontre, car il a travaillé fort pour la compagnie et il en connaît tous les rouages. Denis restait poli avec Roland qui lui offrait peu de reconnaissance pour le travail accompli et qui refusa aussi de renégocier l’entente, qui n’accordait que trente pour cent à Denis. Le soir du meurtre, Denis était retourné chez lui vers 20h, après avoir dû remercier un des employés de la compagnie Millon, compagnie nouvellement acquise par Assurance Phaneuf. Roland lui attribuait les sales « jobs », ce qui créait du ressentiment chez Denis, qui souffrait aussi du manque de considération de son patron. De ce fait, Denis ne feignait pas la tristesse malgré le décès de son patron et il avait déjà probablement désiré la mort de Roland; il a peut-être même participé à l’assassinat, pensa Richard. Denis affirma qu’il était chez lui pour le reste de la soirée et qu’il a regardé la télévision avec son épouse avant d’aller au lit. C’est madame Ginette Boisvert qui l’a informé du meurtre, dès le départ de l’inspecteur le 15 mai. Cette nuit-là, il a mal dormi car il pensait aux répercussions et au travail supplémentaire, que la réorganisation exigerait avant de retrouver un nouvel équilibre.
Il reconnut qu’il connaissait le partage des parts entre les enfants, car Roland lui en avait déjà parlé. Il espérait pouvoir acheter les parts d’un des enfants, afin de devenir majoritaire dans la compagnie. Il ne révéla pas à Richard Chari qu’il avait même tâté le terrain avec Michel Phaneuf, qu’il avait rencontré au casino quelques semaines avant l’assassinat de Roland; il lui paraissait clair que Michel ne souhaitait pas être associé à la compagnie de son père et qu’il pourrait facilement lui acheter ses parts. Il précisa savoir tirer et posséder un fusil de chasse; ça fait du bien de sortir parfois du bureau et de se retrouver dans la nature, dit-il. Denis informa Richard Chari, qui devait aussi rencontrer les autres employés, que Roland et Renée, la secrétaire, se sont fréquentés quelques temps.
La rencontre avec l’avocat de la compagnie, Me Louis Dufour quarante-sept ans, révéla que Roland ne faisait pas de cadeau en affaire et que l’achat des compagnies Millon et Maxwell avait donné lieu à des combats épiques. Louis se considérait assez bien payé et traité avec amitié par Roland, qui lui avait fait confiance pour son divorce avec son ex-épouse, Dominique Richer, et qui se félicitait du travail du procureur lors des différentes acquisitions de compagnies. Roland l’invitait assez régulièrement, ainsi que son épouse Nancy Chamberland, à venir prendre un repas à la maison, comme pour un ami, et à bénéficier de son chalet personnel. Richard ne voyait pas quel aurait été l’intérêt de Louis de faire disparaître Roland, qui était en fait comme « sa vache à lait ».
Après le diner, Richard rencontra le comptable de la compagnie, monsieur Maxime Laframboise. Comme la majorité des comptables, Maxime était minutieux et gérait très bien les comptes. Il rapporta qu’il se faisait parfois « harceler » par l’associé Denis, qui voulait savoir exactement les entrées et sorties d’argent afin d’avoir sa juste part. Maxime Laframboise, confia qu’il a déjà vu les deux actionnaires se disputer à propos des dépenses et il sait que Denis aurait voulu obtenir une plus grande part dans la compagnie. Monsieur Laframboise, plutôt discret habituellement, respectait son parton, car même si Roland Phaneuf jouait dur en affaires, il ne magouillait pas avec la comptabilité et payait ce qui avait été convenu dans l’entente. Cependant les ententes, libellées par le procureur Louis, donnaient habituellement une grande latitude à Roland, au niveau de la gestion de sa compagnie et de celles qu’il avait acquises. Louis et Maxime espéraient que la rencontre des actionnaires dans deux jours leur profiterait. Maxime ne possédait pas d’armes et le soir du meurtre, il assistait à un spectacle de musique classique avec son épouse; en fait, c’était pour plaire à son épouse que Maxime avait acheté ces billets, car lui, il aurait préféré se rendre au Centre Bell pour y voir jouer Le Canadien. Le lendemain, en entrant au bureau, Denis l’informa de l’assassinat de Roland.
Richard s’était gardé le « dessert » pour la fin et il alla rencontrer Renée Dixon, la secrétaire de l’équipe. Renée était visiblement nerveuse et Richard dut la rassurer afin qu’elle puisse se mette à parler plus facilement. Elle appréciait actuellement les attentions amoureuses de Robert Grandmaison, trente-huit ans et politicien au municipal. Renée reconnut avoir eu une liaison avec Roland, il y a quelques années, et que leurs relations amoureuses et sexuelles avaient cessé après quelques mois; Roland avait pourtant promis qu’il quitterait Ginette Boisvert pour s’installer avec elle mais, contrairement à ses dires, il a mis fin abruptement à leur relation, prétextant que leur relation faisait jaser et qu’il était préférable d’arrêter de se fréquenter, même s’il la désirait encore. D’ailleurs, Renée dévoila que Roland lui avait demandé par la suite de rester au bureau, après les heures régulières, prétextant un travail urgent à compléter; à deux occasions, il en avait profité pour abuser d’elle. Elle n’avait pas osé en parler aux membres de l’équipe, car elle était perçue comme celle qui l’avait aguiché au début. Elle n’informa pas l’inspecteur qu’elle avait mis son nouveau copain au courant des nouvelles tentatives de Roland, ce dernier ne semblait plus se satisfaire de ses relations avec Ginette Boisvert.
Renée assura que le 15 mai, elle avait passé la soirée en compagnie de son copain à écouter la télévision et que Robert l’avait laissée vers 22h30. Robert aurait voulu coucher chez elle, mais Renée se méfiait davantage des hommes depuis ses relations avec Roland. Pour Richard, Renée est une victime comme il en voit souvent; victime car ballotée entre promesses et abus et ayant une personnalité fragile. Son nouveau copain aurait pu l’inciter à se défendre et même à se venger, mais c’est plus de la résignation que de l’agressivité qui semblait habiter Renée. Connaissant cette relation, Richard se demanda pourquoi Ginette Boisvert lui avait caché cela et si le nouveau prétendant était assez épris de Renée, pour la venger et peut-être tuer Roland afin d’être certain qu’il ne mette plus ses « sales pattes » sur elle. En partant, Richard demanda à Renée de lui dresser une liste des clients qui ont reçu des réponses négatives après une réclamation importante. Il reviendrait chercher cette liste dans deux jours dit-il. En fait, Richard voulait revenir aussi pour savoir ce qu’il adviendra de la compagnie, suite à la rencontre de l’associé Denis et des enfants de Roland.
Le lendemain matin, soit le 25 mai, Richard Chari alla rencontrer Robert Grandmaison, qui fut passablement surpris de devoir répondre à l’inspecteur en regard du meurtre de Roland Phaneuf. En fait, Robert n’avait rencontré Roland qu’à l’occasion du « party » de bureau de Noël dernier; il amorçait alors sa relation avec Renée et n’avait et n’a encore des yeux que pour elle. Ce jeune politicien de trente-huit ans, maire d’un arrondissement de la ville de Montréal, aimerait bien un jour devenir maire de la grande ville. Il démontra des préoccupations sociales et encore de l’idéalisme. Il ne fit pas des fleurs au mort qui était, selon lui, un fonceur, profiteur et même un abuseur sexuel. À la demande de Richard, Robert révéla ce que Renée lui avait raconté et en parlant de cela, sa physionomie devenait plus crispée. Robert précisa son amour pour la jeune femme et il savait qu’il pouvait maintenant être perçu comme suspect; il déclara alors que le soir du meurtre, soit le 15 mai, il regardait un film chez Renée et qu’il l’avait quittée vers 22h30, afin de retourner à son appartement. Robert n’avait pas été très heureux dans ses relations jusqu’ici; il manquait d’habilités avec les femmes et surtout, il avait tendance à s’incruster. Plusieurs filles n’ont pas poursuivi leur relation avec lui, car elles se sentaient étouffer. Par contre, avec Renée, ça semblait fonctionner; il l’aime tellement qu’il peut attendre pour avoir une relation sexuelle avec elle, surtout depuis qu’il a su ce qu’elle avait vécu. Robert prend soin de Renée qui voit en lui, un homme gentil et non un profiteur, comme il y en a malheureusement plusieurs. Donc pour Richard Chari, Robert devait être inscrit sur sa liste des suspects, car cet homme semblait prêt à tout pour préserver sa relation avec Renée et Roland aurait pu être considéré comme une menace, en plus d’être vu comme un « salaud ».
Après avoir quitté Robert Grandmaison, Richard se rendit à la compagnie Millon, compagnie achetée par Roland, il y a plus d’un an; le directeur se réjouissait de l’association de son entreprise avec celle de Roland Phaneuf, même si c’était en fait une acquisition et que lui, Yannik Chateaubriand, devait répondre aux exigences de son nouveau patron. Il précisa que l’entente ne répondait pas à tous leurs besoins, mais sans cette acquisition, la compagnie Millon était vouée à la faillite. Yannik comprenait qu’il devait y avoir des rationalisations et il supportait alors l’orientation de Roland. Il y eu perte de deux emplois, mais sécurité pour les autres, qui doivent en faire un peu plus. Si la tendance se poursuit, il est possible que les deux employés remerciés puissent réintégrer l’équipe, car la clientèle s’agrandit.
Richard termina sa journée en allant rencontrer le directeur intérimaire de la compagnie Maxwell; cette compagnie venait tout juste d’être acquise par Roland Phaneuf, en fait environ un mois avant son assassinat. Monsieur Brian Maxwell, qui avait fondé la compagnie, a été remplacé sans ménagement et son fils Albert Maxwell, même s’il fait profil bas, en a gros sur le cœur; c’est du moins ce qu’un employé, alors qu’il fumait dehors, a révélé à Richard à son arrivée. Le directeur intérimaire, Georges Blanchet, expliqua à Richard que la compagnie Maxwell survivrait grâce à Roland Phaneuf et que, malgré les perceptions négatives de certaines personnes, l’acquisition de Maxwell, par Roland Phaneuf, profiterait aux deux compagnies. Richard demanda à voir Albert Maxwell et ce dernier lui raconta qu’il était peiné pour son père, qui aurait aimé lui transmettre la compagnie. Malgré cela, Albert ne semblait effectivement pas trop agressif face à l’acquisition. Est-ce qu’il cachait son jeu? Le soir du 15 mai, Albert, trente-deux ans, était allé au cinéma avec Micheline Poitras, sa conjointe; ils étaient revenus à leur résidence vers 23h. Albert ajouta ne pas posséder d’armes et ne pas savoir tirer. Comme il se sent soupçonné par l’inspecteur, étant donné qu’il pourrait avoir un mobile, Albert répéta qu’il n’a pas tué Roland, même s’il espérait pouvoir prendre le contrôle de la compagnie de son père; pour ce faire, il devra montrer patte blanche et il espérait être nommé directeur de la compagnie, en remplacement de Georges Blanchet, lorsque ce dernier aura complété la mise à niveau de la compagnie. Richard se demanda si le jeune Maxwell était vraiment naïf ou s’il jouait à l’innocent. En retournant chez lui, Richard constata qu’il avait plus de suspects qu’il ne l’espérait et que demain, il en ajouterait peut-être encore d’autres, car il irait chercher, chez Assurance Phaneuf, la liste des clients insatisfaits quant à leurs réclamations.
Le 26 mai en après-midi, Richard se pointa, comme prévu, au bureau de l’Assurance Phaneuf; Renée la secrétaire avait bien travaillé et avait ressorti les dossiers de réclamations de trois clients. En fait, elle avait imprimé une copie de la réclamation de chacun et la lettre de la compagnie expliquant pourquoi leur réclamation était refusée. Richard la remercia et demanda à voir Denis Chapeleau, qui sortait d’une longue réunion. Denis accepta néanmoins de rencontrer l’inspecteur qui lui demanda à brûle-pourpoint qui gérait maintenant la compagnie. Denis pris un air un peu triste pour expliquer que la rencontre lui laissait un goût mi-figue, mi-raisin. Comme il s’attendait Catherine Phaneuf voulait la prise de contrôle de la compagnie de son père et elle l’a obtenue dit-il. Lors de la rencontre, Denis a appris que les enfants s’étaient déjà rencontrés et s’étaient entendus sur le fait que Catherine pourrait acheter leurs parts et deviendrait ainsi l’actionnaire principale qui pourrait, enfin, mettre les pieds dans cette grosse boite. Michel avait décidé de vendre ses parts à sa sœur car il voulait éviter des disputes familiales, même s’il pensait qu’il aurait pu obtenir plus en lui vendant ses parts. Denis n’a fait que voir passer le train; il a cependant apprécié le fait que Catherine lui propose d’augmenter ses parts jusqu’à quarante pour cent. Pour Denis, même s’il ne peut vraiment décider, le fait de pouvoir obtenir quarante pour cent des parts augmente ses revenus et consolide aussi son pouvoir. En outre, il a apprécié l’attitude de Catherine qui, tout en montrant que ce sera elle « la boss », voulait tenir compte de ses connaissances et compétences; elle avait conclu la rencontre en précisant qu’elle prendrait le temps de comprendre les rouages de la compagnie et qu’elle espérait qu’elle et Denis forment une équipe qui fasse encore évoluer la compagnie. Richard comprit que la guerre interne semblait évitée pour l’instant, car Denis se résignait à son sort, qu’il considérait déjà mieux qu’avant le décès de Roland.
Richard compléta sa journée de travail en étudiant les réclamations des trois clients insatisfaits que Renée, la secrétaire de Roland, maintenant de Catherine, lui avait remises. Les cas étaient dramatiques. Gilles Breton avait perdu son épouse lors de l’incendie de leur maison, Roger Chanoine et Diane Vadeboncoeur ont subi un gros dégât d’eau à leur résidence et Jacques Bibeau a perdu l’usage de ses jambes, suite à un accident d’automobile. Richard réussit à planifier les rencontres pour le lendemain.
Donc le 27 mai au matin, Richard se présenta au domicile de Gilles Breton, cinquante-sept ans; son épouse Annie Poliquin est décédée lors de l’incendie de leur maison. Gilles Breton n’avait pas prévu de renouvellement automatique de sa police et malgré l’avis, que la compagnie Assurance Phaneuf avait envoyé un mois avant l’échéance, Gilles et son épouse n’ont pas donné signe de vie. L’incendie eut lieu le 15 février alors que la police d’assurances avait pris fin le 10 février. La maison fut une perte totale et Annie Poliquin périt dans cet incendie. Gilles Breton, client récent, argumenta qu’il n’avait pu répondre à l’avis, car il avait été hospitalisé en mars pour une opération mineure et que ça devait être son épouse alcoolique qui avait égaré l’avis. L’analyse des causes de l’incendie révéla aussi que madame, qui s’était déclarée non fumeuse, avait mis accidentellement le feu à son lit en échappant une cigarette, alors qu’elle était « engourdie » par de l’alcool. Gilles se sentait très coupable de ne pas avoir été présent durant cette veillée, alors qu’il avait préféré aller voir du hockey avec son voisin. Légalement, Gilles reconnut que la compagnie était dans son droit, mais Richard comprit que Gilles se sentait coupable et en colère contre ex-épouse et qu’il transposa son agressivité sur Roland Phaneuf, qui n’avait pas voulu le rencontrer et qui lui avait répondu par une lettre expliquant les raisons du refus. Gilles ressentait de l’injustice face à la vie et il alla jusqu’à menacer Roland lorsqu’il réussit à lui parler au téléphone, se faisant passer pour un nouveau client. Gilles expliqua cependant qu’il n’a pas réitéré ces demandes après ce coup de téléphone et qu’il a graduellement accepté le sort de la vie. Le 15 mai, Gilles participait à une rencontre de groupe pour personne endeuillée; il expliqua que ces rencontres lui faisaient du bien et qu’il réussira peut-être à se pardonner et à poursuivre sa vie. Il a appris par les journaux l’assassinat de Roland Phaneuf et avoua avoir ressenti un certain soulagement, même s’il sait que la vengeance envers l’autre aboutit à refuser de se pardonner à soi-même. Richard le trouvait passablement « flyé » dans son interprétation, mais n’en fit pas de cas et, en le remerciant de sa disponibilité, lui souhaita bon courage et bonne chance pour la suite.
La rencontre avec Roger Chanoine et Diane Vadeboncoeur a révélé encore plus d’agressivité envers la compagnie d’assurance, qui refusa de rembourser les réparations rendues nécessaires, suite à un important dégât d’eau. Monsieur Chanoine s’est senti floué par la compagnie et il a intenté un recours en justice afin d’obtenir compensations. En fait, Roger Chanoine et son épouse, Diane Vadeboncoeur, profitaient de vacances prolongées lors de la tempête qui permit à l’eau de s’infiltrer dans la maison par une fenêtre laissée ouverte, semble-t-il. Roger avait demandé à la voisine, Michèle Lafleur, de veiller sur leur maison et de la visiter régulièrement afin de maintenir son droit à la protection d’assurance. Mais pendant que les propriétaires bénéficiaient d’un congé sabbatique au Mexique, madame Lafleur, qui devait surveiller la maison, avait laissé une fenêtre ouverte, avant de partir pour une fin de semaine dans les Laurentides. La nature se déchaîna et l’orage, qui ne dura pas plus que trente minutes, permit à l’eau de s’infiltrer dans le sous-sol. À son retour, madame Lafleur fit un tour rapide de la maison et ferma la fenêtre du sous-sol; elle ne remarqua pas que de l’eau imbibait une partie du tapis et, dans les jours suivants, elle s’occupait du courrier reçu sans plus. Après plusieurs jours, des odeurs de moisissures commencèrent à envahir la maison et même madame Lafleur s’en aperçut. Elle essayait d’aérer la maison du mieux qu’elle put et crut que le problème était résorbé. Au retour des propriétaires, en avril, une odeur persistante se faisait sentir. Roger fit inspecter le sous-sol et l’évaluateur de l’assurance établit qu’il s’agissait de moisissures, reliées à de l’eau, qui aurait imprégné un tapis. Madame Lafleur déclara avoir surveillé la maison régulièrement, mais reconnut avoir été dans les Laurentides lors de la courte tempête; cependant, elle cacha qu’elle avait laissé une fenêtre ouverte avant de partir. Toujours est-il que l’Assurance refusa la réclamation qui s’élevait à dix mille dollars et le dossier est actuellement entre les mains des avocats. Monsieur Chanoine sait que c’est maintenant la fille de Roland Phaneuf qui a repris la compagnie et il espère que les négociations pourront lui donner satisfaction. Les relations avec la voisine se sont refroidies, car Roger soupçonne que madame Lafleur a manqué d’assiduité dans la surveillance de la maison et que cette lacune peut nuire à l’obtention du remboursement. Roger confia qu’il ferait affaire avec une compagnie privée dans la surveillance de maison, s’il pouvait partir encore en voyage longtemps. Le soir du 15 mai, le couple travaillait à la maison à compléter l’aménagement de leur sous-sol revampé. Il ressort que la colère de Roger Chanoine se dirige contre les assurances en général et non contre Roland Phaneuf en particulier, car il répète que les assurances se montrent attirantes pour appâter des clients mais aussi très hésitantes à payer.
C’est en soirée que Richard rendit « visite » à Jacques Bibeau, trente-sept ans. Jacques, victime d’un accident d’automobile, est maintenant handicapé; l’assurance automobile du Québec l’a indemnisé pour la perte de sa mobilité et il a pu acheter un fauteuil roulant électrique, ainsi qu’un véhicule adapté; il recevra aussi des prestations pour le restant de ses jours. Jacques explique que son contentieux avec la compagnie est relié au fait qu’elle se refuse à lui rembourser la valeur de sa Mercedes, vu qu’il a été démontré que l’accident est survenu suite à une « petite course » avec son ami qui possède une Porche. Jacques est passablement dépressif depuis l’accident survenu le 28 mars; il se dit chanceux d’être en vie mais aussi malheureux, car il ne peut plus travailler, et en colère, car il juge que l’assurance devrait payer. Pourtant dans le contrat, il est stipulé qu’il y a des exceptions aux remboursements et qu’une course fait partie de ces limitations. Il n’a pas engagé de poursuites légales et prétend que le meurtre de Roland Phaneuf est mérité.
Dans la soirée du 15 mai, Jacques écoutait la télévision avec son ami, celui qui a la Porche; Jacques dénote que Patrick vient souvent le voir le soir après le travail, simplement pour prendre une bière et jaser un peu; Jacques prétend que cela lui fait du bien et il croit que Patrick vit du malaise d’être encore fonctionnel, alors que lui est maintenant handicapé. Jacques déclare ne pas en vouloir à Patrick, car il est l’instigateur de la balade à haute vitesse sur l’autoroute, afin de montrer à Patrick que sa Mercedes pouvait dépasser une Porche. Pour Richard, Jaques est plus à plaindre qu’à craindre et il ne pense pas que Jacques a organisé l’assassinat de Roland Phaneuf; Jacques a pensé plutôt à se suicider, lorsqu’il a constaté qu’il serait handicapé pour le restant de ses jours.
Le lendemain, Richard utilisa bien son temps et se fit confirmer les alibis des trois clients insatisfaits. Il passa en revue ses entrevues antérieures, car la cueillette était terminée; son analyse, son filtre, son tamis, lui permit d’identifier six personnes qui, selon lui, présentaient un mobile important de souhaiter la mort de Roland.
-2-
LE TAMIS
Le 29 mai, soit deux semaines après l’assassinat de Roland, Richard avait éliminé plusieurs suspects pour ne retenir que six personnes. Malgré qu’il veuille se concentrer sur les suspects qu’il a retenus, il n’éliminait pas complètement les autres relations de Roland, car la vie fait souvent des surprises et une personne, qui semble innocente, peut être plus impliquée que l’on croit en réalité. Même si Richard avait déjà vécu cela, il devait se concentrer et approfondir les histoires ainsi que les motivations des suspects retenus. Richard sait que plusieurs de ceux-ci sont innocents, car il serait étonnant que le meurtre dépende d’une association de personnes présentant des mobiles si différents.
Catherine Phaneuf, maintenant à la tête de la compagnie, a beaucoup profité du décès de son père; en outre, la relation qu’elle entretenait avec lui paraissait froide, sinon agressive.
Son frère, Michel Phaneuf, pouvait aussi souhaiter la disparition de son père; la mort de son père lui sauvait la vie ou presque.
Denis Chapeleau, associé maintenant à Catherine, avait espéré aussi que Roland partage mieux les parts de la compagnie et démontre plus de considération pour lui.
Robert Grandmaison, nouveau prétendant de Renée, aurait pu agir pour éviter que Roland profite de Renée, car Robert aimait déjà Renée qui lui rendait bien ses assiduités.
Albert Maxwell, dont le père a été évincé de la compagnie, aurait pu aussi vouloir se venger et profiter de la mort de Roland.
Gilles Breton, dont l’épouse est décédée dans l’incendie de leur maison, aurait pu aussi souhaiter la mort de Roland, en réponse à l’insensibilité que Roland a démontrée face à la réclamation.
Les autres personnes rencontrées étaient classées comme suspects possibles mais peu probables. Autant pour les suspects probables que ceux qui sont seulement dans le domaine de la possibilité, Richard n’avait pu trouver un faux alibi qui l’aurait conduit à la personne meurtrière; il faut préciser que Richard n’a pas trop poussé au niveau des alibis, car il croyait déjà que l’assassinat de Roland était l’œuvre d’un professionnel; la personne qui présentait le meilleur alibi pouvait être même la plus suspecte. Son évaluation s’est alors portée sur les mobiles que pouvaient avoir les personnes de souhaiter le « départ » de Roland. Les mobiles sont toujours difficiles à interpréter car s’il parait mince pour l’inspecteur, un tel mobile peut avoir une grande force pour une autre personne; en outre, les gens peuvent assez facilement cacher certains mobiles, qui ne ressortent pas à première vue. S’il avait pu se fier à l’arme du crime et aux alibis, Richard prétend que la partie aurait été plus facile; cependant, Richard aimait les défis et il dénote que le décès de Roland ne semble pas avoir été une catastrophe, même s’il a peiné quelques personnes. Richard n’a pas fait le décompte, mais il y aurait peut-être autant de personnes qui se réjouissent de la mort de Roland, qu’il y en a qui pleurent son départ.
Richard laissa la philosophie et revint à son plan; il contacta d’abord Catherine qui figurait en tête de liste des suspects. Catherine accepta de le voir vers 17h alors qu’elle termine son travail direct à la compagnie. À l’arrivée de Richard, Catherine complétait l’analyse d’un dossier et semblait passablement de bonne humeur. Richard s’en réjouissait, car les personnes parlent plus lorsqu’elles vivent des situations heureuses. Catherine se réjouissait de réussir à apprivoiser les différentes tâches de son nouveau poste et aussi que les employés et son associé se montrent disponibles pour répondre à ses demandes, ce qui rendait son apprentissage plus facile. Avant de pousser plus loin son enquête, il demanda à Catherine ce qu’il advenait de la demande de son demi-frère. Elle parut un peu étonnée, mais se rappela que le notaire avait dit qu’il informerait l’enquêteur lorsque Marcel Longpré se manifesta par son avocat. Elle informa Richard qu’une entente fut vite trouvée, semble-t-il à la satisfaction de tous. Après confirmation des dires de Marcel, ce dernier eut droit de regard sur le testament, qui ne lui octroyait absolument rien. Marcel qui aurait pu prouver, à partir d’un test génétique, être vraiment le fils de Roland, avait démontré sa filiation par le fait que Roland s’était rendu à Paris, environ neuf mois avant la naissance de Marcel et aussi que Roland a fait parvenir à Marcella Longpré une pension mensuelle jusqu’à la majorité de Marcel. La mère des enfants, Dominique Richer, confirma que Richard avait fait quelques voyages à Paris à cette époque pour ses affaires. Devant cela et la demande faite par Marcel de recevoir, seulement, deux cent mille dollars, les héritiers ont proposé un montant définitif de cent mille dollars; les avocats des deux parties ont témoigné que l’acceptation, de cent mille dollars, par Marcel, fermait définitivement ce dossier. Les trois enfants de Roland ont dû alors débourser chacun un peu plus de trente mille dollars, afin de pouvoir profiter de l’héritage en toute quiétude.
Tout en remerciant Catherine de lui avoir expliqué cela, Richard lui confia qu’il tournait en rond en regard de l’assassinat de son père, étant donné que les personnes rencontrées présentaient toutes un bon alibi. Richard ne lui parla pas de son hypothèse d’un tueur professionnel mais demanda à Catherine qui, selon elle, souhaitait la disparition de son père. Elle lui parlait de clients insatisfaits et aussi des responsables des firmes qui ont été annexées à Assurance Phaneuf. Richard assura qu’il en prenait bonne note et qu’il creuserait de ce côté; lorsqu’il demanda si quelqu’un au bureau pouvait avoir fait le coup, Catherine se montra catégorique et refusait de croire que Denis Chapeleau ait pu y être pour quelque chose. Du côté de la famille proche, elle révéla qu’elle connaissait les difficultés financières de son frère Michel, mais elle ne voyait pas comment il aurait pu faire cela et le considérait trop faible pour même penser à l’assassinat de son père. Richard lui fit remarquer, alors, que la fille forte de la famille c’était elle, et qu’étant donné ce qu’elle avait tiré du décès de son père, elle pouvait même être considérée comme suspect important. Pour éviter de rester le suspect numéro un, Catherine dévoila que sa secrétaire Renée avait déjà eu une aventure avec son père et qu’il y avait peut-être quelque chose là. Seulement pour en avoir le cœur net, dit-il, il demanda à Catherine la permission d’avoir accès à son registre téléphonique ainsi qu’à son relevé bancaire des trois derniers mois. Catherine énonça qu’il faut habituellement un mandat pour cela, mais comme elle n’a rien à cacher dit-elle, elle autorisa l’enquêteur à obtenir ces relevés. En prenant congé, il la remercia de son ouverture d’esprit et déclara qu’il mettrait de l’énergie à exploiter davantage les pistes proposées par Catherine.
Catherine s’était contenue mais Richard avait néanmoins perçu une fébrilité qui pouvait être reliée à de la crainte ou à de la colère. Grâce à l’autorisation signée par Catherine, Richard obtint les relevés demandés. Les relevés téléphoniques, reçus au bureau de Richard le 30 mai, ne montraient rien d’inhabituel alors que vingt mille dollars avaient été retirés d’un compte d’épargne rarement utilisé.
Durant l’avant-midi du 30 mai, Richard était allé rencontrer Michel Phaneuf qui, lui aussi, démontrait une humeur positive. Grâce à l’héritage et à la vente de ses parts à Catherine, il possédait maintenant beaucoup d’argent, l’esprit tranquille et une superbe auto. Il a conservé son travail chez Ubi Soft, car il aime ça dit-il. Richard l’informa qu’il connaissait ses dettes de jeux et que le décès de son père devait bien l’arranger. Michel ne nia pas, mais affirma qu’il n’avait jamais demandé d’argent à son père et qu’il avait réussi à s’organiser sans lui, malgré ce que son père en pensait. Richard demanda aussi à Michel, qui aurait pu vouloir la mort de son père. Comme Catherine, il orienta Richard sur la piste des firmes acquises par Assurance Phaneuf ainsi que vers certains clients, qui auraient pu être insatisfaits. Richard obtint l’autorisation de Michel pour consulter les relevés téléphoniques et bancaires des trois derniers mois.
Durant l’après-midi, il se rendit au bureau de l’Assurance Phaneuf, pour y rencontrer à nouveau Catherine, qui se montrait agacée de revoir encore cette enquêteur qui commençait à l’inquiéter; pourtant elle se disait qu’elle n’avait rien à se reprocher, même si elle avait désiré prendre la place de son père. Richard y alla directement et lui demanda à quoi avaient servi les vingt mille dollars retirés le 2 avril dernier. Elle regarda le relevé, pour se donner un moment de réflexion, et révéla qu’elle avait prêté cet argent à son frère Michel, qui présente un problème de jeux, et qui l’avait suppliée de lui prêter cet argent pour rembourser ses dettes. Elle connaissait bien Michel et ne voulait pas le prendre en pitié, mais il lui jura que sa vie était en danger s’il ne pouvait rembourser rapidement sa dette. Craignant de le regretter si elle refusait de l’aider et qu’il lui arrivait vraiment quelque chose, elle accepta de lui prêter l’argent qui lui sauvait la vie, selon ce que Michel disait. En bonne comptable et fille disciplinée, elle avait alors produit une lettre qui stipulait qu’elle prêtait à Michel Phaneuf une somme de vingt mille dollars portant intérêt de cinq pour cent, à être remboursée avec les intérêts à l’intérieur de douze mois, sans quoi, ce papier lui permettrait de se rembourser en saisissant les biens de Michel, jusqu’à concurrence de trente mille dollars. Elle sortit cette lettre du petit coffre-fort personnel qu’elle avait dans son bureau; sur cette reconnaissance de dette, il était maintenant écrit « remboursé », étant donné que l’affaire a été réglée lorsque Michel a vendu ses parts à Catherine. Richard satisfait de cette explication la remercia et prit congé.
Dans la soirée du 30 mai, Richard se pointa au casino où il espérait voir Michel; ce dernier s’adonnait au poker et semblait en veine; il s’arrêta de jouer lorsqu’il reconnut l’enquêteur et il se demandait ce qu’on lui voulait encore. Il ne tarda pas à le savoir car Richard lui fit part de sa conversation avec Catherine et lui demanda si c’était vrai qu’il avait emprunté vingt mille dollars pour payer ses dettes; prenant un air de chien battu, Michel avoua sa difficulté à gérer son goût du jeu et confessa avoir menti à sa sœur. Il expliqua qu’il n’était pas en danger, mais qu’il a raconté cela à Catherine afin de pouvoir continuer à jouer. L’héritage et la vente de ses parts ont permis de régler rapidement l’emprunt contracté auprès de sa sœur ainsi que sa dette au casino; le remboursement au casino a été fait le 25 mai, une fois que Michel eut l’argent de l’héritage et de la vente de ses parts. Maintenant, il n’a plus de dettes, dit-il, il joue prudemment et la chance semble même de son côté.
Richard se fit confirmer par le gérant du casino que Michel avait dit vrai et qu’il n’avait plus de dettes depuis le 25 mai. En retournant chez lui, Richard avait l’impression de s’être emballé trop vite avec cette histoire de vingt mille dollars. Cela semblait mener nulle part et même si Michel a menti à sa sœur, ce mensonge ne faisait pas de lui un criminel. Le lendemain, il retourna voir Denis Chapeleau, l’associé d’Assurance Phaneuf; Denis fut étonné de revoir l’enquêteur car il croyait qu’il avait été éliminé de la liste des suspects. Richard lui demanda l’autorisation pour consulter ses registres téléphoniques et bancaires et aussi pour jeter un coup d’œil à la comptabilité de la compagnie, car, dit-il en souriant, les chiffres parlent parfois plus que les humains. D’étonné qu’il était, Denis se montrait maintenant un peu rébarbatif; cependant pour éviter de mettre de l’huile sur le feu, il se montra coopératif, d’autant plus que Richard l’avait rassuré en lui disant que ces demandes étaient des procédures de routine en pareil cas. On vérifie d’abord les alibis, on regarde s’il y a des mobiles et on cherche des indices. Denis acquiesça, mais on le sentait préoccupé et même un peu nerveux.
Richard fit examiner la comptabilité de la compagnie par le comptable attitré du service de police. À première vue, tout semblait dans les normes mais pour en avoir le cœur net, Richard devrait demander les pièces justificatives auprès du comptable de la compagnie. Richard se dit qu’il aurait été difficile pour Denis de falsifier la comptabilité sans éveiller les soupçons de Roland et de son comptable Maxime Laframboise et décida alors de ne pas poursuivre à ce niveau, tant qu’il n’aurait pas fait le tour des suspects.
En étudiant les registres bancaires de Denis, Richard constata que ce dernier avait effectué deux retraits de dix mille dollars durant le mois d’avril alors qu’il n’y avait rien de semblable le mois précédent. En après-midi du premier juin, Richard retourna voir « l’heureux » associé afin de lui remettre la comptabilité de la compagnie et de vérifier ce qu’il en était des deux retraits effectués en avril dans son compte personnel. Denis était mal à l’aise de revoir encore l’inspecteur mais, le fait que la comptabilité de la compagnie semblait dans les règles le rassura un peu. Il se doutait bien que Richard se questionnait sur les retraits dans son compte et il avait préparé une réponse qu’il croyait plausible et difficilement vérifiable. Lorsque Richard pointa les deux retraits effectués en avril, Denis lui avoua avoir eu une aventure sexuelle avec une belle blonde qu’il avait rencontrée dans un bar après le travail au mois de mars; en fait, il dit qu’il croyait avoir fait jouer son charme et sa prestance d’homme d’affaire, alors qu’il s’est fait piéger. La belle demoiselle aurait proposé une « détente » à l’hôtel et ils auraient été filmés lors de leur relation sexuelle; elle disait s’appeler Nadia Yomel et lui a laissé son numéro de cellulaire. Quelques jours après cette escapade sexuelle, Denis dévoila avoir reçu des photos explicites de leurs relations sexuelles; pour vingt mille dollars, l’affaire serait conclue était-il écrit et son épouse n’en saurait rien; il y avait un nota bene qui spécifia sarcastiquement qu’un divorce coûte beaucoup plus cher que cela. Heureusement pour lui, Michèle Turcot, son épouse, possède un compte bancaire personnel et ne va pas fouiller dans celui de Denis. Par sécurité, Denis a détruit les photos reçues ainsi que la lettre indiquant comment procéder au paiement. Pour lui, c’est une leçon importante; il s’est fait berner et il a couru le risque de détruire son couple; il s’est bien juré de ne plus se laisser tenter. Denis n’a jamais revu « Nadia » et le numéro de téléphone est inexistant. En terminant ses explications, Denis demanda à Richard de ne pas révéler cela à son épouse Michèle et il refusa de porter plainte. Donc pour lui l’affaire était close et elle expliquait ses retraits d’argent.
En veillée, Richard planifia pour le lendemain, une rencontre avec Robert Grandmaison, nouveau prétendant de Renée Dixon, et fixa aussi une « visite de courtoisie » à Albert Maxwell, de la compagnie Maxwell nouvellement achetée par Roland avant son assassinat.
En ce deux juin, la température est clémente et l’été pointe déjà son nez. Robert Grandmaison, agacé mais poli, reçut Richard Chari à son bureau; Robert énonça qu’il avait décalé ses rendez-vous de trente minutes afin de consacrer du temps à l’inspecteur, qui l’assura qu’il en aurait terminé dans ce délai. Comme pour les autres suspects, Richard demanda la permission d’obtenir les relevés téléphoniques et bancaires des trois derniers mois. Robert ne s’y opposa pas mais avertit Richard qu’il y aurait de nombreuses communications sur ces registres téléphoniques et quelques transactions sur ses comptes bancaires. Richard expliqua qu’il avait demandé des relevés similaires à d’autres personnes, toujours dans le but d’éliminer des personnes qui auraient pu avoir intérêt par le décès de Roland. Robert assura qu’il ne souhaitait pas la mort de Roland, mais il voulait que ce dernier ne puisse plus faire de mal à Renée et, en ce sens, il avait demandé à Renée de démissionner et il lui avait garanti qu’il ferait jouer ses contacts afin de lui trouver un autre emploi; cependant, Renée refusa pour ne pas que Robert soit accusé plus tard, par un adversaire, d’avoir utilisé des fonds publiques pour trouver un emploi à sa petite amie; on sait aujourd’hui, comment les gens sont suspicieux et les journalistes aux aguets. En outre, Renée avait affirmé à Robert, que depuis qu’elle se sentait aimée, elle avait mis les choses au clair avec Roland et elle ne le craignait plus. Robert rapporta qu’elle semblait sincère dans sa conviction de porter plainte contre Roland, s’il tentait encore quelques choses ou s’il la harcelait. En prenant congé, Richard pensa que l’explication tenait la route et pourrait éloigner Robert des suspects probables. Néanmoins, il devait d’abord faire l’analyse des relevés demandés avant de se faire une idée définitive.
En se rendant au rendez-vous avec Albert Maxwell, Richard se repassa le film de sa première rencontre avec Albert, qui s’était montré passablement positif malgré que son père ait été évincé de la compagnie et que lui-même devait attendre afin de faire ses preuves comme directeur. Aujourd’hui, Albert semble encore positif selon ce que Richard constatait de l’accueil chaleureux qu’il reçut. Est-ce qu’Albert est un optimiste ou si les choses vont comme il souhaitait. Richard eut sa réponse lorsqu’Albert l’informa qu’il venait d’être nommé directeur adjoint, par Catherine, qui lui promettait le poste de directeur lorsque Georges Blanchet aura complété la mise à niveau de la compagnie. Albert confia que Catherine et Georges se disaient satisfaits de son apprentissage et Catherine avait fixé l’échéancier en janvier, c’est-à-dire dans six mois. Albert ne comprenait pas pourquoi l’inspecteur était revenu le rencontrer et Richard doutait aussi maintenant de la pertinence de sa démarche, car en fait, la personnalité optimiste d’Albert se maintenait et lui profitait, en autant qu’il accepte de travailler assidument pour la nouvelle compagnie. Richard n’en douta plus et le félicita sur sa manière de voir les choses. Il croyait que, si plus de personnes faisaient confiance en la vie, il y aurait moins de misère sur terre.
En veillée, Richard commença à étudier les relevés de Robert Grandmaison et il fixa un rendez-vous pour le lendemain à Gilles Breton, qui aurait pu vouloir se venger de l’attitude de Roland après le décès de son épouse.
Le trois juin en avant-midi, il contacta Robert Grandmaison afin de pouvoir lui parler en soirée au sujet des relevés; ils ont convenu de se rencontrer au bureau de Robert à 19h. En après-midi, comme convenu hier, Richard se rendit voir Gilles Breton. Ce dernier le reçut poliment et même avec gentillesse, croyant que l’inspecteur venait le rencontrer simplement pour l’éliminer de sa liste de suspects; il fut surpris lorsque Richard lui demanda, à lui aussi, les relevés téléphoniques et bancaires des trois derniers mois. Richard lui expliqua que ce n’était qu’une formalité. Gilles, qui présentait un bon alibi pour la soirée du meurtre, demanda à Richard qu’est-ce qu’il pourrait tirer de ces relevés puisqu’il n’avait rien à se reprocher. Devant l’absence de réponse, Gilles dit qu’il n’avait pas intérêt par la mort de Roland et qu’il n’aurait pas dépensé d’argent pour le faire disparaître. Richard pensa que Gilles, sous des airs tranquilles, avait bien compris sa démarche. Gilles autorisa Richard à prendre connaissance de ses relevés et Richard le laissa. Richard ne croyait pas trouver des indices importants dans ces relevés, mais il devait quand même procéder afin de ne pas trop vite éliminer un suspect, même si celui-ci paraissait honnête et sans malice.
Robert Grandmaison était passablement nerveux à l’arrivée de Richard, comme un enfant qui craint de se faire gronder. Les relevés bancaires n’ont pas fournis d’indices à Richard mais les nombreux contacts téléphoniques avec un certain, Réal Cotton, intriguèrent l’inspecteur. Robert, un politicien qui semble se dévouer pour ses commettants, expliqua que ce Réal Cotton, un jeune environnementaliste, veut supporter sa campagne à la mairie et aussi participer à la politique environnementale. Un autre idéaliste songea Richard qui voit bien dans les faits que l’argent mène le monde et pervertit aussi parfois les gens. Robert, encore un peu nerveux, imagina que l’inspecteur avait fait le lien sur les agirs débordants de Réal Cotton avant qu’il trouve quelqu’un qui puisse véhiculer positivement son message. Réal, considéré comme un anarchiste, s’était fait remarquer dans certaines manifestations contre la mondialisation. Robert prenait le risque de s’associer à cet homme, malgré que ce dernier ait affirmé publiquement que la voie du changement véritable passait, maintenant, par le pouvoir politique et non par des manifestations violentes. En quittant Robert, Richard s’informa de ses amours; Robert rapporta joyeusement que sa relation avec Renée se maintenait et se consolidait. En outre, Renée voyait d’un bon œil la carrière politique et voulait même y participer. Que demander de plus songea Richard en retournant à son auto.
Les relevés téléphoniques de Gilles Breton montraient plusieurs contacts en rapport avec les services entourant le décès de son épouse et les montants inscrits sur les relevés bancaires semblaient correspondre à ces mêmes démarches. Richard se dit qu’il était temps de laisser ce monsieur tranquille et dès le cinq juin, il alla lui rendre ses relevés et lui souhaita bonne chance pour l’avenir. Gilles comprit qu’il n’était plus suspect et le remercia d’avoir fait si vite pour dissiper le doute et l’anxiété que cette démarche a pu faire naître.
-3-
LA CONFRONTATION
Richard était assez content car il savait qu’il avançait dans son enquête, non pas qu’il avait trouvé le coupable mais bien qu’il en avait éliminé plusieurs; en fait, il ne les avait pas vraiment rayés de sa liste de suspects, mais ils étaient devenus des suspects possibles et moins probables. Par contre, il croyait qu’en se fiant à son hypothèse du meurtre commandité, il devait maintenant pousser plus à fond son investigation auprès de Michel Phaneuf, le fils de Roland, et auprès de Denis Chapeleau, l’associé qui semble maintenant plus content depuis que Catherine a remplacé Roland. Les deux détenaient de bons mobiles, comme plusieurs d’ailleurs, et les deux ont effectué des sorties d’argent en avril pour une somme de vingt mille dollars chacun; est-ce une coïncidence? Est-ce qu’il y en a un qui aurait pu payer un tueur ou si leurs explications concernant l’argent s’avèrent véridiques? En outre, s’il y a eu une personne engagée pour tuer Roland, qui est cette personne, comment a-t-elle été contactée, payée, etc.? En fait, Richard, avait à ce stade-ci encore beaucoup plus de questions que de réponses; en outre, l’orientation, qu’il avait donnée à ses rencontres avec les suspects, avait été envisagée à partir de son expérience mais non de faits concrets; se pourrait-il qu’il se soit complètement gouré et que le suspect véritable soit parmi ceux qu’il a délibérément classés dans la liste des suspects possibles? Sur ce, Il ferma les yeux et, avant de sombrer dans un sommeil profond, il se félicita du travail accompli; il pensa aussi qu’il devait refaire ses forces avant d’attaquer de front les deux suspects gardés dans la catégorie probable.
Le 4 juin, pour tenter d’y voir plus clair en regard de Michel, Richard se rendit au casino et parla au gérant qui affirma avoir été remboursé par Michel le 25 mai; le gérant ne put expliquer comment il se fait que Michel n’ait pas payé sa dette de dix-huit mille dollars alors qu’il avait reçu vingt mille dollars de Catherine pour la payer. Le gérant déclara ne pas avoir vu souvent Michel durant le mois d’avril et que ce dernier n’avait pas augmenté ni diminué sa dette durant cette période; par contre, le gérant croit que si Michel avait obtenu vingt mille dollars en avril, il aurait probablement payé une partie de sa dette et se serait présenté plus souvent au casino, espérant se refaire. Pour Richard ce qu’il venait d’entendre renforçait encore un peu plus son idée que Michel, qui semblait le plus endetté des suspects, avait quelque chose à voir avec l’assassinat de son père. Il était clair aussi que ces verbalisations du gérant n’incriminaient pas Michel, même si elles augmentaient le doute à son égard.
Le jour même Richard retourna voir Denis Chapeleau qui venait de clore une rencontre avec un nouveau client; Denis semblait assez fier de lui, mais son air s’assombrit dès qu’il vit la silhouette de l’inspecteur. Richard voulait seulement quelques explications supplémentaires concernant les deux retraits d’argent effectués en avril. Denis réitéra que vingt mille dollars ont été remis à un maître chanteur et qu’il a détruit les preuves de cette « transaction ». Richard qui doutait de la véracité des verbalisations de Denis, l’informa qu’il irait voir sa femme, si Denis ne pouvait démontrer ce qu’il avançait. Denis finit par révéler qu’il avait bien conservé une photo qu’on lui avait remise et qu’il avait l’intention de porter plainte, si on tentait de lui soutirer encore de l’argent. La photo était passablement explicite et Denis apparaissait étendu sur un lit avec une « Nadia » qui exprimait des signes de jouissance. À n’en pas douter, cette photo a été prise par des pros et elle pourrait effectivement détruire le couple de Denis, si son épouse en prenait connaissance. Richard conclut qu’il ne s’informerait pas auprès de l’épouse, s’il réussissait à retrouver Nadia et si elle confirmait les faits.
Grâce à la photo remise par Denis, Richard réussit à identifier Nadia, une escorte qui se spécialisait auprès d’hommes d’affaires, qui peuvent payer un gros montant pour avoir du bon temps. Cette fois-ci cependant il y avait un truc spécial, Nadia avait dû collaborer avec Martin, vu que ce dernier menaçait de révéler à la protection de la jeunesse qu’elle était une escorte, ce qui aurait abouti à ce qu’elle perde la garde de sa fille de sept ans. Nadia, affirma que c’était la première fois qu’elle embarquait dans une arnaque de ce genre et qu’elle ne devrait plus avoir de problème vu que Martin s’est fait descendre par un gars de la mafia; il était trop gourmand semble-t-il. Nadia précisa ne pas avoir vu la couleur des dix mille dollars escroqués à Denis Chapeleau et que depuis le décès de Martin, elle avait décidé de changer de mode de vie, afin de ne plus courir le risque de perdre sa petite fille adorée. Nadia craignait que cette affaire lui porte préjudice, mais Richard l’informa que Denis ne voulait pas porter plainte et que lui-même garderait ses informations, à moins qu’il entende encore parler d’elle; à ce moment, son rôle de mère se transformerait en celui de prisonnière.
Si Nadia disait vrai, Richard devait retourner voir son « ami » Denis afin qu’il explique comment a été utilisé l’autre dix mille dollars. Dès le 5 juin, Denis reçu encore la visite de l’inspecteur qui commençait à douter fortement de Denis. Ce dernier ne put contredire Nadia sur le montant qui avait été remis à Martin et il était content que cette affaire, qui compromettait son couple, semblait se terminer sans trop de casse. Voyant bien que Richard avait la capacité de vérifier ses dires, Denis changea sa version et dévoila que le deuxième retrait de dix mille dollars avait été remis à Michel Phaneuf qui avait eu besoin d’argent pour payer des dettes de jeu. Denis expliqua qu’il avait rencontré Michel au casino et qu’il avait accepté de lui prêter cet argent, en autant que Michel accepte de lui rembourser quinze mille dollars d’ici un an ou qu’il lui vende ses parts de la compagnie, advenant le décès de Roland. Denis déclara que c’était une entente verbale et qu’il ne pouvait fournir de papier confirmant cela. Richard pourrait certainement avoir la confirmation de cette entente auprès de Michel Phaneuf, qui n’avait pas vendu ses parts à Denis et ne lui avait pas encore remboursé les dix mille dollars, malgré qu’il soit maintenant très riche. Denis dit croire que Michel lui remboursera le montant promis en temps prévu. Richard trouve louche le fait que Denis n’ait pas exigé un papier de reconnaissance de Michel et il se répéta qu’il ferait la lumière là-dessus bientôt.
En soirée, Richard retrouva Michel qui s’amusait au casino; en voyant l’inspecteur, il énonça que ce n’est pas un crime que de « payer des taxes » au gouvernement; en fait, une partie des profits du casino retourne au gouvernement, ce que les personnes considèrent comme des taxes déguisées. Michel ne riait plus lorsque Richard lui demanda ce qu’il était advenu des dix mille dollars remis par Denis. Michel affirma n’avoir rien demandé ni reçu de Denis qui semblait vouloir en faire le bouc émissaire. Il reconnut avoir pris de gros risques et aussi avoir été passablement insouciant avec l’argent emprunté à Catherine, mais il révéla qu’il recherche l’excitation que les risques occasionnent. Richard lui redit alors d’arrêter son cirque car il savait que l’argent reçu de Catherine et les dix mille dollars obtenus de Denis n’ont pas été dépensés au casino, mais qu’ils auraient été « investis » dans le but de frapper le grand coup, sans prendre trop de risque cette fois. Michel, feignant de ne pas saisir, se montra très intéressé lorsque Richard confia qu’il le soupçonnait d’avoir fait affaire avec un tueur à gages, afin d’éliminer son père et de régler ses problèmes monétaires. Michel continuait à jouer le jeu, car il savait que ça serait difficile de démontrer qu’il a remis trente mille dollars à Roaul pour éliminer son père. Même Denis ne savait pas comment ni qui Michel avait contacté pour concrétiser leur affaire. Richard laissa Michel à ses jeux, en précisant qu’il ne pouvait vraiment rien prouver pour l’instant, mais qu’il l’aurait à l’œil dorénavant.
Sans laisser le temps à Michel de s’organiser avec Denis, Richard se rendit immédiatement au domicile de Denis qui s’apprêtait à se coucher. Denis rassura son épouse et il accepta de suivre Richard au poste. Richard l’informa de sa rencontre avec Michel qui niait avoir reçu de l’argent de lui. Richard répéta cependant croire qu’il a effectivement remis dix mille dollars à Michel et aussi que l’argent « reçu mais nié par Michel » aurait été utilisé pour payer un tueur à gages. Denis nia d’abord aussi cette hypothèse de tueur à gage, car Michel était vraiment paniqué lorsqu’il lui avait demandé de l’argent, dit-il. Richard lui répondit qu’il venait de voir un Michel qui continue à s’amuser, qui aime les risques et qui pourrait bien tout lui mettre sur le dos. Denis se demandait si effectivement Michel pouvait le compromettre et lui faire porter seul le chapeau. Denis ne pouvait prouver avoir remis dix milles dollars à Michel qui niait; est-ce que ce serait Denis qui aurait lui-même contacté un tueur pour faire la « job »? En fait, Denis sentait bien que la glace s’amincissait et que son ambition lui coûtera très chère. Richard, qui percevait l’hésitation et l’ambivalence de Denis, lui offrir une réduction de l’inculpation s’il acceptait de s’ouvrir. Denis, craignant effectivement que Michel lui mette la responsabilité sur le dos, accepta de collaborer et révéla que Michel a été l’instigateur du « projet »; ce dernier a emprunté vingt mille dollars à Catherine, en jouant à la victime et il a soutiré dix mille dollars à Denis, en lui promettant qu’il pourrait bientôt être le boss de la compagnie d’Assurance sans prendre trop de risques. Denis avoua avoir succombé à cette manipulation et ne pas avoir demandé plus d’explications à Michel, qui devait s’occuper de tout et lui vendre ses parts de la compagnie, après le décès de Roland.
Après la signature de ses aveux, Denis obtint la permission de prévenir son épouse qui n’avait rien remarqué dans le comportement de Denis; Denis reçut aussi la « promesse » de l’inspecteur qu’il ne révélerait pas à son épouse son escapade sexuelle avec Nadia.
Richard, accompagné de policiers, se rendit au casino afin de mettre fin à la partie de Michel. Ce dernier fut amené au poste où il fut inculpé pour meurtre, même s’il nia son implication à ce niveau. Pour lui, l’argent emprunté à Catherine a été dépensé au casino, quoi qu’en dise le gérant, et le prêt supposé de Denis n’est qu’une défense de ce dernier; d’ailleurs, Richard n’avait comme preuve que le retrait effectué par Denis et les dires de ce dernier, mais pas de papier signé ni autre élément. Michel énonça finalement que c’est probablement Denis qui a tout manigancé et qui aurait contacté un tueur à gages pour faire disparaitre Roland.
Richard se retrouvait avec des aveux de Denis dans une complicité pour meurtre, en ce sens qu’il avoua avoir donné dix mille dollars à Michel dans le but d’obtenir les parts de ce dernier à la mort de Roland. D’un autre côté, Michel nie avoir reçu de l’argent de Denis et l’accuse d’être l’instigateur de l’assassinat. Faute de preuves directes, Richard dut se résigner à laisser aller Michel qui se sentait soulagé alors que l’inspecteur maugréait à l’intérieur.
La nuit fut courte pour Richard qui dormit mal, il avait l’impression d’être près du but mais sans réussir à conclure. Le lendemain, soit le 6 juin, Richard se rendit de nouveau au casino et demanda au gérant s’il n’avait pas remarqué quelque chose de différent dans le comportement de Michel en avril; Talon répondit qu’il voyait beaucoup de gens et qu’il lui était impossible d’avancer quoique ce soit. Richard, qui était « tanné » de jouer au yoyo, lui précisa que le casino pourrait bien recevoir la visite des enquêteurs du fisc, de la moralité, etc. pour faire quelques vérifications d’usage; ce qui habituellement réduisait l’achalandage. Talon répéta que, selon lui, Michel n’avait pas dépensé beaucoup d’argent au casino en avril, car il en devait encore et du bout des lèvres, il révéla avoir une fois remarqué que Michel avait eu un contact avec Robin, un ex-détenu, qui tentait de se tenir dans le droit chemin disait-il. Lorsque Robin se présenta au casino, Talon informa l’inspecteur, par un signe convenu. Richard prit le temps d’observer ce gaillard et se présenta à lui en disant qu’il voulait lui parler. Robin affirma qu’il n’avait rien fait et qu’il ne voulait pas « d’enmerde ». Richard l’assurait de sa discrétion, s’il n’était pas complice; Robin confia alors que Michel cherchait quelqu’un pour faire du « ménage » et la rumeur laisse entendre qu’il aurait été vu avec Raoul.
En après-midi, Richard se rendit chez Ubi Soft pour rencontrer Michel, qui continuait à donner bonne impression à son patron. Michel accepta de suivre Richard au poste, en prétextant à son employeur, qu’il avait des contraventions à régler. À son bureau, Richard expliqua alors à Michel qu’il avait maintenant la preuve qu’il s’est associé avec un groupe de criminel; en outre, Richard promit de laisser savoir à Raoul que Michel a dénoncé la combine. Michel ne riait plus et Richard percevait maintenant de la frayeur sur le front du technicien. Michel réfléchissait intensément et conclut qu’entre la prison ou devoir toujours se cacher, par crainte d’être éliminé par le gang de Raoul, il préférait encore les bonnes prisons du Québec. Il reconnut alors avoir utilisé les vingt mille dollars empruntés à Catherine et les dix mille reçus de Denis, afin que son père paie pour ses injustices et son arrogance.
Pouvant maintenant se payer un très bon avocat, Michel croyait qu’il ne serait pas condamné à perpétuité, même s’il était reconnu coupable de complot pour meurtre et il accepta de signer la déclaration lue par l’inspecteur.
Malgré son argent, Michel fut condamné de complot pour meurtre; la sentence d’emprisonnement à perpétuité, avec révision dans vingt-cinq ans seulement, lui laisserait amplement le temps de se défaire de sa dépendance au jeu. Denis fut aussi condamné à complot pour meurtre, mais il s’en tirait avec un emprisonnement de vingt-cinq ans, avec une révision possible au bout de quinze ans. Catherine dut se trouver un nouvel associé.
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