CHAPITRE 2
MA VIE A ST-GERMAIN
1. Mon père
2. Alcide
3. La vie familiale
1. Mon père
Mon père, Jean-Baptiste, le garçon aîné de Clément, est
venu au monde à St-Germain de Grantham le 9 août 1889 à un
mille du village sur le chemin de Yamaska, en face du théâtre
des Ancêtres d'aujourd'hui; c'était où son oncle Alphonse
avait sa terre à bois autrefois. Plus tard, Clément a changé
sa terre pour une maison au village de St-Germain .
A 19 ans, Jean-Baptiste revint au Canada pour chercher
Anastasie Fafard qu'il prit pour épouse. Deux ans plus tard,
lors du décès de sa mère, il décida de revenir au Canada;
déjà il avait deux beaux enfants qu'Anastasie lui avait
donnés, Simone et Alcide.
Il travailla donc avec son père comme menuisier; les maisons,
les granges et les chèdes à voitures
s'élevaient au travail de leurs mains.
Ça faisait un an que mon grand-père et mon père
travaillaient à la manufacture Landry à faire portes et
fenêtres. Comme personne n'avait de montre, mon père a réglé
cela; à sept heures, au son de l'Angelus, il a planté un grand
clou sur la tablette du chassis où l'ombre passait au soleil; à
midi, encore au son de l'Angelus, un autre grand clou fut planté
où l'ombre passait au soleil et ainsi en fut-il aussi le soir à
sept heures au son de l'Angelus; ensuite mon père planta des
petits clous pour chacune des autres heures; cétait une
merveille pour savoir l'heure dans ce temps-là.
Mon père ramassait la poudre fine venant des sableurs de la
manufacture Landry et l'apportait à ma mère qui s'en servait
dans les couches quand les bébés avaient des échauffaisons.
2. Alcide
J'avais un an et demi; on était à St-Germain en provenance
des Etats. Ma mère m'avait assis sur mon petit pot vous savez
pourquoi. Soudainement j'eus l'envie d'aller voir ce qui se
passait au village. Je me levai vitement, le pot dans la main
droite et la couche dans la main gauche et je dévalai la rue
Ferdinand. Ma mère me retrouva sur la rue principale devant les
vitrines de magasins. Elle me ramena à la maison en se demandant
ce qu'elle ferait bien avec moi dans la vie. Alors mûrit dans sa
tête l'idée de faire de moi un saint.
J'ai appris cela plus tard en lui demandant pourquoi elle
m'avait donné le nom d'Alcide... "C'est pour en faire un
saint," qu'elle me dit. J'ai hâte de savoir quelle sorte de
saint je vais faire. En attendant, allons de l'avant; il ne faut
pas s'arrêter si on veut y arriver.
Un jour, j'avais trois ans dans le temps, ma mère avait fini
de laver son linge. J'étais alentour et la regardais faire. Le
temps qu'elle se rende au poêle pour surveiller son dîner, je
pris le bouchon qu'elle avait mis sur la marche de l'escalier
pendant que l'eau de la machine à laver se déversait dans la
chaudière.
Je me sauvai au deuxième étage et là j'attendis; quand la
chaudière fut pleine et que ma mère voulut mettre le bouchon,
elle se mit à crier: "Alcide, apporte-moi le bouchon."
Moi, je riais aux éclats pendant que l'eau sécoulait sur
le plancher. Ce midi-là, je dus me priver de dessert.
Quand j'étais petit, j'étais tannant un peu rare.
Une fois, j'avais joué avec des allumettes, ma mère me dit:
"Pas encore" et je reçus une volée de la strappe sur
les fesses.
Pour la centième fois, j'avais fait choquer ma petite soeur;
ma mère me poursuivait autour de la table; aussitôt la porte
devant moi je pus me sauver du manche à balai qu'elle savait
manier. Après m'être caché dans l'étable quelque temps, je
suis revenu voir si ma mère avait changé d'humeur et je
commençai à lui parler d'un ton aimable. Elle me dit:
"Petit sans coeur, tu es bien haïssable."
Un jour, ayant été malade toute la nuit, ma mère me donna
à déjeuner avant d'aller servir les deux messes, celle du curé
et celle du vicaire. Je décidai d'aller à l'église pour
communier en oubliant que j'avais mangé. En me voyant à la
balustrade, ma mère a eu envie de me crier: "Tu n'as pas le
droit." Après la messe, elle me conduisit auprès du curé
qui régla l'affaire en me renvoyant en paix. Dans la même
semaine, je fis une erreur en servant la messe; le vicaire me
dit: "Sors dehors et attends-moi." Là il m'apostropha
ainsi: "Tu as fait une erreur, pour ta pénitence, va-t-en
chez vous sans te retourner la tête ni vers l'arrière, ni vers
les côtés." J'avais un demi-mille à faire et je partis en
regardant en avant mais la tête penchée vers les pieds. Tout à
coup, j'ai frappé un homme sur le ventre; tout gêné, je
regardai en arrière et je vis le vicaire qui riait dans sa
barbe.
Plus tard, il était venu à St-Majorique pour les quarante
heures et voulut m'envoyer me mettre à genoux dans le parc,
mais, entouré de ma gang, je lui
répondis: "Pas aujourd'hui, M. le Vicaire." Il a
trouvé cela bien drôle.
3. La vie familiale
Il y avait sur la rue Ferdinand de St-Germain seulement 4
maisons, 2 du côté gauche et 2 du côté droit. La première
maison à gauche était occupée par mon père, les voisins
étaient Georges Landry, pépère et mémère Champagne, les
Salvail et les Carpentier. Mme Salvail disait toujours: "J'y
vais seulement à tous les deux jours et seulement un peu à la
fois". Son garçon ajoutait: "Vous mangez comme un
oiseau, ne pensez pas y aller en taureau."
Joe Carpentier travaillait en dehors, il venait faire un petit
tour à tous les six mois; sa femme venait s'asseoir sur la table
pour nous annoncer la nouvelle; mon père lui présentait une
chaise mais elle disait: "Je n'en ai pas besoin."
Les clôtures de chaque côté de la rue étaient des
clôtures de perches; on mettait un madrier sur la perche du
dessus dans le sens opposé, et voilà on avait un berceau sans
garde; assis chacun à son bout, c'est le plus pesant qui faisait
fumer l'autre. Voilà qu'un jour,
j'étais sur un bout et Blanche Eva Carpentier était assise sur
l'autre; quand je fus tanné je me
suis fait très pesant et la fis fumer.
Elle fuma trop longtemps et elle s'étourdit; en tombant elle
s'accrocha le nez sur un clou; par la suite jamais je n'ai joué
au berceau et au fumage.
La mère Champagne avait un coeur d'or; tous les vendredis,
elle faisait des tartes; elle en faisait toujours une plus petite
spéciale pour son petit blond qu'elle disait. "Tu
reviendras vendredi prochain," me disait-elle, "je t'en
ferai une autre".
Georges Landry était fromagier et avait de grosses bottes qui
lui allaient à la ceinture pour laver son plancher; une
fois je pris ses bottes et je les ai enfilées par-dessus
mes souliers, mais quand j'ai voulu les
enlever je n'étais plus capable et je me suis
mis à pleurer; mémère appela Georges qui est venu me les
enlever.
Un soir, après souper, mon père nous
dit: "Celui qui ne sera pas entré à sept
heures ira coucher dehors." J'entre dans
la maison à sept heures moins cinq minutes
mais Marcel jouait encore dehors;
j'ai voulu lui sauver la vie en allant
pour le chercher; mal m'en prit; il était entré par
la porte arrière et moi je me suis retrouvé devant
une porte fermée à l'arrière et une porte
barrée à l'avant. Alors je m'assis sur le
perron en pensant à mon malheur; mon père eut pitié de
moi et m'ouvrit la porte. Je me suis
glissé sous la table et je me cramponnais à
la patte du centre de la table. Mon père
me dit: "Ne pleure pas et sors de
là." Je lui répondis: "Je ne
pleure pas mais ça
dégoutte pareil." J'avais à peine 4 ans.
Un soir que maman était seule
à la maison avec les enfants, il y eut un orage
violent; elle nous donna
chacun une chandelle et se mit à bénir
la maison avec la bouteille d'eau bénite. Les enfants, on
était tous assis sur
les marches de l'escalier, la
chandelle d'une main et le chapelet de l'autre. Ce
soir-là, on n'était plus porté à rire.
Mais je me souviens d'un autre orage
avec un tonnerre
fracassant et des éclairs à
répétition; j'étais sorti quelques instants
dehors; un éclair me frappa;
quand j'ai repris connaissance,
il faisait beau soleil mais mon linge était tout
trempé.
Dans ce temps-là, le beurre était rare; on
graissait nos tartines avec du saindoux et on les
sucrait avec de la mélasse.
La veille de Noël, on pendait nos bas de
laine; au réveil, on courait voir ce
que le Père Noël y avait
déposé: une patate, deux candies durs, deux ou trois kiss. On était très
content. Par contre quand on a appris
que c'était papa qui faisait le Père Noël,
on n'a pas aimé cela, surtout à cause du mensonge joyeux de
papa.
Quand maman nous voyait avec le gros
catalogue, surtout dans les
pages des corsets de femmes, elle
nous enlevait le catalogue et nous
grondait: "C'est pas permis de
regarder cela, vous autres les petits
gars." C'était aussi défendu pour les
filles de regarder les sous-vêtements d'hommes.
Entre 1912 et 1923, mon père avait une vache au
village de St-Germain. Ma mère en avait soin, faisait
la traite matin et soir. Elle
déposait le lait dans des
térines; le lendemain matin, avec une
cuillère, elle ôtait la crème sur le lait.
Après avoir fait cela plusieurs jours, elle brassait
la crème avec une fourchette et faisait son
beurre. Dans le fond des
térines, ce qui restait, c'était du lait
écrémé ou petit lait qu'on servait à boire
à table. Quand on avait un surplus
de petit lait, ma mère le laissait cailler et
ensuite les adultes le mangeaient;
les enfants ne se laissaient pas
facilement convaincre.
Ma mère faisait beaucoup de couture
pour la famille. Entre 1912 et 1923, elle
achetait sa laine cardée, la
filait au rouet, faisait ses
écheveaux avec le dévidoir qui
servait aussi à doubler la laine.
Elle aimait beaucoup tricoter; sans
regarder son ouvrage, elle ne
perdait jamais ses mailles.
Elle aimait beaucoup son jardin et ses fleurs.
De plus, elle allait ramasser des petites fraises des
champs, des framboises dans le bois, des
mûres dans le clos à vache. Avec
ces fruits, elle faisait ses confitures pour recevoir
la visite.
Avec des poches de sucre ou de farine que
ma mère décousait, elle faisait des
chemises d'ouvrage pour grand-père, pour
mon père et les sept
garçons; c'est elle-même qui les
teignait sur le poêle de la cuisine. Ma
mère faisait aussi des toiles cirées
qui servaient de manteaux, de piqués pour
les lits de bébés,
de couvertures quand on allait en voiture. Le
procédé de cirage était le suivant: elle
prenait du coton à fromage, le peinturait
deux fois avec de l'huile de lin et le
laissait sécher sur la corde à linge.
A la mort de ma grand-mère Bonin, mon
grand-père se donna à mon père avec
tous ses biens et ses dettes et devint comme le fils
à Jean-Baptiste; c'est drôle, mais le monde vivait
comme cela dans le passé. Mon grand-père
devenait mon frère et
on l'appelait pépère; plus il vieillissait, je
le crois car je suis rendu à
l'arrière grand-père et je vous assure que l'on en a
vu et entendu des choses.
|