CHAPITRE 3
MA VIE A ST-MAJORIQUE
1. La
première année à St-Majorique.
2. Notre
vieille maison et la vie familiale.
3. Ma mère,
la besogneuse.
4. Mon père,
l'homme à tout faire.
5.
Péripéties d'Alcide.
1.
La première année à St-Majorique
Premier
voyage sur la terre près de la
rivière à St-Majorique.
Jean-Baptiste venait
d'acheter cette terre au mois d'avril 1923. Ce
fut tout un voyage.
Nous sommes
partis, mon grand-père Clément, mon
père Jean-Baptiste et moi-même de St-Germain
à 7 heures du matin. Nous transportions
un voyage d'engrais pour le jardin de ma
mère Anastasie; nous avions attelé le blond et la brune
(la brune était très rétive) et nous
avions 11 milles à faire sur des
chemins à moitié neige à moitié terre;
je me rappelle que c'était froid, en bas de
zéro degré Farenheit.
La brune arrêtait souvent et
ne voulait plus partir; on courait derrière le traîneau
pour se réchauffer. Clément disait en
bougonnant: "Si ça continue, il va falloir
coucher en chemin." Toujours
bien, à 7 heures du soir, nous sommes arrivés sur
le côteau des Bonin, sans avoir bu ni
mangé car mon père pensait qu'on y serait
rendu dans l'avant-midi.
Mon père dit: "Je
vais vous faire des galettes pour souper." Mais comme
il avait oublié le sel et le soda, nous avons mangé
des galettes de carême.
Début
sur la terre à St-Majorique
Après avoir acheté
quatre vaches et un peu de machinerie, mon
père Jean-Baptiste décida d'aller travailler à
Montréal.
Grand-père Clément
me dit: "Tu es assez
savant, reste pour m'aider sur la ferme;
moi je ne suis pas capable d'écrire et de
lire mais je peux travailler quand même."
Comme mon cours scolaire
était fini, je partis avec le blond pour aller
m'acheter une petite charrue ST-OURS à St-Edmond. Le
lendemain matin, je me suis mis à labourer une
pièce de terre. Le labour fini, je
l'ai hersé et tout à coup j'ai vu arriver
grand-père dans le champ avec sa semence;
c'était dans un grand sac ou poche en jute attachée
au cou par une strape en cuir; il y avait une ouverture pour
prendre le grain d'avoine. Il lançait le grain en l'air et
le grain tombait égal sur le
terrain, c'était beau à voir. J'ai enterré le grain avec
la herse à finir. Grand-père a fait les
rigoles et à la grâce de Dieu pour le reste
jusqu'au temps des récoltes.
En attendant la récolte des
foins, on a fait toutes sortes de
travaux. Avec une digue grand-père a creusé des billots pour
faire des auges pour les vaches et pour les cochons
car jusque-là, on les faisait boire au sceau et
long. Ces râteaux avaient trois pieds
de large, formés d'un grand bâton au centre,
renforcé par deux équerres pour le tenir droit; les dents
des râteaux étaient faites de bois de frêne et
mesuraient six pouces de long tout en étant
distancées de trois pouces chacune.
Quand arriva le temps de
couper le foin et le grain, grand-père
et moi sommes partis aux champs avec une petite
faux sur le dos et on s'est mis
à l'ouvrage. Grand-père coupait
jusqu'à six pieds de large. A toutes les
demi-heures grand-père affilait les faux et ça continuait.
On ramassait le
foin et le grain avec des fourches et on faisait des vailloches.
Après l'avoir
laissé sécher, on
l'engrangeait. Quand venait le temps du
battage, on étendait un pied d'épaisseur de grain
sur le plancher de la grange et on battait
le grain avec le fléau. Le fléau était
fait de deux bâtons réunis au bout par une
charnière de cuir.
Le grain était
alors séparé de la paille
et pour séparer le grain d'avec la balle on se
servait d'une vanne.
Une vanne, c'était une
boîte de quatre pieds de large, de deux
pieds et demi de profond et de huit pouces de haut en
forme de demi-lune.
En donnant des coups de
genoux sous le fond de la vanne, la balle
volait au vent et le grain restait dans la vanne;
ensuite on empochait le grain et on le
déposait dans des carrés qui
avaient déjà été préparés dans le hangar.
Plus tard on
battait aussi les fèves blanches (beans) et on
les triait au cours de l'hiver.
Le
boeuf du père René.
En 1923, quand mon père
acheta la terre à St-Majorique, il y
avait deux maisons séparées l'une de l'autre par un
tambour ou chemin couvert de quatre pieds de large par
vingt pieds de longueur. Il faisait noir
là-dedans car il n'y avait pas de châssis et
les portes étaient pleines. C'était
épeurant de voyager d'une maison à l'autre. De
plus, une des maisons était bâtie cinq pieds
plus bas que l'autre faisant un angle de 12 degrés
environ.
Après consultation
avec mon père, ma mère et mon
grand-père, il fut décidé de lever et
d'approcher les deux maisons ensemble.
Mon grand-père,
mon père et moi-même, avons défait le
tambour, avons levé la maison qu'on
appelait le bas-côté et l'avons
installée sur des rouleaux.
Un jour, le boeuf du
père René voulait voir ce qui se passait; mais mon père,
avec l'aide de Filou, lui fit rebrousser chemin.
Plus tard dans
la soirée, alors que tout le monde
était couché, notre boeuf revint et
cette fois-ci, il n'était pas de bonne humeur.
Grand-père,
Marcel et moi étions
couchés dans le bas-côté; mon
père, ma mère, ma grand-mère et
tous les enfants étaient couchés dans la grande
maison.
C'était une nuit chaude du
mois d'août; les châssis étaient
ouverts; des voiles faisaient office de
moustiquaires. Il y avait seulement une marche
de huit pouces pour monter sur le perron de
quatre pieds de large.
Le boeuf
s'était monté les pattes d'avant
sur les bras du perron et avait la tête à
deux pieds seulement du châssis de la chambre
où étaient couchés mon père et ma mère; il
beuglait et soufflait tellement fort que le voile volait au
vent.
Mon père dit à
ma mère: "Ne grouille pas." Il se
glissa à terre et à quatre pattes, il
sortit de la chambre, alla vers la cuisine; le boeuf
le sentait et le suivait; nous étions
tous morts de peur en attente de voir si le boeuf allait
défoncer la porte de la maison.
On appelait le chien Filou qui tout
d'un coup sortit de dessous du bas-côté et
encouragé par nos cris de manger le boeuf, se mit à
pincer le boeuf aux argots. C'en fut fait pour nous;
le boeuf se dirigea vers la grange de Henri Héneault.
Le père René qui
était à la recherche de son boeuf ne fut pas content
d'apprendre que son boeuf était devenu
enragé; il dut se décider à
l'abattre. Chez nous, personne ne fut désolé
de sa mort.
Chien
Filou.
En 1923, mon
père acheta un chien et oublia de
demander au vendeur le nom du chien.
Alors, le soir, pendant la prière, quand ma mère se
mit à réciter les litanies des saints et
que nous répondions "priez pour nous",
voilà que le chien se mit à courir dans
la maison avec la queue en l'air. Quelle
distraction!
Après la prière, il y eut
conférence et on baptisa le chien Filou.
Il n'était pas
bon pour la garde mais avait la qualité
d'être bon pour les animaux et aimait
beaucoup à jouer.
On jouait à
la cachette avec lui; un soir, l'oncle Elzéar,
prêtre curé, et frère de Jean-Baptiste,
après avoir renfermé le chien dans l'étable,
s'assit dans la cour sur une chaise après avoir laissé
tomber sa soutane tout autour de la chaise.
On ouvrit
la porte de l'étable;
aussitôt sorti, le chien se mit à tourner
autour de l'oncle Elzéar, se mit le museau sous
la soutane et c'en fut fait
du ballon.
On jouait souvent
à la balle avec Filou; on lançait
la balle dans la rivière; Filou se jetait à
l'eau pour la saisir et la ramener.
A cinq heures, on
ouvrait la barrière de l'allée; on lui
disait: "Va chercher les vaches". Aussitôt dit,
aussitôt fait.
Un jour, il revint à la
grange avec une couleuvre de trois
pieds de long; il l'avait saisie
dans sa gueule et l'avait secouée
suffisamment pour qu'elle soit
tombée dans le coma.
J'ai pris la couleuvre, l'ai
déposée autour de mon cou et je suis
entré dans la maison au moment où on avait
beaucoup de visite. J'ai déposé
la couleuvre sur le plancher et elle reprit
connaissance; cela créa tout un émoi; les
enfants et même les grandes filles
montèrent sur la table et se mirent à crier au
secours.
Ma mère me
regarda et me dit: "T'es mieux d'y
voir." J'appelai vite Filou; il saisit la couleuvre,
la secoua vigoureusement pour la rendre inerte
et on est sorti dehors avec. Malheureux Filou!
Il était sensible du coeur et se mit à
vomir.
2.
Notre vieille maison et la vie familiale
En 1923, notre vieille
maison avait un bas-côté qui servait de cuisine en
été, de "shop" à bois en hiver. Cette maison
avait de l'antiquité ainsi que le bas-côté. Nous
avions réuni les deux parties ensemble en
1923, mon grand-père et moi-même. Oui! Ce fut
tout un événement le mariage des deux maisons.
Elles avaient la même superficie mais étaient réunies
un peu en biais, le bas-côté étant
situé à dix pieds plus en profondeur.
Les deux étaient faites en pièces de gros
bois avec des poutres à dix-huit pouces
du plancher; ces poutres servaient de tablettes de
rangement.
La maison
maîtresse avait une cuisine au
rez-de-chaussée qui servait aussi de
salle à dîner et de salon.
Au milieu, il
y avait la table de 8 pieds de long par
40 pouces de large; elle était couverte d'un tapis ciré.
En arrière de la table, il y avait un banc de 8 pieds; aux
deux bouts et devant la table, on avait des chaises
empaillées par grand-père.
Il y avait
aussi un beau poêle noir avec
réchaud et batteur. Derrière le
poêle, il y avait une grande tôle
trouée pour réchauffer les deux chambres. Pour
en-haut, la chaleur montait par le trou de
l'escalier; il y avait aussi une tôle
trouée autour du tuyau pour donner de la
chaleur.
Puis juste
à côté, c'était
le vaisselier de 6 pieds
de haut. Sur ce vaisselier, il y
avait le fer à repasser qu'on faisait réchauffer sur le
poêle; il y avait aussi la lampe à l'huile
qui allait faire son tour sur la table tous les soirs.
Suivait la boîte à bois
juste avant d'arriver au bas
de l'escalier où l'on voyait aussi la
planche à repasser.
De l'autre côté
du poêle, ça donnait sur la chambre de mes
parents où prenaient place leur lit, le
bureau, la commode, la vanité, la
garde-robe, le berceau du
dernier; de là on passait dans la chambre
de grand-mère.
Disons en
passant que dans chaque pièce,
il y avait un crucifix, un rameau béni
en sapin, une bouteille d'eau bénite fixée
au cadrage de la porte, de sorte
qu'en entrant on se signait; pour que l'eau reste
toujours bénite, on remplissait les bouteilles avec de
l'eau de pluie avant que l'eau bénite ait été
toute utilisée; l'eau demeurait ainsi toujours bénite.
Grand-mère Mathilde
avait sa chaise berceuse dans
l'entrée de la porte de la grande
chambre avec son tricot en mains. Elle
tricotait beaucoup de mitaines, de bas et de
sous-vêtements avec la laine du pays. Parlant de grand-mère,
comme elle avait du trouble avec la
circulation du sang, c'était mon
ouvrage de lui frotter les jambes tous
les soirs avec des linges en toile du
pays; elle m'avait donné son
rasoir-râteau dont elle se servait pour se faire la
barbe.
Mon héritage a été fait de
ce rasoir et des prières qu'elle
récitait à coeur de jour dans la joie.
Quel coeur elle avait cette grand-mère! Elle était
faite de charité, d'espérance et de foi.
Au mur de la
cuisine, il y avait une niche où trônait un
beau Sacré-Coeur. Je vois aussi dans
mon esprit une belle horloge de cent ans
auprès du Sacré-Coeur; elle sonnait aux heures et aux
demi-heures; avec elle, papa et maman savaient à quelle
heure nous rentrions de veiller.
A côté,
c'était la Sainte Famille
encadrée; n'oublions pas la belle croix
noire au-dessus de la porte
d'entrée. Finissons en parlant du miroir situé à côté
du poêle, miroir soutenu par un
collier doré auprès duquel il y avait les fameuses
allumettes de cèdre de 18 pouces de long.
On prenait le feu à la targette du
poêle pour allumer la lampe à l'huile
et les pipes. En effet, ça fumait;
à part la visite, tous les hommes
de la maison fumaient la
pipe; elle absorbait
malheureusement plus de boucane; c'était
nécessaire à une mère de famille.
C'est par
l'escalier à bascule qu'on montait au
deuxième où il y avait les chambres
des enfants. Dans l'escalier, il y avait des
barres de bois après le mur avec des
bons crochets; souvent ces
crochets avaient un voyage sur le dos.
Quand il faisait trop froid le
jour, on fermait la trappe d'escalier faite avec un
cadrage de pin et recouverte avec du linge ciré;
quand il faisait trop chaud,
on ouvrait la trappe.
Dans la grande
pièce, il y avait deux châssis français, un
derrière la table et l'autre sur le mur
adverse au-dessus de l'évier. Sur le mur
opposé au poêle, il y avait le portrait du Pape Pie X;
suivait la porte pour aller dans le bas-côté. A côté
de cette porte, il y avait un rouleau en
bois auquel était enroulée la serviette de 6
pieds faite en toile du pays qui servait à se sécher les
mains.
Trônait ensuite
un joli secrétaire; c'était un meuble
dont la porte suspendue à des chaînes servait
de table pour écrire; la porte étant ouverte,
on voyait trois tablettes de paperasse,
papier à écrire, encrier, crayons, enveloppes,
livres de commandes, livre de
chèques, etc. etc... Sur la tablette du
haut, c'était la place pour les pipes et le pot à
tabac de grand-père; la tablette
du bas servait de bibliothèque.
Au mur qui donnait
sur le derrière de la maison, se
trouvait un évier équipé d'une pompe
à la main avec chaudière au bec. Le
renvoi d'eau, c'était une boîte de bois qui
déversait son contenu dans le fossé
derrière la maison. Sur une petite tablette près
de l'évier, reposaient le verre à
eau et le savonnier avec son gros bloc de savon
pur qu'on appelait savon du pays.
Quand quelqu'un entrait
ou sortait par la porte de derrière
entre l'évier et l'escalier, grand-père se
levait en faisant attention pour ne pas
renverser son crachoir et il avançait sa
chaise.
La première marche de
l'escalier était une fausse marche; elle
avait un trou et une trappe; on
l'appelait la trappe au chat; pour
sortir, le chat poussait sur la trappe avec
sa patte; j'aurais aimé
connaître le patenteur de cette trappe; je lui
aurais soulevé mon chapeau en
son honneur.
Quand ma mère
entrait son moulin à laver, son panier
de linge sale, sa cuvette qu'elle déposait
sur une chaise sans dossier, elle
voyageait du poêle à l'évier pour avoir de
l'eau tout en s'occupant de préparer les repas; souvent il
y avait quelqu'un pour la déranger, à savoir
Filou et notre chatte d'Espagne.
J'oubliais la
descente de la cave; c'était
une trappe au plancher ayant un anneau
encastré dans un cercle du plancher; on s'en
servait pour ouvrir la trappe.
Grand-père était le gardien de la
trappe afin que personne ne tombe dans la cave; la
trappe était située juste devant sa chaise
berceuse. La cave avait quatre pieds de
profond avec des tablettes pour les
cannages de ma mère, le sirop d'érable, la
grosse boîte de tabac et le grand carré à patates;
on y trouvait aussi assez souvent de petites
bouteilles de vin; on était obligé d'y
circuler à quatre pattes.
Le haut de
la grande maison était divisé
en deux parties. Dans la première chambre
à côté de l'escalier, il y avait une
couchette de 8 pieds de long et de 4 pieds de
large avec des côtés solides de 18 pouces de haut et des
barreaux carrés; dans cette couchette, trois
garçons couchaient, deux à la
tête et l'autre au pied. Ecartant
une division de linge, on arrivait au lit des
filles; elles y étaient trois aussi; elles avaient
un bureau, une commode et une garde-robe en carton.
A la tête de
l'escalier, à droite, une porte donnait sur la
deuxième chambre avec plafond oblique
parallèle à la ligne du toit; sur
toute la longueur du mur gauche, il y avait
un cabano de trois pieds de profond; plus
loin, sur l'autre mur, il y avait le cabano à débarras où il faisait noir
comme sur le diable; dans
cette chambre, il y avait un lit double
dans lequel mes deux petits frères rêvaient aux
anges, mais seulement quand ils dormaient; mon
lit à moi était là aussi.
Du côté nord de
la chambre, une porte donnait sur une
pièce cachant une boîte spéciale.
En ouvrant
ses deux couverts, on
trouvait à l'intérieur une chaudière et un
bout de tuyau qui était relié au haut de la
cheminée en guise de ventilation. Tous les jours,
grand-père vidait la chaudière et réclamait
que c'était son ouvrage à lui; à côté de la
toilette, dans une petite boîte, il y
avait des feuilles de
l'Action Catholique coupées en petits rectangles de
4 à 5 pouces; ce papier, un peu plus doux
que le papier sablé, avait une utilité
irremplaçable.
Un soir, mon père dit
sans rire car il riait presque tout
le temps: "Demain matin, je ne vous
réveillerai qu'une seule fois." A vrai
dire, il arrivait qu'on aimait faire la paresse
le matin. Tous les matins, mon père venait
faire son petit tour derrière la porte sur les
toilettes; la porte le cachait; il
lâchait un gros "pet". Moi je dormais aux
aguets; mais un matin, réagissant à son
signal, je sautai en bas du lit,
m'habillai vitement et descendis en bas; en
regardant l'heure, je remontai donc me coucher et mon père
riait aux éclats derrière la porte.
Un soir, revenant
de veiller, Marcel prenait plaisir à faire
prier Bernard. Se souvenant que ma mère avait
dit que trois avés avant de s'endormir nous
conduisaient direct au ciel, il
frôlait l'épaule de Bernard en disant:
"Les entrailles est béni."
Et Bernard de répondre le
"Sainte Marie Mère de Dieu"; et Marcel de
recommencer son petit jeu. Cela
nous donnait des distractions
de temps en temps. Je crois que le Bon
Dieu devait rire un peu avec nous autres.
Comme je
travaillais assez sur la ferme, le
dimanche, après la veillée, je me mettais à genoux
pour mes prières; souvent je dormais à genoux
appuyé sur mon lit le restant de la nuit. Un
soir, par un beau soir d'été, ayant veillé un peu
trop tard, je m'endormis dans
la grange; le "blond" était en train
de manger de l'herbe tout près.
Une fois, mon
père avait traversé la rivière pour aller à
St-Joachim en chaloupe car il ne
savait pas nager. Bernard demanda
à ma mère où était parti son père. Quand
il entendit dire St-Joachim,
il pleurnicha: "Moi aussi, je veux y aller au
ciel".
Devant le perron
de la grande maison, ma mère semait des
concombres rameurs; aimant les fleurs, elle se
faisait un beau rond de fleurs mélangées devant la
maison. Je ne peux oublier la
petite bâtisse à l'autre bout du jardin ayant
siège à deux trous; il fallait y penser
d'avance pour avoir son tour; cela arrivait souvent qu'il
fallait se serrer les deux jambes surtout durant les
pluies du mois de novembre.
On n'était pas gâté
par l'électricité. Quand ma mère faisait son
lavage en hiver, elle étendait son linge
dans le bas-côté pour le faire geler;
ensuite elle le rentrait dans la maison pour
faire sécher.
Et si on
passait dans le bas-côté. Dans la
première pièce, la principale, il y avait du côté
sud un grand châssis de cinq pieds carrés avec
pentures ouvrant par le haut, avec un
voile pour empêcher les mouches
d'entrer. Du côté nord, il y avait des châssis
français sous lesquels il y avait la
meule à l'eau pour aiguiser les faux, un
établi; en sortant sur le perron, on était à
portée du puits. En montant dans le haut du
bas-côté, il fallait faire attention pour ne pas tomber
tellement il y avait de choses sur
les marches. Le grenier était rempli
d'antiquités de toutes sortes; il fallait
mouver plusieurs articles afin
de pouvoir traverser l'appartement;
on y retrouvait deux lits avec paillasses qui
servaient à grand-père, Marcel et moi-même
quand il y avait de la visite; il arrivait
même que mon père couchait sur la table
sous nous quand les lits manquaient surtout
pendant le temps des Fêtes.
En redescendant,
on pouvait se rendre jusqu'à la cave qui servait de
débarras.
Au premier, il y avait une
autre pièce, plus petite, on y
accédait en montant quelques marches, le
linge journalier y était accroché.
On y trouvait le séparateur pour
ôter la crème dans le lait, le coffre d'outils
de grand-père, le 100 livres de farine de
sarrasin, le corps de lard salé, le panier
de linge sale, une valise de linge usagé,
plusieurs tablettes faisant le tour de la
pièce pour recevoir un peu de tout;
la chaudière à saindoux devait être
enjambée tellement il y avait peu de place à
circuler.
Un
Jean-Baptiste enjoué
Quand arrivait le
temps de faire le train, mon père disait
devant les enfants: "Viens Alcide, on va
aller tuer le veau." L'étable s'emplissait mais il
n'y avait pas de veau à tuer.
Une fois, les
enfants décidèrent de faire un
pique-nique près de la rivière; une de
mes cousines dit: "Je vais tout
préparer". Mon père, ayant trouvé
une bouse de vache sèche, l'enveloppa
dans un papier soie et l'envoya porter à la
rivière pour le pique-nique avec le message suivant:
"Dis à ta cousine de l'ouvrir
seulement pour le dessert." Il
était content de lui avoir joué un tour.
Une fois, en
visite chez Wilfrid à Montréal,
en arrivant au logement de Wilfrid, il laissa
ma mère sur le trottoir le temps supposment de rentrer au
dépanneur situé au premier
étage pour s'acheter un cigare. Il monta
au logement par l'intérieur et se rendit sur le
perron pour dire à ma mère:
"Qu'est-ce que tu fais là sur le trottoir, monte en
haut avec moi."
Ma mère me
conta aussi qu'une fois pendant leur
séjour aux Etats-Unis, c'était un soir et il voulait
l'embrasser; alors les deux couraient autour de
la table. Soudain quelqu'un frappa
à la porte; mon père lâcha alors un
gros "pet" puant et alla se cacher
derrière une porte. Ma mère dut aller répondre à la
porte en se disant: "Comme j'ai honte."
Un de mes
frères étant à l'hôpital, avait été
opéré pour l'estomac; comme il était sur les
soins intensifs, l'infirmière ne voulait pas laisser entrer mon
père dans la chambre. Mon père lui dit: "Demandez à
mon garçon sur quel rollway qu'il a mis le candouque." Elle répondit: "Je
ne comprends rien à cela. Allez lui demander, mais faites
vite."
En 1936, mon père et moi
étions allés à la ville pour faire des commissions. J'ai
dit à père: "Venez avec moi, je vais vous
payer la traite." Il me répondit: "OK, je
vais y aller mais remarque
bien, c'est parce que tu es parti de la
maison et que je n'ai plus à te donner
l'exemple de la bonne conduite."
Quand nous allions à la
messe, on avait des places réservées
dans la voiture; en avant, pour mon père, ma mère
et le bébé du temps; en arrière, tous les autres
enfants.
Mon père aimait beaucoup
chatouiller ma mère sur les genoux;
il avait les yeux pétillants dans ce
temps-là. Ma mère lui disait: "Prends
gare à toi, les enfants vont te voir faire."
Mon père aimait
beaucoup les enfants; il ramassait de
gros sous; autrefois les sous étaient de
la grosseur des cinquante sous. Il appelait les
enfants au Jour de l'An et frondait les sous dessous la
table; il était content de voir les enfants à
quatre pattes ramasser les sous.
Mon père a
travaillé un peu à la
poudrière de Drummondville. Cette ville
comptait 3 à 4 mille
habitants dans ce temps-là et c'était
intéressant à visiter. Nous étions partis,
la famille (père et mère et les 5
enfants) pour visiter cette fameuse poudrière; comme
il faisait chaud, papa arrêta le blond devant un restaurant.
Il commanda de la crème à la
glace pour tout le monde; nous les
enfants, nous ne connaissions pas cela; faisant
la bouche fine, nous avions refusé de manger
cela. Alors papa et maman ont mangé nos portions. Papa
soupira: "Moi qui pensais leur faire
plaisir." On était, comme on
le dit en "canayen" des "niaiseux".
FETES
ET LOISIRS
Un
Noël traditionnel de 1924
A Noël, mon
frère Marcel et moi-même avons eu le
plaisir d'avoir été élus pour faire des bergers avec une
dizaine d'autres garçons de la paroisse. Dans ce
temps-là, le prêtre était obligé
de chanter trois messes: la première à minuit, la
deuxième (de l'aurore) et la troisième
(du jour). Pour nous les bergers,
c'était après la messe de minuit que le bal commençait;
nous étions cachés dans l'escalier et les anges
attendaient dans la sacristie. Tout à coup,
les anges se mirent à chanter:
"Réveillez-vous." Nous les bergers,
on sortit de notre cachette en chantant:
"Réveillons-nous." Nous marchions dans la grande
allée en route vers la
crêche pendant que les anges entraient dans le
choeur. Assemblés autour de la
crêche, avec nos habits de peaux et nos
étoles de couleurs vives et nos cannes, nous avons
échangé des cantiques avec les anges vêtus de
belles robes blanches et d'ailes dorées.
Un
jour de l'An traditionnel
C'était une
grande fête pour les parents
et les enfants. Le matin, en se levant,
on courait pour recevoir la
bénédiction paternelle. Puis dans nos bas suspendus
à une corde au milieu de la
cuisine, on trouvait une patate,
deux candies enveloppés dans
du papier de gazette. Les plus vieux y
trouvaient aussi un vêtement de linge.
Dans le courant
de la journée, la parenté
arrivait pour nous souhaiter une bonne et
heureuse année.
La mère sortait
tout ce qu'elle avait préparé depuis des
semaines; elle avait assez de provisions pour nous
bourrer tous pour le dîner et le souper.
Quand arrivait la
veillée, la maison était pleine à craquer. Les
petits enfants avaient hâte que leur
tour arrive pour déclamer une récitation,
d'autres étaient renommés comme chanteurs;
pour les plus vieux, c'était surtout le temps
de goûter au p'tit blanc, récits,
chants et p'tits coups réveillaient les esprits et
d'heureux souvenirs se gravaient dans nos têtes.
Un
tour à maman
J'ai
joué un tour à maman.
"Pour
aller tout droit au ciel
Dis trois je
vous salue Marie"
Qu'elle me dit
en souriant.
"Ils vont
te poser des ailes
Pour aller dans
le paradis"
Oubliant de me
dire quand.
C'était trois
fois par jour pour elle
Moi j'ai pris
les trois et j'ai ri
En le disant au
jour de l'An
Un petit
péché véniel
Car je n'avais
pas menti
Et je le savais
sûrement
Que l'abeille
fait le miel
"C'est ma
maman qui l'a dit."
Je taquine de
temps en temps.
Pépère Gomme
qu'on m'appelle
Je les aime
bien mes petits
Aimez toujours
vos bons parents
Pour moi, j'ai
ma toute belle
Et son nom est
Anne-Marie.
Souvent le dimanche soir,
après souper, on allait chercher
dans le cabano le tourne-disque
(on disait le graphophone) avec son
grand entonnoir et ses records; c'était un grand plaisir
de le faire jouer et ce soir-là on se couchait très tard.
Des soirs,
on jouait aux cartes,
d'autres soirs, on chantait; souvent aussi
c'était le soir des farces et c'est Marcel qui
commençait le bal le plus souvent.
Le samedi soir,
la famille avait une petite tradition. Papa attelait
le "blond" sur la voiture
à deux sièges. Maman faisait passer les
enfants dans la cuvette qui servait de baignoire, elle leur
mettait leur jaquette afin qu'ils soient prêts à
aller à la couchette au
retour. Puis on embarquait tous
dans l'express pour aller faire un
tour de voiture. En chemin on faisait la prière du soir
avec un peu de distractions bien entendu.
Tous les
dimanches, Jean-Baptiste sortait sur le
perron de l'église pour avoir des nouvelles
paroissiales et assister à
l'encan qui se faisait pour les âmes du
purgatoire; il s'y vendait toutes sortes de choses: cochons
de lait, volailles, veaux, mitaines, bas de laine, etc,
etc...
Ensuite, il
entrait de nouveau dans l'église
pour faire le chemin de la croix. Il revenait
dîner à la maison et vite
retournait à l'église pour les vêpres qui avaient
lieu à deux heures donnant ainsi l'exemple de
sa foi à sa famille.
Je n'ai
jamais entendu blasphémer
grand-père, grand-mère ou père. C'était
vraiment du bon monde.
Un jour,
Jean-Baptiste dit à Alcide: "Ce
soir, c'est dimanche et je ne veux pas te voir
aller à l'étable pour faire le train.
Pour ta première blonde, tu vas te faire
gâter." Puis il s'adressa à Marcel: "Vas
atteler le blond" qu'on appelait Pat, prends les
grelots que tu poseras après le travail du traîneau; tu
sortiras la robe de carriole neuve et tu amèneras la
carriole à Alcide devant la porte de la maison."
Un autre jour,
il dit à Alcide: "Tu auras l'air
d'un homme quand tu fumeras." Il n'avait pas
besoin de dire cela à Marcel qui déjà fumait en
cachette, il prenait la pipe de grand-père
Clément assez souvent pour se régaler; à
huit ans, grand-père Clément lui avait donné une
pipe en plâtre et Marcel fumait en se rendant à
l'école. Une fois à l'école, Marcel fumait pendant
la récréation; il s'était caché
avec un copain dans la chède; les filles, voyant sortir la
boucane par les fentes de la chède, sont allées avertir la
maîtresse. Marcel, ayant senti la soupe chaude,
avait eu le temps de cacher sa pipe dans ses
culottes pouffantes (golf) avec sa blague et
ses allumettes. La maîtresse commença par
fouiller l'autre garçon qui avait des petites
culottes courtes au-dessus des genoux; il
n'avait pas de poche et
seulement une petite fente dans le
côté attachée avec un seul bouton. Marcel riait et
nous disait: "Devinez donc ce que la
maîtresse a trouvé en
défaisant le bouton..."
3.
Ma mère la besogneuse
L'alimentation
Dans le temps
de la crise ou de la dépression,
le matin, après avoir récité
l'Angelus, ma mère nous servait des crêpes
blanches avec de la mélasse;
après le déjeuner, avant que personne ne
sorte de la maison, c'était la prière en famille.
Le midi: l'Angelus, la
soupe aux pois cuite avec un gros morceau
de lard salé; comme le beurre était
rare, c'était du saindoux qu'on mettait sur le
pain ou les tartines; des fois, on y ajoutait un peu de
sucre blanc, question de se changer du dessert
quotidien: la mélasse. Le soir: l'Angelus,
de la galette ou des crêpes au sarrasin; pour
le dessert, c'était une assiette à
soupe de gruau clair, cuit avec le petit lait écrémé.
J'achetais un
gallon de mélasse par semaine;
souvent avant la fin de semaine, il n'y avait
plus de mélasse.
Le poisson était
au menu de chaque vendredi et
pendant l'Avent, le Carême en plus des jours de
jeûne.
On mangeait de temps en
temps du boeuf le dimanche midi et
de la fricassée le soir; c'était
une surprise de pouvoir manger un dessert
spécial le dimanche soir.
Quand il y avait une
fête personnelle, pour remplacer le gâteau, on mangeait
de la bonne "poutine chômeur" ou de
la "poutine aux pommes".
Pour les fêtes,
ma mère faisait des galettes à la
crème avec un peu de sucre dessus. Une année,
elle les avait cachées dans le cabano; comme j'avais un bon
sentiment, j'ai trouvé sa cachette et tous les
jours j'allais me chercher une galette.
Un jour, ma mère s'aperçut que ses
galettes disparaissaient et convoqua Simone,
Marcel et moi-même; ce fut une
conférence de galettes. Je fus découvert à cause
de mon incapacité de mentir.
Une fois
Marcel a eu une petite
aventure. Ma mère lui avait dit: "Va au
puits chercher la saucisse sur la tablette, je
vais en faire cuire pour le dîner."
Comme Marcel avait échappé la saucisse au
fond du puits. Grand-père alla chercher une
pompe et vida le puits; ainsi
la saucisse fut récupérée
et le puits bénéficia d'un bon
nettoyage.
Tous les
samedis matins, ma mère
préparait le pot de beans. Elle lavait les beans et en remplissait le
pot aux trois quarts sans oublier d'y
déposer un beau morceau de lard salé avec la
couenne. Elle nous demandait à Marcel ou à moi d'aller
porter le pot chez le
boulanger. Le boulanger remplissait le pot d'eau et
le déposait dans son four à pain pour la cuisson
jusqu'au lendemain matin; après la messe,
en revenant à la maison, nous
ramenions le pot de belles beans dorées. On lui faisait honneur
au déjeuner quitte à avoir de la somnolence pendant
la messe de 9 heures et demie
pour ceux qui y retournaient.
Le pain
Ça prenait
trente-trois pains par semaine pour
nourrir la famille.
Le lundi matin, ma
mère faisait cuire six patates moyennes, les déposait
dans une grande chaudière de cinq gallons avec l'eau
de la cuisson; elle y ajoutait deux carrés de
deux pouces de ferment et une poignée de sel. Après avoir
mélangé le contenu, elle déposait la
chaudière sur le réchaud du poêle et
laissait le tout fermenter toute la journée.
Après le souper, commençait
mon ouvrage de boulanger; je déposais cinquante
livres de farine dans la
huche, prenais la chaudière qui était pleine
de fermentation et la vidais
dans la huche. Là je pétrissais
la pâte jusqu'à ce qu'elle ne colle plus aux
mains. Ensuite je déposais le couvert
dessus
pour mettre fin à mon ouvrage.
A quatre heures, le lendemain
matin, ma mère était déjà debout;
elle graissait trente-trois moules à pain, se
rendait près de la huche qui était sur
la table; elle enlevait le couvert
qui était
soulevé à quatre pouces au-dessus de la huche. Elle
déposait la pâte sur la
table et la divisait en
trente-trois morceaux, la pétrissait
de nouveau avant de la déposer dans les
moules. La pâte levait jusqu'à quatre heures
de l'après-midi, moment où la cuisson commençait;
la dernière fournée sortait du
fourneau après huit heures du soir. Alors
ma mère couvrait les pains frais avec un grand drap
blanc.
Le lendemain
matin, elle rangeait les pains dans
la laiterie et la semaine suivante, la
même opération recommençait.
La
saucisse et le boudin de maman
Pour faire sa saucisse, maman
utilisait les boyaux des intestins
du porc; pour faire son boudin, elle prenait
les boyaux des intestins du boeuf.
Le boyau, séparé de la
panse, du colon ascendant et de
l'estomac, était déposé dans une cuve
à demi-remplie d'eau; il fallait glisser le pouce et
l'index sur le boyau afin de le
vider de son contenu; ensuite, il fallait
trouver le moyen de virer le boyau à l'envers;
on y arrivait à l'aide d'une grosse épingle
à sûreté sur laquelle on enroulait peu à peu l'intérieur
du boyau; on procédait ensuite au nettoyage complet
en se servant du dos d'un couteau; on le
lavait, on le rinçait et ensuite on le remettait à
l'endroit selon le même procédé.
Puis, on attachait
solidement un bout avec de la ficelle; on
le gonflait d'eau claire par l'autre
bout; c'est par ce procédé qu'on voyait s'il était
étanche; si non, on coupait le
bout troué et on recommençait. Le
boyau était alors prêt à être installé au
bout de l'entonnoir du moulin à hacher la
viande.
Maman préparait
sa viande à saucisse: du maigre de
lard, un peu de veau, des épices,
sa petite touche personnelle qui
demeurait son secret.
On procédait
alors au remplissage; on s'y mettait à
trois: l'un tournait la manivelle, un autre
fourrait la viande dans le moulin et le
troisième faisait des noeuds dans
la saucisse à tous les cinq pouces au
fur et à mesure qu'elle se remplissait.
Il ne restait qu'à la
faire cuire et à la manger.
Pour le boudin
mêmes opérations; il était
cependant composé différemment:
sang de porc, lard haché maigre, épices et
une autre petite touche personnelle.
C'était toute une corvée
quand arrivait le temps de la saucisse et du
boudin. Ma mère prenait toujours la
tâche la plus ardue, celle du clinage, du lavage et du rinçage du
boyau. Nous les enfants, on lui levait notre chapeau.
Le
grand ménage
Parlons pour commencer
des paillasses. C'était des sacs en
forme de poches avec une ouverture au
centre et un rabat avec bouton et
boutonnière pour tenir
l'ouverture fermée. La paillasse
était remplie de feuilles blanches de
maïs. Quand on faisait le lit, on
brassait les feuilles pour rendre la
paillasse plus souple.
Ces paillasses
faisaient cric crac croc!!! Les
parents n'aimaient pas cela car cela
pouvait troubler le sommeil des enfants, leur
faire faire des cauchemars et perdre leurs
"rêves aux anges". Sans
radio, sans télévision, de téléphone, la
vie était calme et les rêveurs s'amusaient à
découvrir ce qu'il y avait
sous les feuilles de choux.
A l'automne
quand on faisait
l'épluchette de blé d'Inde, on vidait les
poches de blé d'Inde au milieu de la grande pièce
du bas-côté. On mettait des chaises autour et
tout le monde plumait du blé
d'inde. Celui qui en trouvait un rouge avait
le droit d'aller embrasser la fille qu'il
trouvait de son goût car il était
nommé Roi; de même si c'était une fille qui
faisait la trouvaille,
c'était permis d'aller embrasser un garçon.
Ma mère
demandait de séparer les
feuilles blanches des autres; les blanches
étaient séchées et la mère les
utilisait pour remplir les paillasses
quand elle faisait son grand ménage.
Quand arrivait le
temps de tuer les volailles, on leur
coupait la tête sur une bûche avec une hache;
on transportait les volailles mortes à la
maison pour les ébouillanter et les
plumer. On gardait les meilleures plumes; après les avoir
séchées, on les groupait en plumards qui servaient à
l'époussetage. On conservait les plus
belles plumes pour écrire.
Les pattes de
lièvres et de lapins avaient aussi
leur utilité; après qu'on eut recouvert
le poêle de fonte d'une couche de
cire, on se servait des pattes pour l'astiquer
et le faire briller.
4.
Mon père, l'homme à tout faire
Le
rouleau à neige de mon père
Dans les années 1923 à 1930,
mon père a été nommé inspecteur des
chemins pour le premier rang et
la route pour aller jusqu'au village à partir
du deuxième rang.
Alors, il
s'est fabriqué un gros
rouleau car dans ce temps-là on utilisait
des rouleaux pour fouler la neige dans les
chemins. Son rouleau avait 5 pieds de haut et 10
pieds de large et il était formé de 3 grosses roulettes
reliées par un essieu. Ces roulettes
étaient installées sur des bouchinnes d'un rack au centre duquel était greffée une togne. Les roulettes de bois étaient
retenues par des cerceaux en métal vissés au bois
à tous les 2 pouces.
On n'avait pas été
toujours capable de trouver un employé pour rouler les
chemins; alors pendant de nombreuses années,
c'est moi qui me tapais la job au coeur des tempêtes.
La
glacière
En 1924, pour
faire sa glacière, mon père s'était
acheté une tonne de mélasse vide pour
cinq dollars; dans le côté de la tonne, il
perça un trou de 18 pouces de diamètre;
cela servait d'ouverture et de porte.
Au commencement de
décembre, un soir mon père versa un seau d'eau dans
la tonne. Le lendemain, il tourna un peu la tonne et
vida encore un seau d'eau. Quand il eut
fait son petit jeu assez longtemps, il se
retrouva avec une glacière dont la couche de
glace avait bien de 6 à
8 pouces d'épaisseur.
Ensuite il fit
un grand trou dans le carré de foin
y déposa la glacière et la recouvrit de foin en
prenant soin cependant de laisser libre l'espace pour
mettre la porte. Cette porte était recouverte
d'un lot de couvertures et de catalognes.
Quand il faisait
boucherie, la semaine avant Noël, il débitait
la viande dans le bas-côté, il
la faisait geler,
l'enveloppait morceau par morceau et allait la déposer
dans la glacière. Il ouvrait la glacière
seulement une fois par semaine pour
prendre de la viande; il
venait déposer ce paquet de viande sur la tablette
du puits qui servait de frigidaire.
Dans le haut
du carré du puits, il y avait un
vireveau alimenté à la main avec une poignée.
Après le vireveau, il y avait une chaîne qui
soutenait trois chaudières que l'on
descendait dans l'eau pour
conserver les aliments frais mais pas
congelés.
Mon père avait
une autre sorte de glacière;
c'était de la viande enterrée dans le
carré de grain.
Une année, on
avait eu un temps très doux et la viande ne pouvait
pas geler. Ma mère avait installé tous ses chaudrons pour
faire cuire la viande avant de la perdre,
et elle nous avait mis à la
prière pour avoir du temps froid.
La
jambonnière
En 1924,
mon père a fait
une jambonnière; c'était une petite bâtisse
de trois pieds de carré et de 8 pieds de haut
avec un ventilateur sur la couverture. La
bâtisse avait deux portes sur la devanture; celle du
haut mesurait 2 pieds par 3 pieds; celle du bas
mesurait 2 pieds carrés et était en
plus munie d'une targette pour contrôler
l'air.
Il y avait quatre crochets
installés au plafond pour recevoir
la viande qu'on voulait jambonner;
généralement c'était une fesse, une épaule et une
partie du côté à partir duquel on faisait le bacon.
Alors mon père
faisait de la saumure légère qu'il
déposait dans une cuve de bois; il
enveloppait sa viande dans du coton
à fromage et la faisait tremper dans la
saumure toute la nuit. Le lendemain
matin, il accrochait la viande au plafond de
la jambonnière. Il allumait un petit feu pour
avoir du charbon de bois.
Et là il
mêlait la braise à des
copeaux d'érable, à des épis de blé d'Inde
séchés et à des épluchettes pour donner un
petit goût sucré au jambon. On regardait
sortir une petite
boucane par le ventilateur;
ça prenait une semaine à jambonner.
Le
fourrage vert
Un été, mon père
avait décidé de faire du fourrage vert pour ses
vaches. Il sema de l'avoine avec des
pois après avoir engraissé une pièce
de terre neuve. L'avoine et
les pois poussèrent et la récolte
fut très belle. Avec son moulin à faucher,
mon père coupa la récolte, la
laissa faner et l'entra dans le carré de
la grange. Une semaine plus tard, il
s'aperçut que la vapeur montait de 2 à
3 pieds de haut au dessus du carré. Il alla chercher
son gros cheval brun, lui fit
fouler la récolte et la vapeur disparut.
Il répéta le même manège pendant plusieurs
semaines et le fourrage vert fut réussi.
L'année suivante, il
acheta un silo en lattes de bois
semblables aux lattes de clôtures à
neige; il y fit ensiler son blé d'Inde et son
fourrage vert. C'était son premier silo
et les vaches donnèrent beaucoup
de lait.
Moulin
à battre le grain
En 1930, mon
père acheta son premier moulin à battre
ainsi que le pont roulant de chevaux à
vapeur. Le pont était fait ainsi: sur un
angle de trente degrés, le plancher, assez
grand pour entrer deux chevaux,
était fait avec du hêtre de 2 pouces
par 8 pouces et par 6 pieds de long; le plancher
était déposé sur des chaînes qui fonctionnaient
sur des roues de métal fixées à tous les 8
pouces de chaque côté. Le pont avait des
gardes sur les côtés et sur le devant.
Après que les chevaux étaient
montés sur le pont, on installait une barre
en arrière pour les empêcher de sortir. Il y
avait une grande poulie de 5 pieds après le
pont roulant et une autre plus petite après le
moulin à battre; elles étaient réunies ensemble
avec une courroie de cuir. Les chevaux
étaient ferrés à piton carré et par la
force de leurs jambes ils faisaient fonctionner le pont.
Grand-père faisait
manger le moulin avec le
grain que je lui donnais en
provenance du carré à grain; mon père avait soin
du crible et des poches et Marcel
recevait la paille en arrière. De temps en temps,
grand-père nous payait la traite avec du tabac à
chiquer à la mélasse. Pour arrêter le
moulin, il fallait arrêter les chevaux avec une
grande barre de bois d'orme installée
au pont; on mettait une pression de
la barre sur la courroie de cuir en
disant: "Woh! Woh!." Les chevaux arrêtaient.
Les
cochons et la boucherie
Une année,
Jean-Baptiste avait élevé deux truies
qui ont eu chacune une portée de huit cochonnets;
ça en faisait 16 à part ceux qu'elle avaient
mangés; sur les 16, il y avait 10
mâles; on en garda un pour l'encan à la porte
de l'église. On les appelait petits
cochons de lait car à quatre
semaines, ils étaient déjà sevrés.
Jean-Baptiste castra les 9
autres mâles et trois mois plus tard,
avant de partir travailler à Montréal, il dit
à Alcide et Marcel: "Vous nettoierez les cochons cette
semaine et les mettrez dans l'enclos."
Alors, le lundi matin, Alcide
et Marcel se rendirent à la porcherie. Alcide avait
les pinces et les anneaux, c'est Marcel qui avait
la job de tenir les cochons le temps qu'Alcide
leur passe l'anneau au nez; on passait
cet anneau au nez des cochons pour les
empêcher de fouiller le terrain. Un
cochon de quatre mois était très difficile à
tenir. Marcel ricanait: "Fais attention pour ne
pas te tromper." De temps en
temps, il était sous le cochon. Imaginez, c'était
difficile de le reconnaître...
Le
cochon de boucherie
Une année, on
avait tué un cochon qui pesait six cent
cinquante livres; c'était un cochon engraissé aux épis
de blé d'Inde; il avait été castré
à 3 semaines et enlainé; on
l'avait mis au clos près de la grange. On
lui donnait de l'eau de vaisselle
pure non savonnée, on y ajoutait un peu
de son. Le cochon mangeait de
l'herbe dans le pré, comme les vaches. Il passait
l'hiver dans l'étable, au printemps on le remettait
au clos. Au mois d'août, le cochon était devenu très
long et maigre; alors on le
rentrait de nouveau dans l'étable
et on s'installait dans une stalle d'un pouce plus
large que lui et de douze pieds de long;
à chaque semaine, on élargissait
sa stalle d'un pouce; on faisait
cela dans le but de l'engraisser pour
les Fêtes. Il mangeait jusqu'à 100 livres
de farine de cochon par repas ainsi que trois épis
de blé d'inde. Il mangeait, il dormait et faisait...
Boucherie
Jean-Baptiste faisait
boucherie tous les ans,
la semaine avant Noël. Il disait:
"Allez placer le vire-veau en
place." C'était un billot de 8 pouces qui
était sur les poutres à 6 pieds; au
bout de la poutre, il y avait deux morceaux de
bois cloués ayant 8 pouces
entre pour recevoir le billot; dans le bout du
billot, il y avait des trous de 2 pouces
pour recevoir des perches; ces perches servaient à
tourner le vire-veau. Au centre il y avait une
chaîne avec crochet pour attacher l'animal. On tournait le
vireveau chacun notre tour et l'animal
montait dans les airs; dans cette position, on pouvait le
plumer, l'éventrer et le laver. Grand-père Clément
avait peur du sang; alors,
Jean-Baptiste faisait la saignée
et Anastasie, ma mère, avec la poêlonne
et la chaudière, cueillait le sang pour faire son boudin
des fêtes.
Ensuite, il fallut
ébouillanter notre cochon afin de lui ôter
les soies; on fit bouillir de l'eau dans un grand chaudron
et on la déposait dans une auge nommée foulon; il fallait
que l'eau soit assez chaude pour qu'on ne soit pas capable
d'y tremper les doigts plus de deux fois. On
déposait les chaînes dans le foulon en laissant retomber
les bouts hors du foulon; on
déposa le cochon dans l'eau
en s'empressant de croiser les chaînes
par dessus lui. Pour ébouillanter notre fameux
cochon de 650 livres, on était
6 hommes pour retenir. Quand la soie s'arracha
facilement avec les chaînes, on plaça
des madriers sur le foulon; on y déposa
le cochon, on continua à lui arracher ses soies
avant qu'il ne refroidisse trop; puis on
nettoya la peau avec des couteaux tout en la
lavant dans l'eau.
Plusieurs
métiers
Pendant plusieurs
années, il manqua de l'ouvrage comme charpentier; alors,
Jean-Baptiste travaillait avec sa famille
sur la terre. Il fallait se serrer
la ceinture car le boeuf se vendait ,02$
la livre, les oeufs ,01$ chaque, le lait ,015$ la
livre et les bananes ,05$ la tresse.
Jean-Baptiste fabriqua
une forge avec un séparateur donnant ainsi la job à Alcide de ferrer
les chevaux. Il acheta deux clippers, un pour la maison,
l'autre pour les animaux.
Il allait aux bois se
chercher du buis et faisait des tisanes
qui servaient de purgation pour la famille et les animaux.
Il tannait le
cuir car personne ne voulait
acheter les peaux; il étendait les peaux sur
le plancher de la grange, les salaient
pour faire fondre la viande
ensuite, après avoir préparé des
cuves remplies à moitié de fumier de volaille et
d'eau, il déposait les peaux dans
les cuves, les laissait tremper
pendant une semaine; ensuite, il les pilait,
les essorait avec les tordeurs
qu'il avait lui-même patentés et fabriqués.
Il fallait que l'eau soit toute sortie des peaux pour
faire un bon cuir souple; il fallait que
les peaux soient de nouveau dans
une solution dont je ne me rappelle
pas la recette et qu'elles soient
essorées de nouveau.
Une année, il
avait tanné une peau de cheval, une de vache,
deux de veau et une de chevreuil.
Le cuir fait
de la peau de chevreuil servait à faire de la
babiche, pour coudre le cuir, pour faire des
attelages pour les chevaux, pour faire des
bottes et des souliers de boeuf.
Il faisait
bouillir les derniers ramages
d'eau d'érable pour faire son
vinaigre blanc; je me rappelle
qu'il se servait d'un thermomètre semblable à celui
dont se servait pour
faire du sirop d'érable mais je ne me rappelle
pas jusqu'à quel degré ça devait bouillir.
Il avait installé
dans le verger une boîte de quatre pieds de haut,
quatre pieds de large et quatre pieds de
long sur les piquets de cèdre à trois
pieds dans les airs. Il y avait des ventilateurs dans
le haut des boîtes du côté du soleil levant; à
deux pouces du fond de chaque boîte, il
avait installé une chantepleure en bois. Parmi
les ingrédients de son vinaigre, il y avait du
houblon et du ferment. Quand on allait
dans le verger, il y avait un
bourdonnement de fermentation semblable au bruit d'une
ruche d'abeilles. A l'automne, il coulait son vinaigre; il
disait: "Joual vert, qu'il est beau et clair!"
Quand l'hiver était
arrivé, il faisait des harnais simples et
doubles; assis sur son cheval de
cordonnier, il préparait aussi ses
ligneuls et ses babiches. C'était
beau de le voir travailler.
Une année, il avait changé
trois cordes de bois fendu en éclats
d'un pouce carré pour une peau de cheval. Tout ce
bois, il l'avait monté au troisième
étage de la grange avec l'aide d'Alcide et de
Marcel.
Il réparait les
chaudières et terrines avec de l'étain ou
avec des rivets et des washers de cuir quand
le trou était trop grand.
5.
Péripéties d'Alcide
Les
branches de chat
A l'âge de
douze ans, au printemps, j'allais au
bois chercher des branches de chat; je
les coupais par bouts de trois pouces
avec mon petit couteau; j'affilais le
bout sur un angle de 30 degrés; à un
pouce du bout je faisais une autre coupure aux deux
tiers de profondeur et au même
degré. Ensuite, avec le manche de
mon couteau, je tapais sur l'écorce pour la
décoller du bois. Ayant enlevé l'écorce,
je faisais un sillon avec mon couteau à
partir du trou jusqu'au bout. En remettant l'écorce,
j'avais fait un sifflet.
On se servait
aussi de ces branches à l'automne pour
attacher les pieds de blé d'inde par
paquets; je coupais le blé dInde
avec une faucille et grand-père
faisait l'attache; les paquets
étaient accotés sur des chevalets que
grand-père avait fabriqués pour la circonstance.
Les branches de chat, c'était
de belles branches droites qu'on pouvait plier
sans qu'elles cassent.
Accident
Je vais vous
raconter le petit voyage que j'ai eu avec le râteau à
foin.
En 1924, comme mon père
avait fini ses foins un de ses voisins lui demanda d'aller
lui aider à finir les siens.
Alors le lendemain matin, mon père et
moi-même partîmes avec notre
voiture à foin pour aller lui aider. Arrivés
sur les lieux, le voisin dit à mon
père: "Ton garçon va "râcler"
nous autres, nous allons charroyer le foin." Ayant
attelé les chevaux, un de 3 ans et l'autre de
4 ans, sur le râteau, j'ai "râclé" la
première pièce; à la suite de cela pour me rendre
sur la deuxième il fallait traverser un
pont de 12 pieds de large; le râteau
en avait 14 lui. Quel problème!
J'avais 12 ans et
j'étais tout petit, le siège était
trop haut, donc je me contentais de
m'adosser sur le siège.
Alors, arrive le
pont. J'ai levé les dents du
râteau à un crochet et je
m'engageai sur le pont. Une roue tomba au bout
du pont, la togne frappa le cheval de gauche
sur les jambes, celui-ci prit peur et
les deux chevaux partirent à
l'épouvante; le crochet qui tenait
les dents céda et moi je suis
tombé dans le râteau à la place du foin.
Le râteau
s'accrocha dans la clôture faite en
broche "carreautée" alors, dans
l'élan, plusieurs piquets de clôture furent
cassés. Au bout de 3 arpents, la roue du
râteau fut soulevée car un piquet n'a pas
voulu céder; c'est ce qui ne permit de
sortir de là comme Jonas
sortit de la baleine. J'avais
seulement une petite bosse à la tête.
Arrivé à la
maison pour souper, j'ai monté directement
me coucher. Ma mère s'informa à mon père de
la raison de cela. Il lui dit: "Il
lui est arrivé la même chose que toi". En
effet, la veille, mes parents avaient eu un accident;
le blond tomba dans un trou sur un pont défoncé; mon père
et ma mère l'avaient suivi; le blond avait eu
l'instinct de ne pas remuer et mes parents s'en étaient
sortis sains et saufs.
Le
violon d'Alcide
Un soir, j'ai
demandé à mon père s'il voulait me faire un
violon; il me répondit qu'il n'était pas
capable. Alors je me suis mis dans
la tête de me le faire moi-même.
Pour avoir un modèle, j'ai
emprunté le violon de grand tante Marie.
J'ai pris une
planche d'érable et je l'ai creusée à
la main jusqu'à ce qu'elle soit assez mince pour qu'on
voie la lumière à travers le fond. J'avais
entendu dire que plus le fond était
mince, plus beaux seraient les sons. Je me suis rendu sur
le chemin de Yamaska pour acheter une vieille
planche de pin pour le dessus; plus le bois était
vieux, plus le son était beau; le fermier
me la donna en me souhaitant bonne chance.
Je fis la
queue du violon avec du merisier.
Les clés, le pont et le petit poteau
pour supporter le dessus ont été faits
aussi en merisier. Je me suis fait des gabarits
pour être capable de plier les côtés. Les côtés
étaient des éclisses en bois de plaine de 2 pouces de
large par 1/8 d'épais; je les ai fait tremper dans
l'eau chaude, les ai pliées et fait entrer dans
les gabarits.
Pendant deux jours, je
les ai laissées sécher; ensuite je les ai
découpées de la bonne longueur et je les ai
collées à leur place comme tous les autres morceaux.
Il ne restait qu'à aller
m'acheter des cordes pour que mon violon soit terminé.
Quant à l'archet, il a été
fait en frêne; pour le crin, je m'organisais en allant à la
messe le dimanche pour me faufiler en cachette le long des
chevaux blancs attachés dans les stalles; quand je leur arrachai
des crins, ça ruait et ça hennissait, mais ça valait la peine
quand même...
Après six mois de travail à
temps partiel, mon violon était terminé; je suis allé voir
tante Marie pour le faire accorder; elle me joua une toune et me félicita. Enfin j'avais réussi
mon chef-d'oeuvre.
J'ai appris à jouer quelques
airs mais j'ai constaté que j'étais meilleur pour faire que
pour jouer.
Aujourd'hui, j'ai donné ce
violon à un de mes gendres; aux dernières nouvelles, le violon
avait des cordes de cassées mais le gendre le garde quand même
comme souvenir.
Mon
premier rêve d'amour
Quand j'étais petit garçon,
le gouvernement canadien octroyait de l'argent pour les cours
d'agriculture. C'était des cours sur huit jours appuyés de
films pour compléter la matière.
Ces cours se donnaient à
Drummondville; mon père m'avait trouvé une pension dans une
grosse famille pour que je sois sur place pour les cours; ce fut
pour moi un grand plaisir de suivre ces cours.
Le soir, après les vues, je
revenais à ma pension et je montais me coucher. Le dernier soir,
arrivé à la tête de l'escalier, je ne peux pas dire si c'est
un rêve ou la réalité mais j'ai vu une belle brunette aux
cheveux frisés; des yeux brillants me regardaient
chaleureusement. Comme je passais à ses côtés, je lui ai
donné un doux baiser et elle s'en est allée.
J'ai ressenti comme un choc
électrique; un frisson a traversé tout mon être. Si c'était
un rêve, je puis dire aujourd'hui que ce fut mon premier rêve
d'amour.
A cette occasion, mon coeur
avait chanté un petit poème dont je me souviens encore; il se
disait ainsi:
"Si ton
coeur serre mon coeur
Près de ton
coeur est aussi mon coeur
Ces 2 coeurs
auront ce qu'il y a de meilleur
Et que l'on
appelle le parfait bonheur."
Les années ont passé et ce
beau rêve que j'ai eu dans le passé hantait mon esprit. Ayant
appris qu'elle avait commencé à travailler, j'avais hâte de la
revoir et je me sentais pousser à aller en ville. Et à chaque
fois, je faisais un détour pour passer dans la rue où était
mon ancienne pension.
Un jour de voyage, comme
j'avais mon dîner dans ma chaudière à lunch, j'ai arrêté ma
charette un peu avant d'arriver devant sa maison et j'attendais,
mangeant mes sandwichs tout en regardant autour. Tout d'un coup,
je l'ai aperçue qui venait et je me suis dit: "C'est
toujours une beauté." Elle était alerte et transmettait la
gaieté. C'était tout un beau modèle à voir et dans son
regard, j'ai compris qu'il était rempli de bonté.
Après avoir fini de dîner,
je fumais ma pipe; soudain elle sortit et retournait travailler.
Là je me suis dit qu'il était temps de mettre le rêve de
côté et de poursuivre la réalité.
Un bon soir, j'ai décidé
d'aller la courtiser. Cela a eu l'air de lui faire plaisir car
quand je me suis présenté, elle me fit passer au salon et elle
a fait partir le tourne-disque; nous avons écouté de la belle
musique. Dix heures arrivées, elle me dit: "Demain je
travaille, il serait temps que tu te retires maintenant."
Pensant au prochain rendez-vous, je lui demandai si ça lui
ferait plaisir que je revienne la voir. Elle me dit: "Pas à
présent car je veux garder ma liberté." En moi-même je me
suis dit: "Il va falloir que j'accepte et que je continue à
rêver pour un bout de temps encore et simplement me permettre de
la voir une fois de temps en temps dans le temps des
fêtes."
Alcide
part pour un emploi
Au pire de la crise, j'avais
21 ans et je "couvais" encore la maison.
Etant quatorze autour de la
table à manger, je me suis dit: "Il faut que je fasse
quelque chose." Après réflexion, un soir, je dis à mon
père: "Demain matin, je pars pour me trouver un
emploi." Il me dit: "Tu devrais rester ici, t'acheter
une terre, on travaillerait avec les mêmes machineries." Je
dis: "Mon idée est faite, je vais voir en ville." Le
lendemain matin, à quatre heures, j'étais debout; après avoir
fait un petit bout de prière, je suis descendu à la cuisine.
Surprise mon père était assis au bout de la table et me zyeutait: "Tu es toujours décidé à
partir?" J'ai répondu: "Oui, il le faut; je vais
embarquer avec le laitier qui vient chercher le lait à 6
heures."
Alors mon père sortit sa
bourse et me présenta un cinq dollars. Je lui ai dit: "Mon
merci, vous en avez plus besoin que moi." Je savais que
c'était tout l'argent qu'il possédait. Il insista:
"Prends-le, il faut que tu t'achètes une paire d'overalls
et un froc car pour te chercher du travail en ville, il ne faut
pas que tu sois en guenilles. "Alors j'ai pris le cinq
dollars un peu à contrecoeur mais il le fallait; et je suis
parti pour l'aventure.
Arrivé en ville je me suis
acheté des overalls et un froc neufs; ensuite je me suis rendu
chez un de mes cousins qui avait un garage. Ayant ôté mes
guenilles, j'avais l'estomac gonflé de pep. Et là j'ai négocié ma nourriture
contre le lavage des autos. Il me dit: "Le matin tu pourras
faire comme les autres, aller te mettre en file à la porte des
manufactures et je te souhaite la meilleure chance."
De fil en aiguille, je me suis
retrouvé sur une ferme à St-Germain, chez un habitant à qui
mon père avait emprunté de l'argent; mon père ne pouvait pas
le remettre tout de suite. Alors avec ce cultivateur, on a passé
une entente. Je travaillerais pour lui à cinquante sous par
jour; il garderait cet argent pour payer les intérêts que la
dette de mon père ne cessait d'accumuler. Je n'ai jamais vu la
couleur de cet argent d'autant plus que je courais du matin au
soir, comme un fou.
Beaucoup de personnes venaient
le voir pour travailler seulement pour leur nourriture mais il
les refusait; il aimait mieux me voir courir et récupérer les
intérêts dus par mon père. Il avait 900 acres de terre et 5
granges pour entasser son foin.
A cinq heures du matin,
j'étais debout pour faire le train avec son garçon de quatorze
ans pendant que lui prenait soin des chevaux. Après la traite
des vaches, j'écrémais le lait, je chargeais quatre tonnes de
foin avec ses deux petits garçons, j'allais déjeuner. Puis à
sept heures du matin, pendant que lui allait chanter des messes
au village, j'étais rendu dans le champ.
Il avait deux moulins à
faucher; je travaillais avec l'un d'eux. Vers 9 heures, il
revenait aux champs prendre ma place et m'envoyait sur la petite
faux pour faucher le bord des fossés. Vers dix heures, je
commençais à charger les charettes; j'étais seul pour fournir
le chargeur; un des garçons conduisait les chevaux à coup de
fouet. "Hourra", disait le bonhomme, "on va faire
deux voyages avant le dîner."
Un dîner, le boss dit à sa
femme: "Tu n'as pas de beurre à mettre sur la table."
Elle répondit: "Les enfants l'ont tout mangé,
passez-vous-en", retournait au poêle remplir la théière
avec de l'eau chaude et remplissait ma tasse avec.
Maman m'avait préparé des
beaux mouchoirs blancs pour le dimanche; je découvris un jour
que la femme du boss me les volait et les remplaçait par des
guenilles; elle était bien salope mais j'ai eu une occasion de
me réjouir.
Un soir, elle avait changé le
bébé à la noirceur et le bébé lui avait déposé de la
moutarde sur son tablier; c'était bien bon pour elle; peut-être
l'avait-elle piqué avec une aiguille en le changeant de couche?
La terre
aujourd'hui
En 1923, la terre de mon père
était moitié en chaume, moitié en bois. En 1983, soixante ans
plus tard, un bon dimanche après-midi, je partis avec ma petite
femme Anne-Marie pour aller voir la terre qu'on appelait la terre
des Bonin.
La grande maison et le
bas-côté étaient passés au feu, la grange, le hangar et la shead à voiture avaient été détruits par
un gros vent; le gros pin en face de la maison, pin de 3 pieds de
diamètre sur la souche, avait été coupé et la côte avait
été descendue de moitié avec les gros bulls. Tout un désastre après 720 mois;
c'était bien sur cette terre aujourd'hui à peine
reconnaissable, que j'avais commencé à travailler à l'âge de
douze ans.
A présent, ce que l'on voit,
c'est une immense forêt remplie d'érables, de pins et
d'épinettes. Souvenir! Souvenir!
A présent, tout l'ensemble
est transformé en centre forestier. Ils y ont fait trois
trottoirs de quatre pieds de largeur et plusieurs ponts pour
traverser les ruisseaux et les coulées. Tout est fait en cèdre;
il n'y a pas un clou nulle part; tout est réuni avec des pines
de bois; ces trottoirs contournent les arbres qui sont en belle
ligne droite. C'est beau à voir pour ceux qui aiment la nature.
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