CHAPITRE 4
MA VIE AUX ÉTATS
1. Le célibataire
2. Première auto
3. East Grandville
4. Les fiançailles
5. Le mariage
6. Les débuts
7. Fêtes au Canada
8. Et ça continue
9. Retour au Canada
1. Le célibataire
Comme mon cousin allait se promener tous les étés chez sa
mère aux Etats-Unis, je lui avais dit: "Si tu as une place
pour moi, je vais monter aux Etats avec toi; je te payerai mon
passage quand j'aurai de l'argent." Il me répondit:
"Ne me parle pas d'argent; j'irai te chercher quand je
monterai aux États."
Un soir, mon cousin retontit
chez mon père pour venir me chercher. Ma mère n'était pas au
courant du projet; elle était très énervée; elle commença à
faire ma valise mais ne trouvait presque rien à mettre dedans.
Grand-père déposa quelques tarcettes
de tabac. Valise à la main, mon cousin prit la route de
St-Germain où j'étais en train de besogner aux foins.
Il était neuf heures et je venais juste de finir ma journée
quand il se présenta dans la cour; j'étais tout sale et je
n'avais pas soupé. Il régla la question: "Tu te laveras et
tu mangeras chez nous; viens-t-en, on part pour les États demain
matin à cinq heures." Je n'ai pas eu le temps d'aller
embrasser ma mère et de saluer le restant de la maisonnée; ça
faisait trois semaines que je restais à St-Germain; mais comme
l'occasion de partir se présentait...
A cinq heures tapant le lendemain matin, on partait pour les
États avec son Overland tout neuf qu'il avait hâte de tester.
En 1934, comme il n'y avait pas de chemin d'asphalte, ça
voulait dire chemins de gravier et de terre souvent remplis de
planches à laver; c'était raboteux; au-delà de vingt milles à
l'heure, ça tremblottait, le coeur te battait et ça brassait la
patate.
Dans ce temps-là, les États c'était bien loin surtout pour
un gars qui ne se souvenait pas d'être allé plus loin que
St-Hyacinthe.
A trois heures de l'après-midi on était à Brookfield au
Vermont chez sa mère qui était la soeur de ma mère à moi.
Après avoir mangé un peu, je sortis dehors pour contempler les
montagnes; je pensais vraiment que je rêvais. Après le souper,
j'allai me coucher mais je ne dormis pas beaucoup car je pensais
que dès le lendemain je repartirais dans les montagnes à la
recherche d'un emploi.
Mon cousin me conduisit à 18 milles plus haut, à Rochester,
situé au creux des plus hautes montagnes du Vermont. A dix
heures du matin, on y était dans ce fameux chantier. Mon cousin
qui était bilingue, demanda au boss
s'il avait besoin d'un bon homme qui venait du Canada mais qui ne
parlait pas anglais. Le gars me donna une hache et j'ai commencé
à bûcher sur le champ. A midi, le boss dit en anglais que
c'était le temps de dîner; on était douze hommes et chacun m'a
donné une croûte. On a repris le travail de une heure à cinq
heures; puis on embarqua dans une charette à deux roues pour se
rendre au chalet; tout le monde parlait et moi l'esprit me
trottait.
La femme du boss qui était cook
nous avait fait un bon souper; pendant le souper, tout le monde
parlait; moi j'écoutais à l'affût de quelques mots à
apprendre: "hi" pour lui, "chi" pour elle,
etc...
Comme il faisait clair jusqu'à onze heures du soir, je ne sus
pas quoi faire pour passer cette première soirée. Je suis sorti
du chalet pour prendre l'air; j'ai vu qu'il y avait trois vaches
non loin ainsi qu'une chaudière reposant sur un piquet de
clôture; j'ai eu une idée et retournai à l'intérieur du
chalet. Là je m'écrasai en petit bonhomme et je fis les
agissements avec mes mains comme si je trayais les vaches. La
dame me comprit et me dit: "Yes! Yes!" Je fis la traite
des vaches tous les soirs par la suite.
Le chalet était divisé en trois parties: on entrait d'abord
dans l'étable, puis dans la cuisine et enfin dans le dortoir; il
y avait 8 lits doubles équipés de paillasses de paille sur fond
de bois...
Avant de me coucher, je faisais ma prière à genoux et après
j'attendais le sommeil qui tardait beaucoup à venir car ça
travaillait tellement dans ma petite tête.
Comme on ne travaillait pas le dimanche, je descendais à pied
la montagne sur 8 milles de long afin d'aller à la messe;
l'église était bâtie dans le bas de la montagne à Randolph.
Mon oncle aussi se rendait à la messe après avoir dévalé
l'autre versant de la montagne en provenance de Brookfield.
Après la messe, j'embarquais avec eux et on allait dévorer le
bon dîner préparé par ma tante. Vers 3 heures de
l'après-midi, je repartais pour le chalet; j'avais seize milles
à faire, 8 pour descendre un versant et 8 pour remonter l'autre
versant jusqu'au chalet...Ma tante m'avait suggéré de bien
examiner mon lit pour voir si je n'y trouverais pas la cause de
mes insomnies.
Un soir, je fis l'examen de ma couchette; la tête du lit
était toute picotée de blanc; je me suis aperçu qu'il y avait
des petites bibittes qui
voyageaient d'une craque à une autre. J'ai eu un coup de chance
ce soir-là; mon nouveau compagnon de lit s'était couché et lui
aussi se mit à rouler et à blasphèmer à cause de nombreuses
démangeaisons; il se leva en furie, se rendit à l'étable,
revint avec des couvertures à chevaux, m'en couvrit ainsi que
lui-même. Les bibittes
disparurent comme par enchantement et par la suite je dormis
comme un roi.
Ca faisait trois semaines que je mangeais comme tous les
autres ce que la cook nous
préparait pour la boîte à lunch; il y avait un problème, à
savoir: de la viande le vendredi. Pris de scrupule, je décidai
d'aller m'en confesser le dimanche suivant. Le prêtre me dit:
"Parce que tu travailles fort, je pourrais te donner une
permission spéciale, mais tu mangeras ton pain sec et tu
laisseras la viande dans la boîte à lunch; on va leur donner
une idée de ce que c'est que d'être catholique. Pour ta
punition, tu reviendras me voir dans trois semaines et on prendra
une décision finale." Alors je fis ce qu'il m'avait dit.
Mon menu changea comme par enchantement: c'était de grosses
fèves pâteuses; je vous dis que ce sont des gaz bleus qui
sortaient par le bas de mes culottes. Après trois semaines, je
suis retourné voir le prêtre pour lui conter mon histoire. Il
dit: "On les a eus les gars." J'ai eu l'absolution mais
il ne m'a pas donné de pénitence.
Mon vocabulaire s'enrichissait mais il restait certaines
difficultés; un jour, mon boss
m'envoya chercher une shovel;
je suis revenu avec un cheval; les gars ont bien ri.
Après six mois, je décidai de sortir de là; j'avais
travaillé pour une piastre par jour; je trouvais que je serais
mieux dans un autre chantier à couper du bois de corde à une
piastre la corde.
Arrivé le printemps, mon oncle m'engagea pour le temps des
sucres à 25$ par mois; ensuite j'ai travaillé pour un
cultivateur à Randolph pour lui construire une cabane à lait.
Un jour, je reçus une lettre de ma mère me demandant de
l'aide parce qu'ils n'étaient plus capables de payer leurs
dettes d'intérêts. Ma mère avait pleuré, je crois, en
écrivant cette lettre car le papier était tout tacheté. Alors,
ayant compté tout ce que j'avais, je suis allé à la banque et
j'ai signé un chèque de 185$ à mes parents. La générosité
ne m'a pas nui: six mois plus tard, j'avais assez d'argent pour
m'acheter un habit neuf et pour payer la gazoline nécessaire
pour une visite au Canada dans la voiture d'un ami. Ce fut court,
mais j'étais content de revoir mon amie Anne-Marie et mes
parents. Mon retour aux États fut compliqué; arrivé aux lignes, l'officier ne voulait
plus me laisser passer; il disait que je ne parlais pas assez
bien l'anglais. Il téléphona tout de même à Woonsocket pour
vérifier si le baptistère que je lui montrais était en règle.
Je pus passer enfin mais j'ai eu chaud un peu.
De retour dans le Vermont, je trouvai du travail à Branstrie
chez un Américain qui m'engagea pour 1$ par jour. La journée
commençait à 5 heures du matin avec la traite des vaches; il en
avait neuf; j'avais la job de les traire et lui de les
égoutter. C'était long parce qu'il ne voulait pas que
j'installe la trayeuse sur une autre vache avant qu'il eut fini
d'égoutter celle qu'on avait fini de traire; ensuite
j'écrémais le lait et j'allais déjeuner.
Le boss avait un moulin à
scie. On équarrissait les billots pour en faire des morceaux
destinés à la construction d'un pont; on pouvait scier des
billots jusqu'à trente pieds de long; on les appuyait sur un
carrosse et en faisant avancer le carrosse le billot se coupait
sur le sens de la longueur; quand on faisait le travail à deux
ça allait assez bien; mais souvent il y avait des visiteurs et
le boss parlait des heures de temps et moi je me
débrouillais avec tout l'attirail.
On arrêtait pour le dîner et le souper; c'était toujours le
même menu: des légumes cuits dans le beurre et des biscuits
"Graham" secs.
J'ai travaillé treize mois, je n'ai jamais vu la femme du boss laver la vaisselle: il y
avait une cuvette d'eau remplie à moitié sur la table; après
les repas, elle y déposait la vaisselle sale, y ajoutait un peu
de savon. Pour mettre la table, elle plongeait ses mains sous la
croûte de saleté et rinçait les assiettes qu'elle y attrapait.
Pourtant la vaisselle reluisait à ce que je me rappelle. Je sais
que j'ai beaucoup engraissé pendant mon séjour chez ce
cultivateur; je ne pouvais pas trop m'expliquer pourquoi.
2. Ma première auto
En 1935, j'ai acheté ma première auto. C'était une Ford
1929, Coach et Sport. Elle avait des roues en broches semblables
aux roues de bicycles. Le top
s'ouvrait et se repliait en arrière. Quand un orage
s'annonçait, je m'empressais de relever le toit et de fermer les
vitres qui étaient faites en micas munis de snaps. C'était toute une job;
des fois, il s'était remis à faire soleil et je n'avais pas
fini de fermer les vitres. Le coffre arrière ouvrait le dos au
siège de devant ça faisait le siège de l'arrière; le passager
qui était assis ne voyait rien en avant.
Pour faire partir le moteur, il fallait le crinquer; j'ajustais les clés, je
prenais la crinque, je tirais
sur la broche pour ouvrir le choquer
et je crinquais. Quand le
moteur venait en marche, je courais ajuster les clés en dedans
afin qu'il prenne son gaz régulièrement. Je faisais trente
milles au gallon avec. J'avais payé cette auto 65,00$ y compris
les pneus neufs et les plaques; cependant au début, je n'avais
pas ma licence de chauffeur; c'est dans les champs que j'ai
pratiqué. Après une semaine, je me suis présenté au bureau
des licences; le test comprenait 50 questions en anglais, s'il
vous plaît. J'ai passé au test de questions, mais pour le test
sur la route, le gars a choisi la côte de l'église; c'en était
toute une. A partir du bas, j'ai changé régulièrement de
vitesse, mais sur le point d'atteindre le haut de la côte,
l'auto s'est mise à sheaker;
l'officier avait même ouvert sa portière au cas où il aurait
à sauter. Je mis l'auto sur le frein à bras. Je ne passai pas
le test ce jour-là et pendant une semaine j'ai pratiqué dans
toutes les côtes que je pouvais trouver. J'ai revu l'officier;
il m'a dit: "Ne bâdre pas
avec rien, donne-moi 5,00$ et je te donne ton permis." J'ai
pensé que le Bon Dieu avait exaucé mes prières.
J'ai demandé 10 jours de congé et je suis parti pour le
Canada.
La première à avoir vu mon auto, c'est Anne-Marie chez qui
je suis allé souper et veiller. Ensuite, je suis allé me
coucher à la maison familiale de St-Majorique.
Quand dimanche arrive, je partis, avec sur le siège avant,
Anne-Marie et ma mère, et sur le siège arrière, mon père, mon
frère Marcel et sa blonde Jeannette pour aller rendre visite à
l'oncle Elzéar, prêtre curé à Ste-Elizabeth de Warwick.
Chemin faisant, j'avais une petite côte à monter; je donnai un
peu plus de gaz et le spring de
la pédale se décrocha au moment où on descendait la côte;
j'ai appliqué le frein à bras; l'auto s'arrêta mais le moteur,
il était parti en peur; l'huile brûlait dans le moteur et une
épaisse fumée se dégageait. Alors, je leur dis: "Vite,
sortez de l'auto ça va sauter." Anne-Marie sortit assez
vite qu'elle accrocha sa belle robe et la déchira. Mon père me
cria: "Alcide, reprends tes nerfs." J'ai pensé
retourner la clé et le moteur s'arrêta. J'ai raccroché le spring de la pédale et en route
assez vite pour ne pas manquer la grand-messe de l'oncle Elzéar.
J'ai fait pas mal de millage durant mes vacances et le retour
aux États s'est fait à une allure un peu plus raisonnable.
3. East Grandville
Ayant décidé de changer d'ouvrage, je me suis rendu à East
Grandville et j'y ai trouvé un emploi de chauffeur de boaler dans une manufacture à
bois. J'y étais l'homme à tout faire; je faisais le ménage
dans l'usine, je faisais de la vapeur pour faire sécher douze
chars de bois de douze pieds de haut, j'aidais le testeur à
tester le bois, je chauffais deux maisons, un petit magasin et
une vingtaine de garages; il fallait que la chaleur soit
au-dessus de 180 degrés pour que le séchage marche bien.
Pour tester le bois, on le pesait avant le séchage et après.
Au début, on prenait des échantillons à même une charge de
bois. On marquait chaque échantillon d'un signe et on le pesait.
Les échantillons étaient ensuite chauffés dans un petit
fourneau électrique pendant deux heures à une température de
250 degrés. Quand on repesait les échantillons qui avaient
perdu leur eau, ça nous donnait une idée plus précise pour
savoir pendant combien de temps on aurait à chauffer les 12
chars de bois enlignés dans l'usine. Là l'opération
commençait et j'avais pas de répit avant douze à treize heures
car il fallait que je garde toujours la chaleur à la bonne
température dans l'usine. Enfin, quand le bois était sec selon
nos savants calculs, on sortait les 12 dehors, et on en entrait
12 autres et je pouvais enfin me permettre un break pour manger; le lendemain
matin, ça recommençait.
Je travaillais plus de 12 heures par jour et 7 jours par
semaine; les autres heures, je les passais dans un petit chalet
que j'avais loué 2,00$ par mois; il était situé en plein bois
à quatre arpents du village; il avait 12 pieds carrés de
surface, l'extérieur était recouvert de "claboard",
mais l'intérieur était sur le ruff.
A Randfolph, dans un magasin de seconde main, j'ai acheté un
poêle avec les tuyaux pour 5,00$; c'était pour ma cuisson et
mon chauffage. La porte du poêle était attachée avec de la
broche; le fourneau était tout petit, il n'y avait de la place
que pour y faire cuire une seule tarte à la fois. J'ai acheté
aussi une table à deux panneaux pour 0,50$, un sofa pour 2,00$.
J'ai complété mon installation par l'achat de couvertes de
lit, d'oreillers, de vaisselle, d'une chaudière pour prendre de
l'eau à la source et enfin d'un cadran pour me réveiller à
temps car j'avais horreur d'arriver en retard au travail.
Un soir, j'ai écrit à ma mère pour avoir sa recette de
biscuits à la crème. Quand je l'ai eue, j'ai démêlé toute la
recette; cela m'a donné la belle somme de 73 galettes et j'ai
commencé à les faire cuire une assiette à la fois; on était
au mois de juillet et il faisait très chaud; j'ai ouvert la
porte pour avoir de l'air frais. A onze heures du soir, il me
restait encore une assiette à faire cuire; je m'endormais et je
m'étendis sur le sofa tout en essayant de prier un peu; malheur
me prit: je m'endormis et m'éveillai en sursaut à cause d'un
tapage; j'ai regardé par la porte et je vis un ours à six
pieds; je n'ai pas pris le temps de compter jusqu'à deux et je
fermai la porte; finalement l'animal partit dans la montagne; un
peu plus et il m'aurait volé mes biscuits. Je dormis inquiet
cette nuit-là.
Le lendemain, j'ai conté mon histoire à mes copains à la
manufacture; trois gars partirent et le tuèrent à six milles
dans la montagne. Le temps passa. Un soir qu'il pleuvait beaucoup
au cours du mois de novembre, j'ai eu la visite d'un trimp assez gros; il pesait au
moins 250 livres. Il entra dans le chalet en disant:
"J'arrive juste à temps car j'ai faim." Je finissais
de préparer mon souper. Je lui dis: "Je n'en ai pas
beaucoup mais je vais le séparer avec toi." Il prit ma
chaise berceuse et moi je m'assis sur le sofa. Il me posait
toutes sortes de questions sur mon emploi et mon salaire. Je
commençai à avoir le grain
serré. Après le souper, je lui dis: "Tu vas te rendre à
un mille d'ici, il y a un échevin qui pourra te prendre pour la
nuit, et il te donnera à déjeuner demain matin car ici je ne
peux pas te garder." Il répondit: "Non, je couche ici,
ton lit fera mon affaire." "Non!", je m'empressai
de répondre. Il me regarda fixement et lança: "Tu as peur
de moi, fais pas le frais." Je lui ai dit: "J'ai
soif." Question de me lever pour me rendre en direction de
la chaudière près de laquelle reposait ma hache. Je saisis ma
hache et me retournant vers lui je lui dis: "Maintenant, mon
gros, dehors." et je commençai à lui swigner la hache près de la
tête. Il me dit: "Ne me frappe pas." Sans s'en
apercevoir il était rendu sur le seuil de la porte, il eut peur
et fit une culbute, le temps pour moi de fermer la porte à clef.
Mon gars partit en sacrant; il s'est rendu chez l'échevin; il
lui aurait dit, à ce que j'ai appris le lendemain, qu'il avait
voulu coucher chez le Frenchman mais qu'il était mauvais comme
le diable. Quand je me suis couché ce soir-là, j'avais encore
très peur; j'avais des secousses à faire bouger le sofa sur le
plancher.
Rendu au mois de janvier, le froid était arrivé; j'ai
acheté d'autres couvertures et je m'en servais tous les soirs.
J'avais une tuque que j'avais achetée quand je travaillais au
chantier.
Quand arrivait le temps de faire dodo, je me coulais sous les
épaisseurs de couvertes, la tuque renfoncée jusqu'au nez.
Malgré cela, quand je me levais à quatre heures du matin,
j'avais du frimas accroché après mes cheveux. J'allumais alors
le poêle pour faire fondre la glace dans la bouilloire pour
être capable de faire mon café. Pour mon déjeuner, je me
cuisais quatre oeufs, me faisais des toasts sur le poêle et je
prenais mon café. Pour le dîner, je me préparais un thermos de
café, un pain, une livre de beurre et le pot de beurre de peanut. Après le travail, pour le
souper, je variais entre les galettes de sarrasin et les crêpes
avec des grillades de lard salé.
Pour avoir mon dimanche, je travaillais trente-six heures sans
arrêt; mon partenaire chauffeur en faisait autant.
Au printemps 1937, deux ans après mon arrivée aux États, je
me suis acheté une autre auto; c'était une belle Pontiac 1930;
pour 100$, elle était bien équipée; en réalité le vendeur
avait un besoin urgent de 100$. En vendant ma Ford pour 50$, j'ai
pu m'acheter des sets de lumières et des garnitures de
Noël.
Et puis rendu au mois de juillet, j'ai commencé à faire de
la fièvre; c'était la fièvre d'amour.
4. Les fiançailles
Aux États, je m'organisais pour entretenir ma flamme et la
flamme d'Anne-Marie par des lettres. Le temps passait et
j'écrivais une lettre à toutes les semaines. Tous les jours,
j'allais voir au bureau de poste pour voir si elle m'avait
répondu.
Des copains me demandaient si c'était bon l'amour par
correspondance; je leur répondais que c'était mon secret.
Toujours est-il que j'ai demandé quelques jours de congé à
mon boss. Je lui dis:
"C'est pour aller me fiancer." Il acquiesça avec le
sourire. J'ai donc terminé mon chiffre de 36 heures et je suis
rentré à mon chalet; j'ai pris un bon bain dans la cuvette,
j'ai soupé vitement bien sûr et dans la nuit, je suis parti
pour le Canada.
A dix heures du matin, j'étais à Drummondville; je suis
arrêté cueillir un bon baiser; elle était fraîche et belle et
me confia qu'elle m'attendait; nous avons jasé un bon bout de
temps et ensuite je suis allé faire une surprise à ma famille.
Le lendemain matin, je suis allé chercher ma belle et nous
sommes allés chez le bijoutier; je lui ai acheté sa bague de
fiançailles ainsi que son jonc pour le mariage. Nous avons
dîné ensemble, je lui fis de belle caresses et je l'embrassai
à maintes reprises amoureusement; ce n'était plus un rêve, ça
ressemblait davantage à la réalité. En quittant mes parents
pour les
États, je leur ai dit: "Je vais venir la chercher en
septembre." Ca voulait tout dire. Sur la route, je
fredonnais ce petit poème:
"Voyageur sur la terre
Fatigué du chemin
Quand je chante j'espère
Oublie le chagrin
Dans l'air, dans la prairie
Les oiseaux chantent joyeux
Aussi toute ma vie
Je chanterai comme eux."
Je suis arrivé aux États vers la fin de l'après-midi; je me
suis déchangé, j'ai soupé et j'ai mis de l'ordre dans mes
pensées; je me suis aperçu qu'elles étaient toutes du bon
côté; j'ai remercié le Bon Dieu et je me suis couché.
Le lendemain soir, après une journée d'ouvrage normale, j'ai
loué un grand bungalow de neuf appartements au prix de 8,00$ par
mois et j'ai donné ma notice
pour le chalet.
Au magasin de seconde main, j'ai acheté un lit double, des
matelas, des couvertures, etc... N'oublions pas la planche à
laver le linge: c'était un cadrage ayant une vitre en forme de
côtelettes sur laquelle on frottait le linge; dans le haut, il y
avait une petite tablette pour déposer le savon; on appelait
cela le petit moulin à main.
Dans l'appartement, il n'y avait pas beaucoup de commodité;
on avait de l'eau de source de la montagne à la champleure et
aux toilettes.
Le petit village n'avait que vingt-six maisons, une shop, un petit magasin, un bureau
de poste. Il était construit dans le fond d'un vallon ayant
trois arpents de large et entouré tout le tour par des montagnes
dont le sommet était à six milles de marche.
Un jour à la fin de juillet, je suis monté sur la montagne,
il y avait encore de la neige par endroit; mais ce n'était pas
le temps de faire le poète, septembre arrivait et mes noces avec
et j'avais encore bien des préparatifs à faire.
Vers la mi-août, je suis allé voir le curé pour lui
demander de faire la publication des bancs à Randolph; le curé
oublia cela mais plus tard il me dit: "Vas-y te marier, il y
a rien là." Pendant ce temps, à Drummondville, mon père
et le père de la future épouse sont allés demander la
publication des bancs.
La semaine précédant le 11 septembre, je me suis rendu à
Randolph, je me suis fait couper les cheveux et j'ai fait des
achats: un bel habit gris fer, un chapeau gris pâle, une chemise
blanche, un col, des gants et des bas gris pâles et s'il vous
plaît, des souliers noirs avec des talons de 2 pouces.
5. Le mariage
Vendredi le 10 septembre, je tombais en vacances. En passant
aux lignes, je leur ai demandé la liste de papiers nécessaires
pour aller chercher une femme au Canada.
J'ai fait un arrêt à St-Hyacinthe pour embarquer tante
Flore, la soeur de ma mère; elle était cook à
l'Hôtel-Dieu de St-Hyacinthe et elle venait préparer mon repas
de noces.
Nous sommes arrêtés en passant dire bonjour à mon amour et
je suis entré au foyer paternel comme le voulait la tradition.
Après souper, je me suis installé dans le bas-côté pour
écrire des lettres en anglais et en français afin d'avoir à
temps les autorisations pour passer ma future aux États.
A cinq heures du matin, le 11 septembre 1937, je partais pour
me rendre dans le 5ième rang de Drummondville chez ma future
femme; il fallait être à l'église à six heures et demie, car
il fallait passer par le confessionnal. Quand je fus entré dans
la boîte aux secrets, le prêtre me demanda mon âge.
"Vingt-cinq ans bien faits" répondis-je. Alors, en me
donnant l'absolution et la bénédiction, il me renvoya en me
disant: "Va, tu en connais assez."
A sept heures tapant, la mariée, vêtue d'une belle grande
robe de velours bleu et un beau chapeau, portant dans ses mains
un beau bouquet de fleurs, était au bras de son père sur le
portique de l'église; moi-même, j'étais accompagné de mon
père pendant que Marcel et Jeannette et le reste de la parenté
entre en triomphe dans l'église; je ne peux pas décrire la
sensation que j'ai ressentie, mais c'est clair, c'était le plus
beau jour de ma vie.
Après la noce religieuse, on s'est tous rendus chez mon père
pour le dîner de noces; les tables avaient été installées
dans le verger. Tout le monde chantait et moi aussi j'ai turluté
la chanson "Hop! pi! pan! pan! du fun il y en avait, il y en
avait pour tout le monde." Anne-Marie, ma femme adorée,
chanta la chanson "Les roses blanches"; j'ai enchaîné
avec une chanson que j'avais composée la veille pendant mon
trajet en auto; cette chanson disait ceci:
J'suis parti des États
Pour venir au Canada
Chercher Anne-Marie
Et me faire son p'tit mari
Envoyons de l'avant nos gens (refrain)
Envoyons de l'avant.
Ce matin dans son doigt
Je lui ai mis un anneau d'or
Lui promettant tout à la fois
L'amour et la fidélité jusqu'à la mort.
Nous avons eu un beau banquet et tout le monde était heureux.
Vers quatre heures, nous sommes tous partis pour aller souper
et veiller chez le père de la mariée. Les frères d'Anne-Marie,
Albert, Henri et son oncle Mégil jouaient du violon; d'autres
personnes chantaient ou contaient des histoires; ça a duré
jusqu'à cinq heures du matin.
Comme je n'avais pas dormi depuis deux jours et deux nuits, je
dormais debout; alors Anne-Marie m'amena dans sa chambre, me
donna un doux baiser et me laissa reposer. Je me suis mis à
genoux pour faire ma prière; elle m'a dit: "Couche-toi, je
vais faire la prière pour deux." Et je puis dire que depuis
ce temps-là, elle m'a toujours appuyé et secondé.
Après s'être accordés un doux repas, nous sommes partis en
voyage de noces à Montréal, question de voir de quoi avait
l'air un bureau d'immigration.
Quinze jours après notre mariage, nous partîmes aux
États-Unis. Mon auto était remplie jusqu'au plafond; Anne-Marie
s'était fait un très beau trousseau; nous avons passé la nuit
chez un cousin à Randolph avant d'arriver dans notre chez-nous
à East Grandville.
6. Les débuts
Le premier octobre, je reprenais mon ouvrage et Anne-Marie se
mit à faire du grand ménage. Tous les jours, elle m'apportait
mon dîner à la shop. Elle
allait au bureau de poste et s'arrêtait placoter avec Mme
Richardson, la seule autre personne qui parlait français dans ce
coin perdu.
J'ai fait une grande table de cuisine avec coulisse pour
ajouter deux planches de douze pouces au centre et une de seize
pouces à chaque bout. J'ai fait une chaise haute pour bébé en
érable piqué qu'on appelait aussi yeux d'oiseaux, si vous aimez
mieux. Puis ce fut un petit lit à bébé à partir de springs de siège d'auto que je
coupai en deux, une petite chaise berceuse pour bébé, une
petite chaise droite pour bébé, une armoire de linge de bébé,
une bibliothèque de quatre pieds, un jeu de rossignol, un de piche-nut, un grand banc de la
longueur de la table; je faisais cela par les soirs et en
prévision que ça servirait à plusieurs enfants.
Anne-Marie m'assistait; elle assemblait les pièces de bois et
elle fabriquait les matelas et les couvertures pour les lits de
bébé.
La chaise haute, je dois dire que tous nos enfants l'ont
utilisée; actuellement, elle sert à nos petits-enfants; avant
longtemps elle servira à nos arrière-petits-enfants.
J'ai fait beaucoup de rénovations dans la vie; une maison aux
États-Unis et une autre au Canada; Anne-Marie a toujours été
mon fidèle helper.
Au mois d'août 1938, nous avons eu la malchance de perdre
notre premier bébé à sa naissance à l'hôpital de Northfield,
près d'East Grandville; c'était un beau petit garçon. On me
l'a remis dans un petit cercueil en carton et je suis parti pour
Randolph non sans avoir embrassé Anne-Marie pour la
réconforter. A Randolph, le curé chanta le "libéra"
et le bedeau enterra le petit dans un coin du cimetière
réservé aux enfants. Arrivé à la maison, j'ai barré la
porte, je me suis couché et, c'est honteux de le dire, j'ai
pleuré; j'étais seul et je ne voulais pas que personne ne le
sache. Après quelques heures, je me suis levé, je me suis lavé
à l'eau froide et je suis retourné ensuite à l'hôpital au
chevet d'Anne-Marie. Huit jours plus tard, Anne-Marie revint à
la maison.
7. Les Fêtes au Canada
Après avoir passé quinze mois aux États, nous étions dus
pour un voyage au Canada. Au mois de décembre 1938, à l'avant
veille de Noël, après mes douze heures à la shop, on a soupé, on a fait notre
toilette et après avoir demandé à notre chambreur de chauffer
la maison, nous sommes partis dans la noirceur au moment où une
grosse tempête de neige commençait.
Dans une première étape, on s'est rendu à Sherbrooke où on
a été obligé d'arrêter car la route pour Drummondville était
bloquée depuis le début de l'hiver; on a déniché un cousin
chez qui coucher un peu et qui nous a aidés à louer un garage
pour mettre la Buick à l'abri pendant nos vacances; puis fallut
trouver un moyen pour se rendre à Drummondville.
On s'est fait conduire à la gare du Canadien Pacifique de
Sherbrooke; de là on est retourné près des lignes américaines
pour se retrouver à Farnham, jonction du Canadien National qui
lui passait par Drummondville. Nous sommes enfin arrivés tard le
soir de la messe de minuit. A la gare, j'ai appelé Joseph, le
frère d'Anne-Marie, pour qu'il vienne nous chercher. On avait
faim et c'est dépassé onze heures du soir qu'on a soupé. Et
vite pour ne pas manquer la messe de minuit à St-Simon. Après
la messe, ce fut le réveillon; tous les frères et soeurs
d'Anne-Marie étaient présents avec leurs enfants. Malgré la
fatigue du voyage nous avons eu beaucoup de plaisir.
La veille du Jour de l'An, on s'est fait conduire au village
de St-Majorique. J'ai loué le cheval et la carriole du curé
pour me rendre sur la terre de mon père à la rivière. Tout le
monde était content de nous voir enfin. Le matin du Jour de
l'An, après avoir reçu la bénédiction paternelle et échangé
les voeux de circonstance, on s'est agenouillé pour la prière
en famille présidée par ma mère; et ce fut le gros déjeuner.
Tout le monde s'est ensuite chaudement habillé, et on est
parti pour la grand-messe de neuf heures et demie; tout fut fini
après midi car le curé fit pas mal de spécial.
De retour à la maison, on se léchait les babines. Marcel
arriva avec sa Jeannette; il avait avec lui un flasque de petit
blanc; après dîner, j'ai commencé à déparler; alors ils
m'ont fait sortir dehors et m'ont fait manger des concombres
vinaigrés et je repris graduellement mes esprits.
La veille des Rois, Anne-Marie et moi avions décidé de
retourner chez les Lemire. Comme Bernard partait pour aller voir
sa blonde, il nous a conduits au village. J'ai demandé à
Joseph, mon beau-frère, de venir nous chercher; mais il ne put
se rendre à St-Majorique car la route était bloquée; je me
suis alors rendu chez le premier fermier pour avoir une voiture
et un conducteur; il ne restait qu'un traîneau double car son
fils était parti avec la carriole; il y installa une boîte de
bois qu'il recouvrit d'une robe de carriole, il attela son cheval
et nous voilà partis pour le cinquième rang de Drummondville.
En cours de route, comme il faisait très froid, le conducteur
décida d'arrêter se chauffer chez une connaissance; comme le
cheval n'était pas attaché et qu'il avait lui aussi très
froid, il décida de retourner chez lui. Quelle surprise!
Récupérer le cheval d'abord et ensuite se mettre en route pour
le cinquième rang; nous avons fini par aboutir.
Le lendemain matin, Joseph nous a conduits à la gare à
Drummondville; ce fut les mêmes douze heures de train en passant
par Farnham vers Sherbrooke.
Je partis récupérer ma Buick; comme il avait fait très
froid, la batterie était gelée; avec l'aide du propriétaire,
on a réussi à bouster ma
batterie mais comme elle était très gelée, elle fendit; je
l'ai attachée avec une broche pour ne pas qu'elle perde ses
morceaux; je n'avais pas le choix car il y avait pénurie de
batteries dans le coin. Le garagiste me dit: "Tu peux te
rendre aux États avec mais n'arrête pas ton moteur."
Je n'arrêtai pas mon moteur mais sans doute que le Bon Dieu
s'en est mêlé. En effet les routes étaient devenues des
patinoires à cause du verglas; j'ai tourné bout pour bout trois
fois, protégé par les bordages de neige de quatre pieds de
haut; dépassé les lignes, nos avaries semblaient finies; on a
mis les pieds sur le perron avec soulagement. Mais...!
Mon chambreur était parti sur une brosse et avait oublié de
chauffer la maison; les pipes avaient fendu et il y avait de la
glace sur le plancher; j'ai fermé les valves et j'ai allumé le
poêle pour faire fondre la glace; après une nuit de chauffage,
j'ai pu réparer les pipes et tout rentra dans l'ordre.
8. Et ça continue
La ville la plus près était Randolph à neuf milles; tous
les dimanches on y allait pour la messe; de temps en temps, on se
confessait; c'était pas compliqué, le prêtre ne comprenait pas
le français et donnait l'absolution d'une façon automatique.
Comme on n'avait pas d'électricité, nous nous sommes acheté
une lampe à l'huile, un petit fanal, une radio à batteries, un
moulin à laver avec un bras manuel et un moulin à coudre
"seigneur" qui fonctionne encore très bien aujourd'hui
après 52 ans de service.
Un jour, en arrivant à la maison, Anne-Marie me dit que nous
n'avions plus d'eau; alors j'ai grimpé à quatre arpents dans la
montagne pour voir si le réservoir était sec; je découvris
qu'il renversait. Comme notre propriétaire demeurait dans le sud
des États et qu'on payait le loyer à la banque, j'avais besoin
de régler le problème moi-même; j'ai pensé à mon grand-père
Clément qui était sourcier et je suis descendu dans notre
verger derrière la maison pour quérir une belle fourche de
pommier. Je suis remonté au réservoir. Je commençai à
descendre lentement; quelle ne fut pas ma surprise de sentir la
fourche me tourner dans les mains. Tout à coup, la fourche ne
tournait plus; j'ai pris ma pelle et j'ai creusé sept pieds pour
découvrir que c'était là que la pipe était trouée; l'eau y
prenait une autre direction. J'ai réparé la pipe et l'eau s'est
rendue à la maison. Un soir en 1939, à la fonte des neiges, il
y a eu un très gros orage; j'étais en train de faire rire mon
petit Gérard et Anne-Marie venait de mettre un gâteau au four;
tout à coup, quelqu'un frappa à la porte; c'était l'échevin
tout énervé qui dit: "Sortez d'ici car dans dix minutes,
la vallée va être immergée." Anne-Marie dit: "Je
viens de mettre mon gâteau au four". "Laisse" lui
dis-je, "mets ton manteau et suis-moi".
J'ai ramassé du linge pour Gérard et moi-même et nous
sommes partis en courant embarquer dans l'auto; on avait deux
arpents à faire avant de rejoindre le grand chemin; nous avions
un pont à traverser, une trac de chemin de fer et de plus
le chemin serpentait en "s"; un peu avant d'arriver un
pont, il y avait déjà de l'eau à la hauteur du radiateur; nous
passâmes sur le pont et le voilà qui part à la dérive; ça
s'appelait être sauvés à la dernière minute.
On a commencé à respirer un peu plus normalement. La
montagne était éclairée par les éclairs et on voyait de
grosses vagues d'eau descendre à flanc de montagne, comme des
boules de neige.
L'échevin nous fit monter de l'autre côté de la vallée
avec nos automobiles. L'eau monta jusqu'à six pieds dans le
grand chemin, envahissant la shop,
les magasins et les maisons. Notre maison étant construite sur
une petite élévation, l'eau s'est arrêtée à la hauteur du
plancher; les billots flottaient partout.
Ce n'est que vers trois heures du matin que l'eau s'est
retirée; le spectacle était désolant; nous avons été
hébergés chez un bourgeois pour le restant de la nuit.
Quand la clarté fut arrivée, j'ai traversé sur la charpente
du pont et je me suis rendu à la maison; dans la cave tout
était à la nage; par contre dans la maison, tout était en
ordre excepté le gâteau qui était rôti noir comme le poêle.
Je suis sorti avec mon kodak et j'ai pris plusieurs poses. J'en
conserve encore comme souvenirs. L'échevin disait que quarante
ans passés, ils avaient eu un désastre de même envergure.
En tout cas, on n'a même pas pensé prier tellement on était
énervé d'avoir vécu une expérience à la Noé.
Au mois d'octobre, 1939, j'ai décidé de changer de métier
et de reprendre le métier de St-Joseph. Je suis parti un matin
pour Burlington située à 80 milles de chez nous; je me suis
rendu au bureau de la construction et j'ai demandé une job; on me répondit que pour
travailler j'avais besoin d'une carte. Le soir, je me suis rendu
à une réunion de l'assemblée des menuisiers et après quelques
questions auxquelles je répondis avec facilité, on me donna ma
carte.
Le lendemain matin, j'ai commencé à travailler; le soir
même, j'ai trouvé un loyer à Winooski; ça allait vite car
dès le lendemain, j'ai envoyé un déménageur chercher notre
ménage à East Grandville et après ma journée de travail, je
suis même allé chercher Anne-Marie et Gérard, notre bébé
nouvellement né le 27 juillet.
Une dame charitable de Winooski nous hébergea pendant
quelques jours pour nous laisser le temps de nous installer dans
notre nouveau logement.
Etant journalier, apprenti et menuisier en même temps, je me
suis mis à travailler ventre à terre comme on le dit parfois.
En effet il fallait apprendre et comprendre les ouvrages que le boss
me demandait de faire; c'était tout en anglais, le jasage.
Ma première job fut de faire des barraques pour les
soldats; nous étions 500 hommes sur le chantier, je m'aperçus
que la plupart étaient pires que moi; cela me donnait du
courage; tout allait bien d'autant plus qu'Anne-Marie ne
ménageait pas ses encouragements.
Le printemps suivant, le propriétaire a vendu sa maison et il
fallut que l'on déménage encore; j'ai trouvé sur la même rue
un peu plus loin; l'hiver passa à travailler dans une shop de portes de moustiquaires.
Le printemps suivant, il fallut déménager encore car le
propriétaire voulait rénover l'intérieur du logement.
Alors nous avons décidé de devenir propriétaires; nous
avons acheté une maison au 303 Malletts Bay à Winooski, maison
que nous avons rénovée à l'extérieur au cours du premier
été.
En 1942, j'ai acheté une Buick 1933; elle était très propre
et elle avait des stores et des rideaux à tous les châssis,
comme dans une petite maison. C'était une auto construite pour
les montagnes; elle avait des pédales spéciales à l'air pour
les freins et la transmission. J'ai gardé cette auto pendant les
douze prochaines années.
J'ai connu mon baptême de l'air en même temps que ma petite
soeur Jeanne que je suis allé chercher au Canada pour assister
Anne-Marie quand notre Denis est venu au monde.
Jeanne avait 16 ans et connaissait l'ouvrage de maison; après
trois semaines d'aide précieuse, voyant qu'Anne-Marie avait
repris ses forces, elle me demanda si je voulais la laisser aller
se promener à Boston chez des cousins et des cousines. Je
trouvais que c'était loin et ça m'embarrassait. Alors je lui ai
demandé: "Si tu demandais cela à papa et maman, quelle
réponse aurais-tu?" -"Sûrement non",
répondit-elle. J'ai voulu lui faire plaisir autrement; je lui
dis: "Pour retourner à Montréal, je vais te laisser le
choix entre trois moyens: le cheval, l'auto ou l'avion,
choisis." Le soir même, j'appelais à l'aéroport pour
réserver deux billets d'avion pour Montréal. Le lendemain
matin, nous sommes partis dans les airs tous les deux, nous
sommes passés au-dessus de notre maison; Anne-Marie était dans
la cour. En vingt minutes, nous étions à Montréal. Tout
s'était bien passé; ma petite soeur a eu un peu mal au coeur,
mais rien de bien grave. Je l'ai conduite à la gare du Canadien
National et je lui ai acheté un billet pour Drummondville.
Après l'avoir bien assise dans le train, je lui ai fait un beau
"bye" et je suis retourné aux États.
Vers la fin de la dernière guerre mondiale, Anne-Marie me
donna une belle grosse fille comme cadeau. Comme je ne pouvais
avoir de gardienne, j'ai demandé trois semaines de congé. Les
officiers de la guerre vinrent à la maison avec une infirmière;
après avoir constaté qu'il y avait un nouveau-né dans la
chambre, ils remplirent les papiers qui me dispensaient d'être
enrôlé.
Tous les jours, l'infirmière de la Métropolitaine venait
faire la toilette de la mère et du bébé; elle me vantait
beaucoup sur mes talents d'homme de maison mais après son
départ je payais pour car j'avais doublement de lavage à faire.
Dans le temps, je travaillais pour entretenir les bâtisses
pour la Woolen Mills; cette manufacture faisait le linge pour la
guerre.
Une fois, j'ai eu peur d'aller coucher en prison. Pendant la
guerre de 1942, je travaillais au Connecticut. Je voyageais au
Vermont à tous les 15 jours pour ma femme et mes enfants.
L'autobus arrivait au Connecticut au milieu de la nuit. Il était
défendu de sortir avant 7 heures du matin car il y avait le
couvre-feu. En débarquant de l'autobus, j'entrai dans le
restaurant. Tout à coup, un trimp
entra, vint à moi et voulait que je lui donne de l'argent; il se
mit à me menacer. La servante appela la police. Deux à trois
minutes plus tard, un policier arriva, me prit par le bras,
voulut m'amener avec lui. Alors la servante lui dit: "C'est
pas lui qui fait du trouble, c'est l'autre." Le policier l'a
crue et est parti avec l'autre gars. Dieu en soit loué!
Voyage à Ste-Anne de Beaupré.
Ayant promis un voyage à Ste-Anne de Beaupré, Anne-Marie et
moi-même y avons fait un pèlerinage, accompagnés de nos
enfants sur la terre des Bonin à St-Majorique; à notre retour,
un de nos garçons s'était cassé la clavicule en déboulant en
bas de l'escalier du hangar. Je l'ai amené chez le médecin à
St-Guillaume; après l'avoir examiné et l'avoir
"strappé" il nous commanda de ne pas le laisser jouer
pendant au moins une semaine.
9. Retour au Canada.
Avant de vendre la maison, Anne-Marie m'a demandé de poser
des poteaux dans la cour pour installer une corde à linge; en
creusant, j'ai frappé une veine d'eau; mon trou fut bientôt
plein d'une belle eau dorée; j'ai appelé Anne-Marie:
"Viens voir si je rêve." Elle s'exclama: "Oh! Non
tu ne rêves pas. Qu'est-ce que ce liquide?" Je lui
répondis: "Tout ce que je sais, c'est que c'est
doré." Je l'ai fait analyser; c'était du cristal mêlé de
gravelle, mais la quantité de cristal était trop faible pour
l'exploiter. Alors j'ai posé les poteaux d'Anne-Marie et le
rêve prit fin vite; cependant Anne-Marie garde encore un
échantillon du liquide en souvenir.
Après avoir vendu notre maison du 303 Mallett Bay Ave. de
Winooski pour revenir au Canada, il fallait organiser notre
déménagement.
J'ai loué un gros trailer
et nous l'avons chargé de six mille livres. Puis j'ai conduit ma
grosse famille (8 enfants nés aux États) à South Durham, près
de Drummondville, chez Albertine, la soeur d'Anne-Marie.
Je suis retourné aux États pour finaliser le déménagement;
j'ai pris temps et plaisir d'aller saluer les Chevaliers de
Colomb avec qui j'avais eu du bonheur. Des souvenirs passaient
dans ma tête; 8 ans sur la maintenance à la Woolen Mills, un an
dans une shop à bois, cinq ans
comme chauffeur de boiler, deux
ans comme menuisier sur la construction. De bonne heure le
lendemain matin, nous sommes partis avec le ménage pour le
Canada. |